vendredi 11 avril 2008

Dialogue sur le Vodou

Docteur Carlson : Pourquoi vous avez étudié le vodou à partir de Dahomé? Pourquoi le Dahomé?

Pierre Eddy : Pour étudier l’homme haïtien, je veux partir de l’une des institutions haïtiennes, le vodou. Le vodou symbole religieux. Le symbole religieux est une totalité. J’ai remarqué alors qu’il manquait de maillons dans les traditions connues à partir d’Haïti. En mon sens, le principal maillon se trouve en Afrique. De quels symboles sociaux les nègres du 19ieme siècle sont-ils partis pour créer le vodou haïtien? Exemple : l’immolation des chiens au loa Mondor. Un loa Congo. Pour certains, origine Dahoméenne. Or, en fait, cela n’a rien à voir avec les traditions Fon (Dahomé). Les Dahoméens n’ont pas été seulement un peuple guerrier, en arrivant en Haïti, ils ont imposé leurs traditions. Toussaint Louverture, par exemple, est Arada. Le système politique, religieux, familial, éducationnel a une grande importance pour lui. Il a d’ailleurs un nom acculturé. Il aurait dû s’appeler de Guénou-garou, terrible guerrier! Le génie d’organisation des Dahoméens a été exploité même par les français qui les ont mis comme fonctionnaires un peu partout. Et je crois même que la crise sociale du Dahomé est une espèce de crise de « management ». En tous cas, il y a eu des modifications dans les traditions haïtiennes… Je veux donc étudier le rituel Dahoméen. Le rituel Haïtien a été bien conservé. Métraux et Herkovit en témoignent. Je pourrais donc par après, faire la monographie comparative entre les deux rituels. D’où mon prochain travail : « D’A Rada – Haïti : phénomènes de migration de la religion des Fons en Haïti ». Il faut étudier le rituel et non les mythes. Récits qui véhiculent la théologie vodou. Pourquoi? Parce-que les mythes ont été mal conservés. Exemple : les mythes haïtiens comme celui d’ougou férraille, ont été plus ou moins réinventés. C’est le phénomène du ré-emploi des éléments pour l’histoire des loas dans le panthéon haïtien « d’ailleurs, c’est peut-être là aussi le génie créateur ou en tous cas, l’un des traits du génie créateur des haïtiens ». Exemple, pourquoi Déssalines et McHandal sont-ils loas dans le vodou? Pourquoi ne pas avoir choisi un autre personnage historique Dahoméen? La réponse vient du génie Dahoméen lui-même : il faut être fonctionnel, comme on dirait de nos jours… Le génie Fon avait créé, ce qui ne frappe l’ethnographe, mais l’ethnologue. J’étudierai le rituel haïtien plus tard.

Docteur Carlson : N’est-il par curieux pour le moins, de voir un scientifique haïtien étudier le vodou, à cause de certains relents superstitieux et anti-superstitieux?

Pierre Eddy : Je crois que cela peut-être une surprise pour les Chrétiens haïtiens. Et à cela deux réactions possibles. : A) « ce scientifique là, ces gens là… » étudie le vodou pour mieux le détruire. J’embrasse mon énnemi pour mieux l’étouffer? On veut connaître le Houngan pour mieux l’exterminer. Remarquez, j’ai rencontré cette même réaction au Dahomé quand je faisais ma recherche. B) on ne voulait pas me voir là parce-que j’étais scientifique. J’étudie le vodou en scientifique et il y a un apport pour Haïti.

Docteur Carlson : On est là où on peut servir le mieux.

Pierre Eddy : C’est entendu je crois rendre un service scientifique à la communauté haïtienne. Mon expérience est-elle appelée à vivre longtemps? Le tout est une affaire de service, peut-être.

Docteur Carlson : Quelles sont à votre avis, les interférences du vodou et de la religion?

Pierre Eddy : C’est le phénomène du synchrétisme. Le vodou est une religion, donc un système. Qui dit système dit totalité. Système qui permet en tous cas, au moyen de symboles et de mythes, à l’homme haïtien de résoudre ses problèmes dans son milieu physique et social. Le vodou a la vertu de digérer tous les éléments symboliques et même ceux de la religion catholique et de les intégrer dans son système pour s’enrichir. Il y a lieu de parler moins d’interférences que d’enrichissement et d’acculturation. Qu’est-ce que la religion en effet, sinon un système de représentations symboliques. Autre chose est la Foi. La Foi en Jésus Christ, par exemple, qui est adhésion personnelle à une autre personne. Donc, autre chose, les symboles, autre chose la foi. Si le vodou ne peut pas digérer la foi, par contre, il peut allègrement digérer les symboles de la religion catholique. Et voilà pourquoi, il n’y aura jamais de conversion totale du vodouisant au catholicisme si conversion veut dire abandon pur et simple de certains symboles. Pour ce qui a trait à la première partie de votre question concernant la Foi Chrétienne. La Foi Chrétienne, comme je l’ai déjà dit est adhésion à Jésus Christ. L’évangélisation sera l’annonce de cette Foi. Il faudra peut-être penser à un ré-emploi des symboles vodou en fonction de Jésus Christ et non en fonction des loas. À l’haïtien de trouver des symboles « modes d’expression ». C’est la perpétuelle question du rapport du signifiant « symbole » avec le signifié « Foi » d’où refus de conversion quand c’est vrai, ces conversions n’engagent l’être qu’à un seul niveau.

Docteur Carlson : Mais qu’est-ce que le fait de la conversion à Jésus Christ, en utilisant les symboles du vodou n’est pas un mythe (sens moderne)?

Pierre Eddy : En fait, tout symbole est un mode d’expression. Il devra à voir une nouvelle charge en fonction de Jésus Christ.

Docteur Carlson : N’a-t-on pas trop confondu, d’après-vous, symbole et Foi?
Pierre Eddy : L’ignorance théologique, biblique, voire l’ignorance des sciences humaines, ont amené les évangélisateurs à confondre le problème de l’adhésion d’une personne à une autre personne (démarche de la Foi Chrétienne, démarche libre) avec l’activité symbolique qui exprime ce don. Au fond, les changements actuels dans l’église catholique qui apparaissent tellement graves, pourraient n’être que des changements de traditions symboliques, qu’on voulait confondre avec des changements de Foi.

Docteur Carlson : Peut-on faire la comparaison entre Theillard de Chardin et vous? Serait-ce le même itinéraire?

Pierre Eddy
: Personnellement, Theillard m’a beaucoup marqué, comme l’homme qui a essayé de faire l’unité entre son activité professionnelle et sa Foi de Chrétien. C’est peut-être aussi mon cas. Mais je pense quand même m’éloigner de Theillard parce-que je veux séparer recherche scientifique et activité vodou.

Docteur Carlson : Vous ne « produisez » pas de la théologie?

Pierre Eddy : Je ne veux pas. Cependant, ma production n’est pas totalement étrangère à la théologie. Le pont : l’herméneutique (instrument de lecture de l’activité religieuse, de tel ou tel peuple) qui me permet d’appréhender la théologie du vodouisant. La théologie de l’ancien testament de Von Rad ainsi que les travaux de Ricoeur m’ont énormément aidé. Même sur le plan ethnologique. Également, Claude Levi-Strauss avec le « structuralisme » qui permet une coupe transversale du phénomène religieux. Von Rad donne davantage une coupe transversale. Je me sépare encore de Theillard d’un autre côté. Pour moi, pas d’immixion des catégories Chrétiennes dans mon activité scientifique, mais enrichissement des catégories Chrétiennes et à partir du travail vodouisant. D’ailleurs, c’est de cette manière qu’on pourra parler d’une théologie nègre.

Docteur Carlson : Vos travaux sont-ils déjà publiées?

Pierre Eddy : Deux déjà, j’ai beaucoup d’autres en chantier. Tout d’abord le rituel Dahoméen. Cela demande, études du système Dahoméen, d’où études du panthéon vodou, de son système social, politique, sexuel, familial, économique… Tout l’homme par un seul point, quoi? Toujours la totalité. Puis, le mythe de la fondation D’A Rada qui est une ethnologie comparative (Dahomé-Haïti) d’où étude du culte des jumeaux d’A Rada. Problème des arbres et des objets sacrés. Le panthéon Fon. L’initiation dans la religion des fons. Le calendrier Fon. Par exemple, faites de l’igname, le tédoudou « sud d’Haïti », ou le doudou Mil que nous n’avons pas en Haïti, puis le rituel haïtien.

Docteur Carlson
-Comment expliquez-vous le discours lubrique des guédés ?

Pierre Eddy C. :
- Le discours lubrique et la danse érotique des guédés rendent compte de l’intime liaison de la mort et de la sexualité. Par leur exaltation érotique les vivants transmettent leur énergie vitale aux esprits morts. L’échange symbolique s’articule à ce don énergétique et les esprits transforment cette énergie en énergie divine qu’ils rendent en fertilisant la vie. Comme dans le sacrifice, les échanges cérémoniels destinés aux guédés, manifestent la vie jusque dans la mort.


Docteur Carlson
-Comment le vodouisant voit-il la mort ?

Pierre Eddy C. :
- La mort chez le vaudouisant c’est la perte du corps et le déplacement de la personne vers un autre ordre de vie, la mort c’est le passage au monde spirituel et les cérémonies funéraires sont très complexes à cause de l’importance de ce passage pour le défunt et du lien que les vivants tissent avec lui et qui les gardera unis. Le rite du « désounen » vise à libérer le « gwo-bon-nanj » du « kadave-ko » et à la suite d’un séjour d’un an et un jour dans l’eau, le rite du « wete mo nan d’lo » le récupère : il a pour but de sanctionner l’achèvement de la transformation intervenue dans l’eau mythique et d’introniser le nouvel être sublimé (métaphysiquement) dans le temps où il va entretenir des relations d’une autre forme avec tous les fidèles qui sont affiliés.


Docteur Carlson :
-Je vous ai vu en conférence, j’ai lu votre livre et vos articles sur le vodou et vous m’impressionnez. En fait, qu’est-ce que le vodou, et le pensez-vous comme Johanne Tremblay?

Pierre Eddy C. :
- En effet, pour Johanne et moi le vodou est une expérience érotique où la transgression de l’interdit (sacrifice, boire de l’alcool pimenté, manger du verre, grimper au poteau mitan (poteau central du temple vodou), tenir un langage lubrique, etc. en situation de transe) permet d’éprouver son pouvoir et jouissance qui est un pouvoir de vitalité et de fertilité. Cette expérience de la transgression est réussie si elle maintient l’interdit pour en jouir. CE pouvoir de jouissance qui en résulte, c’est en fait l’expérience de la relation entre le désir et l’effroi et le plaisir intense et l’angoisse. Le vodou a ses lieux d’initiation qui permettent de pousser les limites de la transgression toujours un peu plus loin.

Docteur Carlson:
-Quelle définition vous donnez à la maladie attribuée à l’action des loas (dieux) ?

Pierre Eddy C. :
- Les maladies attribuées à l’action des loas le sont lorsqu’une personne ne donne pas à manger à ses loas, n’accomplit pas les rites du « désounen » ou du « wete mo nan d’lo », refuse de s’initier alors que les loas le réclament ou lorsqu’elle ne veut pas se marier avec un loa qui lui aurait fait cette demande. Les vodouisants connaissent très bien les règles de l’échange symbolique. S’ils allument une chandelle un mardi ou un jeudi et s’adressent à Freda ou Dantor pour leur donner de l’aide, ils savent qu’au moment où cette chose leur est accordée, ils se retrouvent en dette vis-à-vis d’eux. Dans une famille une personne est désignée par les loas pour les « ramasser », c’est-à-dire pour prendre en charge les échanges cérémoniels. Si elle refuse par manque d’argent ou de conviction ou par crainte de s’engager plus à fond dans la pratique religieuse, les loas de la famille vont tôt ou tard se fâcher en diminuant sa force vitale (maladie) ou sa force de fécondité (mortalité infantile, perte d’argent, etc). C’est une conviction toute silencieuse mais profonde chez les vodouisants : l’asymétrie des échanges est un jour ou l’autre condamnable.

Docteur Colson :
- Vous faites souvent une différence entre le chaud et le froid dans votre livre.

Pierre Eddy C. :
- Le feu est un attribut du loa Pétro. En état de transe, une personne à l’intérieur d’un rite Pétro, peut marcher dans le feu sans se blesser. L’état de transe permet à la personne d’incorporer les attributs du loa Pétro qui la chevauche et ainsi faire de l’élément de feu son homonyme.

Docteur Colson :
- Puisque vous parlez de loa Pétro, que savez-vous des san pwèl, des bizango et des zobop ? Font-ils partie du vodou haïtien ?

Pierre Eddy C. :
- Pour parodier Tremblay J., ceux là sont des groupes anomiques. Ils se vivent sur la bordure et par cela ils sont les lieux premiers d’initiation des oungans et des mambo en Haiïti. Leur savoir et le pouvoir de jouissance qui se forment dans l’expérience de cette bordure produisent de la fascination et de la crainte à l’égard de ces initiés.

Docteur Colson :
- Sont-ils réels les loup-garous ?


Pierre Eddy C. :
- Ils sont bien réels ces bandes d’hommes et de femmes qui se transforment en molécules. Elles sont bien réelles ces hordes d’humains qui se multiplient dans cet espace social en état de belligérance.

Docteur Colson :
- C’est quoi avoir des points ?

Pierre Eddy C. :
- Les points sont des pouvoirs magiques donnés par des « loas achetés » que l’on paie très cher. Un point est un acte que l’on fait avec un loa Pétro. Par ce pacte la personne s’insère dans un rapport d’alliance avec ces puissances magiques et religieuses.


Docteur Colson :
- Pourquoi considère-t-on le vodou comme une sorte de syncrétisme religieux ?

Pierre Eddy C. :
- Ce phénomène de possession n’a rien de pathologique, rien de diabolique encore moins de honteux. C’est plutôt comme l’a montré R. Bastide, l’expérience de l’organisation du réel et de ses liaisons mystiques t la dialectisation d’une situation sociale. Car l’univers des esprits dont le panthéon récapitule tous les éléments de la nature et toutes les activités de paysan haïtien est un langage symbolique, régulateur et harmonisateur des rapports entre les phénomènes naturels et culturels. C’est en ce sens que le vodou se présente comme un système cohérent capable d’assimiler les rapports extérieurs ; une sorte de syncrétisme religieux. De fait le vodou a fait des saints catholiques des symboles ou les supports des loas, il a accommodé son calendrier de fêtes au calendrier catholique, il a réinterprété les rites et les sacrements catholiques sur la base de ses propres croyances comme symbole de purification et de protection. Pour bien comprendre ce syncrétisme, il faut le situer dans son contexte historique : d’abord, le baptême forcé des esclaves, ensuite la présence dans les pays, après l’indépendance de pseudos prêtres catholiques qui faisaient de la distribution généreuse des sacrements un gagne pain, enfin, en 1860, la signature d’un concordat entre l’État et le Vatican établissant une chrétienté toute faite en Haïti.



Docteur Colson:
- Parlez moi du rapport de l’Église et le vodou.

Pierre Eddy C. :
- L’Église est restée, pour les masses paysannes une organisation officielle parallèle à celle de l’État, une puissance à côté de multiples puissances qui s’appesantissent sur elle. Son attitude vis-à-vis du vodou a été grandement persécutée. La campagne anti-superstition des années 1961-62 en est la preuve. Qu’en est-il maintenant ? Là où elle ne méprise pas le vodou en le regardant comme signe de primitivisme, de non civilisation ou de culte de Satan, elle l’ignore tout court. Là où elle cherche à adapter un tant soit peu de chrétienisme à la mentalité du pays, elle n’ose pas mettre en question les structures de chrétienté proprement médiévale dont on voit mal le rapport avec les masses haïtiennes. Autrement dit, ces masses ne sont pas encore sorties de la répression culturelle et religieuse. La littérature haïtienne a souvent été surtout depuis le dernier demi-siècle et pendant l’occupation Américaine, une protestation massive contre la persécution subie par le vodou et, en même temps une volonté de voir le vodou le lien par excellence du dévoilement de l’humanité. Mais faut-il en rester à une survalorisation de faire comme si la culture était située derrière nous dans un passé dont la reconnaissance amènerait magiquement la solution de nos problèmes.

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