Considérons d’abord l’inévitable évolution des valeurs qui doit s’opérer au troisième âge. Le vieillissement suscite bien des prises de conscience et l’une des toutes premières est provoquée par la retraite. La première chose en effet qui nous frappe après avoir pris notre retraite, c’est que nous avons désormais un problème d’identité. Nous savons que l’identité personnelle est la réponse que chacun se donne à lui-même à la question : « qui suis-je, et qu’est-ce que je vaux? » Or pendant toute notre vie, nous avons pris l’habitude de nous présenter nous-mêmes en nous référant à nos rôles sociaux, surtout nos rôles professionnels et civiques. De même, nous avons toujours trouvé normal de nous valoriser en disant que nous sommes un bon père ou une bonne mère, un bon travailleur social, un bon animateur communautaire, un bon administrateur, etc. Imaginons maintenant la situation suivante : Étant retraitée, une travailleuse sociale est invitée à prononcer une conférence et celui qui doit la présenter lui demande comment il doit le faire. Elle lui répond tout naturellement en improvisant un très bref résumé de sa carrière. Ensuite, elle écoute sa présentation : « permettez-moi de vous présenter notre conférencière, une travailleuse sociale à la retraite…elle a œuvré dans tel organisme, elle a réalisé des choses admirables, elle a fait ceci, elle a fait cela, etc. » En l’entendant, il est inévitable que notre ex-collègue se dise avec étonnement : « Mais j’ai un problème d’identité! Est-ce que je vais me définir au passé jusqu’à la fin de mes jours? » « Bien sûr que non! » s’écrie-t-elle intérieurement, parce qu’elle sent bien que si elle en prend son parti, elle accepte d’être celle qui a été et de n’être plus celle qui est. Même questionnement pour ce qui est de sa valeur personnelle.
Cependant, une fois que notre collègue retraitée s’est écriée dans son for intérieur : « bien sûr que non! »….devant quoi se retrouve-t-elle? Comment se définir et se valoriser autrement que par ses réalisations passées? La solution n’est pas évidente ni immédiate. En fait, elle s’engage à ce moment-là dans un lent processus qui va l’amener éventuellement à se définir et à se valoriser par qui elle est plutôt que par ce qu’elle fait ou par ce qu’elle a déjà fait. Et pour cela elle devra aller à contre-courant, car son changement de mentalité s’opérera dans une société qui, elle, continuera de privilégier les valeurs de l’éthique fonctionnaliste selon laquelle « une personne évalue sa propre valeur en termes de sa valeur fonctionnelle dans la société, qui est son fonctionnement productif ou sa valeur monétaire dans l’économie ». En définitive, l’éthique fonctionnaliste est une mentalité qui valorise l’agir par opposition à l’être, de sorte que la tâche développementale du troisième âge se situe à un niveau fondamental : changer en profondeur son système personnel de valeurs, pour en arriver à privilégier l’être et la qualité de l’être plutôt que l’agir, le faire et l’avoir. Jacques Languirand disait : «j’ai toujours voulu faire quelque chose dans ma vie : maintenant, je dois faire quelque chose de ma vie ».
* à suivre *
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire