jeudi 8 mai 2008

PETIT COUP D'OEIL SUR L'IMMIGRATION - 3e partie

Tant que la migration haïtienne au Québec se limitait d’abord à une « fuite des cerveaux », le problème de l’adaptation des haïtiens à l’étranger ne se posait pas, parce que la vie de cette bourgeoisie au Québec s’inscrivait sans trop de heurts dans les traditions sociales du pays d’accueil. C’est à partir de la deuxième vague migratoire qui a déplacé les campagnes haïtiennes vers les métropoles Nord Américaines que la question des relations avec le pays d’accueil a commencé à se poser dans toute son ampleur. Entre ce prolétariat non-scolarisé, issu d’une société paysanne et ouvrière et le milieu urbain hyperdéveloppé de la société québécoise, la communication se fait mal.

Chez les jeunes haïtiens, la mobilité historique, produit un certain nombre de contradictions difficiles à interpréter. Ces jeunes sont aussi peu outillés pour comprendre la culture de leurs parents, laquelle a été reformulée et réinterprétée en situation d’exil, où la nostalgie et les sentiments de perte marquent profondément la culture qu’il leur a été transmise. Ces problèmes culturels se conjuguent à des difficultés de compréhension et de positionnement personnel et social par rapport aux enjeux économiques qui se dessinent actuellement au Québec et partout dans le monde.

Ces difficultés d’interprétation et de positionnement face aux transformations qui s’opèrent dans la société ne peuvent qu’exacerber les conflits sociaux et culturels dans lesquels ces jeunes évoluent.

Les « minorités visibles »

De nombreux jeunes provenant de groupes ethniques, et identifiés comme faisant partie de la « minorité visible », vivent de nombreuses difficultés qu’ils attribuent principalement à des pratiques d’exclusion telle que le racisme. Cette mise en cause du racisme comme étant le principal responsable de leur exclusion sociale est si forte et si insistante, que le projet du Ministère des relations avec les citoyens et de l’immigration d’investir dans la résolution de cette problématique est une initiative importante. Elle est importante dans la mesure où cette problématique est abordée dans sa complexité, prenant en compte la configuration générale de cette problématique et la nécessité d’explorer de nouvelles réponses.

Il y a quelques années, l’ex Ministre et ancien chef de l’opposition à l’assemblée nationale Boisclair diffusait les conclusions d’une étude qui indiquait une plus grande tolérance des québécois face à la présence massive et diversifiée des immigrants au Québec. Ces conclusions rendaient compte d’un résultat des recherches et des interventions qui ont été réalisées dans le domaine des relations interculturelles depuis les années 80 à aujourd’hui.

Ce qui caractérise l’immigration, pendant cette période, c’est l’entrée au Québec d’immigrants porteurs de cultures extrêmement différentes de celles d’autres immigrants avec qui les québécois cohabitent historiquement. Au début des années 80, il fallait aménager un nouvel espace social pour que cette nouvelle donnée culturelle n’exacerbe pas les tensions sociales ni ne favorise l’élaboration de pratiques d’exclusion. C’est ainsi que les chercheurs de différentes disciplines en sciences sociales ont interrogé les pratiques québécoises de xénophobie, d’ethnocentrisme et de racisme, un discours sur la tolérance a pris forme pendant cette période, ouvrant la porte à la création d’une multitude d’interventions sociales, culturelles et politiques (de la formation à l’animation, de la création d’alternatives à des réajustements institutionnels). Les fonds qui sont actuellement dégagés pour les « minorités visibles » est une intervention de l’État qui s’inscrit dans cette période de discours et de pratiques sur la tolérance.

Pendant cette période de discours et de pratiques sur la tolérance, la société québécoise a construit la culture comme étant des pratiques coutumières fondées sur la tradition en tant que fondement inaliénable et invariable dans le temps et dans l’espace. Au nom de la tradition, des formes de fonctionnement de relations à Soi, au Monde et à Dieu sont validées et ne peuvent être remises en question. La culture est vue jusqu’à maintenant comme une force constituante et déterminante socialement. Cette façon de pratiquer la culture est statique parce qu’elle est pensée hors du politique et de l’histoire de son développement. Dans l’expérience québécoise des relations interculturelles, que cette façon de concevoir définit, un certain nombre d’impasses et de vices de forme apparaissent.

