mercredi 28 avril 2010

LA FABRICATION DU MÂLE - 1e partie

LES DIFFICULTÉS MASCULINES

Une des grandes préoccupations de ce millénaire semble être la place des hommes. Leur place auprès des femmes, au sein des familles, face aux modifications du marché du travail….Être ou ne pas être un homme, avec ses attributs, est-ce la question? En fait, la question semble davantage s’articuler en termes de crise de liens. Un malaise se vit dans les relations que les hommes ont avec eux-mêmes, avec leurs proches, avec leur collectivité. Notre pratique comme intervenants auprès d’une clientèle d’hommes en difficultés conjugales nous confronte constamment à la détresse profonde liée à leur solitude. Ce texte a pour but de partager nos réflexions sur le contexte social de l’isolement masculin et sur la nécessité d’un modèle de pratique favorisant le développement de nouveaux rapports sociaux.

Tout d’abord, C. Nantel et Éric Gascon clarifient les aspects de la « fabrication d’un mâle » qui limitent les caractéristiques humaines selon le genre pour ensuite situer les multiples solitudes des hommes dans leur contexte social. De plus, ils identifient quelques pièges de l’intervention auprès des hommes qui ont pour effet de cautionner les messages sociaux dominants. Finalement, nous proposons une vision structurelle de l’intervention sociale et de la relation d’aide auprès des populations masculines.

LA FABRICATION D’UN MÂLE

a) La complémentarité des sexes

En condition masculine, le courant proféministe libéral associe la « fabrication sociale » des hommes à une socialisation déshumanisante (Clatterbaugh, 1997). L’intégration de caractéristiques et d’idéaux stéréotypés, maintenant les hommes et les femmes dans les rôles complémentaires, limitent l’expression de l’humanité autant des hommes que des femmes. Cette socialisation peut favoriser le maintien des relations de pouvoir actuelles et la répartition inégale des privilèges. Il s’agit ici d’une socialisation à de croyances voulant que chacun des sexes doive se limiter aux pensées, aux émotions, aux comportements et aux rôles qui sont associés à son genre. Chacun des sexes ne semblant alors présenter que la moitié des caractéristiques humaines.

Actuellement, les hommes sont peu présents des professions de soins considérées féminines. De plus, le système économique et social du travail fondé sur le capitalisme a toujours besoin des caractéristiques masculines conservatrices pour le maintien des relations de production actuelles.

b) La coupure du lien
Les auteurs qui ont tenté d’analyser les paradigmes régissant la condition masculine et de décrire le vécu des hommes énoncent la reconnaissance du code de la masculinité (Rondeau, 1999; Clatterbaught, 1997; Dulac, 1997; Bélanger et L’heureux, 1993). Ils identifient les injonctions à respecter pour être socialement accepté et reconnu. Pollack (2001) aborde la transmission, par les institutions de socialisation et de régulation, des règles de conduite privilégiées par la culture occidentale. Entre autres, il démontre que le traumatisme de la séparation prématurée


… est responsable d’une grande partie de la souffrance qu’ils traînent encore
aujourd’hui : cette impression de déconnexion ainsi que leur peur d’être
humiliés. Parmi toutes les injonctions et les règles de conduite que la société
impose aux garçons pour qu’ils se comportent comme des héros invulnérables…pour qu’ils minimisent leur douleur et leur tristesse, la séparation prématurée est
certainement la chose qui les blesse le plus profondément. Au cœur des croyances
véhiculées par la société, il y en a une selon laquelle les garçons doivent
atteindre l’autonomie très tôt dans la vie (Pollack, 1998, p.65).



À l’âge adulte, ils auront intégré la dissociation et la réaction de rompre le lien afin de se protéger de la honte et de l’humiliation de ne pas être à la hauteur des attentes des gens aimés et des exigences de la masculinité. L’isolement devient ainsi l’allié d’une vie à chercher à éviter l’embarras de l’échec. Les hommes en difficultés nous rapportent fréquemment que l’unique lieu où ils se permettent de vivre leur désarroi est dans leur voiture, à l’abris des regards.

La preuve d’une identité masculine adulte bien intégrée demeure l’image d’indépendance et d’invulnérabilité. Dans notre pratique, nous rencontrons des hommes qui tentent d’éviter la honte et l’humiliation en se valorisant dans des rôles reconnus et en se conformant aux exigences sociales. En cas d’échec, ils s’isolent et se referment tout en tentant de préserver l’image.


* à suivre *

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