INTRODUCTION
Le vieux dicton « Qui dit savoir, dit pouvoir », traduit, de façon
évidente, l’existence d’une relation entre la notion d’éducation
et celle de pouvoir. Cette relation, nous ne voulons pas la
considérer sous un angle simpliste où l’on tend à lier la faculté
de faire certaines choses aux capacités intellectuelles d’un
individu. Nous ne voulons apprécier les rapports entre l’éducation et le pouvoir dans les sociétés dépendantes, particulièrement dans un contexte de pouvoir d’État qui tient son sens dans l’existence d’un gouvernement que Julien Freud définit comme étant « le pouvoir réglementé et organisé ». Vue sous cet angle, l’éducation est alors considérée en tant que processus de socialisation de l’individu qui conditionne le rôle et la place que celui-ci aura à emplir et à occuper dans la société. Ainsi, Marcel Mauss la définira-t-il comme étant « les efforts consciemment faits par les générations pour transmettre leurs traditions à une autre. Il attribue aussi ce nom à l’action que les anciens exercent sur les générations qui montent chaque année pour les façonner par rapport à eux-mêmes et secondairement, pour les adapter, elles, à leurs milieux social et physique ».
Dans le système capitaliste mondial, la société étant constituée de groupes à intérêts opposés, nous comprenons donc que la fonction de l’éducation doit être en relation avec l’orientation que lui donne le pouvoir. Une orientation qui n’est pas sans commune mesure avec les intérêts des classes dominantes de la société. Dans les sociétés dépendantes ou les oppositions entre les classes sont encore plus manifestes, le pouvoir d’État ne saurait rester indifférent à l’endroit de l’éducation. Aussi, nous demandons-nous quel est le rôle dominant que joue l’école dans ces pays qui n’ont pas les mêmes réalités sociales, ni connu le même processus historique d’évolution que ceux du centre? En d’autres termes, l’école sert-elle au développement socio-économique des sociétés dépendantes? Ou encore, contribue-t-elle à assurer la perpétuation des classes dominantes au pouvoir?
Pour répondre à ces interrogations, nous axerons notre analyse sur les objectifs du pouvoir d’État dans ses rapports avec l’éducation. À ce compte, nous suivrons le cheminement suivant :
Tout d’abord, nous chercherons, à travers des considérations autour de la notion d’État, à apprécier les bases du pouvoir d’État. Ces appréciations nous permettrons de mieux comprendre les forces qui régissent l’État et les mobiles qui le portent à exercer un certain contrôle sur les appareils culturels.
Une fois que nous aurons déterminé les mobiles qui portent l’État à exercer son contrôle sur les appareils culturels, il nous sera alors aisé d’identifier le rôle et la fonction que joue et exerce l’éducation dans la société.
Ensuite, nous pourrons analyser les effets récurrents du colonialisme dans les sociétés dépendantes, particulièrement en ce qui a trait aux comportements des classes dirigeantes dans l’organisation et l’orientation des systèmes éducatifs de leurs pays.
Enfin, nous insisterons notamment sur l’influence et le rôle des classes dominantes dans l’organisation et l’orientation des systèmes éducatifs et leurs conséquences pour l’ensemble de la société. Ce qui nous permettra alors de nous fixer quant au rôle et à la fonction effectifs de l’éducation dans les sociétés dépendantes.
Commençons tout de suite par apprécier les bases du pouvoir d’État :
1- LES BASES DU POUVOIR D’ETAT
Pour apprécier les bases du pouvoir d’État, nous chercherons à nous arrêter particulièrement sur des considérations autour de la notion d’État dont les mécanismes de fonctionnement expliquent les bases mêmes de son pouvoir. Nous éviterons donc de concentrer notre attention sur une définition du concept de pouvoir qui va nous renvoyer à la notion d’autorité et de commandement; ce qui est loin d’être l’objet de notre étude ici.
En effet, dans « l’État et la révolution », Lénine critique les idéologues bourgeois et petits-bourgeois qui, tout en reconnaissant que l’État n’existe que là où « existent les contradictions de classes et la lutte des classes », transforment la pensée de Marx en faisant passer l’État pour un organisme de conciliation de classes. Alors que pour Marx, l’État n’est autre chose qu’un organisme de domination et d’oppression d’une classe par une autre. Ce que, d’après Lénine, les idéologues bourgeois et petits-bourgeois refusent d’admettre. Pour ceux-ci, l’État est un organisme qui cherche à garantir l’ordre social par la conciliation des classes. Toutefois, Lénine pense qu’on ne peut concilier des classes sociales dont les intérêts sont opposés et contradictoires. Aussi, cet ordre social est-il un ordre social bourgeois qui raffermit les privilèges et la domination de la bourgeoisie au détriment des masses populaires. Les classes dominantes utilisent donc les services de l’État pour exploiter au maximum les masses populaires. Ainsi, les véritables centres du pouvoir d’État se trouvent-ils en dehors de l’État lui-même. Ils se concentrent particulièrement aux mains de ceux qui contrôlent et organisent les rapports de production à la base de l’accumulation du capital. Pour Lénine et les tenants du marxisme, l’État se révèle donc un instrument au service des classes dominantes de la société.
Dans le même ordre d’idées, Portelli, analysant le concept de société civile que Gramsci a interprétée comme étant le « complexe de la superstructure idéologique », signale que les rapports juridiques ainsi que les formes de l’État ont leurs racines dans les conditions d’existence matérielles. Il considère que les rapports économiques sont les véritables éléments décisifs dans une société. Pour appuyer ses réflexions, il cite Engels qui écrit que « l’État, l’ordre politique est l’élément subordonné, tandis que la société civile, le règne des rapports économiques, est l’élément décisif ». En ce qui a trait à la société civile, Portelli, à la lumière des considérations faites par Gramsci, l’apprécie sous trois aspects complémentaires:
D’abord, il considère la société civile en tant qu’idéologie de la classe dirigeante qui emorasse l’art, l’économie, le droit, la science et ensuite, en tant que conception du monde qui est diffusée à toutes les couches sociales. Enfin, comme direction idéologique de la société s’articulant en trois niveaux essentiels : l’idéologie proprement dite, la structure idéologique c’est-à-dire les organisations qui la créent et la diffusent et le matériel idéologique, c’est-à-dire les instruments techniques de diffusion de l’idéologie (système scolaire, mass media, bibliothèque etc.
Par ailleurs, Portelli considère que les différentes branches de l’idéologie, quoique d’apparence indépendante, constituent les diverses parties d’un même tout : la conception du monde de la classe fondamentale qu’il faut entendre comme étant la classe dominante de la société.
Poursuivant ses réflexions à la lumière des théories gramsciennes de la société civile, Portelli a trouve que Gramsci qui a oppose la société civile à la société politique au sein de la superstructure, a peu étudié cette dernière (la société politique) dans les QUADERNI. Toutefois, il a noté quelques définitions qui font considérer la société politique comme étant :
a) la fonction de domination directe ou de commandement qui s’exprime dans l’État ou le gouvernement juridique
b) un appareil coercitif pour amener les masses à se conformer au type de production et à l’économie d’un moment donné
c) un gouvernement politique considère en tant qu’appareil de coercition d’État qui assure « légalement » la discipline des groupes qui refusent leur accord tant actif que passif. Aussi, a-t-il constaté que la société politique regroupe l’ensemble des activités de la superstructure qui relèvent de la fonction de coercition. En ce sens, elle est considérée comme un prolongement de la société civile. Cette conception se retrouve dans le schéma gramscien où l’on peut relever que la conquête du pouvoir devient le parachèvement du contrôle de la société. La société politique ne joue alors qu’un rôle secondaire dans le système hégémonique, puisque l’appareil étatique qui assure la liaison entre la société politique et la société civile est organisée sur la base de l’orientation qui lui imprime la classe dominante. Ainsi, pouvons-nous considérer celle-ci comme étant les vrais centres du pouvoir de l’État.
O’Connor, pour sa part, ne croit pas que l’État soit au service d’une classe particulière. Il argumente sa position en alléguant que l’État capitaliste qui utilise sa force coercitive pour aider une classe à accumuler du capital aux dépens d’une autre, perd sa légitimité et mine ses bases de loyauté et d’appui. En même temps, il reconnaît qu’un État qui ignore l’importance de l’aide qu’il doit accorder au procès d’accumulation, risque d’assécher la source de son propre pouvoir, la capacité de l’économie à générer un surplus et des impôts, tirés de ce surplus et autres formes de capitaux.
L’argumentation de O’Connor ne peut être mieux explicite :
L’État de la société capitaliste doit son pouvoir grâce à l’aide qu’il accorde au procès d’accumulation. Ce qui implique que l’État agit particulièrement au bénéfice des classes dominantes de la société, puisque ce sont celles-ci qui organisent les mécanismes facilitant le procès d’accumulation du capital. Ces mécanismes mis en place dans la société, grâce à l’appui de l’État garant de l’ordre capitaliste, permettent, en effet, aux classes bourgeoises de mieux exploiter les classes populaires et d’exercer leur domination politique, économique, idéologique et culturelle.
Quant a Poulantzas, il reconnaît que l’État n’a pas à proprement parler du pouvoir. Toutefois, il constitue le centre du pouvoir de la classe dominante. Il affirme aussi que l’État n’est pas un instrument qui soit au service de la classe dominante. Il détient une autonomie relative qui lui permet d’assurer l’unité bourgeoise de la société. En abordant ainsi la question de l’État et du pouvoir d’État, Poulantzas semble rejoindre O’Connor qui, tout comme lui, reconnaît à l’État une certaine autonomie.
Toutefois, en admettant avec ces auteurs que, dans la société capitaliste moderne, l’État détient une certaine autonomie qui lui permet d’assurer l’unité bourgeoise de la société en atténuant les effets négatifs dus à des excès dans le procès d’accumulation du capital, nous sommes loin d’admettre que l’État capitaliste soit un organisme de conciliation sociale. En effet, dans les sociétés capitalistes avancés, l’État met en place des mécanismes pour atténuer les conflits de classes qui sont plus manifestes dans certaines sociétés dépendantes ou le pouvoir d’État s’identifie plus visiblement aux classes dominantes. Dans cet ordre d’idées, Jean-Pierre Cot et Jean-Pierre Mounier pensent que, pour mieux assurer le cadre d’un mode de production donné, l’appareil d’État fonctionne à la violence et à l’idéologie. Mais, notent les deux auteurs, l’appareil d’État ne peut se maintenir en s’appuyant uniquement sur la violence « Il doit donc camoufler sa nature, se poser en structure neutre, au-dessus des intérêts en présence, pour remplir avec efficacité sa fonction ».
L’expression de neutralité, utilisée par Cot et Mounier, traduit en quelque sorte, la notion d’autonomie relative de l’État que nous avons signalée un peu plus tôt. Mais, ceux-ci croient que cette autonomie relative n’est, en fait, qu’un masquage qui camoufle la réalité de la lutte des classes et, de ce fait, sert encore mieux les intérêts de la classe dominante. Cardoso et Faletto, analysant la situation de dépendance et la question de développement en Amérique latine, ne réfléchiront pas différemment. Ils affirment que « l’État exprime la domination d’une classe ou d’une alliance de classes sur d’autres. Mais, alors qu’il sert leurs intérêts sur lesquels il se fonde, il propose des mesures qui rendent vraisemblable la « généralité d’intérêts », et qu’il doit afficher s’il veut exister (peuple, égalité, nation) ».
Par ailleurs, Cardoso et Faletto notent que l’État des sociétés dépendantes, en dehors du fit qu’il sert les intérêts des classes dominantes nationales, ouvre aussi les portes des économies périphériques au capitalisme. Guillermo O’Donnell abonde dans le même sens. Il croit que si l’État, dans les sociétés dépendantes, a joué un rôle fondamental dans la création de la nation et l’unification de la société, il n’en demeure pas moins qu’il représente aussi un lien capital pour la diffusion interne de la domination néo-colonialiste et impérialiste. Une telle situation accentue la dépendance des pays périphériques vis-à-vis des pays du centre. Ce qui entraîne donc une aliénation du pouvoir de l’État ainsi que de son autonomie.
Enfin, nous pouvons dire que l’État, malgré sa relative autonomie, garantit un ordre social qui est celui de la bourgeoisie de la société capitaliste. De ce fait, il constitue le centre d’un pouvoir qui se situe en dehors de l’appareil étatique lui-même. Aussi, l’ensemble des appareils culturels sert-il à véhiculer l’idéologie des classes dominantes nationales qui se font les relais de la société capitaliste mondiale, de manière à maintenir et à perpétuer leur hégémonie culturelle, économique et politique.
Maintenant que nous venons d’apprécier les bases du pouvoir de l’État, nous allons, à présent, considérer pourquoi ce dernier cherche-t-il à exercer un certain contrôle sur les appareils culturels.
2-L’ETAT ET LE CONTRÔLE DES APPAREILS CULTURELS
Parler du contrôle des appareils culturels nous fait tout de suite penser aux mécanismes de reproduction sociale existant ou mis en place dans la société. Pour assurer celle-ci, il note que l’éducation ne saurait être neutre. L’école ne saurait donc assurer la mobilité sociale à tous.
Aussi, en dehors des mass media, l’école est-elle l’endroit tout désigné pour réaliser cette diffusion et aussi accomplir cette fonction de socialisation de l’individu. Dans cet ordre d’idées, nous pouvons comprendre la position de Cot et Mounier quand ils disent que « Pour durer, un système social doit former son personnel, pourvoir aux rôles sociaux qui le composent. Il doit inculquer aux individus les valeurs, attitudes et orientations qui leur permettront de tenir leur rôle politique ». D’où les intérêts que porte l’État à exercer son contrôle sur les appareils culturels et tout particulièrement sur le système éducatif qui assure la formation de nouveaux cadres dont les classes dominantes ont besoin pour perpétuer et maintenir leur domination sociale, culturelle, idéologique, économique et politique.
De son côté, Jacky BEILLEROT, reprenant la vue d’Althusser sur la question des appareils idéologiques d’État, allègue que « l’État capitaliste utilise pour maintenir et perpétuer son pouvoir deux réseaux ou deux appareils : d’une part la répressif (police, justice, armée), d’autre part l’idéologique (le culturel, l’école) ». Il explicite son point de vue en insistant sur le rôle prépondérant joué par l’école dans le maintien, la reproduction de la domination de la bourgeoisie à travers tout en justificatif culturel, humaniste donc idéologique. Par ailleurs, Béillerot ne résiste pas à l’idée de considérer l’État comme étant le gestionnaire No 1 du savoir. Celui-ci ne le laisse pas accroître à son gré dans des horizons divers. Il dispose, en conséquence, de tout un ensemble de dispositifs pour « l’entretenir, l’orienter, le diffuser, le contrôler, le restreindre (le savoir est parcellisé, multiplié. À chacun son morceau de savoir utile, décidé par l’État ».
Karl Marx et Friedrich Engels, pour leur part, étudiant la question de l’éducation et de l’enseignement dans les sociétés capitalistes, allèguent que « tout le système d’enseignement de la société capitaliste repose sur le rationalisme bourgeois ». Ils croient, en effet, que l’éducation offre relativement peu de chance de mobilité sociale dans une société de classes ou le pouvoir politique est contrôlé par une bourgeoisie qui dicte ses normes et règles de conduite aux masses populaires. Pour Marx et Engels, l’origine sociale des individus joue un rôle important dans leur mobilité sociale que Claude Larivière définit comme étant « un changement fonctionnel dans la position sociale d’un individu (mobilité verticale) ou d’un groupe (mobilité collective). Elle opère soit à l’intérieur d’une génération ou entre générations. Dans ce dernier cas, elle peut se mesurer par la possibilité pour un individu d’avoir un statut différent de sa famille d’origine ou pour une partie d’un groupe de passer d’un métier, d’un secteur économique ou d’un niveau social à un autre ». Ceci nous fait donc comprendre qu’il peut exister à l’intérieur du système éducatif des mécanismes qui contrôlent cette mobilité de manière à ne pas mettre en cause la stabilité du système social. Ainsi, l’école remplit-elle une fonction idéologique assez importante et qui permet d’assurer le maintien et la perpétuation des classes dominantes au pouvoir. D’où le contrôle de l’État sur les activités éducatives de manière à garantir la légitimité de son pouvoir.
Dans les sociétés dépendantes où il existe une situation sociale plus tendue, le contrôle exercé par le pouvoir politique se révèle encore plus grand. Du fait d’un trop grand écart entre les conditions de vie des masses populaires et celles des classes dominantes qui risque de faire éclater à tout moment l’ordre social bourgeois, l’État des sociétés dépendantes, caractérisé généralement par son côté militariste et autoritaire, exerce son contrôle sur tout ce qui constitue des appareils de diffusion idéologique, particulièrement, l’école, les mass media etc. de manière à leur imprimer son orientation propre. Ces disparités entre les classes sociales et le rôle fondamental joué par l’État pour sauvegarder l’ordre économique capitaliste, ne semblent pas sans relation avec les effets récurrents du colonialisme sur les classes dirigeantes. En effet, celles-ci ont hérité du colonialisme certaines normes, des valeurs culturelles et des règles de conduite qu’elles semblent toujours garder, en dépit des divers processus historiques qui les ont marquées. Aussi, allons-nous apprécier, tout de suite, quels en sont les effets les plus manifestes du colonialisme sur les classes dirigeantes.
3-L’ÉDUCATION ET LES EFFETS RÉCURRENTS DU COLONIALISME
Pour maintenir l’ordre colonial dans les nations soumises, les peuples conquérants s’appuyaient particulièrement sur deux facteurs, la force des armes et l’éducation (plus spécialement l’éducation religieuse). Nous nous rappelons l’histoire de Christophe Colomb débarquant en Amérique, tenant une croix dans une main et son épée dans l’autre. Par la suite, les indigènes qui refusèrent de se laisser « civilisés » par les conquérants devaient mourir par milliers.
Après leur accession à l’indépendance, les pays en développement ont hérité d’une structure politico-administrative qu’ils n’auront pas grandement changée et qui rappelle « l’indirect rule » (*) des anglais. Pour reconstruire leurs pays, les nouveaux dirigeants ont dû faire appel aux anciens colons restés sur place et qui constituaient avec les quelques autochtones préalablement formés dans les écoles européennes, les cadres les mieux préparés. Alors bon nombre d’anciens colons s’étaient vu confier la tâche de préparer les nouveaux cadres dont les pays indépendants avaient besoin.
(*) « Indirect Rule » qui se traduit en français par l’administration indirecte consistait particulièrement à utiliser pour administrer les colonies des autochtones dont l’allégeance à la couronne d’Angleterre ne faisait aucun doute.
En Afrique francophone tout comme en Amérique latine, les nouvelles générations de dirigeants étaient particulièrement issues des écoles catholiques organisées par les diverses congrégations religieuses. Celles-ci ont donc joué et jouent de nos jours un rôle prépondérant dans l’organisation des systèmes éducatifs des pays dépendants. Il en ressort que les systèmes d’enseignements dans les sociétés en développement, sont le reflet des modèles d’enseignement européens. À ce propos Pierre Erny, analysant les systèmes d’enseignement dans les pays pauvres, a fait état de trois constatations qu’il présente en terme d’argumentation :
a) En premier lieu, il considère les systèmes d’enseignement actuel comme une sorte de dilatation des systèmes coloniaux. Pourvoyeurs de l’impérialisme culturel, ils constituent à l’égard des sociétés ou ils sont implantés, une forme d’agression provocant désorganisation et conflits.
b) En deuxième lieu, il pense que l’école organisée suivant des modèles étrangers, devient trop coûteuse pour les États pauvres. Ce qui entrave la généralisation de l’enseignement.
c) Enfin, il allègue que l’école favorise une promotion individuelle et la mise en place de classes privilégiées, de bourgeoisies administratives, voire de groupes nettement parasitaires.
En effet, les argumentations de Erny se révèlent, on ne peut plus, pertinentes. Les sociétés en développement portent encore l’empreinte du colonialisme. Dans leur grande majorité, elles évoluent toujours dans un contexte de domination étrangère. Leurs systèmes d’enseignement qui sont souvent le reflet des modèles étrangers, contribuent relativement peu à leur développement socio-économique. Aussi, assistons-nous d’une part à une acculturation de plus en plus grande des classes dominantes nationales qui se détachent petit à petit des valeurs autochtones jusqu’à manifester un certain mépris à leur égard, d’autre part à une augmentation chaque jour plus élevée du nombre des analphabètes restés attachés aux valeurs traditionelles; ceux-ci constituent souvent la majorité de la population. Alors est née une situation dichotomique qui met en relation des valeurs traditionnelles locales et des valeurs culturelles étrangères ayant acquis un statut privilégié par l’entremise des classes dominantes de la société. Celles-ci disposent, d’ailleurs, d’un ensemble de réseaux (l’école, les mass media etc.) pour imposer à l’ensemble de la population tout un système de valeurs qui sont à la base de leur domination culturelle appelée à justifier et à légitimer leur domination sociale, économique et politique.
Tout ceci montre que les classes dominantes locales jouent un rôle particulièrement important dans l’évolution des sociétés dépendantes. Ce rôle, nous allons l’apprécier de plus près.
4-L’INFLUENCE ET LE RÔLE DES CLASSES DOMINANTES
Nous venons de relater que le colonialisme a profondément marqué les sociétés dépendantes. En effet, celles-ci (à part de rares exceptions : Cuba en Amérique Latine et, très rarement, le Nicaragua, ou encore quelques rares pays en Afrique etc.), n’ont pas connu, à travers le temps, des transformations fondamentales. Leurs classes dirigeantes restent attachés aux valeurs culturelles étrangères et modèlent le développement social et économique de leur pays sur celui des États avancés de la société capitaliste mondiale. Celles-ci créent et assurent les conditions structucturelles à l’expansion du capitalisme au détriment de tout développement national. Les sociétés en développement subissent alors une double domination : une domination étrangère qui cherche à s’imposer soit directement ou indirectement par le truchement des organismes internationaux (Unesco, FMI, AID, BID, ONUDI, OCDE etc.) et une domination interne qui s’exerce à travers les structures nationales existantes et qui, souvent, prend la forme d’un véritable néo-colonialisme interne.
Les classes dirigeantes des sociétés dépendantes pour n’avoir pas su rompre les circuits coloniaux en vue de permettre à leurs pays de trouver leurs propres voies de développement, deviennent ainsi les vassales de la société capitaliste mondiale. Cette dernière trouve en l’école et les mass média qui servent à la diffusion de l’idéologie des classes dominantes des instruments tout désignés pour exercer sa domination culturelle.
Pour Martin Carnoy, les ex-pays colonisés, en modelant leurs systèmes éducatifs sur ceux des européens ou des États-Unis d’Amérique, ont eux-mêmes crées une situation qui entrave leur auto-développement. Selon lui, une fois indépendants, ces pays auraient dû organiser et orienter leurs systèmes éducatifs de manière à assurer une revalorisation de leur culture nationale ainsi que leur développement social et économique. Malheureusement les classes dominantes nationales restées grandement attachées aux normes et valeurs culturelles européennes ou nord-américaines, n’ont pas jugé nécessaire d’apporter des changements significatifs dans les systèmes d’enseignement. Aussi, les livres d’histoire, après l’indépendance, n’ont-ils fait que traduire leurs propres interprétations des divers faits historiques. Ce qui n’est pas sans conséquence sur la formation des générations montantes.
Par ailleurs, Carnoy, analysant la fonction de l’école dans le cadre de la théorie de dépendance, affirme que l’école ne peut apporter des transformations notables dans un système social qui évolue toujours dans un contexte de dépendance par rapport à d’autres. Toutefois, en attribuant à l’école une certaine autonomie, il croit que celle-ci, malgré ses fonctions premières de sélection et de socialisation, peut produire des individus qui ne sont pas seulement des agents de changement à l’intérieur du système éducatif, mais aussi des agents qui désirent briser la situation de dépendance dans laquelle vit l’ensemble de la population. Souvent ces agents de changement viennent particulièrement des classes moyennes dont les stratégies consistent notamment à s’appuyer sur la défense de la culture nationale ou endogène pour élaborer leur projet de société.
Pour réussir à briser cette situation de dépendance, les classes moyennes en alliance avec les masses populaires sont toutefois obligées de sortir du cadre de l’éducation en vue de mener leur combat sur un terrain plus vaste qui est celui de la politique. Car le système éducatif n’est que le reflet d’un système social tel que désiré par le pouvoir politique. C’est pourquoi, d’ailleurs, l’État des sociétés dépendantes, gardien de l’ordre économique de la société capitaliste, met-il en place les structures nécessaires pour faciliter cette double fonction de l’éducation qui est celle de contribuer au maintien et à la reproduction des classes dominantes ainsi qu’à la diffusion de l’idéologie capitaliste à l’ensemble de la société.
CONCLUSION
Les classes dominantes des sociétés dépendantes exercent, par l’entremise du pouvoir d’État un rôle important dans l’organisation et l’orientation des systèmes éducatifs, de même que dans la pénétration des idéologies des normes et valeurs culturelles des sociétés capitalistes dans leurs pays. Dans les pays dépendants ou les conditions socio-économiques sont particulièrement critiques pour la majorité de la population, l’éducation devrait être organisée de manière à y apporter des changements sociaux, économiques et politiques. Malheureusement, elle sert, de préférence, à accélérer le processus de capitalisation qui assure l’hégémonie des classes dominantes nationales et de celles des sociétés capitalistes mondiales. De plus, les modèles d’enseignement adoptés par les classes dominantes nationales, en se révélant peu appropriés aux besoins de développement social et économique des sociétés dépendantes, créent une situation préoccupante pour ces dernières qui sont censés préparer des cadres particulièrement pour les pays du centre qui se voient pourvus en personnels formés sans avoir à investir dans leur formation.
Dans les sociétés dépendantes ou les intérêts des classes dominantes par rapport à ceux des masses populaires sont manifestement opposés, l’éducation apparaît donc comme un véritable enjeu social. Aussi y existe-t-il une véritable lutte ouverte ou larvée pour le contrôle des appareils culturels de manière à les orienter suivant les intérêts particuliers de l’une ou l’autre des classes sociales qui sont en confrontation. Cette bataille engagée pour le savoir est une bataille engagée contre l’État pense Béillerot qui croit «qu’il ne s’agit pas du seul contenu apparent, objectif du savoir : il s’agit indissociablement du savoir, procès et contenu ». En effet, l’éducation joue un rôle important dans toute formation sociale. C’est pourquoi, l’une des premières mesures prises par tout gouvernement révolutionnaire est la restructuration complète du système éducatif de manière à l’adapter à leurs projets de société.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
BEILLEROT, Jacky, Idéologie du Savoir, Militants Politiques et Enseignants, Casterman, Belgique, 1979, 189p.
CARDUSO et FALETTO, Dépendance et Développement en Amérique Latine, Paris, PUF, 1978.
CARNOY, Martin, Education as Cultural Imperialism, New York, D. McKay Company Inc., 1974.
COT, Jean-Pierre et MOUNIER, Jean-Pierre, Pour une Sociologie Politique, Tome 2, Éditions du Seuil, Paris VIe, 1974, 187p.
ERNY, Pierre, L’enseignement dans les Pays Pauvres, Modèles et Propositions, Éditions L’Harmattan, Paris Vie, 1977, 211p.
FREUD, Julien, L’essence du Politique, Éditions Sirey, Parie Ve, 1965, 764p.
