Le marginal, clôture nécessaire d’un monde en mal d’identité
La leçon est simple : tout centre pour se définir lui-même a besoin de sa marge. La marge constitue la limite à ne pas franchir pour être accepté dans la société du centre. Pour créer un marginal, prendre n’importe qui et ne pas lui reconnaître de cohérence interne. C’est ainsi qu’émergent les « sauvages », les « errants », les « fous », les « enfants » (serait-il tellement déplacé de mentionner les « femmes »), les « analphabètes », les « illettrés », certains groupes sociaux, certains groupes de travailleurs, certains tenants de sous-culture, ceux que, comme par hasard, Soi prive de rationalité. Par bravade peut-être, ou pour mieux asseoir son autorité? Plus vraisemblablement et plus simplement, dans le cas des Amérindiens au moins, parce que sans eux les Eurocanadiens et Québécois « ne pourraient sentir leur être propre »; parce qu’ils sont « ce à partir de quoi on existe », « la limite constitutive de la clôture » qui seule permet de définir sa propre identité.
L’idéal d’un monde sans marge et donc sans préjugé est utopique. Ce que l’on pourrait sans doute éviter cependant, c’est ce modèle statique et hiérarchisant basé sur la certitude, dans laquelle Soi se drape, de l’existence d’une vérité rationnelle et scientifique justificatrice d’abus de pouvoir et de comportements plus ou moins pathologiques. Sans doute pourrait-on penser à sortir du piège que nous tend le rapport d’altérité en apprenant à jouer de la dynamique des marges. Pour cela il faudrait que la distance entre Soi et l’Autre ne soit plus conçue comme nette, mais diluée en une multitude de possibilités, ce qui entraînerait aussitôt une multitude de possibilités dans la définition de l’identité de Soi. C’est en perdant son pouvoir de catégorisation, de classification unique et claire de l’univers, en apprenant à sauter d’un centre à l’autre, à nuancer l’image qu’il a de lui-même, à pratiquer le déséquilibre intégral que Soi retrouverait peut-être une sorte d’équilibre dans ses rapports avec l’Autre. Mais peut-être s’y perdrait-il lui-même. La ténacité avec laquelle le Soi québécois continue à s’arrimer à un Autre amérindien indique à quel point cet Autre est nécessaire à la constitution de l’identité québécoise.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire