Lamartine et les¨ Méditations¨.
Théophile Gauthier a retracé l’impression de nouveauté et d’émerveillement que causa en 1820 la publication des Méditations : une révélation de la poésie dans son essence : Ce volume fut un évènement dans les siècles. Il contenait tout un monde nouveau, monde de poésie plus difficile peut-être à trouver qu’une Amérique ou une Atlantide. Tandis qu’il semblait aller et venir indifférent parmi les autres hommes, Lamartine voyageait sur des mers inconnues, les yeux sur son étoile, tendant vers un rivage où nul n’avait abordé et il en revenait vainqueur comme Colomb, il avait découvert l’âme.
On ne saurait s’imaginer aujourd’hui, après tant de révolutions, d’écroulements et de vicissitudes dans les choses humaines, après tant de systèmes littéraires essayés et tombés en oubli, tout l’excès de pensée et de langage, l’enivrement universel causé par les¨ Méditations¨. Ce fut comme un souffle de fraîcheur et de rajeunissement comme une palpitation d’ailes qui passait sur les âmes. Les jeunes gens, les jeunes filles, les femmes s’enthousiasmèrent jusqu’à l’adoration. Le nom de Lamartine était sur toutes les lèvres, et les Parisiens, qui pourtant ne sont pas des gens poétiques, frappés de folie, comme les abdéritains qui répétaient le chœur d’Euripide : « O Amour, puissant Amour », s’abordaient en récitant quelques stances du ¨Lac¨ Jamais succès n’eut des proportions pareilles.
Lamartine, en effet, ce n’était pas seulement un poète, c’était la poésie même. Sa nature chaste, élégante et noble, semblait tout ignorer des laideurs et des trivialités de la vie. Quel accent profond et nouveau, quelles aspirations éthérées, quels élancements vers l’idéal, quelles jeunes effusions d’amour, quelles notes tendres et mélancoliques, quels soupirs et quelles postulations de l’âme que nul poète n’avait encore fait vibrer.
Lamartine a-t-il d’ailleurs toujours échappé aux abus de la rhétorique? On ne saurait l’affirmer. Il y a de l’orateur aussi chez lui, il l’a prouvé ailleurs qu’à la tribune de la chambre, et moins opportunément. Les Parnassiens le lui ont reproché non sans raison.
L’immortalité, la mort de Socrate, quelques pièces des Harmonies, la Marseillaise de la Paix, au milieu de grandes beautés vraiment poétiques, offrent des développements oratoires qui sont étrangers à notre idéal de la pure poésie.
Lamartine est fort peu visuel. Il décrit mal, enfermé qu’il reste dans son univers intérieur D’autre part, il est moins philosophe que Vigny, parce que sa conception du monde est moins personnelle. Rousseau, Lamennais, Platon, la bible et la tradition chrétienne se reflètent tour à tour dans ses vers, et certes il y a de la noblesse, de l’élévation, parfois de la profondeur, mais aussi bien du vague et du flottant dans ses idées. Mais ce n’est pas là qu’il excelle. Le vrai Lamartine est ailleurs. Il est dans ces poèmes qui sont le chant de l’âme dans ce qu’elle a de plus intime et de plus mystérieux, l’âme « qui ne parle qu’à voix basse, dans le silence et la solitude », et qui n’est que « le déchirement sonore d’un cœur », dans « ces sentiments silencieux et tristes, ces idées vagues, sublimes et infinies » dont il composait ses premières Méditations, vers « purs comme l’air, tristes comme la mort, doux comme le velours ». Il est dans ce crucifix des secondes Méditations, la plus parfaite élégie de la poésie française où la douleur épurée, sanctifiée, chante son chant immortel; il est dans quelques vers de Jocelyn où vibre la foi baignée de confiance et de douceur évangélique, et pénétrée du souffle large de la nature alpestre; il est dans les deux poèmes : Milly et la vigne et la Maison, qui disent l’alpha et l’Oméga de son amour du foyer, et qui révèlent tout son cœur de fils : l’enfant d’une famille, l’enfant de la terre natale, serrant sur son cœur le trésor de ses affections, il est dans certaines pièces des Harmonies où son sentiment religieux, sans raisonnement ni discussion s’exhale comme une prière, comme un appel vers ce Dieu qui parle dans le secret des temples ou des belles nuits d’été.
Chez aucun poète on ne sent autant la différence entre les vers travaillés (il en est peu) ou négligés (il en est davantage) et les vers inspirés. Ceux-là, comme les fleurs d’une belle venue, nées sous un ciel souvent sont incomparables. Ces vers donnés par les dieux, comme dit Paul Valéry sont assez nombreux pour faire la gloire unique de Lamartine. Paul Valéry ne veut pas que l’on compte trop sur les dieux; Lamartine comptait trop; et de là vient l’inégalité de ses vers (du génie, du talent, de la facilité, disait de lui Musset. Assez méchamment). Mais là où il excelle, il atteint vraiment de la perfection de ce que nous nommons poésie : cet art qui tient un peu de l’incantation, cette magie du verbe qui s’apparente à la musique, qui est une musique non pas tant pour l’oreille que pour l’âme, révélatrice du secret des choses et de nous-mêmes.
