Pour Albert Jacquard, quand on emploie le mot “intelligence” dans le public, on l’emploie comme si c’était une faculté globale qui permet de tout résoudre. Cela n’a pas de sens. On est intelligent dans tel ou tel sens, mais pas d’une façon globale. Il y a toutes sortes d’intelligence. On peut faire des analyses et dire qu’à cause d’une certaine interaction entre un certain patrimoine génétique et un certain milieu, tel individu va développer telle caractéristique et aura, par conséquent, telle intelligence.
Bien sûr il y a des gens idiots, des gens dont le cerveau a subi des dommages. Il y a des gens dont les gènes ont fabriqué des neurotransmetteurs mal fichus. C’est le cas en particulier des mongoliens qui ont une mauvaise régulation des neurotransmetteurs dans les synapses. Mais à partir du moment où notre cerveau fonctionne, il est capable de recevoir toutes les informations du milieu et peu à peu il se constitue. Il se constitue de telle ou telle façon au cours d’une aventure qui commence avant la naissance et qui se poursuit toute la vie. À partir du moment où on apprend à parler, à comprendre, à écrire, à faire des activités de base, rien ne prouve qu’on ne soit pas capable d’aller plus loin. Jusqu’où? Personne n’en sait rien. La plupart d’entre nous avons un potentiel de développment intellectuel bien supérieur à celui que nous avons développé. En fait, nous sommes tous beaucoup plus intelligents que nous en avons l’air! Nous avons un cerveau qui, tout au long de notre vie, est encore malléable. Jusqu’à l’âge peut-on devenir intelligent? On ne le sait pas, mais c’est certainement de l’ordre de centaines d’années. Manque de pot, on meurt avant!
Pour Jacquard le mot “surdoué” ne signifie rien. Pour lui, la seule définition possible est la suivante: un enfant surdoué est un enfant précoce, c’est-à-dire, par exemple, qu’il fait à 12 ans des choses que les autres en comprennent qu’à 14 ans. Alors il pose la question: pourquoi employer un mot quand on veut en signifier un autre? Faut-il tenir compte de la précocité des enfants? Il faut évidemment que l’enseignement s’adapte à la courbe de développement des enfants. Mais l’idée que parce qu’un enfant est précoce, il a un potentiel intellectuel supérieur, c’est une idée ridicule! Le mot “doué” est un mot qui signifie qu’il y a une fatalité dans l’intelligence. Or, il défie quiconque de prouver qu’il y a une fatalité dans l’intelligence!
Tous ceux qui parlent d’une “héritabilité” de l’intelligence tiennent un discours qu’aucun scientifique ne peut cautionner. Il faut le dire. Cela n’existe pas. Dire qu’un enfant a reçu l’intelligence, comme don, à la naissance, cela rend les parents contents....mais cela n’a aucune signification. Il ne transmet pas ses caractéristiques à ses enfants, il leur transmet la moitié des gènes qui en lui gouvernent ces caractéristiques et c’est totalement différent. Quelqu’un d’autre a fourni aussi la moitié de ces gènes et le tout constitue le patrimoine génétique de l’enfant. Tout va dépendre de l’interaction de tous ces gènes entre eux. Tout va dépendre aussi du milieu et de l’interaction entre le patrimoine génétique et le milieu. Tout va dépendre enfin des transformations qui vont se produire suite aux chocs et aux apports reçus de l’extérieur.
Bien sûr, c’est notre patrimoine génétique qui nous a appris à faire des cellules, les neurones, et entre les neurones les synapses et à l’intérieur de ces synapses les neurotransmetteurs. C’est notre patrimoine génétique qui nous dit comment on fabrique toutes ces pièces détachées qui vont s’assembler pour constituer notre système nerveux central. C’est cela la mécanique qui va nous permettre d’être intelligent, mais cela n’est pas l’intelligence. Ce qui compte, c’est la façon, extrêmement complexe, dont le réseau va se constituer suite à l’interaction avec le milieu et suite à l’autoconstruction, à l’autoorganisation qui va s’en suivre. Vous voyez bien alors que la fameuse banque de sperme des prix Nobel est une idée complètement idiote, poursuit-il.
On a mis au point les fameux tests qui ne mesurent évidemment pas l’intelligence, mais qui mesurent la rapidité à répondre à des questions normalisées dans un environnement normalisé. Quand on les réussit, on est intelligent. Quand on les rate, on n’est pas intelligent. Cela n’a aucun sens et malheureusement on massacre des gens. Si on vous dit: Monsieur, vous n’êtes pas intelligent! Vous allez être triste et vexé, mais en fait, cela n’est pas grave. Tout ce qu’on vous aura dit, c’est que les caractéristiques de votre esprit ne vous font pas répondre vite à des questions saugrenues! On parle des “surdoués”... on en est tous! On est tous bien plus intelligents qu’on l’imagine. Mais qu’on ne prenne pas ce concept mal fichu pour massacrer 99% des gosses!
CETTE NOTION SE POSE AU QUÉBEC ET AILLEURS:
Pour Albert Jacquard: il y a des raisons économiques. Étant donné la limitation des ressources pour l’éducation, on ne peut pas donner une éducation complète à tout le monde. Sauf si on y mettait de l’argent qu’on consacre à d’autres sottises....Alors on cherche un truc, un prétexte pour donner un enseignement complet qu’à une petite partie des enfants. On choisit ceux qui sont précoces comme si le fait qu’ils aient une courbe de développement plus rapide apporte la certitude qu’ils sont plus capables d’avoir un enseignement long, ce qui est totalement faux. Se baser sur la précocité, c’est hypocrite. Ce serait beaucoup plus honnête de choisir tous les enfants dont le nom commence par un Z!
Il poursuit dans sa logique: il y a des enfants précoces qui s’ennuient à l’école. Il n’y a aucune raison que tous les enfants aient la même horloge biologique et intellectuelle. Mais il ne voit pas pourquoi on s’occuperait plus des enfants précoces que des autres. Adaptons l’école pour qu’elle donne des chances de développement à chacun, pour qu’elle aide chaque enfant à s’accomplir au maximum, au lieu de reproduire la hiérarchie sociale.
Nous vivons, dit-il, dans une société hiérarchisée. Qu’il y ait quelqu’un dont la fonction consiste à me commander, c’est commode pour s’organiser, c’est une répartition des tâches, à la condition que celui qui me commande ne prétende pas qu’il m’est supérieur. Seulement, dans nos sociétés, celui qui commande a un accès beaucoup plus rapide aux richesses et nous sommes écartelés entre une morale de l’égalité et la réalité des inégalités sociales. Alors on voudrait bien que les biologistes fournissent une justification aux inégalités sociales en disant qu’il y a une inégalité naturelle entre les hommes.
Il se dit un scientifique et en tant que biologiste, il nous dit: nous ne sommes pas égaux, mais nous ne sommes pas inégaux; il n’y a pas une inégalité entre nous, mais une diversité; nous ne sommes pas supérieurs ou inférieurs, cela n’a pas de sens, mais différents; nous ne sommes pas hiérarchisables et en particulier en ce qui concerne la faculté centrale, l’intelligence, il n’y a pas de hiérarchie des intelligences. Sinon, alors, Beethoven était lamentable, Einstein n’était pas tellement fort et Tolstoi était, d’après ses professeurs, une catastrophe. Heureusement, on a inventé les tests après que ces gens-là aient été éduqués sinon ils auraient été massacrés.
Il nous parle du rapport supériorité versus infériorité. Lequel est inférieur? Lequel est supérieur? Inférieur en quoi? Supérieur en quoi? Cela ne veut rien dire et il faut lutter contre cette perversion intellectuelle. Comme je ne suis pas “un autre”, je suis tranquille. On ne me trouvera jamais inférieur ou supérieur.
PUIS IL NOUS PARLE DE LA DIFFÉRENCE HOMMES - FEMMES EN TERME D’INTELLIGENCE
Il ne veut pas faire un cours d’anatomie, il n’y a qu’à regarder, c’est pas pareil! Qu’il y ait des conséquences hormonales, c’est évident. Qu’il y ait, en moyenne, des développements différents, c’est aussi évident. Quant à dire que les femmes ont une activité intellectuelle supérieure ou inférieure, c’est absurde. Qu’il y ait des attitudes intellectuelles différentes chez les hommes et les femmes pour des raisons hormonales, c’est possible, mais pour l’instant on n’en connaît pas.
Le sexisme fait partie de cette maladie infantile qui nous fait rechercher dans le mépris une certaine acceptation de nous-mêmes. Tout racisme est un mépris, un mépris qui signifie que j’ai peur de moi finalement. Cette tête ne me revient pas, ça veut dire que je n’aime pas les miroirs....Devenir adulte, c’est passer au-delà. Éliminons le mépris comme on élimine les boutons d’acné juvénile!
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