CHAPITRE IX
Pourquoi s’en faire tant. Tout être humain est processus. Il se renouvelle continuellement. Même s’il conserve des attaches et une fidélité à son passé, il plonge sans cesse ses racines de sa vitalité dans son présent. C’est bien inscrit dans le présent qu’il perçoit, pense, imagine, éprouve et ressent. Ce qu’il percevait, pensait, imaginait, éprouvait et ressentait il y a dix minutes n’existent plus. Ce qui existe, c’est le présent même s’il conserve ses liens au passé. Justement parce qu’il est processus, donc, sans cesse en mouvement, l’être humain ne peut pas s’enfermer dans son passé.
Or, si l’angoisse existe c’est parce que ce processus s’arrête. La personne cesse son mouvement. Elle se paralyse l’intérieur et se pétrifie le vivant. Et Raùl a continué à plaider sa cause. Il a fini par s’endormir en lui promettant de lui laisser le temps “de dire oui”. Elle a ri, n’a rien ajouté, mais elle n’a pas fermé l’oeil depuis.
Elle a marché dans Madrid pendant des heures, elle a repassé le film de toute sa vie, pensé à son avenir et décidé de dire oui. Elle restera quelques semaines ici avec lui. Ils auront ainsi le temps de mieux se connaître avant de faire des projets. Et ils se retrouveront à Montréal plus tard. Oui, voilà c’est tout. Elle a décidé de dire oui. Et maintenant, elle court sous la pluie. Elle court pour ne pas rebrousser chemin, parce qu’elle a peur de s’enfuir loin du bonheur qui lui a tourné le dos si longtemps. Elle court pour atterrir dans ses bras et lui crier son “oui”! son coeur crie après sa présence, aspire à son regard sur elle, créateur de sa sécurité. Elle sait l’anxiété qui lui mord le ventre quand elle est trop longtemps sans entendre sa voix.
Essouflée, mais souriante, elle traverse la piazza España et s’engrouffre dans la Via del Condotti. Elle aperçoit déjà les fenêtres de l’édifice, mais s’arrête brusquement. Son sang se fige, ses mains se glacent, son coeur bat à se rompre. Le choc la fait tituber, elle s’agrippe à la façade de pierres derrière elle et abaisse un peu son parapluie pour se dérober aux regards. Sa bouche s’assèche, mais ses yeux sont déjà remplis de larmes. Elle tremble de la tête aux pieds, mais ne peut détacher son regard de la scène.
De l’autre côté de la rue, Raùl Jimenez qui sourit, qui braque un regard tendre dans les yeux d’une jeune femme de vingt ans plus jeune. Il l’a attirée contre lui et la serra dans ses bras. Il se détachent un peu et rient, du bonheur plein les yeux.
- Alors oncle Marcello a dit à Paulo d’aller se faire voir ailleurs!
- Raùl rit de plus belle et enlace Maria qu’il reconduit vers la voiture. La jeune femme appuie sa tête contre son épaule.
- C’est très bon de te revoir Raùl.
- Je suis content aussi de revoir ma petite soeur! Allez, à demain.
Raùl referme la portière de la voiture qui s’éloigne aussitôt. De l’autre côté de la rue, une silhouette....il regarde un peu mieux, il a cru reconnaître......Mais il tourne les talons tandis que la silhouette disparaît. Ça ne peut pas être Hélène puisqu’elle avait rendez-vous ce matin. Il pense à elle. Il a si hâte à ce soir pour la retrouver.......
- Mais c’est impossible! Il s’agit certainement d’une erreur!
- non Monsieur, je suis absolument certain, je suis désolé......
Raùl tourne le dos à l’employé de l’hôtel et sort de l’immense hall en courant pour s’engouffrer dans le premier taxi. La nuit va bientôt tomber mais les rues de Madrid sont toujours aussi encombrées. Impatient, Raùl descend deux rues d’avance, il préfère marcher, courir plutôt que de se sentir coincé dans l’embouteillage.
- Carlo? Tu es là?
Raùl a presque arraché la porte de la galerie piazza en l’ouvrant.
- Mais ne crie pas comme ça
- où sont-elles?
- Qui ça?
- Hélène et Odette!
- À cette heure là? Sans doute à l’aéroport.....non, en fait elles sont déjà dans l’avion, il décollait à 20h
- Quoi? Comment ça, à 20h? Mais elles ne devaient partir que dans deux jours!
- Je sais, je n’ai pas très bien compris....Odette a dit qu’elles avaient fait le tour et qu’elles avaient hâte de rentrer. Comme elles ont pu avoir un vol ce soir.....
- Et pas de message?
- Comment, un message?
- Je ne sais pas, moi! Elle n’a rient dit à mon sujet? Ça fait une heure que j’attends Hélène au resto.....
- Dis donc, toi, tu ne te serais pas un peu amouraché?
Raùl s’effondre sur une caisse en bois.
- non Carlo, c’est pire que ça.........
Visée des oeuvres, la salle d’exposition dénudée semble froide et immense. Les sons y font écho. Une dernière caisse, et Hélène pourra quitter. Au coup d’oeil à sa montre. Elle sera à l’heure à son rendez-vous au bureau de Martine, son amie gynécologue.
- Alors, c’est fini?
Odette passe la tête par l’embrasure de la porte de son bureau.
- Oui, je pars. On se voit demain.
- Non, attends! On va prendre un verre avec Lucie, tu viens avec nous?
- Merci, j’ai rendez-vous.
- Bien sûr!
- Ne fais pas la tête, j’ai vraiment rendez-vous.
- Écoute, Hélène, j’ai respecté ton silence. Je ne t’ai posé aucune question, comme tu me l’avais demandé. Je n’ai rien dit sur tes yeux rougis du dernier jour à Madrid, sur ton silence pendant tout le vol de retour et sur ton air abattu des dernières semaines, mais ça ne peut pas continuer comme ça. Tu te ronges, tu as mal et tu gardes ça pour toi. Qu’est-ce qui s’est passé, Hélène? Qu’est-ce qui s’est passé avec Raùl?
Hélène laisse tomber son sac à ses pieds, s’appuie contre le mur et baisse les yeux.
- Je n’ai pas envie d’en parler, mais tu as raison. Je te fais endurer mes humeurs, tu as bien le droit à une explication. Je me suis fait avoir, c’est tout. L’amour, l’amour que de misère à le saisir.
tous mes mots, tous mes cadeaux, toutes mes fleurs, tous mes gestes quelles que soient leur diversité et leur quantité, n’arriveront jamais à épuiser la signification et l’expérience de ce que je ressens en moi pour lui et que j’appelle amour. Malgré la joie de nos rencontres et l’éclatement de nos intimités, je reste si fondamentalement seule avec mon amour que je n’arriverai jamais à tout le dire.
L’amour conserve donc jusqu’à un certain point cette incommunicabilité qui ne peut pas être due à autre chose qu’à sa naissance à l’intérieur du coeur d’un être fondamentalement seul et séparé, l’être humain. Or, il y a tout lieu de penser que cet aspect croît à mesure que l’amour grandit. Plus la personne aime, plus elle ressent la solitude d’être incapable de tout dire son amour qui gonfle en elle et cherche encore plus à se dire. Si elle n’accepte pas sa solitude comme lieu d’incubation de son amour, elle risque de la rétrécir à sa communicabilité. L’amour ne pourra pas alors bénéficier de tout l’espace dont il a besoin pour croître. Il est même possible de dire que l’amour exige la solitude.
- Tu vois à mon âge et je suis assez naïve pour ne pas faire la différence entre une aventure de voyage et une histoire d’amour. C’est tout. Ça va me passer, ne t’en fais pas.
Il me disait de belles phrases qui m’érotisaient il me disait ceci :
“Quand je t’offre des fleurs Hélène, je sais vraiment que même tout le jardin ne suffirait pas à t’exprimer le ronronnement de mon coeur pour toi! Ces fleurs ne célèbrent qu’un tout petit coin de ta beauté. Celle que je garde au coeur est tout aussi grande que ma contemplation de toi. Pour rien au monde, même pas pour rester en ta présence, je ne veux sacrifier la moindre petite partie de l’amour que j’éprouve pour toi.
- Mais ça ne tient pas debout! J’ai vu Raùl avec toi. Ça n’était pas du tout une aventure. C’était beaucoup plus que ça. Bon, j’avoue que les choses allaient un peu vite, mais j’ai vu cet homme te regarder et je suis certaine qu’il est amoureux de toi.
- Alors, dis moi ce qu’il faisait dans les bras d’une autre ce matin-là?
- Où ça?
- Si tu veux tout savoir Raùl m’avait demandé de rester à Madrid quelque temps avec lui. Ce matin-là, je courais pour aller lui faire la surprise. J’avais décidé d’accepter.
Sur ces mots, Hélène ramasse son sac et sort, le geste lent et las. Deux heures plus tard, dans le pénombre de sa chambre, elle s’effondre en larmes sur son lit et finit par s’endormir. Quand sa nièce entre dans la chambre, elle ramasse un papier tombé près de sa tante qui dort encore. Son coeur s’affole. Il s’agit d’une ordonnance pour une mammographie. “Mon Dieu! Ma tante!”
Le vent apporte des effluves de lilas et de terre mouillée, même en plein coeur de la ville. Quand le soleil s’en mêle, Montréal à la fin de mai est un pur délice que Odette déguste et hume en regrettant d’être déjà arrivée à la porte de la galerie qu’elle pousse joyeusement.
Luce, son assistante, occupée avec un couple de clients, lui décoche un regard indiquant le fond de la galerie.
Intriguée, Odette se rend dans la deuxième salle d’exposition. Elle s’arrête sur le pas de la porte. Cette carrure.....
Raùl? Raùl Jimenez?
Raùl se retourne et lance quelques flammes de son regard. L’impulsion est si intense que Odette recule d’un pas.
- C’est bien moi
- Je suis bien contente de vous revoir. Il y a longtemps que vous êtes à Montréal?
- Je suis arrivé hier, Odette, je suis venu......je veux.....bon sang....je veux comprendre. Enfin, pourquoi? Pourquoi Hélène s’est elle enfuie de Madrid, sans un mot d’explication? Pourquoi?
- Raùl, je crois que tout cela ne me regarde pas. Vous devriez régler ça avec Hélène.
- Je veux bien, mais encore faut-il que je puisse la trouver. Elle ne travaille pas ici avec vous?
- Oui, non, c’est-à-dire....elle est chez un client en ce moment, elle repassera sans doute en fin d’après midi. Écoutez, Raùl.....ce serait peut-être mieux de......
- Non, vous, écoutez-moi. Pas un instant depuis que j’ai revu Hélène le lendemain de votre arrivée à Madrid, pas un instant je n’ai cessé de penser à elle. Je ne voulais pas ça. Je n’ai jamais voulu tomber amoureux. Non, ne souriez pas. J’aime les femmes, les aventures. Mais l’amour, non merci, trop menaçant pour ma liberté, vous comprenez? Mais je n’ai plus la liberté, plus de vie sans elle! Je suis amoureux fou et j’ai l’intention de me battre pour pouvoir vivre avec elle. Je ne comprends pas ce qui s’est passé, mais je crois le deviner. J’avais demandé à Hélène de rester à Madrid avec moi pour quelques semaines et elle devait profiter de la journée où j’étais à Cadiz pour mûrir sa réponse. Elle a préféré fuir plutôt que de me dire non. Et ça, c’est une raison suffisante pour que je me batte. Car si elle n’était pas amoureuse de moi, elle n’aurait pas eu besoin de fuir. Elle m’aurait dit non, tout simplement. Pour une raison que j’ignore, elle refuse le bonheur, et moi je refuse d’abandonner. Alors, si vous êtes son amie, vous allez m’aider. Je vous en prie, Odette.....
Odette en a le souffle coupé. Quelle passion dans cet homme! Et quelle tirade! Elle est ébranlée, mais elle hésite, elle sait que Hélène lui en voudra certainement, qu’elle croira à une trahison. D’un autre côté, elle sait aussi que son amie ne vit plus depuis le retour de Madrid.
- C’est à cause de cette femme qui était avec vous...je ne devrais pas vous en parler, mais.....Hélène vous a vus ensemble ce matin-là.
- Une femme? Quelle femme? Il n’y a pas d’autre femme!
- Elle s’est rendue à vos bureaux ce matin-là, elle voulait vous faire une surprise et elle vous a vu enlacer une femme sur la rue.
Les yeux de Raùl s’agrandissent.
- Ah! Mon Dieu! Ce n’est pas vrai! Ça ne peut pas être aussi bête que ça! C’est ma soeur! Ma petite soeur qui rentrait d’un séjour de plusieurs mois à Boston! Elle s’était arrêtée quelques minutes en venant de l’aéroport......
- Je.......
- Ta soeur? C’était ta soeur?
Odette sursaute et pousse un petit cri, tant la voix de Hélène derrière elle la surprend.
- Hélène!
Sur la pointe des pieds, Odette quitte la salle dont elle referme les larges portes. De l’autre côté de la cloison, Raùl et Hélène, geste après geste, mot après mot, s’expliquent, pansent leurs blessures, retrouvent le chemin du coeur. Elle s’était crue trahie, bernée, il s’était cru trahi, abandonné, alors qu’ils ne s’étaient qu’aimés.
- Mais enfin, tu m’avais dit que la mammographie n’était qu’un test de routine!
- Écoute, une biopsie aussi et nous serons ainsi fixées. Dans la grande majorité des cas, le truc est bénin et n’a aucune conséquence, mais mieux vaut être prudent, c’est tout.
Hélène triture les courroies de son sac à main. Elle n’arrive pas à croire que la vie lui joue ce mauvais tour. Elle n’est vraiment pas douée pour le bonheur et l’amour, même lorsqu’il est au rendez-vous.
Raùl est à Montréal que depuis trois semaines, trois merveilleuses semaines, où ils ont appris à se connaître, où ils ont osé tous les deux croire au bonheur et le conjuguer au présent et au futur, et voilà que Martine lui parle de masse, du tumeur, de biopsie. Voilà que le spectre du cancer.....Gagner du temps. Elle doit gagner du temps. Raùl la presse de rentrer à Madrid avec lui. Ils doivent d’abord aller à New York pendant quelques semaines et puis.....Elle voit bien qu’il n’y pas d’issue. Un amour impossible, voilà ce que c’est.
- A quoi penses-tu, Hélène? Je t’en prie, ne t’en fais pas, ça ira bien.
- Je n’ai peut-être pas le cancer, mais il y aura d’autres inquiétudes de santé, il y aura toujours quelque chose qui me rappellera que ce n’est plus de mon âge.
- De quoi parles-tu?
- De l’illusion du bonheur. Oublie ça, tu ne pourras pas comprendre.
- J’aurais préféré que tu viennes avec moi.
- Je t’en prie, on a déjà discuté de tout cela. Je te rejoins à Madrid dans un mois. Allez, embrasse-moi, c’est le dernier appel.
Raùl caresse les lèvres d’Hélène avec l’index et le pouce des deux mains. Puis elle lui décrit ses sensations. Il masse et caresse chaque sein d’Hélène entre ses mains; puis il les embrasse et les suce. Hélène garde le corps détendu. Elle inspire profondément par la bouche en faisant circuler les sensations dans le corps. Puis elle décrit ce qu’elle ressent. Il caresse son ventre jusqu’au vagin. Il écarte les lèvres vaginales et caresse légèrement son clitoris et elle décrit ce qu’elle a ressenti.
Pendant l’acte sexuel, Raùl est devenu une femme dont le vagin s’ouvre et reçoit, tandis qu’Hélène devient un homme dont le pénis pénètre et donne.
Leurs bruits, les grognements, les griffures, les chatouillements, les rires et les larmes étaient plus érotiques en amour que les mots. Les mots, pour être érotiques, étaient sortis de leur contexte habituel : par exemple : murmurer des tendresses à l’oreille de l’autre dans une langue étrangère – incompréhensible – d’une voix capiteuse, ou répéter son nom ou une phrase comme une litanie passionnée, sur des octaves différentes. Le jeu des baisers où l’on crache, suce, échange la salive est bénéfique et érotique pour Raùl, le nez et la lèvre supérieure d’Hélène sont aussi sensibles et érogènes que son clitoris. Raùl a su réveiller le sexe d’Hélène quand il l’embrasse sur la bouche en expirant dans ses poumons.