samedi 17 juillet 2010

L'HOMME FACE À LA SÉPARATION : 9e partie

3. Analyse complémentaire à partir du modèle écologique

Afin de poursuivre l’analyse des enjeux concernant la paternité à la suite d’une séparation, nous ferons appel au modèle écologique qui réfère à l’influence de différents systèmes sociaux sur un individu (figure 1 : « Facteurs liés à la qualité du lien père-enfant à la suite d’une séparation »). Voici les systèmes qui constituent ce modèle d’analyse.

Premièrement, l’ontosystème réfère à « l’ensemble des caractéristiques, des états, des habiletés ou déficits d’un individu » (Bouchard et al.). Le microsystème est constitué « d’endroits assidûment fréquentés par le sujet (…) (idem). Le mésosystème est l’ensemble des relations intermicrosystémiques (idem). L’exosystème comprend les endroits ou lieux non fréquentés par le sujet en tant que participant, mais dont les activités ou décisions touchent et influencent ses propres activités ou son rôle dans les microsystème représente « l’ensemble des croyances, des valeurs des normes et des idéologies d’une communauté. Elles sont le reflet et la source tout à la fois des conduites individuelles et institutionnelles » (idem). Enfin, le chronosystème est constitué de « l’ensemble des considérations temporelles » (idem).

Le modèle écologique permet d’analyser chacun des systèmes, mais aussi les interactions entre eux :


L’interaction entre la personne et son environnement est au cœur de l’approche
écologique qui amène, et c’est là une contribution importante de cette approche,
à considérer dans l’étude du comportement, à la fois l’environnement immédiat et
l’environnement plus éloigné. En effet, l’environnement y fait référence non
seulement à la famille ou à l’entourage immédiat, mais aussi aux institutions,
aux conditions de vie, aux normes, aux valeurs et aux croyances d’une société
donnée. En ce sens, l’approche écologique est à la fois sociale, communautaire,
familiale et individuelle (Ricard et Turcotte).


Ainsi, le modèle écologique favorise une compréhension globale et nuancée d’un problème social. D’ailleurs, l’adaptation du modèle (figure 1 : « Facteurs liés à la qualité du lien père-enfant à la suite d’une séparation ») permet d’illustrer plusieurs enjeux variés soulevés dans la littérature et par les entrevues avec les pères.

D’abord, concernant le macrosystème, on peut constater que les facteurs associés au développement du lien du père avec ses enfants sont étroitement liés à la construction de la masculinité. La socialisation des hommes les prédispose à des habiletés différentes de celles qu’exige la paternité, du moins telle qu’on la conçoit aujourd’hui.


Pendant que les filles passent leur enfance à jouer à la mère, à apprendre la
maternité, les garçons jouent à la guerre ou au policier, comme si leur
perception du rôle de père se limitait aux agressions, aux attitudes de
justicier, aux gestes autoritaires (Blondin).
Le nouveau type de paternité valorisé demande encore du savoir-faire, ce que les hommes connaissent, mais aussi du savoir être, le côté « féminin ». Toutefois, il semble que les garçons sont exposés aux mêmes modèles stéréotypés qu’il y a vingt ans, avec quelques variations. Ne nous étonnons pas si des tendances sexistes ne fléchissent pas : « On incite aujourd’hui les hommes à s’interroger, à douter, alors qu’on leur a toujours appris que les vrais hommes étaient agissants et sûrs d’eux » (Dorais).

En effet, le macrosystème ne présente pas beaucoup d’incitatifs à développer la « femme en soi ». Regardons les tendances publicitaires qui présentent souvent des hommes très stéréotypés (Allard). « L’homme rose » réclamé il y a plus de quinze ans dans les revues pour femmes est aujourd’hui balancé par-dessus bord. Un homme rose, c’est mou.

