dimanche 27 novembre 2011

LA DÉTRESSE DES HOMMES - 12e partie

SE FAIRE VIOLENCE

L'homme en détresse se confond et ne se choisit pas. Comment alors subir ces violences sans que monte une colère, voire une rage intérieure qui cherche des issues pour éclater? « Ce qui est enfermé dans le cœur devient grande colère » dit un grand maître japonais. Certains êtres écorchés survivent : ils vivent dans leurs fonctions biologiques mais ils agonisent parfois dans leur vie psychique….Être mort vivant, ne pas pouvoir développer ses ressources endormies parce que le vécu d’enfant a dépassé les capacités d’absorption : n’est-ce pas là la pire violence qu’un être humain peut subir? Nous pouvons alors mieux comprendre que des victimes deviennent à leur tour bourreaux, qu’ils s’arment contre le ressentir douloureux et passent à l’attaque à leur tour, comme s’ils criaient dans l’agir : « Voyez ce qu’on m’a fait! »

Comment, alors, briser le cycle répétitif de cette course à relais d’une génération à l’autre? Des cliniciens chevronnés se sont penchés sur ce phénomène humain, à commencer par Sigmund Freud, puis Silma Fraiberg, Arthur Janov, Jack Lee Rosenberg, Alice Miller et d’autres. Touts ont parlé de l’importance de liquider les émotions liées au souvenir douloureux afin de pouvoir vivre enfin le présent d’une façon dégagée, et ainsi éviter de reproduire le scénario stérile.

Selon moi, la voie royale pour la prévention de la répétition intergénérationnelle est, par conséquent, de permettre aux enfants, dès leur jeune âge, de s’exprimer sur les événements qu’ils vivent et les émotions liées, leur livrant ainsi le message qu’il est permis de ressentir, et qu’il est bienfaisant d’exprimer ce ressentir pour s’en délivrer. La parole prend sens de communication; elle ne se limite pas à un langage utilitaire ou exhibitionniste. À chaque fois qu’elle se présente, une telle communication par la parole pleine devient un pas de plus vers la confiance dans les relations humaines, donc une prévention contre la fermeture sur et par là même, contre la répétition. Et la présence de cet espoir est essentielle lorsqu’arrive un coup dur.

Mais lorsque la répétition est déjà installée, l’antidote – i.e. le moyen de briser ce cycle de douleur subie et infligée – est, selon moi, l’engagement dans une démarche personnelle vers un changement de cap…démarche très difficile parce qu’elle implique un déséquilibre majeur entre le connu et l’inconnu : la personne désirant mettre fin à la reproduction de comportements problématiques se retrouve acculée à l’évidence de devoir effectuer des modifications importantes dans sa vie. Il s’agit d’une démarche lourde d’exigences en temps et en énergie, lourde aussi en conséquences; elle requiert souvent une aide professionnelle appropriée. Les trajets empruntés ne se font pas nécessairement de façon successive, mais ils représentent des portes d’accès possibles au changement:

Prendre conscience de la répétition
Constater l’emprise du cycle répétitif; être déterminé à en sortir, c’est d’abord prendre conscience de ce qui se rejoue dans sa propre vie et des moyens adoptés jusque là pour se protéger de la souffrance. En considérant ce qui est répété, comment où et avec qui, on peut dire que déjà, l’exorcisme du passé est commencé.

S’autoriser à se souvenir
Reconnaître son histoire, en revenant sur les faits passés, au risque de briser ainsi l’illusion d’une enfance totalement heureuse. Se souvenir des blessures subies (physiques, psychologiques), et peut-être aussi infligées à d’autres; mettre en images et en mots, sans minimiser, sans nier les passages difficiles; reconnaître les failles du système familial, les siennes aussi bien que celles des objets d’amour idéalisés….Cette démarche ne se fait pas sans un sentiment désagréable de manquement à la loyauté, mais aussi de reconnaissance de ses propres limites.

Toutefois, mettre à jour le passé ne le transforme pas ou ne l’efface pas; croire que le fait de s’en souvenir puisse en « débarrasser » le sujet, serait en nourrir une autre illusion tout aussi dommageable.

S’autoriser à ressentir
Retourner un passé laissé en suspens. Laisser monter les sentiments douloureux liés à certains souvenirs et les exprimer, c’est faire place au devenir, dégager un espace pour construire, vivre sa génération plutôt que d’emprunter les dédales tortueux et stériles transmis par la précédente.

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