La remise en question des pratiques de xénophobie, d’ethnocentrisme et de racisme ne se fait, à venir jusqu’à aujourd’hui, que de façon unidirectionnelle. Nous (immigrants et québécois) n’avons pas encore interrogé les pratiques historiques d’exclusion propres aux immigrants, et dans lesquelles logent des formes de fonctionnement relationnel qui ont été traversées de bord en bord par des systèmes politiques et de connaissances. Ces systèmes régulaient et reproduisaient des dictatures, des féodalismes, des totalitarismes et des processus de colonisations et d’auto-colonisations.

Il est propre à une certaine conception du pouvoir d’interroger le fonctionnement des relations de pouvoir, telles les relations québécois-immigrants, sur la base de la relation dominant-dominé ou de celle de bourreau-victime. Les politiques et les pratiques d’intervention sociale qui ont suivi ce mode d’analyse ont produit une position sociale et politique de culpabilité de la société québécoise ; affaiblissant l’affirmation de ses propres codes culturels et validant une position sociale et politique de victimisation des immigrants, réduisant ainsi leurs possibilités d’inclusion. Lorsque ces deux positions se déploient socialement, elles produisent ensemble un terreau propice aux problèmes d’identité.

Des limites apparaissant dans les représentations actuelles de la culture au Québec. Ces façons de faire et de voir la culture favorisent l’enfermement dans le ghetto, la rigidité des stratégies d’adaptation et de l’ethnocentrisme des individus et de leur groupe. Le développement de la tolérance, comme attitude première à l’ouverture culturelle, se heurte aux replis et à la fermeture des groupes ethniques sur eux-mêmes, à leur faible réflexivité et à l’absence d’une position critique vis-à-vis de leurs propres codes culturels.

La culture est perçue comme une force constituante et non comme une force directionnelle, comme un déterminant social et non comme une puissance d’influence nomade et potentiellement multiforme, comme un monument digne d’être vénéré et non comme des pratiques historiques susceptibles d’être passées en jugement et transformées. Notre discours actuel sur la culture ne peut ni inspirer ni soutenir la construction de lieux culturels communs dans lesquels les jeunes pourraient formuler leur avenir et produire les conditions de leur réalisation personnelle et sociale.

Face à ce constat, nous croyons à l’importance d’explorer de nouvelles stratégies d’intervention qui favorisent une dévictimisation chez les jeunes des « minorités visibles ». En effet, les problèmes d’identité, les problèmes liés à la méconnaissance de la société et des enjeux sociaux et économiques actuels, les problèmes résultant de la non résolution des contradictions culturelles et les problèmes générés par une victimisation dans la relation de ces jeunes à la société doivent être abordés pour aider les jeunes à développer un pouvoir d’appropriation des conditions de production de leur réussite sociale et économique. Pour ce faire, nous croyons à l’importance d’intervenir de façon transdisciplinaire dans la problématique liée à l’emploi chez les jeunes issus des « minorités visibles ».

lundi 5 mai 2008

DIALOGUE SUR UN PROJET D'HABITATION EN HAÏTI


R. Métellus :
-J’ai lu en rubrique que vous envisagez une nouvelle structure d’habitation à Croix-des-Bouquets à 15 km de Port-au-Prince en Haïti. C’est quoi cette nouvelle structure ?

Pierre Eddy C. :
-Cette nouvelle structure est une forme géodésique qui permet d’utiliser de nouvelles formes de production d’énergie : éolienne dans les mornes et au bord de mer (à évaluer) et solaire.

R. Métellus :
- Cette structure d’habitation se construit comment ?

Pierre Eddy C. :
- Cette structure d’habitation se construit à un coût abordable et rentabilise l’usage des techniques éolienne et solaire de production d’énergie.

R. Métellus :
- Il doit y avoir une certaine contrainte liée à cette forme architecturale ?

Pierre Eddy C. :
- En effet, c’est sa nouveauté tout spatiale, sociale, qu’environnementale. C’est pourquoi nous devons explorer comment nous l’intègrerons dans l’espace rural tout en suivant à la trace les changements que cette forme peut produire. L’introduction de nouvelles technologies dans un milieu de vie social devrait pouvoir se référer à une éthique, laquelle indique une direction et un sens commun à leur développement. Des indicateurs spatiaux et anthropologiques doivent être considérés pour élaborer des procédures d’intégration de cette nouvelle forme architecturale. Il faut tenir compte de l’image de l’environnement et de l’expérience sensible que la population a de cette image.

R. Métellus :
- Qu’en est-il de l’expérience de la population ?

Pierre Eddy C. :
- L’expérience sensible d’une population à l’égard d’une construction qui est usinée dans son environnement est très importante à considérer. En effet, c’est à partir de cette expérience qu’elle peut vivre une relation harmonieuse avec son environnement et ressentir une impression de sécurité émotive, laquelle est fondamentale pour les relations sociales, bonnes et intéressantes à vivre.

R. Métellus :
- Quel principe allez-vous appliquer dans l’insertion de nouvelles formes d’habitations dans un environnement ?

Pierre Eddy C. :
- L’environnement suggère des relations et des démarcations, et l’observateur, suivant ses objectifs, choisit, organise et charge de sens ce qu’il voit. L’environnement qui est familier à tous fournit une matérialité à la mémoire commune et aux symboles qui lient les personnes entre elles. Le paysage sert de vaste système mnémonique pour la fixation des idéaux et de l’histoire du groupe.

R. Métellus :
- Est-il viable ce projet ?

Pierre Eddy C. :
- La viabilité d’un tel projet repose sur la possibilité de produire une imagibilité forte qui stimule une projection vers l’avenir dans un bon sens (une direction qui est en concordance avec une démocratie haïtienne et avec une appropriation de la modernité) et un sens commun (et là il y a un travail à faire pour que le projet soit connu, voulu et représenté par la population locale et nationale. Il y a certainement une exploration à faire pour trouver les matériaux (qualité/prix) à l’intérieur du pays afin d’assurer son autonomie en matière d’habitation. Ce projet devrait se conjuguer à une démarche écologique de réappropriation de l’environnement (reboisement, irrigation).
Ce projet pourrait être aussi l’occasion d’instruction (et non d’éducation) dans le cadre de l’alphabétisation sur : les formes énergétiques, les relations de pouvoir et les relations économiques qui dirigent actuellement les formes d’utilisation de l’énergie de l’énergie à travers le monde, les relations de l’homme avec son environnement dans une perspective d’autonomie d’Haïti par rapport à l’extérieur ; la modernité, une culture politique de démocratie.

R. Métellus :
- Quel type d’entreprise êtes-vous en train de créer en Haïti ; une entreprise capitaliste ou philanthropique ?

Pierre Eddy C. :
- Mon projet est de type philanthropique. Car les entreprises capitalistes appartiennent à leurs actionnaires qui y ont risqué de l’argent dans l’intention d’en retirer des bénéfices. Les biens ou services produits par ces entreprises ne sont pas destinés aux actionnaires eux-mêmes, si ce n’est que par accident, ils sont plutôt destinés à une clientèle extérieure qui est invitée à se les procurer moyennant rémunération.
Alors que les entreprises philanthropiques sont possédées par des sociétés de bienfaisance ou quelques noyaux d’individus dans le but de fournir gratuitement ou au prix coûtant des biens ou des services à certains groupes de gens aux ressources limitées. Les vrais responsables de ces entreprises est de la continuité de leur fonctionnement sont des personnes autres que celles à l’avantage desquelles les dites entreprises ont été destinées.

R. Métellus :
- Vous qui avez travaillé au niveau de l’organisation internationale et en tant que sociologue, comment voyez-vous l’aide internationale ?

Pierre Eddy C. :
- La politique d’aide au développement ne relève pas d’une démarche unilatérale et généreuse du Canada vis-à-vis du peuple haïtien. Il faut donc démystifier le discours qui tend à faire passer pour de l’aide humanitaire une politique qui s’inscrit dans le cadre d’une stratégie globale élaborée par les USA, visant à accélérer le processus d’intégration de la formation sociale haïtienne au marché mondial et à maintenir le statu quo politique. La supercherie consiste à la fois légitimer la politique de mise en tutelle du pays considéré comme congénitalement incapable de se développer par lui-même et à présenter toute opération réalisé en Haïti par le Canada pour de l’aide désintéressée.

R. Métellus :
- Mais encore…

Pierre Eddy C. :
- Étudier les questions du rôle de l’aide canadienne à Haïti revient à analyser comment celle-ci intervient à la fois :
-sous le contexte de l’aide internationale à Haïti, pour assurer le maintien d’un pouvoir anachronique, corrumpu, dont le seul but est de durer.
-pour dé-structurer la société haïtienne
Les instruments privilégiées de cette intervention source que depuis 1973 on appelle les opérations de développement menées par des organisations (comme le DRIPP) financée par l’aide étrangère, contrôlées techniquement par des experts étrangers, et autonomes par rapport à l’État Haïtien dont le rôle se trouve limité.

R. Métellus :
- Cette politique d’assistance a débuté à quel moment ?

Pierre Eddy C. :
- Cette politique massive d’assistance à Haïti a débuté dans les années 1970, comme le souligne un document de l’ACDI.
Cette politique a abouti à un processus de déstructuration de la société traditionnelle haïtienne, et ce processus a crée un monde disloqué, difforme et monstrueux à l’intérieur duquel les possibilités de développement apparaissent étouffées.

R. Métellus :
- C’est épouvantable ce que vous évoquez ?

Pierre Eddy C. :
- Mais comment aurait-il pu en être autrement ? Et comment ne pas considérer comme une agression ce qui tend à modifier la société sous prétexte de développement ? Cette politique vise à faciliter la pénétration capitaliste dans les campagnes, y compris dans les secteurs les plus traditionnels. Ce n’est donc pas par hasard si l’exode massif hors Haïti, de dizaines de milliers réfugiés est contemporain à la mise en place des opérations de développement dans les campagnes.
Ce qui se joue en Haïti, actuellement, au-delà de toute rhétorique est un drame sans précédant dans l’histoire du pays et, en effet, la crise (produit de la mondialisation et de la polarisation des classes) atteint les masses populaires au cœur même de leur existence, au point où l’unique espoir de survie semble résider dans la fuite vers un « Ailleurs » de plus en plus problématique.
La politique d’assistance n’a pas abouti à l’amélioration des conditions d’existence de la majorité de la population haïtienne, mais au contraire renforcé les inégalités sociales et accéléré le processus de dégradation des conditions de vie de la grande majorité de la population haïtienne. On ne peut que dresser le bilan de faillite de cette politique d’assistance. L’aide fournie actuellement par le gouvernement canadien n’est plus qu’un cataplasme misérable sur la détresse des masses populaires, et les béquilles d’un régime politique incompétent. La crise que traverse Haïti révèle ainsi à la fois, la faillite du régime actuel et celle du système de domination traditionnelle, dans la mesure où elle touche à la forme et à l’organisation de la société haïtienne. Ainsi l’aide internationale se heurte aux contradictions qu’elle a contribué à engendrer. Elle devient, dans les conditions actuelles, une nécessité permanente.

R. Métellus :
- Vous maîtrisez très bien les rapports internationaux et que pensez-vous du développement durable ?

Pierre Eddy C. :
- Pour conclure l’entretien, je vous répondrai en reprenant les propos d’Aga Khan :
« Par nature, le dogme du développement durable est trompeur : il égare nos esprits de la même manière que l’a fait en son temps, l’idée que la Terre était plate, mais avec des conséquences infiniment plus graves pour notre survie. Ce qui se passe dans les pays pauvres doit nous faire réfléchir ».
En effet, malgré tous les discours sur les besoins vitaux et la lutte contre la pauvreté – et en dépit de plusieurs décennies officiellement consacrées au développement -, le nombre de personnes qui vivent dans le dénuement le plus extrême continue d’augmenter. La notion de « durabilité » est devenue une pieuse incantation au lieu d’inciter à une action urgente et concrète comme cela aurait dû être le cas.
Cependant, la réalité est là, de dire Khan : 80 pays ont un revenu par tête inférieur à celui d’il y a 10 ans ; le nombre de personnes qui vivent avec moins de 1 dollar par jour ne diminue décidemment pas (1,2 milliards), tandis que celui des individus qui gagnent moins de 2 dollars par jour voisine les 3 milliards. Il faudra ainsi cent neuf ans à un pauvre pour obtenir ce que le joueur Zidane peut gagner en un jour !
Le discours d’Aga Khan croit que le développement durable a été perverti en quelques points :
a) Par la méthode des affaires, qui l’a rendu synonyme de croissance durable, qui reflète le conflit entre une vision commerciale et une vision environnementale, sociale et culturelle de monde.
b) L’idée de développement durable a été pervertie par celle d’une culture durable, une abomination orchestrée par un courant promoteur d’un prétendu « usage rationnel ».
c) L’OCDE ou les entreprises des pays de l’organisation de coopérations et de développement économiques verseraient tous les ans 80 milliards de dollars de pots de vin pour obtenir des avantages ou des contrats. Une somme comparable à celle qui permettrait, selon les nations unies, d’éradiquer la pauvreté. De plus en plus détourné des buts affichés, le développement durable ne serait-il qu’un alibi pour maintenir une croissance par nature destructrice de l’environnement.