LES BLESSURES
Le couple est le lieu par excellence de la répétition des blessures d’enfance. On quitte papa-maman pour retrouver un autre papa-maman semblable.
C’est le lieu :
1-du vouloir-recevoir ce que je n’ai jamais suffisamment reçu jadis de papa-maman.
2- De la demande jamais entendue ou jamais exprimée.
3- Du passé toujours présent.
Voici deux exemples qui illustrent très bien comment le passé contamine toujours, en ravivant la même blessure d’origine.
Louis connaît très bien son scénario amoureux. S’il tombe amoureux, il s’agit toujours d’une femme inaccessible. S’il fait l’amour avec une femme convoitée, celle-ci ne lui dit absolument plus rien. Dans un cas comme dans l’autre, il ne peut vivre l’intimité à laquelle il aspire. Comment était sa première relation d’amour avec maman? Il semble avoir été profondément blessé. Après le divorce de ses parents, lorsqu’il avait deux ans, il devient sourd pendant quelques mois sans raison médicale. Il se coupe du monde. Il se rappelle parfois s’endormir en haut de l’escalier, couché sur la première marche où il peut voir la chambre de maman. Maman demeure inaccessible, parce que la « psychologie » de l’époque considérait cette proximité comme néfaste. Étrangement, lorsqu’une histoire d’amour avec une femme inaccessible se termine, il a tendance à revivre la même coupure avec le monde extérieur, non plus en devenant sourd, mais en s’enivrant ou en s’isolant. Il revit sans le savoir le même sentiment d’abandon et de rejet qu’il a dû vivre face à sa mère inaccessible.
L’angoisse de séparation le fait côtoyer le désir de se laisser mourir, qu’il a déjà vécu enfant, sans souvenir conscient, bien sûr.
Cette fois, écoutons Lyne se plaignant qu’il n’y a jamais personne pour elle. Elle est consciente que son conjoint, comme sa mère, n’était jamais disponible. Sa mère lui a raconté qu’enceinte d’elle, elle pleurait encore la mort de son frère mort-né. Avant sa naissance, la mère répétait qu’il n’y avait aucune place en ce monde pour elle. Sa mémoire corporelle s’est imprégnée de ce message, elle passa sa vie dans le sacrifice et l’exploitation, souffrant amèrement de solitude, les autres n’étant jamais disponibles pour elle. Le « je ne suis personne pour personne » se poursuit inexorablement, copie conforme de « maman n’est pas là pour moi, elle est là pour mon frère mort-né. » Les blessures du passé referont surface dans le couple. À prendre ou à laisser. L’erreur consiste à laisser le couple en se disant : « Tant qu’à marier mon père et ma mère, je préfère rester seule. »
Comment alors guérir cette blessure? Notre inconscient qui réveille cette attraction vers l’autre, ne cherche pas à nous punir, mais cherche à nous guérir en créant un contexte semblable.
Résister à l’attirance envers l’autre, c’est également sombrer dans la souffrance de l’isolement. On évite peut-être la lutte avec l’autre, mais on s’épuise dans cette lutte intérieure, le corps poussé à aller vers l’autre, tandis que la raison court en sens inverse.
Pour réussir cette tâche de guérison, l’aide du conjoint sera précieuse. Pourra-t-il voir cet enfant blessé en moi qui s’exprime avec démesure tout en lui accordant son droit d’être, au lieu de le réprimer encore comme papa-maman? Pourra t-il m’accepter, malgré ma colère contre lui, et m’accorder sa présence?
Reconnaître l’enfant en soi, comme en l’autre exige à la fois beaucoup d’humilité et de maturité. L’humilité de reconnaître que je m’emporte parfois comme un enfant de deux ans et oser l’avouer à l’autre, la maturité de rester suffisamment centré pour offrir la présence dont l’autre a besoin au moment précis où ses blessures d’enfance le font réagir.
Je résume toute la difficulté de cette guérison : « l’union d’un homme et d’une femme pourrait être une fête permanente de nouveauté et d’émerveillement, mais cela demande un cœur d’enfant joint à la pleine maturité d’un adulte capable de comprendre, d’agir, de donner et de recevoir. » Inutile de dire que cette maturité est rarement présente au début d’une relation de couple.
Au début d’une relation, chacun est d’abord centré sur ses petits besoins frustrés et tente vainement de contrôler l’autre pour le rendre conforme à ses désirs. La satisfaction tant souhaitée (« donne-moi ce que je n’ai pas reçu jadis de papa-maman si tu m’aimes. ») est rarement atteinte. Par contre, la rage et la peine qui n’ont pas été exprimées jadis avec papa-maman risquent fort, elles, de s’exprimer, en pleine démesure, avec le conjoint.
Le couple, lieu de répétition des blessures anciennes : où souvent d’ailleurs, uniquement lieu de répétition. Mais le couple, lieu de guérison aussi, grâce à cette répétition et la compréhension de ce processus.
Lieu de répétition : ce que j’exprime avec démesure touche les blessures émotives de mon conjoint (il se sent coupable, agressé, non à la hauteur, etc) et il réagit en se défendant, souvent en jouant le même scénario que ses parents ont joué.
Lieu de guérison : ce que j’exprime avec démesure touche mon conjoint sans le blesser, puisqu’il a reconnu mon enfant blessé et sait que cette rage que je lui lance en pleine figure ne s’adresse pas véritablement à lui. Il peut donc l’accueillir jusqu’au bout, sans m’agresser à son tour, ou me rejeter, comme mes parents l’ont fait. Voilà le miracle de la compassion. J’ai pu exprimer dans un contexte sécurisant (« je t’aime toujours et je suis là pour toi. ») Une colère imprimée dans mon corps depuis l’enfance. Mon être profond cesse d’être réprimé.
Ce qui n’a pu s’exprimer jadis avec papa-maman, dans une situation conflictuelle, est resté imprimé dans notre mémoire corporelle et cette IM-PRESSION intérieure cherche toujours à être évacuée dans une situation semblable, dans l’espoir de trouver une issue différente.
Le lieu du couple est un lieu de répétition, et c’est la raison pour laquelle il peut devenir un lieu de guérison : un lieu qui permet d’exprimer ce qui est imprimé et qui nous réprime, parfois jusqu’à nous supprimer à travers la maladie.
Ce qui ne s’exprime pas
S’imprime,
Nous réprime
Et parfois nous supprime.
L’amour, c’est cette présence qui supprime tout ce qui réprime l’autre, dans sa capacité d’exprimer ce qui est imprimé en lui.
L’amour, c’est savoir reconnaître que mon conjoint a deux ans lorsqu’il me pique une crise d’insécurité en m’agressant, et savoir l’accueillir comme un parent nourricier saurait intervenir en pareil cas, en lui accordant la présence, la présence d’amour qui guérit. Non pas tenter de sécuriser l’autre, simplement être présent à l’insécurité qu’il nous exprime. Voilà l’amour-conscience qui guérit. La blessure d’origine que nous portons tous en nous est une blessure d’amour. Seule la présence guérit, puisque c’est l’absence qui a blessé
Aimer ce n’est pas nécessairement satisfaire les besoins de l’autre qui ont été frustrés
dans l’enfance. C’est risquer de tourner en rond dans le piège du « pas assez ». Je ne peux plus donner la sécurité affective dont mon conjoint a été privé dans la première année de vie lorsque sa mère dépressive était à l’hôpital. Cela ne sera jamais assez. Je peux cependant être présent à cette insécurité qu’il m’exprime. J’écoute, j’accueille cette insécurité, sans chercher à tout faire pour le sécuriser en me conformant à toutes ses demandes ( ne rentre pas trop tard, etc), simplement être présent à lui. Ce faisant, je lui offre ce qu’on appelle une expérience correctrice. J’offre la présence d’une mère jadis non disponible, ce qui permet de réparer cette blessure d’insécurité.
Si le couple est le lieu de la demande jamais entendue ou jamais exprimée, il peut devenir le lieu de la demande exprimée et entendue, non pas nécessairement satisfaite, mais entendue et exprimée. Ce n’est pas tant la satisfaction du besoin qui guérit, comme le fait qu’il soit exprimé ou entendu.
Aimer l’enfant, ce n’est pas lui donner tous les bonbons qu’il réclame pour limiter ses pleurs, c’est lui dire non en restant présent à sa frustration et à sa colère.
Aimer son conjoint, ce n’est pas toujours se conformer à toutes ses attentes ( souvent infantiles) pour qu’il soit satisfait, c’est parfois dire non à sa demande tout en demeurant présent à lui.
Cette maturité ne peut se développer, si on néglige l’existence bien réelle de notre enfant intérieur.
Lorsque j’enseigne à des couples à reconnaître leur enfant intérieur et à s’entraider, des changements rapides se produisent, à la grande surprise des conjoints d’ailleurs. Ils n’avaient jamais réalisé l’essentiel : l’existence de leur enfant blessé du manque d’amour et de présence.
