À côté de la veille, la vie humaine comporte le sommeil, et celui-ci, parfois à son début ou vers son terme, parfois au moment même où il est le plus profond, se peuple d’images qui s’enchaînent, se combinent et semblent former un tout : c’est le rêve.
Ces rêves hypnagogiques, les rêves du sommeil léger ou du sommeil profond, peuvent-ils être distingués de l’état de veille? On connaît la boutade de Pascal : «Nul ne sait, hors la foi, s’il veille ou s’il dort». Et Spencer affirme : « Ce qu’un sauvage connaît en rêve est juste aussi réel pour lui que ce qu’il voit quand il est éveillé». (Spencer et Gillen, cités par Lévy-Bruhl, Fonctions mentales dans les sociétés inférieures, 55).
Est-ce vrai? Durant le sommeil évidemment, l’illusion est complète; mais durant la veille bien des caractères peuvent nous aider à faire la distinction.
L’analyse que nous allons en faire montrera que les différences et même les rapports qui existent entre la veille et le rêve et le rêve peuvent aider à établir cette distinction.
I. La veille et le rêve : opposition.
A. Pour que la comparaison ait une base, il faut partir d’exemples vivants et concrets. En ce qui concerne la veille : je suis par exemple dans telle station balnéaire ou estivale, je rencontre tel ami, j’admire tel site, je décide de faire telle excursion. Ou encore : la succession des divers actes d’une de mes journées d’étudiant.
Pour le rêve, tel exemple qui peut m’être personnel, ou de ceux signalés par Maury ou Freud. Celui où la chute d’un ciel de lit sur la tête du dormeur déclenche une série de scènes se rapportant à la Terreur et aboutissant au couperet de la guillotine. Ou cet autre dans lequel, d’un pèlerinage à Jérusalem, il passe chez M. Pelletier, chimiste à Paris, qui lui fait don d’une pelle marchant sur une route et lisant des bornes kilométrique, il est brusquement transporté sur une balance où s’accumulent des kilos dans l’Île de Gilolo, et, après divers épisodes se rapportant à la fleur de Lobélia et au général Lopez, il se réveille faisant une partie de loto (MAURY, Le sommeil et les rêves, p.137-138 et 151).
B. Ces quelques exemples permettent de distinguer dans le rêve les caractères suivants :
a) Les représentations se manifestent souvent imprécises et floues, très vives, mais avec des contours vagues, ce qui facilite les associations et des combinaisons parfois inattendues.
b) L’enchaînement des faits apparaît souvent désordonné et sans suite logique; mais il est à noter que cette incohérence n’est souvent qu’apparente, les images étant dirigées par les lois de l’association et la logique des tendances : les exemples de Maury font ressortir le premier facteur, les exemples de Freud mettent en lumière le second.
Mais, dans un cas comme dans l’autre, le lien d’enchaînement se fait d’une façon qui heurte souvent le sens de la réalité.
c) Cette désadaptation par rapport au réel apparaît plus encore en ceci : l’absence à peu près totale des notions de temps et de lieu : on passe sans transition d’un bout du monde à l’autre; des évènements se déroulent, dont la durée dépasse celle d’une nuit; et si l’on en croit certains exemples ce déroulement ne prendrait que quelques instants et se ferait à une vitesse vertigineuse.
d) Les impressions sont souvent grossies et déformées par rapport à leur origine : une piqûre d’épingle devient un coup d’épée; on rêve à un bain rafraîchissant, et c’est l’air frais du matin qui a envahi la chambre.
e) Enfin ces images sont hallucinatoires, et, si invraisemblables qu’elles soient, elles sont immédiatement objectivées par la conscience du seul sujet sans le contrôle des sens, de la mémoire et de l’esprit coordonnées entre eux.
La rêverie, d’ailleurs, celle de Perrette par exemple, se présente déjà avec les mêmes caractères, mais atténués et limités par une certaine censure des sens externes et de l’esprit.
C. Au contraire, la perception et autres éléments de la veille se présentent comme.
a) précis et de contours plus nets;
b) coordonnée entre eux et se déroulant souvent en une suite qu’on constate;
c) en tenant compte des contingences de lieu et de temps;
d) proportionnés aux excitations et autres causes qui les provoquent;
e) le tout cohérent qu’ils constituent s’objective sous le contrôle de mes facultés diverses et en accord avec mes semblables.
Il est donc aisé déjà d’établir une distinction; un autre aspect de l’analyse vient encore la renforcer.
II. Le veille et le rêve : relations.
Il importe, en effet, de faire trois remarques :
A. La perception ne suppose nullement le rêve et n’en a pas besoin, tandis que le rêve suppose des éléments de l’état de veille : perception antérieure ou concomitante, qu’il réforme, préoccupation, tendances.
B. L’état de veille, du moins normalement, connaît le rêve en tant que tel et le distingue de lui (c’est une constatation psychologique), tandis que le vrai rêve ne connaît pas l’état de veille, en tant que distinct de lui-même.
C. Enfin, il y a entre les deux états un passage généralement observable et connu par l’état de veille : soit transition lente (états hypnagogiques), soit un réveil brusque.
CONCLUSION : Veille et rêve; distinction.
Cette double analyse amène donc aisément à reconnaître.
Dans la veille : un état normal et premier, dans lequel nos représentations cohérentes et coordonnées correspondent à des objets réels, et tous nos états sont contrôlés par l’attention et gouvernés par la volonté
Ainsi s’obtient la conscience nette et le sens du réel.
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