Baudelaire aussi aimait à se distinguer par des extravagances capillaires. Maxime du Camp rapporte l’anecdote suivante (citée par Lemaire 1978 : 48) :
Il entra chez moi avec les cheveux teints en vert. Je fis semblant de ne pas le remarquer. Il se plaçait devant la glace, se contemplait, se passait la main sur la tête et s’évertuait à attirer les regards. N’y tenant plus, il me dit : « Vous ne trouvez rien d’anormal en moi? – Mais non. - Cependant, j’ai les cheveux verts, et ça n’est pas commun ».
Du Camp, montrant une connaissance intime de l’essence du dandysme, qui se veut une singularité, un avant-gardisme, mais en aucun cas une mode (car mode implique groupe et suivisme), se moqua alors de Baudelaire en prétendant n’être pas surpris, les cheveux verts étant très communs ces derniers temps.
Un aphorisme de Baudelaire pourrait être repris à son compte par n’importe quel punk : « Ce qu’il y a d’enivrant dans le mauvais goût, c’est le plaisir aristocratique de déplaire ».
Un punk de la première heure (vers 1978) aux fins fonds de la Bretagne se sentait satisfait quand il obtenait rires moqueurs et désapprobation sur sa tenue. Il entrait, vêtu de la robe de chambre de sa grand-mère, portant les cheveux très longs, l’air sinistre, dans les cafés populaires où les bons Bretons moyens, qu’il détestait autant que Baudelaire ses Belges, buvaient leur petit rouge. Choquer et se faire haïr de ce que l’on trouve vulgaire est un plaisir raffiné d’esthète, refus de la médiocrité et ascèse vers une identité tout entière créée et non pas donnée.
Les dandys, comme les punks, sont donc les créateurs de leur propre image et méprisent ceux qui, faute d’imagination, croiraient pouvoir s’acheter une image toute faite. « Un de ces imbéciles, dont l’élégance est faite par le tailleur et la tête par son coiffeur », disait Baudelaire (op. cit. : 83).
L’extrême élégance était un plaisir des dandys, avant de devenir un amusement punk, et dans les deux cas cette élégance est avant tout une création personnelle : « C’est une certaine manière de le porter (l’habit) qui crée le dandysme. On peut être dandy avec un habit chiffonné », disait Barbey d’Aurevilly (op. cit. : 51). Et il ajoutait : « Un dandy peut mettre s’il veut dix heures à sa toilette, mais une fois faite, il l’oublie » (op. cit. : 84).
Les punks que j’ai cotoyés consacraient quotidiennement beaucoup de temps à leurs préparatifs avant de sortir : maquillage, coiffure, grimaces au miroir, agencement surréaliste des divers éléments trouvés ça et là. Mais une fois le masque composé, qui leur permettait de se montrer sans qu’on les voie, d’être le point de mire, mais avec une image provocante, impersonnelle, qui ne laissait rien paraître de leur sensibilité personnelle et des problèmes existentiels qui étaient les leurs, derrière ce masque, donc, ils pouvaient s’avancer, comme à l’abri d’un discours articulé par cet ensemble de signes.
Mettre en scène une violence symbolique, une image décadente et inquiétante, provoquer une réaction choquante ou haineuse, tels étaient leurs buts.
* à suivre *
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