vendredi 15 novembre 2013

CLIN-D’OEIL SUR L’HISTOIRE D’HAÏTI - Période 1957 à nos jours

L’Église, Une Force?

Duvalier s’y consacrera avec d’autant plus de soin que cette Église lui apparaît comme une force et comme une force hostile.  Avant Duvalier, tout le monde répétait sur le mode du dicton qu’un gouvernement qui oserait s’attaquerà à l’Église provoquerait lui-même sa propre chute.

En 1950 l’archevêque de Port-au-Prince, Monseigneur Poirier, fut expulsé sans coup férir.  Le test était passé : réussite parfaite, la preuve du contraire venait d’être faite sans frais aucun.

Les jours suivants, la Radio d’État triomphait:  Papa Doc avait frappé l’Église à la tête et était devenu encore plus puissant.

Mais outre ce vieux dicton populaire, un autre signe de la puissance de l’Église a toujours été l’usage de l’excommunion.  Cette sanction qu’utilisait l’Église Primitive comme un moyen charitable de correction et de conversion contre des frères chrétiens qui rompaient la charité et la communion chrétiennes, était vite devenue dans la suite un instrument d’humiliation et de triomphalisme.  Henri IV à Canossa - elle avait fini par perdre sa pointe de charité et par devenir une arme vindicative. Aussi après l’expulsion de Monseigneur Poirier, l’Église d’Haïti la tournait-elle contre le persécuteur.  Mais une fois de plus elle dut s’avouer vaincue : le Président et excommunié continuait de plus belle d’imposer, tel que prévu par le concordat, que soient dits à son intention prières et te-Deum.  Non pas du tout comme actes liturgiques mais comme actes politiques, comme signes extérieurs d’allégeance et de soumission de l’Église.  Car Papa-Doc croit flairer une sourde opposition cléricale à son impéccable Régime.  Traditionnellement l’Église en Haïti - comme d’ailleurs dans toute l’amérique latine - est une force réelle plutôt l’alliée des puissants, capable de ruiner pour jamais la carrière d’un homme politique qui n’aurait pas sa bénédiction. 

Par ses réseaux de paroisses et de Chapelles implantées à travers tout le pays, elle est la seule force unifiée qui contrôle effectivement toute la population à 95% catholique, or Duvalier, à son avènement n’avait pas l’appui officieux de la hiérarchie catholique, et pour cause.  Très tôt en effet il protestait contre la mise à sac de la culture haïtienne par un clergé occidental tolérant et prônant avec d’autres le retour à l’Africa-Mater.  Accusé d’être vaudouisant, crime impardonnable, crime de lèse religion, s’entend la religion occidentale.

Quand on sait par ailleurs qu’il n’a pas été le candidat de l’élite, mais qu’il s’est donné comme le représentant des aspirations du peuple, on comprend qu’il ait interprété la moue du clergé à son élection comme une franche hostilité.

Quant au clergé on ne sait pas trop bien, en tout cas, si en abondant Duvalier dès le départ, il défendait sa religion et l’élite traditionnelle, ou bien la justice et la vérité de l’Évangile en faveur des toujours-opprimés: son action a été pour le moins ambigüe  et souterraine.

Au commencement donc était le conflit, point du tout “l’harmonie”.  Vint ensuite la lutte ouverte, mieux justifiée cette fois-ci, devant la mise en place de la machine de répression.  L’un des deux camps doit céder.  Duvalier va s’employer à force l’Église d’abord à la retraite, puis de plus en plus à la soumission servile.  Chantage, pression, prison, expulsion, corruption, délation, tout est mis en oeuvre pour la domestification du spirituel.  Papa Doc n’entend pas simplement abattre cette force, il la veut en harmonie avec le temporel, c’est-à-dire à son service.

Une Force Divisée

Les défauts mêmes et les divisions internes de l’Église ont favorisé sa propre mise en tutelle.  La structure écclésiale reproduit à peu de choses près la structure sociale des classes.  Une hierarchie autoritaire, distante, paternaliste commande à ses prêtres, ses sujets et ses subordonnés. Dans leurs paroisses les curés sont les maîtres de leurs vicaires et de leurs paroissiens.  Quant à ceux-ci, en majorité analphabètes, on les considère souvent comme de grands enfants à qui l’on contribue à profusion sacrements et dévotions.  Le paternalisme tient lieu de charité et de justice et le sacramentalisme, comme pratique de Salut, dispense de voir les injustices sociales.  L’Église semble d’abord s’attacher à sauver des âmes et non les hommes.


Polarisation ensuite en hiérarchie étrangère et clergé autochtone.  Jusqu’à Duvalier, les mandarins occidentaux, soucieux de garder pur le christianisme occidental, ne se résignaient guère à l’haïtianisation de l’Église: les néophytes haïtiens, même après un siècle de Christianisation, étaient encore jugés peu aptes aux responsabilités.  Le clergé étranger partageait le préjugé occidental sur l’incapacité congénitale des indigènes. Cette ségrégation pratiquée jusqu’au sein de l’Église devait tranquillement créer des distances et des frustrations et miner de l’intérieur l’unité du clergé.

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