Francophile et négrophile
Sylvain écrit au gré de l’inspiration. N’attendez pas un ordre logique de son recueil. D’ailleurs, il n’en est pas question pour cet éclectique qui veut prouver qu’une poésie peut être consistante et originale sans pour cela être “patriotique”. Dans LA MORT DE VICTOR HUGO, il rend hommage à ce phare qu’il a connu et apprécié, et qui a exercé une influence considérable sur la littérature haïtienne du XIXème siècle. À ces yeux, Hugo est un géant que le temps a terrassé pour “rajeunir son immortalité”. Ailleurs, dans “Frères d’Afrique” Sylvain s’émeut au souvenir des douleurs, et des i injustices dont sont victimes nos aieux sur la terre africaine. Il nous les présente, humiliés par la sapratie blanche et supportant avec peine leur ignoble condition. S’ils pouvaient à loisir s’instruire et profiter comme nous des bienfaits de la civilisation blanche, ils seraient aussi savants et plus sincèrement bons que la plupart de nous. Nous les appelons nos frères et nous ne faisons rien pour les délivrer de la servitude. Sylvain pense à une nouvelle croisade. Il convie les haïtiens à déposer leur fardeau de haines imbéciles, de cesser les guerres civiles et de partir au pays des ancêtres leur dire:
Vos cris désespérés, en dépit de vos maîtres
Ont retenti vers nous : Ô frères, nous voici!
Le préfacier de Georges Sylvain, Justin Devot pense que “Frères d’Afrique” est de la bonne poésie. Telle n’est pas notre opinion. Le texte est plutôt monotone, Cependant il doit retenir l’attention. Il est un témoignage. Georges Sylvain dans ses écrits rejoint poètes, dramaturges, doctrinaires du XIX siècle haïtien qui ont défendu la patrie et la race parce qu’ils se sentaient solidaires des humiliations dont elles étaient l’objet. La pièce ne reste pas moins pâle à côté de morceaux écrits dans la suite par des nègres pour leurs frères éparpillés et vivants en refoulés dans l’univers (Black Soul de Jean Brierre, Altitude de Regnor C. Bernard, par exemple).
Poète de la nature
Sylvain poète de la nature n’a pas la palette rutillante d’un peintre tropical. Ces descriptions imagées sont toutes en demi-teinte. À travers tout le recueil, la nature haïtienne est présente. Enfant, il l’a fait la sieste au bord de ses mornes verts et de ses longs cocotiers; et admiré “les palmistes sous le frisson des brises” qui balancent lentement leur front silencieux”. Adulte, il a rêvé quand “le crépusucule étend sa brume violette sur la ville dans la molle langueur des tièdes soirs d’été, et promené sa belle dans des “bateaux pêcheurs, papillons de mer” (Aubade).
- au bord de l’eau, dans la chaleur du jour”, contemplé l’île de la Tortue dans la splendeur des ses mornes....
Il a chanté également l’hiver parisien : le vent de bise qui couvre tous les bruits de sa voix, les arbres vides de leurs nids, le jour blafard et terne, les flocons de neige blancs comme laine, les feuilles aux tons jaunis que le vent émiette.
Voici en quels termes Justin Devot parle de la façon propre à Sylvain de comprendre et de peindre le paysage : “Son style n’est pas précisément pitoresque, et s’il répugnait d’établir, même métaphoriquement, des rapports de similitude entre des arts naturellement distincts et qui doivent rester tels, nous dirions que sa palette n’est pas chargée de couleurs. Il peint le paysage comme le voulait Renan, par des états moraux plutôt que par des traits qu’on pourrait appeler matériels. Il s’éloigne par là comme on voit, de la poésie purement descriptive et des procédés dont les littérateurs de l’école naturaliste ont tant abusé. Ceux-ci, on ne l’ignore pas, procèdent pas accumulation de petits traits particuliers, de menus faits, ne laissant rien de côté, tout comme ferait un géomètre traduisant exactement par une épure la coupe d’un édificie, ou un officier ministériel dressant un inventaire...
“Tandis que Sylvain “par quelques caractères généraux bien choisis et qui sont en rapport avec la tonalité du morceau, il fait apparaître à notre esprit le paysage qu’il a eu en vue et qui, harmonieusement, se mêlent aux éléments moraux de la pièce. Et cette façon de comprendre le paysage permet, il me semble d’attribuer son vrai sens au mot d’Amiel. “Un paysage est un état d’âme”.
Et Devot réfère le lecteur à certaines pièces comme “Mélancolie”, Perspective” et “Crépuscule”
- Sylvain n’embouche pas la trompette épique à la manière de ses devanciers pour clamer son amour de la patrie. Mais, à travers son oeuvre, cet amour est constant et exprimé avec fereur et discrétion. C’est la matière même du poète. Dans PRIÈRE c’est un chrétien et un patriote conscient des malheurs et des déboires d’Haïti qui implore le Très Haut et offre sa vie en holocauste pour que des jours nombreux et triomphants luisent sur ses descendants.
Conclusion
Le Dr Jean Price Mars qui a connu Georges Sylvain porte le jugement suivant sur ses oeuvres:
“Ses oeuvres écrites? Mais, elles sont insignifiantes en comparaison des dons qu’il eut en partage....Et d’abord, il possédait d’une façon merveilleuses les qualités du grand écrivain : choix heureux de l’expression, atticisme du discours, magnificence de l’idée et enfin ce je ne sais quoi qui pouvait faire dire, en lisant une page de lui : “C’est un maître de la langue”. Et, C’est muni de telles qualités qu’il se présenta devant les Lettres Françaises en Ambassadeur de la spiritualité haïtienne...” (Une étape de l’évolution haïtienne, par le Dr J. Price Mars).
Ce jugement du critique est particulièrement valable pour Confidences et Mélancolies” qui est comme une synthèse de l’inspiration des dons du poète.