Les mots vrai et vérité nous sont si familiers que nous ne songeons guère, au cours d’une conversation, à demander qu’on nous les définisse : on possède la vérité quand ce que l’on pense est conforme à la réalité. Mais ces mots se présentent dans des contextes bien différents : nous dirons d’un jugement porté sur un de nos collègues qu’il est vrai, et non mensonger ou calomniateur; mais nous parlons aussi d’un vrai Rubens ou de véritable champagne; nous apprécions même la vérité d’un tableau qui représente un paysage imaginaire ou celle des personnages crées par un romancier ou par un auteur de comédies… Aussi, à la réflexion, la notion de vérité, claire à première vue, devient assez confuse et tâchons de la préciser.
On entend parfois par vérité la réalité même de l’objet dont on parle : cacher la vérité est synonyme de cacher la réalité; c’est dans le même sens qu’on parle d’un témoignage conforme à la vérité. La vérité ainsi comprise se confond avec l’être lui-même. L’être sans limite, Dieu, est aussi la souveraine vérité - : on la désigne par le terme de « vérité ontologique ». Mais, le plus souvent, le terme de vrai qualifie nos idées sur les choses et non les choses elles-mêmes : la vérité est la qualité de nos pensées et de leur expression verbale à la vérité ainsi conçue est la « vérité logique ». C’est de cette dernière que nous allons traiter.
La vérité logique consiste dans l’accord de la pensée avec la réalité. Mais que faut-il entendre par pensée et par réalité? La pensée consiste essentiellement dans le jugement par lequel nous affirmons une chose d’une autre. Le jugement comporte deux idées ou deux termes qui jouent le rôle d’attribut et de sujet dans la proposition qui exprime le jugement. La vérité peut-elle être une propriété de l’idée ou du terme? Il semblerait tout d’abord qu’il peut y avoir des idées fausses, et, par la suite, des idées vraies. Par exemple, c’est que ce triangle rectangle équilatéral serait une idée fausse, un tel triangle étant impossible. Mais en réalité je n’ai pas l’idée d’un triangle rectangle équilatéral : si je puis accoupler ces termes, je ne puis pas penser la figure qu’ils désignent et qui reste impensable.
Il y a vérité lorsque l’affirmation portée dans le jugement est conforme à la réalité; erreur, quand il n’y a pas conformité entre l’affirmation et la réalité. Ainsi, il est vrai de dire que le Myriagone est possible; il serait faux de dire qu’il est réel. Mais cet exemple même nous montre qu’il serait utile de préciser aussi le sens du mot réalité.
Pour le sens commun, les objets matériels (cette feuille sur laquelle j’écris, la fenêtre que je vois ouverte…) sont les vrais objets réels; tout le reste est facilement conçu comme irréel. La réflexion philosophique et même la réflexion ordinaire, distingue une bien plus grande variété de réalités.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire