Au stade de développement où il était rendu, le groupe connaissait une certaine intimité. Les participants s’exprimaient plus authentiquement sur leurs sentiments. Ils pouvaient aborder sans crainte excessive des sujets plus personnels, plus difficiles, tels que leurs peurs, leurs désirs, leurs banalités, leurs aspirations et leurs raisons de vivre.
Les participants à l’atelier appartenaient à cette génération qui avait des idées bien précises du bien et du mal et une éducation teintée de valeurs religieuses, du permis et de l’interdit, de ce qui se faisait et ce qui ne se faisait pas. Ils disaient avoir assisté à la mutation de leurs propres valeurs.
Les messages qu’ils recevaient des jeunes étaient qu’ils n’étaient plus dans la course. Leurs valeurs n’avaient plus cours. Ils n’appréciaient pas toujours l’éducation donnée à leurs petits-enfants et leur liberté excessive. Ils acceptaient mal la franchise de leurs propos ainsi que leurs comportements. Un participant a raconté qu’il tolérait mal que ses deux petits-enfants se servent dans son frigo sans sa permission. Il a avoué en même temps être plus irrité par l’attitude permissive des parents. Une autre dame a raconté avec humour son étonnement quand pour la première fois elle a croisé dans la rue des jeunes avec des cheveux colorés et des vêtements hétéroclites. Elle les a cru très instables et sans grande volonté de réussir dans la vie.
D’après les participants, le mode de vie actuel est dominé par une culture exclusivement orientée vers la jeunesse et ses valeurs.
Ils ont évoqué, pour étayer leurs affirmations, l’émergence d’un nouveau type de famille représenté par la jeune génération. Selon eux, ce type de famille est caractérisé par le travail de la femme à l’extérieur, et par le fait que celle-ci n’est plus identifiée à l’univers domestique. Les motivations de ces couples, d’après les participants, sont guidées par la recherche d’un plus grand bien-être matériel et l’accès à plus de loisirs. À l’opposé, les membres du groupe se sont félicités d’avoir pu élever de grosses familles dans des conditions plus difficiles que les couples d’aujourd’hui et sans aucune protection sociale. Nous avions renforcé chez eux le sentiment du devoir accompli et leur part énorme dans la construction de ce pays.
Ces changements qui sont survenus au niveau du couple s’accompagnent de problèmes sociaux que les participants disent n’avoir pas connu de leur temps. Il s’agit de la baisse généralisée de la durée des mariages, de l’augmentation du nombre d’enfants issus de ces foyers brisés et du taux élevé de délinquance juvénile qui en résulte.
Les participants avaient le sentiment que l’épanouissement individuel était à la mode et que le souci de la parenté était devenu secondaire. Ils avaient l’impression de gêner. Mais ils ont exprimé tout cela avec un sourire ou par une boutade.
La vie actuelle leur semblait bien compliquée; ils voyaient les jeunes sans emploi et parallèlement, le monde de la consommation qui les entourait. Comment s’en sortir? D’un côté, ils voulaient avoir tout tout de suite, mais de l’autre ils manquaient de moyens. Ils estimaient que les choses étaient plus claires de leur temps; ils devaient travailler dur, parfois dès l’âge de 14 ans, mais ils ne ménageaient pas leur peine alors que maintenant il leur semblait que la notion d’effort a disparu.
Les participants traduisaient par ces propos l’anomie de la société actuelle, son absence de normes.
La grande majorité des membres du groupe croyaient que le système de crédit diluait l’effort des jeunes, parce que s’endetter faisait partie des mœurs. Ils pensaient que la valeur sociale du travail n’est pas une préoccupation majeure pour les jeunes.
Les participants à l’atelier ont exprimé un certain désarroi et un sentiment d’insécurité face à l’agression venant de ces valeurs nouvelles auxquelles ils n’arrivaient pas à s’adapter et ne le voulaient pas non plus. Ils étaient sûrs de leurs convictions. Néanmoins, ils ne contestaient pas ouvertement ces valeurs, ils ne luttaient pas contre elles; ils les contournaient simplement ou pratiquaient l’évitement. C’est une attitude faite de distance intérieure, de résistance passive qui permet d’être étranger à ce qui paraît gênant.
Michel Maffessoli constate que cette attitude donne lieu à un « …rétrécissement sur le quotidien pour se protéger contre ce qui est extérieur ou surplombant ». En fait, le propre de cette attitude est de favoriser la préservation de soi.
* à suivre *
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