Duvalier et le pouvoir
Dans le passage du totalitarisme haïtien vers la démocratie, les discours politiques de 1986 à 1998, pointent du doigt un coupable.
Duvalier est un nom propre ou, mieux encore un nom d’auteur qui caractérise une période historique et une éthique sociale, économique, politique historique et une éthique sociale, économique, politique et religieuse. Ce nom propre est une production haïtienne, elle relève d’une pratique historique d’auto-colonisation. Ce nom fait référence à des codes culturels qui régissent une manière de faire et de dire les relations à soi, au monde, à Dieu et aux esprits qui impliquent un mode d’existence.
L’analyse du fonctionnement des pratiques d’exclusions rend compte de marquages sociaux discriminatoires qui sont toujours fortement opérants en Haïti. Une rupture avec ses pratiques s’amorce, mais elle est encore partielle car l’Autre (celui qui porte le nom de duvaliériste ou de l’étranger) est réductivement désigné comme producteur des problèmes socio-politiques. Dieu, le diable, les loa, les ancêtres et le Père sont les souverains qui gouvernent les conduites. La notion d’individualité (personnelle et collective), qui induit une responsabilisation de la personne et de son groupe dans la production de leurs conditions d’existence, est absente en Haïti. Elle est absente parce que la souveraineté du sujet, qui est aux fondements de la démocratie, se réalise en détrônant ces figures dirigeantes de leur position d’autorité absolue. Les détrôner ne signifie pas leur négation, mais une redistribution du pouvoir dans laquelle le sujet individualisé (personne ou groupe), s’affirme souverain de son devenir.
Il existe un marquage social qui divise profondément le pays en deux espaces où l’un fonde son affirmation sur l’exclusion de l’autre. Le citadin et le paysan sont, dès leur naissance, renvoyés à leur lieu d’origine; leur baptistère fixe leur place dans la société et leur position de parole. Cela rappelle l’époque de la colonisation où les esclaves eux-mêmes avaient mis en place une technique d’affranchissement du maître. L’esclave fraîchement arrivé d’Afrique (bossale) était considéré avec mépris par l’esclave créole né dans le pays. Une division sociale entre ces deux catégories d’esclaves prenait forme dans des pratiques d’asservissement par lesquelles le créole dominait le bossale. Cette division reformulée après l’Indépendance existe toujours avec la catégorisation opposant la ville à la campagne. Aujourd’hui et hier, les Haïtiens maintiennent et reproduisent des pratiques d’asservissement qui relèvent des représentations du “Noir” héritées du “Blanc” de l’ère coloniale: l’analphabète, le barbare, le superstitieux, le païen, le sans-éducation et le pauvre. Cette inscription dans le registre civil normalise l’isolement de la paysannerie dans son rôle de conservateur des codes culturels pour lesquels la société haïtienne ressent un grand attachement mais qu’elle n’affirme pas internationalement. Cette inscription normalise aussi l’isolement du citadin dans sa position et son rôle de représentation et d’intégration de l’ordre colonial. Ce “paysan” inscrit dans le baptistère est un des dispositifs des relations de pouvoir qui favorise un processus d’auto-colonisation.
La société haïtienne est extrêmement hiérarchisée; il y a toujours quelqu’un en dessous de quoi que l’on peut utiliser (objectiver) et quelqu’un au-dessus de soi, à qui l’on se soumet. La crise socio-politique en Haïti met en évidence une aliénation dans le fonctionnement des relations de pouvoir et dans la logique qui fonde les critères de la hiérarchisation sociale. Il y a aliénation parce que les relations fonctionnent sur un mode annihilant et maniéré.
Il ne faut pas oublier que celui qui se comporte en “maître” est d’abord l’esclave d’un autre. Ces personnes appartiennent à des groupes, des lignées, des clans ou des confréries, à l’intérieur desquels elles font l’apprentissage des formes de relations maître-esclave. Le maître en puissance est maître parce qu’il a d’abord intériorisé les attributs de l’esclave et qu’il accepte aussi de se soumettre aux diktats d’un maître; qu’il soit Homme, Dieu ou esprits. Ainsi, même dans les termes de leur opposition, le maître et l’esclave (l’exploitant et l’exploité) fonctionnent en se basant sur les même codes de conduites et par ce fait participent de la même culture relationnelle. Il n’y a plus de complémentarité entre le maître et l’esclave dès qu’il y a des brèches profondes et totales dans leur culture relationnelle. (SIC)
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