Commentaires
Un acte de démission: Les personnages des Dix Hommes Noirs, ne sont ni des bêtes, ni des anges. Ce sont des faibles. Ils se déclarent vaincus et refusent la lutte. On arrive à douter de leur patriotisme et de leur jeunesse. “Ils nous paraissent comme des esthètes : qui ne demandent à la vie que des jouissances; des ratés qui veulent se faire illusion à eux-mêmes et aux autres” (D. Vaval)
Ils aspirent tous à la mort. Pourquoi? Parce qu’on méconnait leur valeur, parce qu’ils sont misérables. Ils se feront égorger l’un l’autre. Ils manquent de grandeur d’âme et de courage dans l’adversité. Le livre demeure donc un acte de démission.
Telle n’a pas été heureusement l’attitude de la jeunesse d’alors. Malheureuse, desespérée, pressurée par la misère matérielle et morale, elle n’a jamais consenti au suicide collectif ou individuel. Sauf le cas d’Edmond Laforest.
Ainsi le poème LES DIX HOMMES NOIRS ne peut être considéré comme le testament intégral d’une jeunesse qui a souffert, cherché et trouvé sa voie. Il se termine, il est vrai, par le discours optimiste de Franck qui est inconstablement porte-voix de l’auteur.
Un poème national
Les jeunes de la génération de Vilaire s’enflamment de passion pour la liberté, la justice, la vérité. Mais ils vivent dans une société où le médiocre est roi. Ce conflit entre leurs aspirattions et la froide réalité produit un véritable choc et brise dans leur coeur tout ressort d’action et d’énergie.
Ces circonstances sociales et politiques, jointes à la mélancolie de Vilaire, à ses doutes, à ses désillusions et à sa grande foi chrétienne, ont fait de lui l’auteur d’un des plus beaux et des plus macabres poèmes de la littérature haïtienne : LES DIX HOMMES NOIRS.
“Touché, dit un contemporain de l’auteur, des conditions d’existence de toute une génération, Vilaire avait entrepris d’exprimer la douloureuse histoire de ses rêves brisés”. Aussi le poème connut un succès immense à l’époque de sa publication.
Onze ans après, Seymour Pradel dira : “Lorsque parurent les Dix Hommes Noirs, ce fut pour nous une révélation. C’était le souffle de la grande poésie qui passait sur nos fronts et les courbait. C’étaient nos pensées embellies et magnifiées qui vivaient devant nous. C’étaient nos rêves, nos espoirs, nos doutes, nos dégoûts, c’étaient nos coeurs, c’était notre jeunesse qui chantait” (Haïti littéraire et Scientifique, 5 janvier 1912).
En août de la même année et dans la même revue, il continuait : “Ce poème est le procès verbal de l’âme d’une génération, dressé par un poète et un observateur. Il renferme une analyse aigüe et juste de la crise morale qui 1900-1901 faillit emporter toutes nos énergies: il en représente peut être l’oeuvre la plus caractéristique”.
Et Charles Moravia, toujours contemporain de Vilaire lui dédiera un sonnet dont nous extrayons ce tercet :
Le mal dont nous souffrons a passé dans tes vers.
Nous l’avons reconnu, hélas, en tes dix hommes
La jeunesse pensive et triste que nous sommes
Un poème religieux
Au coeur de ce long poème: L’angoisse. Angoisse de l’homme rejeté par son milieu et incapable de maîtriser son dégoût pour la vie. Angoisse propre de Vilaire étudiée par personne interposée. Angoisse (voir bas de la page) la folie. Le poème demeure, en dépit de la fin tragique de Frank un playdoyer en faveur de la charité et du dévouement. Le long discours de Franck, s’il n’arrive pas à gagner à la vie, ses amis, ruine au moins par le raisonnement leur pessimisme défaitiste.
Si Franck refuse le suicide, c’est pas par amour pour la vie pourtant tissée de lâcheté, de bassesses, de reniements. C’est au profit de Christ. Vilaire est partagé entre deux univers; le mal et le bien. Les neuf hommes pétris de faiblesses et de vices: c’est lui, c’est la société de son temps, le drame de sa génération qu’il assume sous une forme hautement poétique. Et alors, pourquoi Vilaire a-t-il eu recours à ce subterfuge pour terminer le poème? pourquoi la folie du plus courageux des dix? Où est Christ? Pourquoi n’a-t-il assisté de sa grâce, Franck, le Chrétien? C’est que Vilaire se cherche. Il s’interroge. Son oeuvre passe forcément par des chemins contradictoires avant de déboucher sur l’éternité.
Que conclure alors à partir des Dix Hommes Noirs? Si Christ est, son existence et la foi de cette existence ne suffisent pas pour éloigner sur soi les calamités terrestres. Ces calamités sont des épreuves.
Vous souffrez, votre vie est un drame effrayant,
Et vous doutez de Dieu, Vous songez au néant,
Vous à qui par des pleurs, l’ange de la souffrance
Voulait faire entrevoir la divine Espérance....
Mais vous repoussez Dieu, dont la main vous frappait
Pour soulever vers lui votre âme qui rampait...
(Discours de Franck)
- Angoisse du croyant qui n’arrive pas à conserver neuf vies pour les luttes à venir et qui sombre dans....
HOMO - POÈME À MON ÂME
N’oublions jamais que la foi chrétienne de Vilaire est sa plus grande source d’inspiration. Ce pasteur protestant a été agité toute sa vie en face des mystères de l’infini. Qu’est-ce que l’homme? Sa provenance, sa mission sur la terre, ses fins dernières? Est-il voué au bonheur ou au malheur? Autant de questions qui ont un commencement de réponse dans le Flibustier, Page d’Amour, les Dix Hommes Noirs, Amour, Les Étoiles. Ce qui amène Vilaire à s’interroger sur les fins dernières de l’homme. Il y répond par deux longs poèmes : Homo et Poème à Mon Âme publiés pour la première fois respectivement en 1907 et 1905. Les deux font partie du deuxième tome des poésies complètes.
Homo est sous-titré “Vision de l’enfer”. Homo, c’est-à-dire l’homme, tous les hommes, symbolisés par un seul est sur son lit de mort. Il a été pêcheur impénitent. Il n’a même pas eu l’occasion de faire acte de contrition avant de dire adieu à la terre pour aller répondre de ses actes dans l’au-delà. Les flots de l’inconnu, l’immensité vont engloutir son être et Vilaire médite sur la vanité de ses actes:
Homo, que te vaudront tous ses jours sans vertue
Que ta vie effeuilla sur un chemin stérile.
Homo s’élève de la foule et roule de la terre aux enfers. Il grelotte de froid. Il n’a plus les liens pesants de la chair, pourtant il a conscience d’être sensitif. Horrible mystère. “Il voit bien qu’il revit et que la mort n’est point” L’éternité reflète son passé à ses yeux.
L’impérissable moi, tout le mouvant cortège
Des gestes et des faits tourbillonnent et l’assiègent
Leur résurrection fait l’enfer ou le ciel
Dans l’enfer de Vilaire, rien ne manque hormis la joie; les arts et la beauté. Toutes les passions font cortège à l’âme et l’assiègent.
L’enfer est la grande ombre où les nuages flottent
Le monde impondérable où les spectres sanglotent
Le supplice commence quand l’homme pervers voudrait continuer à jouir des délices du vice. Tout n’est qu’ombre autour de lui. Veut-il saisir un objet? Ce dernier s’évanouit au toucher. Et quand il est saisi par le remords, le coeur est transformé, mais les souffrances sont pires. Au remords suit le repentir. Et le mal s’unit aux tortures, pour l’éternité, aux yeux des damnés.
Homo a soif et il ne peut boire. Il a honte de sa nudité et ne peut se vêtir. Il souffre et ne peut pleurer. La nuit de l’enfer peut durer une heure ou deux ou embrasser des siècles infinis” Que fait-on pendant ce temps” demande Homo à une ombre.
“On se souvient
“Car la nuit des enfers n’est pas pour que l’on dorme.”
Ainsi, Homo se souvient, connaît la déception, le remords, le repentir jusqu’au jour où, sa peine purgée, purifiée, il renaîtra à la vie:
Sa douleur par degré s’évapore et s’enfuit
Il soupire allégé, se délasse, s’étonne,
Ses yeux s’ouvrent....L’enfer n’est plus! Le ciel rayonne
L’épilogue de ce poème de plus de 1400 vers un hymne d’amour au Père Tout Puissant et un appel à l’homme sceptique pour qu’il croit au bonheur céleste, même dans la souffrance. Dieu est notre père et l’éternité le but à atteindre après l’âpre misère:
Mais la douleur n’est rien qu’un feu qui purifie.
L’éternel est amour et vous pouvez, maudits
Entrevoir, à travers l’enfer, des paradis
C’est aussi, une vision de ce qui attend le pêcheur s’il ne se repent, s’il ne fait pénitence, car affirme Vilaire, “la grâce du Seigneur seul délivre des haillons souillés où se débat notre “âme”.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire