lundi 10 juin 2013

MISÈRES DU DÉSIR - CHAPITRE IV

Hélène : J’espère que mon surprenant changement d’attitude ne te trouve de mauvaise humeur.  Puisse-t-il en même temps réactiver le joyeux courant amoureux qui nous vivifiait naguère, avant la sècheresse relationnelle qui nous afflige au bureau.

Que ce qui nous est arrivé le soit, par omission ou commission, ou par jalousie, par nonchalance ou à cause des problèmes non exprimés, force nous est de constater que nous sommes objectivement divisés.  La raison nous demande d’assainir cette affreuse situation.

Je refuse d’excuser mon amie Odette chez qui l’amour, c’était l’admiration, l’appétit du beau.  Elle savait aimer avec passion, avec excès.  Sa vie tumultueuse, scandaleuse, a rendu son existence essentiellement contradictoire, exhibant, à la fois une grandeur infinie et une misère infinie.  C’est du choc de ces deux “infinis” que se dégage sa méchanceté.  Elle a connu beaucoup d’hommes.  Qui ne se souvient de ses scènes d’amour, se dévalorise depuis que son dernier copain ne s’intéresse pas plus qu’il ne faut à ses activités, à ses goûts, à des préférences, à ses projets.
Elle se sent insignifiante. Elle ne comprend pas pourquoi puisqu’elle est en amour avec l’homme de ses rêves.  Elle ne craignait pas d’avoir déjà atteint l’âge où nous effleure le doute de pouvoir plaire encore.  Mais elle était las de toutes ces coucheries semblablement monotones.  Force lui était d’admettre que son désir, elle le fabriquait à chaque occasion.
Il m’a semblé heureux de m’écouter, Étienne, il a été si gentil et m’a témoigné tant de tendresse que j’ai fondu en larmes dans ses bras.

Plus tard, il voulait voir le film Émmanuelle.  Une scène de saphisme m’a particulièrement bouleversée.  J’étais si mouillée que j’ai craint d’avoir uriné sans m’en apercevoir.  Mes sécrétions intimes n’étaient pas seules en cause; j’avais aussi transpiré des cuisses.  Tout mon corps était moite.
J’en ai fait part à lui et il a déclaré sans rire.
  • la moiteur est une grande vertu!
  • je n’ai pas cherché à comprendre
C’est avant d’aller au lit qu’il a de nouveau abordé la question du saphisme.
  • Mais on n’en souffre pas, Hélène!  Ça ne fait que du bien!!!  J’ai eu envie de lui demander ce qu’il en savait.  Je me suis retenue à temps.
Il me caressait avec beaucoup d’affection.  Mes pensées s’embrouillèrent.  L’obscurité gagna peu à peu mon cerveau.  Je me rappelle voir rassemblé mes dernières forces, pour crier “Étienne” avant de sombrer dans le néant.
J’écrasai ma bouche sur ces lèvres encore chaudes.  Sa langue s’enroula autour de la mienne, se fraya un chemin jusqu’à mon palais, titilla, s’étira, se tordit, se replia sur elle-même, puis s’accorda au rythme allègre de ma langue.
Le corps d’Étienne se plaqua davantage contre le mien, un genou entre mes cuisses.  J’empoignai ses fesses à pleines mains.  Il se cambra et bougea le bassin. Il me mordit la lèvre inférieure, un spasme le secoua.  Nos bouches se dessoudèrent, Étienne se défit de mon étreinte.  Son regard sourit à mon regard.

Étienne - les deux dernières semaines avaient été un enfer. J’avais brûlé de tant de doutes auprès d’Hélène, qu’en ce samedi délicieusement oasif - au sens mercantile du mot - affalé sur mon sofa, je goûtais comme une grâce ces retrouvailles avec moi-même.
J’avais douté de ma capacité d’aimer, depuis l’histoire de son amie Odette et de mon amour pour elle, comme elle même, avait, en toute logique, confrontée à ma semi-indifférence.

Fini par douter de mon amour pour elle et de ses propres charmes.

J’avais  décidé de rompre. Néanmoins, j’atermoyais.  Remettant chaque jour au lendemain le moment où il me faudrait lui avouer : “je ne suis pas dans le désir” avec elle, voilà!
À cette seule pensée, je défaillais.  Ma lâcheté elle-même m’écoeurait.  Il  m’eût été facile de me dire, par exemple, que j’avais pitié d’elle et qu’il me fallait tenter, tant que bien que mal, de l’amener progressivement au dégoût de moi.

CHAPITRE IV

Et là j’ai découvert que peut-être et que peut-être je vivais une sorte de fantasme d’intimité, une perpétuelle tension qu’aiguisent des émotions et des sentiments désagréables, je me retrouvais souvent en déséquilibre psychique, une attrayante illusion prometteuse d’un bien-être, l’ivresse donne la confiance en Soi et la sérénité, le plaisir sexuel procure l’extase, l’amour apporte le bonheur. Je réalisais du coup, le fantasme de mes fantasmes, malgré son excitante apparence et au-delà du plaisir qu’elle peut entraîner, ne me mettait pas en contact avec ma réalité ni avec celle de mon environnement.  Mon fantasme me renvoyait plutôt au monde de l’inconscient.  Sous forme d’images, de symboles, d’allégories à décrypter, à décoder, à analyser pour en découvrir le sens profond, j’exprimais malgré moi un besoin caché, un désir à reformuler.

Il faut dire que j’ai vécu au cours de mon enfance une expérience marquante au sein d’une relation affective significative familiale et amoureuses.  N’ayant pas fait le deuil ou la séparation d’avec ce passé, je ne réussissais pas à m’en détacher et j’interprétais le présent dans la crainte ou l’espoir d’une possible répétition de ce malheur ou de ce bonheur.  Face à mon expérience avec Hélène, je tendais à réagir en fonction d’un souvenir-fantasme ayant la force d’une empreinte psychique, plutôt qu’au potentiel d’originalité ou d’exploration de Soi et de l’autre qu’offrait la réalité du présent.  À l’analyse de mon fantasme, je comprends que je ne me reconnaissais aucun attraît, donc aucun moyen de séduire Hélène mais quand Annie, la nouvelle secrétaire, paradait devant moi et laissait apercevoir la naissance de ses seins sous un décolleté, je me sentais adulé.  Mon besoin caché m’apparaissait alors comme la nécessité de développer une image positive de moi-même, ce qui me permettrait d’être plus convaincant dans ma stratégie de séduction hétérosexuelle, et plus fondamentalement de m’aimer moi-même.

Si l’on définit la conjugalité comme la relation amoureuse entre deux partenaires d’abord en contact intime avec leur être individuel, on interprète alors la dynamique de dépendance affective comme un rapport fantasmatique entre deux personnes qui projettent l’une sur l’autre la recherche impuissante de réponses à des besoins qu’elles n’ont pas vraiment clarifiés.
En fait, je sens que je suis un homme dépendant, ma dépendance cache une peur profonde, un malaise existentiel.
L’absence de lien d’intimité en Soi. Je redoute de me retrouver avec moi-même.  La solitude n’est jamais choisie, mais toujours subie.  Je m’ennuie d’Hélène, je suis mal avec moi-même et je suis en mauvaise compagnie quand je me retrouve seul.

Je comprends quand on s’en remet à quelqu’un d’autre pour s’épanouir soi-même, pour dynamiser le bien d’amour, par conséquent on rend cette personne responsables des échecs, on la blâme, on vit du ressentiment à son endroit.
Ma dépendance vise aussi à répondre, de façon tout autant illusoire, à des besoins d’intimité interpersonnelle.  Je demande à l’autre de prendre des initiatives, d’animer et de ressourcer la relation.

J’étais rendu là à cette réflexion.


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