LARIVIERE, Claude, dans le texte « La Mobilité Sociale » in « Le Système Social » paru sous la direction de Francis BALLE, Librairie Larousse, Paris, 1977, 127p.
LENINE, Vladimir, L’État et la Révolution, Éditions Gonthier, Genève, Suisse, 1963, 160p.
MARX, Karl et Engels, F, Critique de l’Éducation et de l’enseignement, FM/Petite Col., F. Maspero, Paris Ve, 1976, 285p.
MAUSS, Marcel, Essais de Sociologie, Col. Points, Éditions de Minuit, Paris, 1968-1969, 152p.
O’CONNOR, James, The Fiscal Crisis of the State (1973).
PORTELLI, H. Gramsci et le Bloc Historique, Paris, PUF, 1972.
Le vieux dicton « Qui dit savoir, dit pouvoir », traduit, de façon
évidente, l’existence d’une relation entre la notion d’éducation
et celle de pouvoir. Cette relation, nous ne voulons pas la
considérer sous un angle simpliste où l’on tend à lier la faculté
de faire certaines choses aux capacités intellectuelles d’un
individu. Nous ne voulons apprécier les rapports entre l’éducation et le pouvoir dans les sociétés dépendantes, particulièrement dans un contexte de pouvoir d’État qui tient son sens dans l’existence d’un gouvernement que Julien Freud définit comme étant « le pouvoir réglementé et organisé ». Vue sous cet angle, l’éducation est alors considérée en tant que processus de socialisation de l’individu qui conditionne le rôle et la place que celui-ci aura à emplir et à occuper dans la société. Ainsi, Marcel Mauss la définira-t-il comme étant « les efforts consciemment faits par les générations pour transmettre leurs traditions à une autre. Il attribue aussi ce nom à l’action que les anciens exercent sur les générations qui montent chaque année pour les façonner par rapport à eux-mêmes et secondairement, pour les adapter, elles, à leurs milieux social et physique ».
Dans le système capitaliste mondial, la société étant constituée de groupes à intérêts opposés, nous comprenons donc que la fonction de l’éducation doit être en relation avec l’orientation que lui donne le pouvoir. Une orientation qui n’est pas sans commune mesure avec les intérêts des classes dominantes de la société. Dans les sociétés dépendantes ou les oppositions entre les classes sont encore plus manifestes, le pouvoir d’État ne saurait rester indifférent à l’endroit de l’éducation. Aussi, nous demandons-nous quel est le rôle dominant que joue l’école dans ces pays qui n’ont pas les mêmes réalités sociales, ni connu le même processus historique d’évolution que ceux du centre? En d’autres termes, l’école sert-elle au développement socio-économique des sociétés dépendantes? Ou encore, contribue-t-elle à assurer la perpétuation des classes dominantes au pouvoir?
Pour répondre à ces interrogations, nous axerons notre analyse sur les objectifs du pouvoir d’État dans ses rapports avec l’éducation. À ce compte, nous suivrons le cheminement suivant :
Tout d’abord, nous chercherons, à travers des considérations autour de la notion d’État, à apprécier les bases du pouvoir d’État. Ces appréciations nous permettrons de mieux comprendre les forces qui régissent l’État et les mobiles qui le portent à exercer un certain contrôle sur les appareils culturels.
Une fois que nous aurons déterminé les mobiles qui portent l’État à exercer son contrôle sur les appareils culturels, il nous sera alors aisé d’identifier le rôle et la fonction que joue et exerce l’éducation dans la société.
Ensuite, nous pourrons analyser les effets récurrents du colonialisme dans les sociétés dépendantes, particulièrement en ce qui a trait aux comportements des classes dirigeantes dans l’organisation et l’orientation des systèmes éducatifs de leurs pays.
Enfin, nous insisterons notamment sur l’influence et le rôle des classes dominantes dans l’organisation et l’orientation des systèmes éducatifs et leurs conséquences pour l’ensemble de la société. Ce qui nous permettra alors de nous fixer quant au rôle et à la fonction effectifs de l’éducation dans les sociétés dépendantes.
Commençons tout de suite par apprécier les bases du pouvoir d’État :
1- LES BASES DU POUVOIR D’ETAT
Pour apprécier les bases du pouvoir d’État, nous chercherons à nous arrêter particulièrement sur des considérations autour de la notion d’État dont les mécanismes de fonctionnement expliquent les bases mêmes de son pouvoir. Nous éviterons donc de concentrer notre attention sur une définition du concept de pouvoir qui va nous renvoyer à la notion d’autorité et de commandement; ce qui est loin d’être l’objet de notre étude ici.
En effet, dans « l’État et la révolution », Lénine critique les idéologues bourgeois et petits-bourgeois qui, tout en reconnaissant que l’État n’existe que là où « existent les contradictions de classes et la lutte des classes », transforment la pensée de Marx en faisant passer l’État pour un organisme de conciliation de classes. Alors que pour Marx, l’État n’est autre chose qu’un organisme de domination et d’oppression d’une classe par une autre. Ce que, d’après Lénine, les idéologues bourgeois et petits-bourgeois refusent d’admettre. Pour ceux-ci, l’État est un organisme qui cherche à garantir l’ordre social par la conciliation des classes. Toutefois, Lénine pense qu’on ne peut concilier des classes sociales dont les intérêts sont opposés et contradictoires. Aussi, cet ordre social est-il un ordre social bourgeois qui raffermit les privilèges et la domination de la bourgeoisie au détriment des masses populaires. Les classes dominantes utilisent donc les services de l’État pour exploiter au maximum les masses populaires. Ainsi, les véritables centres du pouvoir d’État se trouvent-ils en dehors de l’État lui-même. Ils se concentrent particulièrement aux mains de ceux qui contrôlent et organisent les rapports de production à la base de l’accumulation du capital. Pour Lénine et les tenants du marxisme, l’État se révèle donc un instrument au service des classes dominantes de la société.
Dans le même ordre d’idées, Portelli, analysant le concept de société civile que Gramsci a interprétée comme étant le « complexe de la superstructure idéologique », signale que les rapports juridiques ainsi que les formes de l’État ont leurs racines dans les conditions d’existence matérielles. Il considère que les rapports économiques sont les véritables éléments décisifs dans une société. Pour appuyer ses réflexions, il cite Engels qui écrit que « l’État, l’ordre politique est l’élément subordonné, tandis que la société civile, le règne des rapports économiques, est l’élément décisif ». En ce qui a trait à la société civile, Portelli, à la lumière des considérations faites par Gramsci, l’apprécie sous trois aspects complémentaires:
D’abord, il considère la société civile en tant qu’idéologie de la classe dirigeante qui emorasse l’art, l’économie, le droit, la science et ensuite, en tant que conception du monde qui est diffusée à toutes les couches sociales. Enfin, comme direction idéologique de la société s’articulant en trois niveaux essentiels : l’idéologie proprement dite, la structure idéologique c’est-à-dire les organisations qui la créent et la diffusent et le matériel idéologique, c’est-à-dire les instruments techniques de diffusion de l’idéologie (système scolaire, mass media, bibliothèque etc.
Par ailleurs, Portelli considère que les différentes branches de l’idéologie, quoique d’apparence indépendante, constituent les diverses parties d’un même tout : la conception du monde de la classe fondamentale qu’il faut entendre comme étant la classe dominante de la société.
Poursuivant ses réflexions à la lumière des théories gramsciennes de la société civile, Portelli a trouve que Gramsci qui a oppose la société civile à la société politique au sein de la superstructure, a peu étudié cette dernière (la société politique) dans les QUADERNI. Toutefois, il a noté quelques définitions qui font considérer la société politique comme étant :
a) la fonction de domination directe ou de commandement qui s’exprime dans l’État ou le gouvernement juridique
b) un appareil coercitif pour amener les masses à se conformer au type de production et à l’économie d’un moment donné
c) un gouvernement politique considère en tant qu’appareil de coercition d’État qui assure « légalement » la discipline des groupes qui refusent leur accord tant actif que passif. Aussi, a-t-il constaté que la société politique regroupe l’ensemble des activités de la superstructure qui relèvent de la fonction de coercition. En ce sens, elle est considérée comme un prolongement de la société civile. Cette conception se retrouve dans le schéma gramscien où l’on peut relever que la conquête du pouvoir devient le parachèvement du contrôle de la société. La société politique ne joue alors qu’un rôle secondaire dans le système hégémonique, puisque l’appareil étatique qui assure la liaison entre la société politique et la société civile est organisée sur la base de l’orientation qui lui imprime la classe dominante. Ainsi, pouvons-nous considérer celle-ci comme étant les vrais centres du pouvoir de l’État.
O’Connor, pour sa part, ne croit pas que l’État soit au service d’une classe particulière. Il argumente sa position en alléguant que l’État capitaliste qui utilise sa force coercitive pour aider une classe à accumuler du capital aux dépens d’une autre, perd sa légitimité et mine ses bases de loyauté et d’appui. En même temps, il reconnaît qu’un État qui ignore l’importance de l’aide qu’il doit accorder au procès d’accumulation, risque d’assécher la source de son propre pouvoir, la capacité de l’économie à générer un surplus et des impôts, tirés de ce surplus et autres formes de capitaux.
L’argumentation de O’Connor ne peut être mieux explicite :
L’État de la société capitaliste doit son pouvoir grâce à l’aide qu’il accorde au procès d’accumulation. Ce qui implique que l’État agit particulièrement au bénéfice des classes dominantes de la société, puisque ce sont celles-ci qui organisent les mécanismes facilitant le procès d’accumulation du capital. Ces mécanismes mis en place dans la société, grâce à l’appui de l’État garant de l’ordre capitaliste, permettent, en effet, aux classes bourgeoises de mieux exploiter les classes populaires et d’exercer leur domination politique, économique, idéologique et culturelle.
Quant a Poulantzas, il reconnaît que l’État n’a pas à proprement parler du pouvoir. Toutefois, il constitue le centre du pouvoir de la classe dominante. Il affirme aussi que l’État n’est pas un instrument qui soit au service de la classe dominante. Il détient une autonomie relative qui lui permet d’assurer l’unité bourgeoise de la société. En abordant ainsi la question de l’État et du pouvoir d’État, Poulantzas semble rejoindre O’Connor qui, tout comme lui, reconnaît à l’État une certaine autonomie.
Toutefois, en admettant avec ces auteurs que, dans la société capitaliste moderne, l’État détient une certaine autonomie qui lui permet d’assurer l’unité bourgeoise de la société en atténuant les effets négatifs dus à des excès dans le procès d’accumulation du capital, nous sommes loin d’admettre que l’État capitaliste soit un organisme de conciliation sociale. En effet, dans les sociétés capitalistes avancés, l’État met en place des mécanismes pour atténuer les conflits de classes qui sont plus manifestes dans certaines sociétés dépendantes ou le pouvoir d’État s’identifie plus visiblement aux classes dominantes. Dans cet ordre d’idées, Jean-Pierre Cot et Jean-Pierre Mounier pensent que, pour mieux assurer le cadre d’un mode de production donné, l’appareil d’État fonctionne à la violence et à l’idéologie. Mais, notent les deux auteurs, l’appareil d’État ne peut se maintenir en s’appuyant uniquement sur la violence « Il doit donc camoufler sa nature, se poser en structure neutre, au-dessus des intérêts en présence, pour remplir avec efficacité sa fonction ».
L’expression de neutralité, utilisée par Cot et Mounier, traduit en quelque sorte, la notion d’autonomie relative de l’État que nous avons signalée un peu plus tôt. Mais, ceux-ci croient que cette autonomie relative n’est, en fait, qu’un masquage qui camoufle la réalité de la lutte des classes et, de ce fait, sert encore mieux les intérêts de la classe dominante. Cardoso et Faletto, analysant la situation de dépendance et la question de développement en Amérique latine, ne réfléchiront pas différemment. Ils affirment que « l’État exprime la domination d’une classe ou d’une alliance de classes sur d’autres. Mais, alors qu’il sert leurs intérêts sur lesquels il se fonde, il propose des mesures qui rendent vraisemblable la « généralité d’intérêts », et qu’il doit afficher s’il veut exister (peuple, égalité, nation) ».
Par ailleurs, Cardoso et Faletto notent que l’État des sociétés dépendantes, en dehors du fit qu’il sert les intérêts des classes dominantes nationales, ouvre aussi les portes des économies périphériques au capitalisme. Guillermo O’Donnell abonde dans le même sens. Il croit que si l’État, dans les sociétés dépendantes, a joué un rôle fondamental dans la création de la nation et l’unification de la société, il n’en demeure pas moins qu’il représente aussi un lien capital pour la diffusion interne de la domination néo-colonialiste et impérialiste. Une telle situation accentue la dépendance des pays périphériques vis-à-vis des pays du centre. Ce qui entraîne donc une aliénation du pouvoir de l’État ainsi que de son autonomie.
Enfin, nous pouvons dire que l’État, malgré sa relative autonomie, garantit un ordre social qui est celui de la bourgeoisie de la société capitaliste. De ce fait, il constitue le centre d’un pouvoir qui se situe en dehors de l’appareil étatique lui-même. Aussi, l’ensemble des appareils culturels sert-il à véhiculer l’idéologie des classes dominantes nationales qui se font les relais de la société capitaliste mondiale, de manière à maintenir et à perpétuer leur hégémonie culturelle, économique et politique.
Maintenant que nous venons d’apprécier les bases du pouvoir de l’État, nous allons, à présent, considérer pourquoi ce dernier cherche-t-il à exercer un certain contrôle sur les appareils culturels.
2-L’ETAT ET LE CONTRÔLE DES APPAREILS CULTURELS
Parler du contrôle des appareils culturels nous fait tout de suite penser aux mécanismes de reproduction sociale existant ou mis en place dans la société. Pour assurer celle-ci, il note que l’éducation ne saurait être neutre. L’école ne saurait donc assurer la mobilité sociale à tous.
Aussi, en dehors des mass media, l’école est-elle l’endroit tout désigné pour réaliser cette diffusion et aussi accomplir cette fonction de socialisation de l’individu. Dans cet ordre d’idées, nous pouvons comprendre la position de Cot et Mounier quand ils disent que « Pour durer, un système social doit former son personnel, pourvoir aux rôles sociaux qui le composent. Il doit inculquer aux individus les valeurs, attitudes et orientations qui leur permettront de tenir leur rôle politique ». D’où les intérêts que porte l’État à exercer son contrôle sur les appareils culturels et tout particulièrement sur le système éducatif qui assure la formation de nouveaux cadres dont les classes dominantes ont besoin pour perpétuer et maintenir leur domination sociale, culturelle, idéologique, économique et politique.
De son côté, Jacky BEILLEROT, reprenant la vue d’Althusser sur la question des appareils idéologiques d’État, allègue que « l’État capitaliste utilise pour maintenir et perpétuer son pouvoir deux réseaux ou deux appareils : d’une part la répressif (police, justice, armée), d’autre part l’idéologique (le culturel, l’école) ». Il explicite son point de vue en insistant sur le rôle prépondérant joué par l’école dans le maintien, la reproduction de la domination de la bourgeoisie à travers tout en justificatif culturel, humaniste donc idéologique. Par ailleurs, Béillerot ne résiste pas à l’idée de considérer l’État comme étant le gestionnaire No 1 du savoir. Celui-ci ne le laisse pas accroître à son gré dans des horizons divers. Il dispose, en conséquence, de tout un ensemble de dispositifs pour « l’entretenir, l’orienter, le diffuser, le contrôler, le restreindre (le savoir est parcellisé, multiplié. À chacun son morceau de savoir utile, décidé par l’État ».
Karl Marx et Friedrich Engels, pour leur part, étudiant la question de l’éducation et de l’enseignement dans les sociétés capitalistes, allèguent que « tout le système d’enseignement de la société capitaliste repose sur le rationalisme bourgeois ». Ils croient, en effet, que l’éducation offre relativement peu de chance de mobilité sociale dans une société de classes ou le pouvoir politique est contrôlé par une bourgeoisie qui dicte ses normes et règles de conduite aux masses populaires. Pour Marx et Engels, l’origine sociale des individus joue un rôle important dans leur mobilité sociale que Claude Larivière définit comme étant « un changement fonctionnel dans la position sociale d’un individu (mobilité verticale) ou d’un groupe (mobilité collective). Elle opère soit à l’intérieur d’une génération ou entre générations. Dans ce dernier cas, elle peut se mesurer par la possibilité pour un individu d’avoir un statut différent de sa famille d’origine ou pour une partie d’un groupe de passer d’un métier, d’un secteur économique ou d’un niveau social à un autre ». Ceci nous fait donc comprendre qu’il peut exister à l’intérieur du système éducatif des mécanismes qui contrôlent cette mobilité de manière à ne pas mettre en cause la stabilité du système social. Ainsi, l’école remplit-elle une fonction idéologique assez importante et qui permet d’assurer le maintien et la perpétuation des classes dominantes au pouvoir. D’où le contrôle de l’État sur les activités éducatives de manière à garantir la légitimité de son pouvoir.
Dans les sociétés dépendantes où il existe une situation sociale plus tendue, le contrôle exercé par le pouvoir politique se révèle encore plus grand. Du fait d’un trop grand écart entre les conditions de vie des masses populaires et celles des classes dominantes qui risque de faire éclater à tout moment l’ordre social bourgeois, l’État des sociétés dépendantes, caractérisé généralement par son côté militariste et autoritaire, exerce son contrôle sur tout ce qui constitue des appareils de diffusion idéologique, particulièrement, l’école, les mass media etc. de manière à leur imprimer son orientation propre. Ces disparités entre les classes sociales et le rôle fondamental joué par l’État pour sauvegarder l’ordre économique capitaliste, ne semblent pas sans relation avec les effets récurrents du colonialisme sur les classes dirigeantes. En effet, celles-ci ont hérité du colonialisme certaines normes, des valeurs culturelles et des règles de conduite qu’elles semblent toujours garder, en dépit des divers processus historiques qui les ont marquées. Aussi, allons-nous apprécier, tout de suite, quels en sont les effets les plus manifestes du colonialisme sur les classes dirigeantes.
3-L’ÉDUCATION ET LES EFFETS RÉCURRENTS DU COLONIALISME
Pour maintenir l’ordre colonial dans les nations soumises, les peuples conquérants s’appuyaient particulièrement sur deux facteurs, la force des armes et l’éducation (plus spécialement l’éducation religieuse). Nous nous rappelons l’histoire de Christophe Colomb débarquant en Amérique, tenant une croix dans une main et son épée dans l’autre. Par la suite, les indigènes qui refusèrent de se laisser « civilisés » par les conquérants devaient mourir par milliers.
Après leur accession à l’indépendance, les pays en développement ont hérité d’une structure politico-administrative qu’ils n’auront pas grandement changée et qui rappelle « l’indirect rule » (*) des anglais. Pour reconstruire leurs pays, les nouveaux dirigeants ont dû faire appel aux anciens colons restés sur place et qui constituaient avec les quelques autochtones préalablement formés dans les écoles européennes, les cadres les mieux préparés. Alors bon nombre d’anciens colons s’étaient vu confier la tâche de préparer les nouveaux cadres dont les pays indépendants avaient besoin.
(*) « Indirect Rule » qui se traduit en français par l’administration indirecte consistait particulièrement à utiliser pour administrer les colonies des autochtones dont l’allégeance à la couronne d’Angleterre ne faisait aucun doute.
En Afrique francophone tout comme en Amérique latine, les nouvelles générations de dirigeants étaient particulièrement issues des écoles catholiques organisées par les diverses congrégations religieuses. Celles-ci ont donc joué et jouent de nos jours un rôle prépondérant dans l’organisation des systèmes éducatifs des pays dépendants. Il en ressort que les systèmes d’enseignements dans les sociétés en développement, sont le reflet des modèles d’enseignement européens. À ce propos Pierre Erny, analysant les systèmes d’enseignement dans les pays pauvres, a fait état de trois constatations qu’il présente en terme d’argumentation :
a) En premier lieu, il considère les systèmes d’enseignement actuel comme une sorte de dilatation des systèmes coloniaux. Pourvoyeurs de l’impérialisme culturel, ils constituent à l’égard des sociétés ou ils sont implantés, une forme d’agression provocant désorganisation et conflits.
b) En deuxième lieu, il pense que l’école organisée suivant des modèles étrangers, devient trop coûteuse pour les États pauvres. Ce qui entrave la généralisation de l’enseignement.
c) Enfin, il allègue que l’école favorise une promotion individuelle et la mise en place de classes privilégiées, de bourgeoisies administratives, voire de groupes nettement parasitaires.
