C’est la misère du désir
L’expérience intérieure du désir demande à la conscience désirante une sensibilité aussi vive à l’angoisse qui fonde l’interdit qu’à la volonté de la transcender ou de l’enfreindre. Le désir s’impose comme un scandale. L’interdit immémorial qui pèse sur lui doit être matériellement est psychologiquement dépassé pour que le geste d’amour s’incarne. Le désir naît au centre de l’être, contre toute parade, en dépit de toute pédagogie préalable; il visite le moine en sa cellule, l’adolescent dans sa prière, le vieillard dans son lit vide. Le désir ne choisit ni le lieu ni l’heure, il vise la reine comme la bergère, il n’est pas poli, il est libre. Libre, donc menacé. Menacé de l’extérieur, par le réseau légal, certes, mais surveillé plus férocement de l’intérieur par l’interdit mythique, la loi sacrée non écrite, l’angoisse sexuelle. « Je désire faire l’amour avec toi », dit Pierre à Simone et Simone ne dit pas non. Mais le moment est-il favorable et le lieu bien choisi? Recherche du décor idéal et du moment opportun, tergiversations, discussions et détours. L’angoisse s’installe avec le doute, avec la réflexion, avec la crainte. Le désir meurt. « La prochaine fois, je te violerai », dit Pierre à Simone et Simone ne dit pas non. C’est de la sorte que l’intelligence tend à l’instinct ses pièges raffinés. La panne sexuelle, mésaventure anodine, est une trouvaille de l’intelligence pour dépister les amoureux. Les signes y échappent, dit-on. En est-on bien sûr?
Scandaleux, le désir l’est dans son expression, surtout chez l’homme dans notre culture – les Grecs représentaient leurs Hermès en érection – mais il est d’autant plus suspecté qu’il précède un dynamisme, un changement de situation, une métamorphose. Il tend à transformer le monde, les êtres, les choses, et, par sa seule existence, il prélude à la vie et au mouvement. Le désir féminin n’est pas moins scandaleux, même s’il est moins indiscret. Il est clair qu’il n’a pas la même matérialité, et s’il fait sa preuve, c’est par un langage corporel moins focalisé, plus diffus, avec une plus subtile ambiguïté. D’où cet aspect provocant du désir féminin lorsqu’il s’exprime librement et les contraintes imaginées par les groupes sociaux pour éviter d’être provoqués.
Dans les sociétés alignées, matées, conduites au pas et en rangs, le désir reste le refuge aristocratique de la vérité individuelle et la valeur la plus rare de la contestation, tant qu’il a la force de s’exprimer. Je n’aime pas beaucoup les sociétés où les amoureux ne se tiennent pas par la taille et ne se font pas quelque publique caresse. Fragile liberté qui ne s’incarne plus dans un baiser.
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