Aristide
Avant son élection, Aristide faisait de la Constitution sa boussole et déclarait à l’AFP qu’il la respecterait s’il était élu, promettant de choisir son gouvernement “parmi les membres du parti ayant la majorité au Parlement”. Une fois élu, cet “intrépide” a préféré faire appel à ses amis et n’a tenu aucun compte de la majorité relative du FNCD qui l’avait porté au pouvoir. Il a agi comme Napoléon qui pensait que le coeur d’un chef est dans sa tête et qu’il fait confiance à sa tête (sic dans Radio Soleil d’HaÏti, 9 février 1997).
Au-delà de la stratégie d’Aristide, il faut se souvenir que le mouvement antiduvaliériste avait utilisé des mots d’ordre inscrits dans l’arbitraire ambiant : déchoukay en 1986, l’état d’esprit raché-manyok en 1987 et le phénomène lavalas en 1900 s’inscrivent tous dans une stratégie stérile d’affrontement des arbitraires. En 1996-1997 les organisations dites populaires obéissent à cette même stratégie despotique quand elles dressent des barricades enflammées sur les principales artères du territoire.
On se demande quelles sont les véritables nuances idéologiques qui permettent de différencier les attitudes duvaliéristes d’hier et les comportements antiduvaliéristes de l’époque, ou si les initiatives des uns et des autres obéissent à la même logique arbitraire (macoute)? Que cache donc l’indicatif péjoratif créole Ti (petit) quand les Haïtiens se mettent à l’heure des Ti pour parler le langage archaïque des Ti-Légliz, des Ti-Lamé, des Ti-Curé, des Ti-Jandam...? Il semble que de très nombreux bourgeois et petits bourgeois qui se reconnaissent dans des pitit-soyèt (petits ou fils du peuple) voudraient aller au-delà, en quête de leur propre image dans l’autre: le pitit-soyèt. C’est sans doute leur façon de se déculpabiliser face à un système aberrant qu’ils ont toujours vénéré.
Après son intronisation le 7 févirer 1991, J.-B. Aristide, et avec lui ceux qui prétendent incarner une nouvelle classe politique, objective vite ses limites car il se montre irresponsable et utopique. Il est renversé du pouvoir le 30 septembre 1991 par un coup de force militaire qu’on ne peut analyser de manière subjective. Aristide et les militaires qui le renversent sont de la même génération et font preuve d’un même manque de culture politique et des mêmes attitudes jusqu’au-boutistes qui provoquent un enlisement de la situation politique, sous les auspices tantôt de l’ONU tantôt des responsables américains. Aucune solution négociée même acceptée des deux côtés ne peut se mettre en place devant leur intransigeance. On peut affirmer sans trop de réserves que c’est le besoin d’un pouvoir fantasmé qui a conduit au débarquement en Haïti de vingt mille militaires américains le 19 septembre 1994 et à une occupation militaire telle que le souhaitait Aristide (quarante et un ans), prêtre ti-légliz et Cédras (quarante-cinq ans), chef d’état-major de l’armée.
Formée à l’organisation sociale égalitaire de la paysannerie des Mornes de Port-Salut et ayant de bonnes dispositions scolaires. Aristide réussit à contourner l’inflation des valeurs ambiantes, Grâce aux initiatives de religieux qui le prennent en charge, il fait de billantes études. Les jeunes de sa génération incultes pour la plupart, admirent son supposé savoir et comme lui sont atteints du virus du pouvoir fantasmé. Contrairement à ses déclarations (Dans Tout homme est un homme), il fera tout pour accéder au pouvoir et se justifiera: il ne créera pas de parti politique pour ne pas accréditer les allégations de ceux qui disent qu’il a un goût immodéré du pouvoir et veut y accéder à n’importe quel prix!
Bertrand Aristide - inscrit dans le mouvement charismatique lavalas - de canaliser seul toute la contestation antiduvaliériste des religieux Ti-légliz (prêtres, pasteurs et ougans....); R. Préval, ancien Premier ministre incompétent, devient président de doublure de février 1996 à 2001. Chacun à sa manière ces “présidents” sabordent les espérances des masses populaires et refusent toute alternative sérieuse. Alors qu’une conférence nationale leur aurait permis d’aboutir à la mise en place d’un gouvernement de salut public et de sauvegarde nationale. Chacun se demande à qui la faute. Responsabilité collective certes, mais les démarches psychopathologiques des Duvalier, Aristide, tontons-macoutes, chimères (sbires du lavalas), des attachés du FRAP (milice néo-duvaliériste) et autres...ont pesé lourd.
Au-delà de leurs déclarations tonitruantes, Duvalier (Papa Doc ) et Aristide (Titid) sont bien les deux images mentales qui maintiennent l’état de pauvreté d’Haïti. Leur vécu fait de frustrations chroniques ne leur a pas permis de sublimer autrement leur passé de pitit-soyèt (fils du peuple). Tous deux ont alimenté la passion de ceux qui, par rétroaction, n’ont cessé d’amplifier la légende de ces petits grands hommes au regard mystique et au verbe mystificateur. Il est vrai que les Haïtiens se sont longtemps reconnus en eux parce qu’ils manipulaient avec aisance des thèses populistes adaptées à la psychologie de leurs compatriotes. Lorsqu’ils sont arrivés au pouvoir, ils ont ainsi bénéficié de la complicité de tous ceux qui se sont identifiés à leur vécu. Cette dévalorisation mal compensée a toujours empêché l’adaptation des petits-bourgeois haïtiens qui vivent mal leur transfert de classe ou de caste dans un contexte psychosocial d’arbitraire institutionnalisé. Il ne s’agit pas de banaliser les actes rétrogrades d’hier, mais il est évident que le fait Duvalier et le fait Aristide se situent exclusivement au niveau d’un mythe progressiste postcolonial. La mentalité haïtienne taxe d’ailleurs d’imbécilité ceux qui ne savent pas profiter des largesses offertes par les idiots! Sot ki bay, imbésil ki pa pran, dit-on banalement en créole pour justifier ce comportement égoïste et cynique bien que fondamentalement humain. Certains justifient ces comportements en prétextant que dépi nan ginin, nèg rayi nèg, c’est-à-dire que l’Haïtien a toujours haï les siens. Ces deux étranges bonshommes d’origine modeste correspondent au vocable discriminatoire pitit-soyèt (fils du peuple) utilisé avec tant d’a priori par les Haïtiens qui condamnent les “petits” à l’exclusion.