MA VIE AFFECTIVE DEMEURE INDIGENTE
Le patient déprimé rumine sans cesse de façon morbide le passé et il est incapable de se projeter dans l’avenir sans une appréhension énorme; pour lui, le passage du temps est ralenti comme une éternité. Il anticipe volontiers des catastrophes dans l’avenir. Les moindres détails de la vie courante deviennent souvent des sources d’angoisse douloureuse que rien ni personne ne peut soulager. Ces ruminations peuvent prendre un caractère obsédant et être associées à des rituels compulsifs de vérifications.
Les symptomes neurovégétatifs prennent une place notable dans le tableau dépressif. Dans la majorité des cas, on observe une perte d’appétit et de sensibilité gustative. (“je n’ai pas faim et je dois me forcer pour manger.”) Cette perte d’appétit est souvent associée à une perte de poids. On constate également de l’insomnie, surtout matinale, c’est à dire un éveil précoce, au moins deux heures plutôt qu’habituellement.
Quand le talbeau dépressif est installé depuis quelques mois et atteint une intensité marquée, il n’est pas rare de rencontrer alors des perturbations très marquées du sommeil avec insomnie initiale, moyenne et terminale.
À ce stade, le patient a l’impression qu’il n’est virtuellement plus capable de dormir ou que le peu de sommeil qu’il peut avoir est très léger, entrecoupé de cauchemars fréquents.
Cette symptomatologie révélée par le patient est confirmée par les enregistrements de sommeil à l’EEG qui montrent un début précoce du sommeil paradoxal, ainsi qu’une diminution des stades 3 et 4 du sommeil (Kupper et al, 1978; Vogel, 1980). Les antidépresseurs ont d’ailleurs pour effet de retarder l’apparition des phases de sommeil paradoxal.
Il y a aussi des dépressions marquées par une augmentation de l’appétit et une hypersomnie. Le patient déprimé manifeste souvent des perturbations autonomiques : palpitations, sensations de pression thoracique, vertige, diaphorèse,sècheresse de la bouche, diarrhée de constipations, réactions plus fréquentes. Ces symptômes autonomiques sont précipités habituellement par des stresseurs émotionnels et sont de fréquence et d’intensité variables au cours de la journée, pouvant parfois devenir très incapacitants. On note aussi une diminution de la libido dans la grande majorité des cas.
L’atteinte du fonctionnement de la pensée et de la sphère cognitive est également notable chez le déprimé et passe trop souvent inaperçue, probablement en raison de la preéminence des symptômes affectifs et somatiques nombreux. On observe fréquemment une diminution de la capacité de concentration, de la capcité d’abstraction et une perturbation de la mémoire. Le patient déprimé révèlera qu’il est moins alerte sur le plan intellectuel et que, parfois même, il éprouve beaucoup de difficulté à lire un article de journal, à suivre une émission de télévision ou une conversation. Il sera volontiers tenté d’attribuer ces phénomènes à ses ruminations obsédantes.
Chez la majorité des patients déprimés, la motricité est réduite. Le débit verbal, la gestuelle, la démarche sont ralentis. Mais on observe aussi, dans bien des cas, une agitation qui consiste en des gestes stéréotypés, improductifs et qui est reliée à l’état de tension intérieure ressentie par le déprimé qui n’arrive pas à tenir en place. Il ne s’agit donc pas ici d’une augmentation de l’activité motrice normale, mais plutôt d’une hyperactivité anxieuse. C’est sur la foi de ces observations cliniques qu’on avait établi une distinction entre la dépression ralentie (retarded) et la dépression agitée (agitated). Dans sa forme clinique la plus sévère, la dépression ralentie peut atteindre la stupeur; la dépression agitée, qu’on retrouve dans la forme mélancolique, peut aboutir à une agitation extrême, incessante, que personne ne peut calmer verbalement et qui mène parfois à un geste suicidaire imprévisible. Dans ces deux formes cliniques extrêmement graves de dépression, l’electroconvulsivothérapie (ECT) produit habituellement une amélioration spectaculaire en l’espace de 48 à 72 heures.
On constate, dans environ 15% des cas, des symptômes psychotiques associés à la dépression majeure. Les délires ou les hallucinations sont le plus souvent congruents à l’humeur, c’est à dire qu’ils font référence à des thèmes dépressifs typiques tels que l’autodévalorisation, le sentiment de culpabilité pour des vétilles, la conviction inébranlable d’une mort imminente, la pauvreté, l’indignité, l’anéantissement de soi ou la punition méritée. On observe aussi des délires hypocondriaques portant sur la conviction d’avoir une maladie physique grave. On remarque chez certains patients des idées paranoïdes mais qui demeurent vagues; le patient se sent persécuté pour ses propres fautes, ce qui vient corroborer l’interprétation psychodynamique qu’a faite Freud (1917) de la dépression mélancolique, en la définissant comme un retournement de l’agressivité contre soi-même.
L’ensemble des symptômes dépressifs décrits ci-dessus évolue habituellement de façon insidieuse et progressive sur une période de plusieurs semaines à plusieurs mois.
Le patient va souvent d’abord consulter en médecine générale pour des malaises somatiques. La plupart du temps, le bilan physique ne révèlera aucune anomalie et le tableau clinique continuera d’évoluer. Après de multiples tentatives pour s’en sortir, le patient manifestera des sentiments de désarroi (helplessness), d’autodévalorisation (worthlessness) et de désespoir (hopelessness). Ces trois sentiments, classiquement identifiés comme la “triade dangereuse”, augmentent énormément le risque suicidaire. On reconnaît également que la présence des symptômes psychotiques aggrave le risque suicidaire.
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