« Si tous les grands poètes sont « à part » a dit Jules Lemaître, Lamartine est lui-même à part d’eux tous. Il domine notre histoire poétique. Il est dans son fonds et son tréfonds le poète religieux, autrement dit le Poète, puisque la poésie, reliant le visible à l’invisible, est religion dans son essence….Je ne dis pas qu’il soit, mais je le sens le plus grand des poètes. » Ce jugement rejoint, somme toute, celui de Paul Bourget et de Théophile Gauthier qui disait déjà : « Lamartine, ce n’était pas seulement un poète, c’était la poésie même. »
L’originalité de Lamartine serait d’avoir représenté en son temps ce que nos contemporains ont appelé « la poésie pure », bien que, selon eux, l’apparition complète de celle-ci ne date que de Beaudelaire et surtout Mallarmé et des symbolistes.
Qu’ya-t-il de différent entre Lamartine, Victor Hugo, Vigny, Musset? Qu’y a-t-il de différent entre ces poètes romantiques? Voyons ce qui caractérise essentiellement chacun d’eux.
Victor Hugo est peintre. C’est comme disent les philosophes, avant tout un visuel. Comme Théophile Gauthier le disait de lui-même, il est « un homme pour qui le monde extérieur existe ». Des Méditations aux Odes et Ballades par où débute Hugo, quel changement de ton, d’atmosphère. Nous entrons dans le monde des sensations, des formes, des couleurs. Le geste et le visage humain, le cadre de la vie, les évènements de la légende ou de l’histoire envahissent la poésie. Les orientales sont toutes chatoyantes, ensoleillées, bariolées. L’Espagne, l’Orient, la Grèce enchantent notre imagination. C’est que l’imagination est la faculté puissante qui inspire à Victor Hugo une suite de tableaux. Tout se présente à lui sous formes d’images tirées de la réalité, qu’il sait voir; elles se transforment, s’agrandissent, prennent l’aspect du fantastique. Plus tard, dans les¨ Contemplations¨ ou la ¨Légende des Siècles¨, il créera les mythes, mais toujours il éprouve le besoin de parler à nos sens pour ébranler notre âme, et pour illustrer ses idées, traduire ses rêveries philosophiques. Son œuvre est, comme on a dit, le plus grand magasin d’images qui ait été crée par un poète dans la littérature française. Son art d’animer les masses, de donner corps à des visions apocalyptiques dans la Légende des Siècles, est prodigieux. Il aboutit à d’immenses fresques poétiques dont rien n’égale les splendeurs.
Alfred de Vigny, on le sait, joue dans le chœur des poètes romantiques le rôle du penseur. Ce qui l’intéresse, ce sont les idées. Cette et originale conception de la poésie lui a inspiré de neuves et fières beautés, mais elle a ses inconvénients. Il na pas toujours su éviter l’abstraction, qui répugne à la poésie, il est tombé dans la sécheresse ou l’obscurité. Son œuvre est presque fermée au monde de la sensation, qui offre de si grandes ressources à l’artiste pour traduire son inspiration.
D’où l’embarras de ses descriptions, l’incomplet de ses tableaux (le naufrage dans la Bouteille à la mer n’est pas vu). Ses vers sont parfois rocailleux. Il n’a pas très vif le sens musical, si important en poésie. Il y a eu en lui un état et une volonté de refus à l’égard des grands sentiments humains (l’amour, la nature, Dieu) qui font vibrer le cœur de l’homme : bref, la sensibilité de Vigny présente une lacune grave : il n’a pas l’amour de la vie, et « le lait de la tendresse humaine » dont parle Shakespeare est trop absent de sa poésie.
Alfred de Musset ne nous paraît pas, au premier abord, bien caractérisé par ce mot d’orateur. Il est vrai qu’il y a des parties de son œuvre lyrique qui sont d’un ton oratoire, et même déclamatoire; ce ne sont pas les meilleurs (le Pélican dans la nuit de mai, quelques strophes de ses premiers poèmes Rola, Namouna). Dans l’espoir en Dieu, une philosophie superficielle prend souvent la forme d’une mauvaise rhétorique, mais Musset n’est pas tout entier dans cette pièce qui cède aux outrances de l’époque.
