Nous nous arrêterons ici, conscient de n’avoir qu’effleuré le thème du dandysme de Baudelaire. Là n’est pas notre but, et nous nous contenterons d’apporter notre modeste contribution à la définition du dandysme. Reprenant notre projet initial, nous nous interrogeons, après avoir montré les analogies et oppositions récurrentes qui caractérisent dandysme baudelairien et punkitude, sur la valeur heuristique du modèle, et tout d’abord sur notre axiome de base, l’opposition structurelle entre mouvements ou sous-cultures successifs. Aux deux époques historiques dont nous traitons, début de l’ère technique et ère technocratique par excellence, l’individu se sent écrasé par le progrès technique et réagit en renforçant la personne, en opposition à la société. Ces sociétés, celle de la bourgeoisie du 19e siècle, du mérite et de l’argent, celle du capitalisme en crise du 20e siècle, du chômage et de la bombe atomique refusent à l’individu une place à sa mesure. Mais ce n’est pas seulement son être social qui pose problème au dandy, c’est la difficulté d’être qui le pousse à se réfugier dans le futile pratiqué comme un des beaux-arts, et dans l’artificiel. Puisque rien n’a de sens, il ne lui reste que la beauté du geste, le paraître. D’autres révoltés ont pourtant résolu leur conflit avec la société de toute autre façon : en lui imputant toute la responsabilité de leur difficulté d’être, et en projetant dans un autre monde, meilleur, un bonheur possible. C’est justement cette attitude idéaliste qu’avaient adoptée les Romantiques, avant le dandysme, les « hippies », « babacool », de même les « gauchistes », avant la punkitude. Un thème central de ces mouvements est celui de l’amour de la Nature. L’opposition qu’il met en jeu est celle de la Nature, bonne et apaisante, et de la Culture (celle de notre société) mauvaise et destructrice, opposition il n’est pas besoin d’y revenir- fondamentale.
Dans la littérature romantique, les variantes du culte de la Nature vont de la version la plus simple de la nature sauvage inviolé par l’homme, dans le Lac de Lamartine, jusqu’à celle du bon sauvage de Rousseau, version bucolique et champs labourés chez George Sand. La culture hippie a développé ces deux versions, celle de la nature inviolée des ailleurs géographiques ou celle du retour à la Nature dans les cévennes, accompagné de la consommation de produits naturels et donc sains, d’un retour idyllique et rouseausiste à ce qu’il y a de fondamentalement bon dans l’humain, paix et amour (« peace and love »). En faisant le détour par les philosophies orientales.
Récapitulons les conditions qui, dans les deux cas, ont induit l’apparition du dandysme :
1) Révolte de l’individu face à une société technocrate ;
2) Impossibilité de s’engager dans la voie de l’idéalisme et du retour à la Nature, déjà « prise » par la sous-culture précédente;
3) Impossibilité de s’engager dans la lutte politique, soit par tempérament ou situation de classe (artiste « bourgeois »), soit parce que cette voie « prise » par les jeunes de la génération précédente (gauchistes) avait mené à un échec et une désillusion.
Notre hypothèse est donc que l’analyse d’un phénomène tel que la punkitude demande la prise en compte de plusieurs niveaux d’analyse. Les écrits sociologiques qui ont traité des sous-cultures des jeunes insistent, dans une mouvance marxiste, sur les contradictions de la société globale, et sur la position du groupe des jeunes à l’intérieur de cette société. C’est essentiellement la position du groupe des jeunes à l’intérieur de cette société. C’est essentiellement la position des chercheurs du Centre d’études culturelles contemporaines de Birmingham (voir Hall et Jefferson 1976) et celle des émules de Bourdieu (voir Mauger et Fossé-Poliack 1983). Ces derniers, pour parler des loubards, structurent leur analyse autour de la notion de style empathique de la classe ouvrière. Nous pensons qu’il faut aussi considérer comme prémisse déterminante les choix de la sous-culture précédente, qui déterminent par opposition ceux de la sous-culture examinée.
* à suivre *
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire