ADDICTION SEXUELLE
Question d'hormones?
Toutefois, selon le Dr. Rock Carbonneau, il est plus probable que le problème se situe du côté de l'accueil que leur réservent les différentes cellules. L'hormone, comme une clé, tenterait de s'introduire à l'intérieur de la serrure (structure chimique) de chaque cellule, dont la forme est héréditaire; d'où la divergence d'une personne à l'autre. Les sexoliques seraient dotés de cellules hyper- réceptives. De bien plus belles hypothèses d'experts qui n'ont pas toujours aidé Gaëtan. Sa vie a été bouleversée par un événement, un seuil. Il a été abusé sexuellement par son frère lorsqu'il avait 3 ans. Son cas n'est pas unique. Chez les sexoliques, 81 pourcent auraient subi le même sort. "Le problème est qu'il y a un mélange de deux réactions dans l'agression: le sentiment d'avoir subi le pouvoir de l'autre dans la partie la plus intime de son être et la ferme conviction que c'est la seule façon d'avoir de l'attention. Tout cela modifie considérablement les comportements relationnels, dit-il.
Les dépendances s'entremêlent en plus de ceux qu'il aide en clinique privée, le sexologue Michel Lemay anime à la Maison Jean Lapointe des sessions d'information sur la sexualité et la consommation d'alcool et de drogue de ce centre de désintoxication. Souvent les dépendances s'entremêlent. Le psychiatre Jocelyn Aubut tient à préciser qu'il est impossible d'expliquer un comportement humain par un seul et même facteur. D'autres composantes telles le passé et la perception de la personne seraient souvent oubliées. Par exemple, le fait qu'il était le plus jeune d'une famille de 18 enfants et qu'il n'a jamais eu la possibilité de s'affirmer constituerait un autre facteur primordial afin de mieux saisir le comportement de Gaëtan.
Michel Lemay ajoute à ces facteurs, l'irresponsabilité du système d'éducation face aux enfants plus vieux: "notre éducationo Judéo-Chrétienne a séparé le sexe de notre vie. Il a valorisé l'autorité et l'individualisme - l'école en est venue à parler de MTS et de biologie, mais jamais des motivations de rompre et de baiser, ou encore, sur comment on peut grandir là-dedans. Un questionnement s'impose sur la qualité qu'on accorde globalement à notre bien-être au sein de la relation sexuelle et sur nos modèles culturels d'érotisation. Le mythe de la performance sexuelle doit cesser d'être une tape dans le dos."
Le sexe, souvent, longtemps, tout le temps...c'est bon, pourquoi s'en passer? Gérard, le sait lui. Sa vie en est envenimée. L'homme d'affaires de 40 ans se masturbe plusieurs fois par jour. Il devient incapable de négocier:
"Je suis sûr que ça se voit dans mes yeux." Plus il a honte, plus il occupe la salle de bain, son refuge. Il fuit sa vie. Compagne savoureuse au début, la masturbation l'a rendu esclave. Sa drogue est le sexe et Gérard crie à l'aide. Qui sera là pour lui? Les discrets groupes d'entraide qui sillonnent les sous-sols d'Église en appliquant les principes des A.A? Les experts bien réfléchis et documentés? Ou les deux?
On dit d'Yves qu'il en a brisé les casques. Mais, dans sa tendre enfance, c'est le sien qu'on a brisé. Né d'un père alcoolique, les manques (d'attention, d'affection, d'encouragement, etc.) se succédaient et Yves n'a jamais appris à communiquer. Pendant de nombreuses années, il a bien caché sa solitude et ses émotions derrière le masque de la luxure. Est-ce vraiment possible de récupérer la pendule et de combler le vide qui provient de l'enfance? Enfin, voler de ses propres ailes. Selon Jocelyn Aubert, psychiatre et professeur de l'université de Montréal, la réponse est un oui conditionnel: "s'ils veulent remanier leur vie, les dépendants devront aller chercher le soutien nécessaire, se poser beaucoup de questions et être ouverts aux changements, qui sont très souffrants en passant. La dépendance coûte cher, plus tu veux arrêter de payer. Certains jeunes par exemple, n'ont pas assez souffert. Ils n'investiront pas beaucoup d'énergies dans cette démarche."
Le sexologue.
Pour apprendre à revivre, Yves et Gérard, comme beaucoup d'autres sexoliques, auraient pu se rendre chez un thérapeute comme Michel Lemay. Un sexologue qui anime des sessions d'information sur le lien entre la sexualité et les autres intoxications à la Maison Jean Lapointe.
Celui-ci affirme que chacun d'eux aurait appris que ses fantasmes sont comme des rêves. Ils doivent être interprétés, et, non réalisés intégralement. Ainsi, les deux hommes auraient découvert leurs besoins, leurs propres normes et éliminé, la honte qu'ils ont face à leurs ébats. Pour le sexologue, la thérapie est un moyen d'atteindre un niveau d'intimité appréciable avec quelqu'un ou encore de vivre seul tout en étant heureux.
Juste un petit peu de bonheur, n'est-ce pas là le seul but escompté? Du côté de la biologie, on se demande encore où se situe ce fameux bonheur. Au niveau des neurones ou des hormones? Dans les différents départements de psychiatrie, on choisit selon les CEO. D'un côté, on procure aux sexoliques une thérapie visant à améliorer leur qualité de vie et de l'autre, plus rare, des médicaments à base de testosterones ou toute une panoplie d'anti-dépressifs afin de diminuer leur libido. Or, ces pilules ne font que contrôler la maladie. Pour eux, fini les potions magiques et les gourous qui savent tout, Yves et Gérard ont choisi les groupes anonymes.
Les anonymes ou l'anarchie du réconfort.
Il y a deux à Montréal, les DASA (Dépendants affectifs et sexuels anonymes) ou S.L.A.A., pour les anglophones, et les S.A. (Sexoliques Anonymes). Tous deux proviennent des États-Unis mais se différencient par le degré de retenue nécessaire afin de contrôler la maladie. Les DASA laissent leurs membres décider seuls de leur seuil de tolérance sexuelle. Les SA, pour leur part, considèrent une personne sobre, quand elle n'a aucune activité sexuelle, sauf avec son conjoint.
Ces groupes accueillent tous ceux qui ont besoin, peu importe leur emploi ou leur orientation sexuelle. Ils souffrent, c'est tout ce qui compte. On y utilise que son prénom, son vécu et surtout, son écoute. On omet tout contrôle, carte ou liste de membres.
Les anonymes forment ainsi de petites anarchies où le calme règne en maître.
La majorité de ces anarchistes se méfient des conseils d'experts. Pour eux, les thérapeutes sont des aviateurs qui tentent de décrire le dessous d'un iceberg du haut de leur nuage. "l'enfer, le bas fond, ils ne savent pas ce que c'est. Ils ne parlent pas la même langue que nous et ils coûtent très cher, affirme Yves avec un soupçon de révolte dans la voix. Les groupes, eux, ne coûtent rien à personne. Ils refusent même les contributions extérieures, par conséquent, tout le monde est égal et on se comprend."
Parler avec d'autres.
Bill Wilson, l'un des fondateurs de AA a découvert que pour éviter de retoucher à l'alcool, il devait parler le plus souvent et le plus honnêtement possible avec d'autres alcooliques. C'est pour cette raison que les anonymes ont instauré différentes règles, afin de mieux écouter les confidences de leurs confrères et consoeurs.
"Personne ne peut interrompre ou commenter ce qu'un autre a à dire et surtout, on ne parle jamais d'autres choses que de notre dépendance", raconte Yves, membre depuis trois ans des S.A.
De plus, grand soulagement pour les nouveaux arrivants; personne n'osera les juger. Ils en ont tous fait autant...sinon plus. Enfin, ils rencontrent d'autres sexoliques qui ont réussi à sortir de ce bas fond. L'espoir revient et le miroir fait moins peur.
Reste à savoir comment ces revenants y sont arrivés.....
Grâce au programme de douze étapes suggéré par les anonymes, il s'additionne à d'autres conseils comme lire les témoignages d'autres sexoliques et la littérature du mouvement, mais le plus important, assister aux réunions.
Yves et Gérard suivent cette recette à la lettre. Ils ont admis qu'ils pouvaient s'en sortir seuls. Ils l'ont d'ailleurs essayé des centaines de fois, en vain.
Souffrance.
