« Si toute notre connaissance commence avec l’expérience, il n’en résulte pas qu’elle dérive toute de l’expérience. »
Introduction – Répondant à Descartes, qui avait soutenu l’existence des idées innées, Locke avait affirmé que toutes nos connaissances résultent de l’expérience. C’est à la recherche d’un compromis entre l’innéisme cartésien et l’empirisme de Locke que fut consacré le principal effort des philosophes du XVIIIe siècle. Le compromis proposé par Kant est bien exprimé dans cette formule : « Si toute notre connaissance… » Que faut-il en penser?
I. Explication. – Kant a été frappé par l’existence de jugements synthétiques à priori (expliquer), par exemple et surtout le principe de raison suffisante ou de causalité, levier de toutes les sciences et aussi de la métaphysique. Quelle est l’origine de ces jugements qui, d’une part, ne sont pas évidents puisqu’ils ne sont pas analytiques, et qui, d’autre part, ne sont pas vérifiables par l’expérience? Pour Kant, ces principes n’apparaissent que grâce à l’expérience, mais ils ne sont pas donnés par l’expérience.
A. Toute connaissance, en effet, commence avec l’expérience, et il n’y a point de connaissance innée. Antérieurement à toute sensation, il n’y a chez l’enfant aucune notion ou aucun principe d’aucune sorte. Comme disent les empiristes, sur la tablette qui symbolise son âme il n’y a rien d’écrit.
B. Cependant, toute la connaissance ne dérive pas de l’expérience, car la constitution ou la nature même de cette tablette détermine déjà, dans une certaine mesure, ce qui sera de même que, dans la plaque photographique, la composition chimique de la substance sensible détermine quelles radiations lumineuses seront enregistrées (autres comparaisons : longueur d’onde dans l’appareil de T. S. F., déformation imposée par un miroir non-plan, harmonique renforcé par un résonateur…). Voilà la concession faite aux innéistes.
Kant appelle forme ce qui, dans la connaissance, résulte de la constitution même du sujet connaissant; matière, ce qui est dû à l’action de l’objet connu. Mais, de même que la forme « rond » n’est rien sans une matière (bois, pierre, métal…) ronde, pas plus qu’il n’y a aucune matière qui n’ait quelque forme, de même il n’y a aucune connaissance qui ne comporte à la fois matière et forme : matière et forme prises séparément constituent une possibilité de connaissance, non une connaissance. C’est pourquoi, « si notre connaissance commence avec l’expérience » qui fournit la matière, « il n’en résulte pas qu’elle dérive toute de l’expérience », car il n’y a de connaissance que grâce à la forme constitutive du sujet connaissant et antérieure à l’expérience.
II. Discussion – Kant avait à résoudre un problème très difficile et sa solution ne manque pas d’élégance et de grandeur. Elle rend bien compte du caractère de nécessité et d’universalité des principes directeurs de notre connaissance.
A. Mais remarquons d’abord que son affirmation est fondée, non sur une donnée de l’expérience (on ne peut pas constater l’existence de formes à priori de la pensée avant l’exercice de la pensée provoquée par l’expérience), mais sur le raisonnement : c’est parce que certains jugements débordent les données de l’expérience qu’il conclut à leur origine extra-expérimentale. Au contraire, l’expérience des enfants semblerait montrer qu’il y a un commencement de connaissance antérieurement à l’acquisition des principes (Piaget).
B. Ensuite, on peut expliquer les jugements que Kant déclare synthétiques à priori sans recourir à l’hypothèse incontrôlable de formes à priori de la connaissance : 1e l’origine des principes s’explique par l’extension à tous les êtres des lois observées dans l’être que nous atteignons en lui-même, notre moi; 2e la justification de cette généralisation se fait ultérieurement, en constatant que le principe de raison suffisante dérive du principe d’identité et, par suite, est analytique et évident comme lui.
CONCLUSION : Nous pouvons donc admettre que notre connaissance dérive toute de l’expérience, non pas sans doute de l’expérience sensible, comme le prétendaient les empiristes, mais de l’expérience totale, sensible et rationnelle, par laquelle nous saisissons les choses et en même temps les rapports entre les choses.
* à suivre*
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