Je leur explique qu’en principe, le couple pourrait bien être le lieu où l’enfant intérieur recevra ce qu’il a si peu reçu de papa-maman. Mais, en pratique, le conjoint a justement été choisi (inconsciemment) pour raviver la même blessure émotive. Il jouera donc à nouveau le même rôle du bourreau. Au moment où j’aurai besoin de sécurité affective pour compenser l’absence émotive d’une mère dépressive, il deviendra alors froid et distant, comme maman jadis. Et même si ses blessures d’enfance n’entrent pas en interaction avec les miennes, malgré toute sa bonne volonté et ses efforts, je risque de souffrir du syndrome du « pas assez ».
Jamais le couple ne sera le lieu de satisfaction totale qui comblera mon enfant intérieur blessé. Soit parce que mon conjoint souffre de blessures émotives complémentaires aux miennes et contribue ainsi à la répétition de la blessure originelle. Soit que quelque chose en moi m’empêche de recevoir ce que je cherche tant et qui est pourtant disponible. Disponible, mais non accessible quand je suis victime du piège du « pas assez ». C’est alors l’insatiabilité d’un besoin qui réclame sans cesse. Ou encore, je ne peux croire à ce que mon conjoint m’offre; c’est alors le piège du « pas possible », piège très souvent relié au piège du « faire pour » : tout faire pour obtenir ce que, de toute façon, je serai incapable d’assimiler, puisque je ne peux croire qu’on puisse m’aimer gratuitement.
Ce sont en somme les trois pièges que nous avons abordés tout au début de nos recherches sur l’amour; « faire pour » se faire aimer (bien paraître grâce au moi public), mais être alors aimé pour ce que je fais et non pour ce que je suis. Cet amour conditionnel à mon bien paraître et à mon bien faire n’est « pas assez », puisque mon besoin de base est d’être aimé pour ce que je suis. Et si on m’aime vraiment pour ce que je suis, j’entre parfois dans le piège du « pas possible », pas possible qu’on m’aime pour ce que je suis, puisque je n’ai même pas mérité cet amour inconditionnel de papa-maman.
Les motivations inconscientes qui nous poussent à la vie de couple nous font rechercher une satisfaction qui n’arrive jamais. L’autre ne nous donne toujours pas ce dont nous avons le plus besoin. L’enfer du couple, si on oublie de tenir compte de la présence de nos enfants intérieurs blessés. L’oasis du couple, si on saisit que le lieu du couple offre l’occasion non pas de recevoir ce qui n’a pas été reçu jadis, mais bien d’exprimer ce qui a été interdit jadis. Revivre la même blessure pour enfin la guérir, en laissant s’exprimer ce qui est imprimé dans notre corps depuis des années.
L’amour-guérisseur, c’est reconnaître mon enfant blessé et le laisser crier son mal à l’autre. L’amour guérisseur sait reconnaître aussi l’enfant blessé de l’autre et le laisse crier sa souffrance jusqu’au bout, en lui offrant la présence. Cette seule présence qui possède le don de guérir en permettant l’expression de ce qui fait pression en moi, logé dans les tréfonds de mon inconscient.
Lorsque la blessure a pu être criée jusqu’au bout, et qu’elle a pu être entendue jusqu’au bout, le passé cesse de contaminer le présent. La présence offerte et reçue permet de vivre dans le présent. L’enfant intérieur reprend sa croissance là où elle s’est arrêtée jadis, parce qu’il n’y avait pas d’espace d’expression et d’accueil.
La maturité qui doit se développer au sein du couple peut se résumer ainsi : « Devenir adulte, c’est cesser de demander uniquement, c’est cesser de recevoir uniquement, c’est écouter la demande et donner, et répondre (…) Devenir adulte, c’est apprendre à être, « être », c’est être libre d’avoir, libre du besoin d’avoir et d’avoir sous toutes ses formes. »
Le couple, c’est d’abord deux enfants blessés qui grandissent et deviennent plus adultes. Le couple d’enfant intérieur peut sembler une belle théorie, et, pourtant, rien de plus concret que cet enfant intérieur qui revit ses blessures d’enfance en thérapie.
L’ENFANT INTÉRIEUR
Une vision juste du couple, c’est d’abord et avant tout savoir que notre première histoire d’amour avec papa-maman teintera toutes nos relations d’amour subséquentes, pour le meilleur comme pour le pire. Ces premières histoires d’amour laissent bien des souffrances qui s’impriment dans notre mémoire corporelle. Le corps se souvient toujours de ce que le mental a oublié depuis fort longtemps.
Voici un exemple illustrant comment le corps se souvient de sa première relation avec papa-maman. Louis regarde une chaise vide et je lui demande d’imaginer, de sentir, de penser à maman, comme si elle était assise sur la chaise. Après quelques instants, je lui demande ce qui se passe dans son corps.
Louis- J’ai mal au cœur, je ressens une pression à la poitrine et des tremblements.
( j’avance la chaise symbolisant la mère).
- Que se passe-t-il dans ton corps lorsque j’avance la chaise?
Louis- J’ai un point douloureux dans l’estomac et mon mal de cœur augmente.
-Qu’est-ce qui arrive si tu touches à maman?
Louis- Je suis incapable, je n’en ai pas envie. ( il rit nerveusement et sa respiration est de plus en plus saccadée.)
- Que sens-tu dans la gorge?
Louis- Comme une boule.
Veux-tu juste essayer de toucher à maman pour voir ce qui va se passer dans ton corps?
(Louis touche la chaise, il a des haut-le-cœur, il a de plus en plus mal à l’estomac.)
- Laisse venir un mot ou une phrase et exprime ce mot ou cette phrase à maman.
Louis- pourquoi? Pourquoi?
Louis éclate en sanglots. Son corps peut maintenant laisser s’exprimer toute la peine qu’il a refoulée. Étant un enfant adopté, Louis ressent son sentiment d’abandon mêlé de plus en plus à la rage qu’il ressent intensément, avec étonnement. Il ressent la haine contre sa mère pour la première fois
Qu’est-ce que tu as envie de dire à maman?
Et voilà que Louis se met à agresser verbalement sa mère en la traitant de tous les noms. Étrangement, il est venu en consultation parce que sa compagne ne peut plus supporter sa violence verbale. C’est elle qui reçoit toute la colère qu’il a ravalée contre sa mère. Sa colère s’est déplacée sur une autre personne trente ans plus tard.
Au fil des rencontres, le corps réagit de moins en moins lorsque je lui demande de toucher à la chaise symbolisant maman. Le corps se décharge du passé. Il commence à vivre au présent. Ses relations avec les autres et avec lui-même changent. Nous sommes remontés à ce que j’appelle le lieu du crime et de la blessure, le corps s’est ressouvenu de ses souffrances, les a exprimées et s’en est libéré.
En décontaminant émotivement la relation originelle avec sa mère, toutes les autres relations actuelles sont susceptibles de s’améliorer lorsque la colère s’adresse maintenant à la bonne personne.
(La chaise-mère), le corps libre de ses tensions, n’a plus besoin de se décharger sur le conjoint ou les autres personnes. L’enfant intérieur est toujours présent dans notre
corps d’adulte et tout aussi longtemps qu’il n’est pas reconnu dans son droit d’expression et dans ses besoins, il déforme le présent et provoque des réactions émotionnelles répétitives.
Le corps se souvient de quelque chose, ce quelque chose qui est toujours imprimé dans l’inconscient corporel, pour qui le temps n’existe pas. Ce qui s’est passé il y a trente ans est toujours présent, comme si l’évènement venait tout juste d’arriver.
Jadis, l’expression émotionnelle n’avait pu se faire, la charge était restée imprimée dans le corps, en réprimant la personne à différents niveaux, que ce soit la respiration, la capacité de ressentir certaines émotions ou certains besoins, ou encore l’incapacité d’agir dans ses projets les plus importants.
Les mécanismes de refoulement d’hier, qui nous ont sauvé la vie dans l’enfance, pour nous couper d’une situation intolérable, deviennent, à l’âge d’adulte, les mécanismes qui contribuent au mal être et à la maladie. Maintenir toutes les blessures émotionnelles dans l’inconscient coûte cher en énergie. Cette énergie n’est plus disponible pour nous réaliser, aller de l’avant, nous ouvrir et nous transformer.
Dans le couple, la chaise vide qui représente maman-papa n’est nul autre que le conjoint. De même que lorsque j’avance la chaise vers le client, il sent une oppression, lorsque l’intimité s’accroit entre les conjoints, les mécanismes de défense sont mis en opération pour nous éviter de ressentir la blessure d’amour originelle. Il est difficile à mon client de fuir la « chaise-mère » dans mon cabinet. Mais dans le couple, toutes les fuites sont bonnes pour éviter de passer à travers la blessure. La peur nous fait passer à côté, mais le modèle demeure et nous ramène à la même case-départ. Et voilà que nous oscillons entre l’intimité chaleureuse et la froide distance, incapable de savourer pleinement l’unité à laquelle nous aspirons.
Si la thérapie de l’enfant intérieur permet « un retour du refoulé » dans ce contexte sécuritaire et accueillant, ce même « retour du refoulé » se produit dans le couple. C’est la raison pour laquelle il faut se donner certaines règles pour en arriver à cette guérison intérieure qui rendra possible la véritable intimité créatrice. Sans ces règles qui nous empêchent de fuir l’intimité, nous ne faisons que répéter le même scénario, la même blessure.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire