lundi 12 octobre 2009

LA MARGINALISATION - 1e partie

LA MARGINALISATION
Pour donner suite à la Punkitude, comme forme de marginalisation, nous poursuivons notre démarche sur la marge centrée à partir d’une recherche de Bernard Arcand.

L’expression « note de recherche » est peut-être aujourd’hui consacrée, mais il s’agit d’une longue question qui me semblait pouvoir être formulée à la suite d’une conférence offerte voilà quelques années par Ellen Corin dans le cadre du séminaire du Laboratoire d’anthropologie de l’Université Laval, question aussi largement inspirée par la lecture d’un ouvrage récent de Jean Baudrillard, Les stratégies fatales (Paris, Grasset 1983).

Puisant à une expérience déjà considérable de la pratique thérapeutique, la conférence d’Ellen Corin résumait comment dans notre société les opérateurs institutionnels du rapport à la folie banalisent cette folie, la désocialisent en excluant son rapport au contexte social de sa production et de son maintien et, enfin, la normalisent par la création de « niches » au sein de la société où ces fous pourront vivre sans vraiment déranger. Donc, ce qui inquiète est de savoir nos thérapies à jamais inappropriées parce qu’incapables d’offrir mieux qu’un accommodement social de la folie (une normalisation et une sociabilité minimales) et parce que tenant toujours trop peu compte de son contexte socio-culturel. Bref, il ne faut donc pas se surprendre si ces malades vivent une situation de « portes tournantes » et que le plus grand nombre connaissent la ré-hospitalisation périodique.


Ellen Corin disait aussi que les rares études inter-culturelles fiables (utilisant les mêmes méthodes et grilles d’analyse) révèlent un contraste assez fort dans les taux comparés de succès thérapeutiques; les extrêmes étant le cas du Danemark, où les chances de guérison permanente seraient les plus fiables, et certaines régions du Nigéria, où les chances seraient les meilleures. Cette différence s’expliquerait par trois facteurs principaux :
1) la folie « ailleurs » prend des formes connues et appartient à des systèmes de représentations familiers, ce qui diminue d’autant l’étrangeté de l’expérience;
2) l’intervention thérapeutiques (du médecin, guérisseur, ou autre) intègre une réflexion poussée sur le contexte social de chaque cas;
3) l’expérience est replacée dans un ensemble à niveaux multiples qui forme un tout intégré et cohérent et fait de la folie une expérience globale.
Sans dire qu’ici tout est mauvais et qu’ailleurs c’est mieux, Corin explique ce contraste par le fait que nos systèmes d’interprétation ne sont toujours que des systèmes partiels, menant au mieux vers des solutions partielles, alors que l’être humain, en santé comme malade, demeure nécessairement un être entier. Et tandis que pour s’en sortir le fou a besoin de clés pour interpréter un chaos psychotique invivable, nos interventions thérapeutiques n’offrent pas ce genre de clés essentielles. Donc, les trop rares cas de guérison apparaissent très souvent aux limites de notre société (chez un tel qui se croit pape et heureux, un autre qui suit un programme de méditation hindouiste par téléphone, etc).

En somme (et j’espère ne pas trahir sa pensée), Corin nous dit que, bien que prétendant souvent le contraire, nous marginalisons la folie : en niant son importance, en lui trouvant des niches faciles qui n’offrent que l’apparence de la normalité, en lui laissant ses meilleurs espoirs en marge de la société, et surtout en la séparant de son contexte social et même du reste de l’expérience humaine. L’argument est appuyé par un contraste fort avec d’autres sociétés, où la folie devient compréhensible dans le contexte d’un ensemble social indissociable et où les clés de son interprétation) et donc de la guérison) sont justement les thèmes centraux de la culture dominante. Dans ces cas, il n’y a pas marginalisation, mais au contraire une réaction du centre pour assurer la réintégration de la personne qui s’est trop éloignée de lui.

À quelqu’un sans expérience des milieux thérapeutiques et qui ne sait rien de ces « opérateurs institutionnels du rapport à la folie », l’exposé d’Ellen Corin n’était pas sans rappeler certains thèmes connus par d’autres sentiers anthropologiques. Il y a d’abord cette analogie évidente entre nos rapports à la folie et les relations que l’Occident a longtemps entretenues avec toutes ces gens hors de lui, auxquelles on offrait le choix d’être comme nous ou de n’être rien; l’exclusion du fou, sinon sa mort sur le bûcher, fit place au thérapeute, missionnaire et officier colonial en terre de folie, dont le rôle est de comprendre et modifier le comportement humain vers une normalité plus acceptable. D’autre part, l’argument cadre bien avec certaines réflexions récentes sur la « modernité » et la spécificité des sociétés industrielles, avec tout ce qui a été dit de l’aliénation de l’être moderne et de l’atomisation des rapports sociaux depuis Karl Marx jusqu’à Charles Chaplin et Ashley Montagu. On connaît déjà assez bien cet isolement moderne de l’individu qui permet d’oublier le contexte social de la folie, encourage la claustration même de parties de l’individu et qui sépare la folie du reste de l’expérience humaine; phénomène historiquement peut-être unique de réductionnisme qui permet le travail de 9 à 5 en usine, la possibilité de n’être que des bras, un objet sexuel, ou un grand esprit.
* à suivre *

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