En effet, les argumentations de Erny se révèlent, on ne peut plus, pertinentes. Les sociétés en développement portent encore l’empreinte du colonialisme. Dans leur grande majorité, elles évoluent toujours dans un contexte de domination étrangère. Leurs systèmes d’enseignement qui sont souvent le reflet des modèles étrangers, contribuent relativement peu à leur développement socio-économique. Aussi, assistons-nous d’une part à une acculturation de plus en plus grande des classes dominantes nationales qui se détachent petit à petit des valeurs autochtones jusqu’à manifester un certain mépris à leur égard, d’autre part à une augmentation chaque jour plus élevée du nombre des analphabètes restés attachés aux valeurs traditionelles; ceux-ci constituent souvent la majorité de la population. Alors est née une situation dichotomique qui met en relation des valeurs traditionnelles locales et des valeurs culturelles étrangères ayant acquis un statut privilégié par l’entremise des classes dominantes de la société. Celles-ci disposent, d’ailleurs, d’un ensemble de réseaux (l’école, les mass media etc.) pour imposer à l’ensemble de la population tout un système de valeurs qui sont à la base de leur domination culturelle appelée à justifier et à légitimer leur domination sociale, économique et politique.
Tout ceci montre que les classes dominantes locales jouent un rôle particulièrement important dans l’évolution des sociétés dépendantes. Ce rôle, nous allons l’apprécier de plus près.
4-L’INFLUENCE ET LE RÔLE DES CLASSES DOMINANTES
Nous venons de relater que le colonialisme a profondément marqué les sociétés dépendantes. En effet, celles-ci (à part de rares exceptions : Cuba en Amérique Latine et, très rarement, le Nicaragua, ou encore quelques rares pays en Afrique etc.), n’ont pas connu, à travers le temps, des transformations fondamentales. Leurs classes dirigeantes restent attachés aux valeurs culturelles étrangères et modèlent le développement social et économique de leur pays sur celui des États avancés de la société capitaliste mondiale. Celles-ci créent et assurent les conditions structucturelles à l’expansion du capitalisme au détriment de tout développement national. Les sociétés en développement subissent alors une double domination : une domination étrangère qui cherche à s’imposer soit directement ou indirectement par le truchement des organismes internationaux (Unesco, FMI, AID, BID, ONUDI, OCDE etc.) et une domination interne qui s’exerce à travers les structures nationales existantes et qui, souvent, prend la forme d’un véritable néo-colonialisme interne.
Les classes dirigeantes des sociétés dépendantes pour n’avoir pas su rompre les circuits coloniaux en vue de permettre à leurs pays de trouver leurs propres voies de développement, deviennent ainsi les vassales de la société capitaliste mondiale. Cette dernière trouve en l’école et les mass média qui servent à la diffusion de l’idéologie des classes dominantes des instruments tout désignés pour exercer sa domination culturelle.
Pour Martin Carnoy, les ex-pays colonisés, en modelant leurs systèmes éducatifs sur ceux des européens ou des États-Unis d’Amérique, ont eux-mêmes crées une situation qui entrave leur auto-développement. Selon lui, une fois indépendants, ces pays auraient dû organiser et orienter leurs systèmes éducatifs de manière à assurer une revalorisation de leur culture nationale ainsi que leur développement social et économique. Malheureusement les classes dominantes nationales restées grandement attachées aux normes et valeurs culturelles européennes ou nord-américaines, n’ont pas jugé nécessaire d’apporter des changements significatifs dans les systèmes d’enseignement. Aussi, les livres d’histoire, après l’indépendance, n’ont-ils fait que traduire leurs propres interprétations des divers faits historiques. Ce qui n’est pas sans conséquence sur la formation des générations montantes.
Par ailleurs, Carnoy, analysant la fonction de l’école dans le cadre de la théorie de dépendance, affirme que l’école ne peut apporter des transformations notables dans un système social qui évolue toujours dans un contexte de dépendance par rapport à d’autres. Toutefois, en attribuant à l’école une certaine autonomie, il croit que celle-ci, malgré ses fonctions premières de sélection et de socialisation, peut produire des individus qui ne sont pas seulement des agents de changement à l’intérieur du système éducatif, mais aussi des agents qui désirent briser la situation de dépendance dans laquelle vit l’ensemble de la population. Souvent ces agents de changement viennent particulièrement des classes moyennes dont les stratégies consistent notamment à s’appuyer sur la défense de la culture nationale ou endogène pour élaborer leur projet de société.
Pour réussir à briser cette situation de dépendance, les classes moyennes en alliance avec les masses populaires sont toutefois obligées de sortir du cadre de l’éducation en vue de mener leur combat sur un terrain plus vaste qui est celui de la politique. Car le système éducatif n’est que le reflet d’un système social tel que désiré par le pouvoir politique. C’est pourquoi, d’ailleurs, l’État des sociétés dépendantes, gardien de l’ordre économique de la société capitaliste, met-il en place les structures nécessaires pour faciliter cette double fonction de l’éducation qui est celle de contribuer au maintien et à la reproduction des classes dominantes ainsi qu’à la diffusion de l’idéologie capitaliste à l’ensemble de la société.
CONCLUSION
Les classes dominantes des sociétés dépendantes exercent, par l’entremise du pouvoir d’État un rôle important dans l’organisation et l’orientation des systèmes éducatifs, de même que dans la pénétration des idéologies des normes et valeurs culturelles des sociétés capitalistes dans leurs pays. Dans les pays dépendants ou les conditions socio-économiques sont particulièrement critiques pour la majorité de la population, l’éducation devrait être organisée de manière à y apporter des changements sociaux, économiques et politiques. Malheureusement, elle sert, de préférence, à accélérer le processus de capitalisation qui assure l’hégémonie des classes dominantes nationales et de celles des sociétés capitalistes mondiales. De plus, les modèles d’enseignement adoptés par les classes dominantes nationales, en se révélant peu appropriés aux besoins de développement social et économique des sociétés dépendantes, créent une situation préoccupante pour ces dernières qui sont censés préparer des cadres particulièrement pour les pays du centre qui se voient pourvus en personnels formés sans avoir à investir dans leur formation.
Dans les sociétés dépendantes ou les intérêts des classes dominantes par rapport à ceux des masses populaires sont manifestement opposés, l’éducation apparaît donc comme un véritable enjeu social. Aussi y existe-t-il une véritable lutte ouverte ou larvée pour le contrôle des appareils culturels de manière à les orienter suivant les intérêts particuliers de l’une ou l’autre des classes sociales qui sont en confrontation. Cette bataille engagée pour le savoir est une bataille engagée contre l’État pense Béillerot qui croit «qu’il ne s’agit pas du seul contenu apparent, objectif du savoir : il s’agit indissociablement du savoir, procès et contenu ». En effet, l’éducation joue un rôle important dans toute formation sociale. C’est pourquoi, l’une des premières mesures prises par tout gouvernement révolutionnaire est la restructuration complète du système éducatif de manière à l’adapter à leurs projets de société.
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