PLAISIR ET DOULEUR. TENDANCES
C’est quoi la conception du primat de l’activité dans la vie psychique de l’homme?
Introduction
La philosophie moderne issue de Descartes, penseur féru des « idées claires et distinctes », fut foncièrement intellectualiste : ce sont les opérations intellectuelles qui retinrent le plus l’attention des psychologues (rappelons-nous les multiples « Essais sur l’Entendement »); par suite, sauf quelques écrivains moralistes plus hommes qu’hommes de leur temps – tel Pascal, qui avouait que « le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas » - , les philosophes de cette époque trouvent l’explication essentielle de la vie intérieure de l’homme dans l’intelligence ou la raison.
La période contemporaine marque une forte réaction contre l’intellectualisme classique. Un courant de pensée parti de Rousseau, continué par les romantiques, a mis en relief l’importance de l’affectivité.
Que doit-on penser de cette conception? Faut-il admettre le primat de l’affectivité dans la vie psychique de l’homme?
I. La primauté de l’affectivité sur l’intelligence paraîtra évidente à qui fera réflexion sur les faits suivants.
A. Du point de vue du temps ou de la durée, l’affectivité l’emporte sur l’intelligence :
a) par sa priorité d’apparition : « Je sentis avant de penser; c’est le sort commun de l’humanité ». (Rousseau, Confess., Partie 1re, Livre I);
b) par sa permanence : la pensée est intermittente, mais il n’y a pas de conscience sans une certaine affectivité;
c) par son ordre de disparition : l’affectivité survit à la pensée.
B. Du point de vue de son action, l’affectivité est le ressort de toute la vie psychique, l’intelligence ne faisant que montrer les buts et les moyens.
a) C’est le plaisir et la douleur qui sont les stimulants nécessaires de l’activité et de l’activité intellectuelle en particulier.
b) De plus l’intérêt personnel et les sentiments influent sur les jugements portés par l’intelligence.
c) Enfin, dans le cas de la passion, nous assistons à la domestication de l’intelligence par l’affectivité.
II. Mais, en se plaçant à d’autres points de vue, on peut faire ressortir la subordination de l’affectivité, d’abord à l’activité, ensuite à l’intelligence.
A. Dans les êtres vivants, c’est l’activité qui est première et non l’affectivité : les psychologues contemporains l’ont bien montré.
a) Le besoin d’agir précède la conscience du plaisir ou de la douleur, aussi bien dans l’échelle animale que dans le développement individuel.
b) Le besoin d’agir l’emporte sur le plaisir et la douleur : songeons aux privations et aux fatigues que s’imposent les sportifs, les chefs d’industrie, les hommes politiques.
Le vrai ressort de la vie est dans la tendance à l’action : « Sensations et pensées ne sont, pour ainsi dire, que des coupes transversales de courants qui tendent à l’action comme à leur fin essentielle » (W. James, Précis, p.568).
B. C’est l’intelligence qui, chez l’homme, tend à prendre la première place. Cette prédominance se manifeste :
a) biologiquement, par l’extraordinaire développement des centres de la pensée (les hémisphères cérébraux) par rapport aux centres de l’affectivité (la couche optique);
b) psychologiquement, par la rationalisation progressive de l’affectivité grâce à la connaissance de soi-même et de l’homme en général (la connaissance des lois de l’affectivité nous permet d’agir sur elle); ensuite par ce qu’on pourrait appeler la « sensibilisation » du rationnel (l’homme cultivé parvient à trouver son plaisir dans l’activité intellectuelle : le « sentiment mathématique » de H. Poincaré).
Conclusion
Le primat de l’affectivité ne caractérise donc qu’un moment de l’évolution de l’être vivant. Au point de départ, nous conjecturons qu’il y a activité sans affectivité; chez les animaux supérieurs et dans la plus grande portion de la vie humaine, c’est l’affectivité qui prime; au terme de l’évolution, dans la mesure même où l’homme s’humanise, c’est-à-dire se pénètre de raison, le primat est passé à l’intelligence.
Nous n’en revenons pas pour cela à la conception purement intellectualiste de la vie psychologique. Nous ne méconnaissons pas le rôle de l’affectivité; mais nous pensons que le progrès est dans une information de plus en plus profonde de l’affectivité par l’intelligence et de l’intelligence par l’affectivité.
Le plaisir du repos
Introduction
Aristote, suivi par la plupart des psychologues, jugeait que le plaisir était dans l’action. Comment se fait-il donc que l’on prenne du plaisir dans le repos et même que le repos soit considéré comme le suprême bonheur?
I. C’est que le repos n’est pas une inaction quelconque. Il est une inaction venant à la suite d’une activité qui laisse après elle un reliquat de fatigue à éliminer et son but est de refaire l’organisme pour une nouvelle période d’activité. Par suite, il y a dans le repos considéré comme tel :
a) un plaisir physique : 1º négatif : la cessation de l’effort pénible; 2º positif : la conscience de la régularisation de ses fonctions vitales;
b) un plaisir moral : 1º la joie du travail accompli; 2º la préparation du travail ultérieur, jeu de l’imagination qui charme. Mais nous voyons par là qu’il n’y a pas de repos absolu et que le repos se mêle de travail.
II. Le repos, en effet, n’est pas nécessairement de l’inaction : il consiste souvent dans un changement de travail. Dans ce cas, le repos consiste dans l’accomplissement d’un travail de notre choix, étranger à notre tâche, d’un travail de jeu.
a) Cette activité de jeu, dans la plupart des cas, rétablit l’équilibre détruit par le travail : ainsi, l’élève qui a des forces physiques surabondantes et des forces mentales épuisées dépense son énergie musculaire dans une partie de barres ou de football.
b) L’activité de repos ou de jeu permet à l’individu de satisfaire son désir de travail personnel et indépendant : à côté du travail professionnel, moyen de gagner sa vie, on se fait une occupation personnelle, moyen de se réaliser; et parfois, comme pour certains écrivains, l’activité extraprofessionnelle devient si importante qu’elle amène à renoncer à sa profession première.
Conclusion
Le repos n’est donc un plaisir que dans la mesure où il se glisse dans des intervalles de travail. En définitive, le fond du plaisir est bien, comme l’avait vu Aristote, dans l’activité, et le plaisir ne suit l’action que s’il n’est pas cherché.
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