Au niveau exosystémique, qu’y a-t-il de nouveau dans l’engagement paternel? Sur le plan économique, le congé parental qui peut être partagé avec la mère est une avancée. Il existe des expériences locales intéressantes (Bolté et al.) mais peu de planification formelle à plus grande échelle, pour ce qui est de l’intervention sur les problèmes sociaux vécus par les hommes ou la promotion de l’engagement paternel.

On peut penser que, malgré tout, il y a plus de latitude qu’auparavant au niveau microsystémique. Les hommes et les femmes tentent de réinventer la vie de famille et les rôles des mères et des pères se rapprochent (Côté), de sorte que leurs rôles respectifs sont plus difficiles à identifier et s’entremêlent. Cet état de fait nécessite une nouvelle compréhension de la paternité et la maternité et exige de tenir compte de la complexité et des ambiguïtés qu’elles comportent (Mckinnon, Davies, et Raines). Pour ce faire, on doit évaluer des notions d’oppresseurs et de victimes vers une nouvelle compréhension de la construction des rôles masculins et féminins et de leurs rapports (Featherstone et Trinder).

On s’attend des pères qu’ils effectuent (au niveau ontosystémique) une harmonisation d’aspects qui semblaient et qui semblent encore opposés : le partage de l’autorité parentale et le jeu, le savoir-faire et le savoir-être, le support rassurant et le sensibilité, etc. Également, les caractéristiques propres de l’enfant telles que le sens de l’humour, les affinités, l’âge, l’expression d’un attachement envers le père, puissent être un facteur qui influence le lien père-enfant de façon positive ou négative.

Comme illustrent les entrevues, beaucoup de facteurs associés aux différents systèmes influencent la trajectoire du père à la suite d’une séparation, de sorte que même la qualité du lien père-enfant avant la séparation n’est pas garante de celui qui restera à la suite de la séparation. En plus des nombreux déterminants systémiques du lien père-enfant, la crise causée par la séparation est importante. En effet, contrairement à la croyance populaire, à la suite d’une séparation, les hommes vivent plus souvent et de façon plus intense des problèmes de santé mentale que les femmes (Perreault), allant de conduites à risque (Dulac) jusqu’au suicide. Ils éprouvent beaucoup de difficulté à conserver leurs rapports avec leurs enfants après une séparation et sont tourmentés dans certains cas (Quéniart et Fournier). Les hommes ont moins tendance à prendre soin d’eux, de leur santé physique et mentale. Parfois, ils ne savent qu’être durs avec eux-mêmes et, par conséquent, ne savent pas comment prendre soin des autres.

À cause de ces caractéristiques ontosystémiques (par exemple l’agressivité, une image d’indifférence), causés entre autres par la socialisation, on en devient convaincu qu’il y a donc beaucoup d’hommes et de pères inadéquats. De fait, bien des pères sentent qu’ils sont meilleurs pour travailler que pour être présents auprès de leurs enfants. Pourtant, prendre le risque


(…) d’élargir son rôle, fait en sorte que tu vas te sentir compétent, mais il
faut que tu prennes des risques, faut que tu prennes des risques d’être
incompétent (…). (Benoît).
Effectivement, rappelons que traditionnellement, (macrosystémique), le savoir-faire consiste à protéger et à travailler pour loger, vêtir et nourrir ses enfants. Dans cette optique, il est étonnant qu’il soit possible d’atténuer le dilemme enfant-travail, particulièrement à la suite de la séparation. S’agit-il d’une exception ou d’une tendance?

À tout le moins, les choix de Benoît témoignent de l’incursion de pères dans des registres d’habiletés nouvelles qui peuvent mener à des rapports très étroits avec les enfants malgré un contexte de séparation, qui demeure un facteur défavorable au maintien d’un lien solide avec eux. D’autre part, le récit d’Antoine illustre des difficultés que des pères éprouvent à tisser des liens avec leur enfant, surtout après une séparation. Il constitue un exemple de père qui aurait grandement bénéficié d’aide et qui, concernant sa façon d’être père, en bénéficierait encore aujourd’hui.



* à suivre *

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