Sa poésie a de la grâce, de l’émotion, mais contient peu de mystère. Les comédies de Musset ont gardé toute leur fraîcheur et ne vieillissent pas. D’où vient la permanente jeunesse de certaines comédies? Deux cas différents : ou bien, à travers les vices et les ridicules d’une époque, l’auteur montre l’homme éternel, la nature humaine dans ce qu’elle a d’essentiel. C’est le cas du plus puissant de tous nos auteurs comiques, Molière. Même la comédie de mœurs garde son intérêt à toutes les époques si les travers passagers laissent transparaître les travers de l’homme de tous les temps, les Précieuses Ridicules et le Monde où l’on s’ennuie (de Pailleron), c’est l’éternelle comédie du snobisme mondain des salons littéraires.
Ou bien l’auteur a souscrit son œuvre aux injures du temps en la plaçant hors du temps. C’est le cas de Marivaux et de Musset lorsqu’ils nous peignent dans un salon ou un décor de rêve, l’éternel couple d’amoureux poursuivant le bonheur à travers les épreuves que lui suscitent son entourage ou les complications de leur propre cœur. Cette comédie psychologique et poétique a peu de chances de vieillir.
Le style empêche également les œuvres de se faner ou de mourir. Les comédies qui se démodent sont celles où la plaisanterie superficielle ne portait pas la marque d’un génie personnel, mais répondait seulement à l’esprit du jour, qui n’est que l’esprit d’un jour. De l’auteur de Pathelin à Courteline, une bonne plaisanterie, un mot comique gardant leur saveur, s’ils sont marqués au coin de l’esprit véritable, c'est-à-dire d’une vision piquante et originale de l’homme et de la vie.
Éternellement jeune est, par exemple, la charmante comédie de Musset qui s’intitule : ¨Il ne faut jurer de rien¨; ici Musset a peint un milieu contemporain, il ne s’évade pas comme dans Fantaisie ou Barberine dans un royaume de rêve. Nous sommes sous la Restauration, chez une baronne, dans un beau château et un parc de l’Île –de-France. Le bonhomme Van Buch, enrichi dans le commerce, médite de marier son neveu à la fille de la baronne, mais Valentin est rebelle au mariage, il voudra jouer au séducteur et s’introduira au château après une péripétie romanesque, sous le couvert de l’incognito. La jeune fille Cécile, a toutefois le cœur innocent et l’esprit droit. Elle a tôt fait de reconnaître en cet amoureux qui lui fait parvenir des billets doux et lui donne des rendez-vous dans le parc le neveu de M. Von Buck. Pour elle, l’amour c’est le mariage.
« À aucun moment, Valentin n’apparaît à Cécile autrement que comme un fiancé. Le fiancé est bizarre? Elle respecte sa bizarrerie. Une petite fille bien élevée et habituée aux mystères inexpliqués. Elle ne voit pas ses yeux levés au ciel, elle n’entend pas ses soupirs, ses phrases à double entente. Valentin se pique, se dépite. Est-elle stupide? Est-elle différente? Est-elle coquette, plus savamment qu’elle n’est roué? Rien de tout cela, elle est déjà conjugale. Elle est sûre de Valentin. Mais, exquise ironie que seul un Musset pouvait rêver, ironie où le caprice du poète retrouve d’un bond la vérité même de la vie. Ce qui fait cette certitude n’est qu’un mirage, un souvenir de bal gravé dans une petite tête rêveuse, un épisode que même Valentin n’a même pas remarqué. » (Dussone : le comédien sans paradoxe. Romanesque et réussie, pudique et tendre, loyale et fine, sa candeur et sa grâce ont désarmé le jeune libertin qui retrouve sa fraîcheur d’âme au contact de cette âme pure de jeune fille. L’amour véritable pourra naître en eux, « il ne faut jurer de rien ». Valentin a perdu sa gageure, il a conquis le bonheur.
Avec une légèreté et une sûreté de touche qui n’est qu’à lui, Musset a mis dans cette comédie autant de vérité que de poésie. Cette baronne écervelée et bavarde, ce Van Buck calculateur et épicurien, ce valentin qui joue les roues étaient donc meilleurs qu’eux-mêmes?? Elle, vraiment naturelle, dans sa sagesse qui surveille le manège des jeunes gens, l’oncle plus généreux et plus indulgent qu’il ne paraît, Valentin capable d’aimer avec passion? Mais surtout Musset a su tracer une fois de plus une figure féminine exquise. Cécile, c’est l’éternelle jeune fille avec ses rêves naïfs, son attente frémissante de l’amour, sa fraîcheur délicieuse qui rayonne la pureté.- Le seul théâtre de l’époque du romantisme qui n’ait pas vieilli et que le public aujourd’hui vit toujours avec le plus vif plaisir. Ainsi se vérifie cette observation générale : le comique superficiel se démode, celui qui porte sur le fond des caractères et des mœurs reste vivant.
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