"Le désir d'activités sexuelles est si grand qu'ils cherchent les situations dans lesquelles ils s'exécutaient avant. Ils auront des manifestations psychosomatiques (imaginaires) qui sembleront physiques comme un mal de tête, de coeur, etc. Aucune recherche n'a cependant prouvé qu'il y avait un impact réel sur le corps", analyse le psychiatre Jocelyn Aubert. Mais qu'ils soient physiques ou psychosomatiques, les dépendants souffrent énormément durant cette phase.
L'acteur Michael Douglas peut en témoigner. Il a traversé ce chemin infernal, appelé sevrage - coupé de toute activité sexuelle pendant 88 jours, à la clinique Sierra Tucson en Arizona. Il a crié, donné des coups de poing dans les oreillers, médité et surtout, il s'est confié. Lors d'un tel jeûne, la crise d'identité est énorme. Selon Yves et les autres sexoliques, le sevrage de sexe est aussi douloureux que celui de l'alcoolisme: "Nous ne savons pas qui nous sommes, parce que nous l'avons fui pendant si longtemps. Notre façon de réagir dans son ensemble nous déplaît. On ressent, en même temps, toute la douleur et l'anxiété que l'on a cachées pendant toutes ces années, en plus de celles qui viennent de ce que l'on réalise. Imaginez l'agressivité que ça provoque!".
Une fois ce passage des ténèbres terminé et que les étapes sont enclenchées, la libération et le bien-être sont si grands qu'il ne reste plus qu'à remercier et demander que ce bonheur, nouvellement acquis et si fragile, perdure....au moins pour aujourd'hui.
Une suite de 24 heures.
À partir de là, la vie devient une suite de 24 heures. Chaque matin, Yves demande la force de ne pas avoir d'aventures aujourd'hui. Et demain? On verra bien! Pour la plupart des sexoliques, imaginer l'abstinence éternelle est proprement inimaginable et créerait une anxiété tellement profonde que la rechute deviendrait inévitable.
Plusieurs semblent guéris, ils ne sont plus obsédés, mais tous sont d'accord pour dire qu'ils restent vulnérables. Les rechutes sont toujours possibles et tout spécialement lors des coups durs.
"Dans une période de stress, il faut donc travailler beaucoup au niveau de la prévention; par exemple, être aux aguets au nombre de masturbations qu'ils ont dans la journée, du genre de situation à éviter, ou encore savoir comment et quand demander l'aide d'un thérapeute ou d'un réseau. Surtout, mais surtout, il ne faut pas voir la rechute comme une défaite", affirme le Dr. Aubert.
Les chevaliers de l'espoir perdu.
La solution des anonymes: un inventaire minutieux et crucifiant de toutes leurs fautes passées. Ils se dénoncent au groupe et réparent ces erreurs si lourdes. Un rétablissement durement gagné. Et peu importe qu'ils soient pardonnés ou pas, ils en ressortent allégés d'un énorme fardeau et remplis de dignité...assez pour en redonner à leur tour.
Cette attitude chevaleresque préviendra la rechute et deviendra leur nouveau mode de vie. Ils deviendront parrains et avec grand bonheur passeront le reste de leur vie à aider les autres sexolistes à retrouver la sortie de secours des bas fonds.
Les groupes anonymes sont efficaces pour régler les problèmes de ceux qui veulent arrêter; mais ils ne s'intéressent pas aux causes de la dépendance. À ce moment, l'aide des professionnels peut s'avérer efficace.
Toutefois, un moyen ne contredit pas l'autre. Une grande partie des thérapeutes envisagent un travail complémentaire avec les anonymes "ces groupes s'avèrent plus efficaces avec le nombre d'années de sobriété des membres qui peuvent ainsi agir comme des guides, mais il faut aussi valoriser les autres dimensions de leur vie", assure le sexologue de la maison Jean Lapointe.
"Pourtant, il est clair que ces groupes d'entraide aident à vaincre les dépendances, cicatrisent les blessures psychologiques et sont un puissant antidote au problème de la solitude qui multiplie les autres problèmes, que ce soit la drogue, le jeu ou l'alcool", affirme Yves avec détermination. Il y a des années qu'il n'a pas eu d'activités sexuelles. Il se dit heureux et en paix.
Un petit conseil pour les futurs Yves? Le psychiatre Aubert suggère de faire le tour des différentes options : "ce qui est important, c'est qu'il n'y a pas de traitement miracle qui travaille à la place des gens. Et si les gens sont décidés à changer qu'ils se fassent confiance."
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