Nécessaire rapport hiérarchique du centre aux marges
Quand on se demande par quelle stratégie Soi s’arrange pour maintenir cette distance, on s’aperçoit que le processus de marginalisation ne va pas seul. Il procède d’un système classificatoire dans lequel le centre représente la norme et la frontière l’a-norme, l’ex-centrique, l’extra-ordinaire. Ce système, qui joue sur la distance, l’envisage dirait-on à la verticale davantage qu’à l’horizontale. L’Autre amérindien est inaccessible, inimitable, soit parce qu’il est trop bas, trop près de la nature, trop dépourvu de culture (trop bestial peut-être) soit parce qu’il est trop haut, trop mystique, trop près des forces surnaturelles ou extra-terrestres (trop spirituel presque).
Ainsi l’Autre, théoriquement, peut-être au-dessus de Soi. Et l’Autre amérindien peut-être au-dessus du Soi eurocanadien. C’est même une tendance qui se fait jour actuellement, notamment dans les romans. Sur le plan de la sagesse, de la compréhension de la nature, de la maîtrise de soi, par exemple, l’Amérindien est parfois montré comme nettement plus avancé que l’Eurocanadien. Mais cela ne lui sert à rien. C’est au contraire une façon, pour Soi, de le diriger, par delà la marge, vers la mort ou dans l’infini de l’espace sidéral où l’Autre rejoint les forces surnaturelles ou extra-terrestres. Cela ressort nettement des romans dans lesquels l’Amérindien ne peut survivre en tant qu’Amérindien parmi les Euroquébécois, cela ressort des manuels dans lesquels l’idéologie du « tout bon Amérindien est un Amérindien mort » est remplacée par celle du « tous les bons et vrais Amérindiens sont morts ». En fait quand il renvoie une image négative de l’Eurocanadien, l’Amérindien imaginaire doit mourir. Même si la marge, parfois, paraît au dessus du centre, cela ne peut durer que le temps d’un modèle, d’une image fugace, d’un regret. Pour l’ensemble du Soi collectif euroquébécois, les valeurs dites amérindiennes sont comme un idéal à l’horizon de bien des textes, de bien des projets de revalorisation des cultures, une façon de se critiquer soi-même à peu de frais. Tout cela n’empêche pas qu’au bout du compte il faille un plus fort et que le plus fort soit celui qui survit. On peut bien quelque temps et sur le mode utopique jouer avec l’idée d’un Amérindien qui aurait quelque chose à apprendre aux Euroquébécois mais sur le mode topique les morts comme les absents ont toujours tort. Dans un système où le rapport entre Soi et l’Autre est hiérarchique, une seule solution reste possible à long terme : l’infériorisation de l’Autre. C’est ainsi que l’Amérindien, dans plusieurs romans pour les jeunes est celui qui n’a pas réussi à évoluer. Sympathique parfois, mais dépassé. Les manuels mettent tout en œuvre pour faire comprendre que les Amérindiens ont été vaincus. C’est leur faiblesse sur le plan de la culture qui leur a joué un tour. Quant aux chroniques de chasse et de pêche, elles avisent généralement le lecteur que les Amérindiens eux-mêmes auraient renié leurs anciennes valeurs, leurs anciennes cultures troquant par exemple le respect pour la faune contre le braconnage et la raquette contre la moto-neige. L’Amérindien quand il est valorisé ne résiste pas à l’usure du temps. Sous sa face positive, il n’est qu’une comète éphémère au firmament de l’imaginaire et n’a d’autre issue que de disparaître ou de retomber en position inférieure.
* à suivre *
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