jeudi 1 novembre 2012

LITTÉRATURE HAÏTIENNE - 25e partie


Le chantre de la nature

Vilaire a vécu à la Grande-Anse, en face de la mer houleuse, immensément belle et infinie, au sein d’une nature luxuriante et capricieuse.  La bible où planent tant de mystères a été son livre de chevet.  Son monde est donc très vaste.  Apocalyptique serait-on tenté de dire.  Voici donc au service d’un imagination créatrice extraordinaire: le ciel qui prend la forme d’une gigantesque et vivante cathédrale; l’enfer où les voix résonnent “comme un vol effaré de mille oiseaux nocturnes”; les astres innombrables “beaux resplendissements de l’infini mystère”; les océans insondables et leurs plaintes mélancoliques; les forêts avec “Nos bambous aux tiges d’or pliantes/pareil à des supliantes; les cocotiers, gardiens de l’agressivité /Et d’épineux bayahondes/Colorés de soleil, grisés d’immensité / Poudrés de l’écume des ondes”.

Les paysages de Vilaire ne sont empruntés nulle part.  On peut rencontrer chez lui certaines images classiques, souvent désuètes et qu’on ne peut offrir comme ce qu’il y a de meilleur dans son oeuvre.  Mais quand l’idée générale appartient à la littérature universeille, il la revêt du sceau puissant de son originalité.  La lecture de Vigny, de Byron, de Shakespeare, de Dantes ne peut créer ni le ciel, ni l’enfer, ni les vastes étendues éthérées, ni le milieu social de Vilaire s’il n’y avait pas l’éducation religieuse et le génie du poète pour les cautionner et les sertir dans le réel.


Qui a dit que Vilaire n’a pas chanté la nature haïtienne? Quand il descend des sphères célestes où qu’il remonte des bafonds de l’enfer, il ne fait pas autre chose.  Qui n’a lu cette dizaine de pages de Le Flibustier (deuxième partie) où le poète dit les charmes du paysage haïtien.  Et ses poèmes où il chante Jérémie (Page d’Amour), le printemps haïtien, Haïti (Hommage à Monsieur François Fertiault, À ma Patrie, Amour des Choses), la chanson du Vent du Nord, l’Ajoupa etc...

Quand à la mer, celle de Jérémie avec ses cris et ses colères, sa puissance évocatrice et ses mystères, elle a dicté à Vilaire des pages admirables de précision.

Comme Argan, Vilaire aime l’immensité des mers et s’est laissé séduire par leurs frémissants baisers.  Il saisit et traduit avec même netteté les mystères de l’au-delà, le langage des fleurs des fruits et des étoiles, les mugissements et les sursurements de l’océan.  Et quand il décrit sa palette est riche et colorée. Il reproduit toujours avec aisance les formes et les bruits de cette nature qu’elle soit lumineuse, éclatante, apaisée silencieuse ou peuplée de géants qui s’évaporent au toucher.

Le poète national

Vilaire n’a pas laissé à la manière de Durand, de Coicou ou de Guilbaud des livres entiers de poèmes où, dans un style déclamatoire et cocardier il chante son amour de la patrie et surtout les héros de 1804.  Mais, comme eux, il chante la liberté qui eut St Domingue pour berceau (Le Flibustier), flétrit les héritiers indignes des hommes de 1804 (Le Patriote des dix hommes noirs) et dit même son espoir de voir sa patrie connaître des jours lumineux (À ma patrie).

Vilaire a surtout chanté les misères de la patrie. S’il est fier des titans de 1804, (ces spartacus qui ont reculé au seul bruit de leurs chaines les troupes napoléoniennes), il a avant tout déploré la routine, le vol, la misère, les haines qui durant un siècle d’indépendance font croupir encore la jeune nation dans une vile ornière.  Il a dénoncé ceux qui tuent sans combat, se drapent du manteau révolutionnaire pour mieux brûler le temple de la paîx (Nos Erostrates).

Vilaire n’a pas été indifférent aux problèmes de son temps. Il en porte lui-même témoignage dans la préface de ses poésies complètes.  “Seulement un peu de son âme affligée (Haïti) et combattue se reflète dans le désespoir de quelques uns de mes poèmes, les explique et les excuse.  Je voudrais que cette page éloquente fixée en eux, et par eux rendue vivante, parvint très loin dans le monde et dans le temps pour révéler l’étendue et la profondeur de nos souffrances, pour protester contre les malheurs dont notre peuple n’a pas toujours été responsable, pour montrer enfin que, tout compte fait, nous restons dignes d’un meilleur sort et au-dessus du mépris dont on a maintes fois pensé nous couvrir”.

L’optimiste triste
À travers toute son oeuvre, Vilaire a exprimé ses regrets, ses désillusions, et ses dégoûts.  Nous compatissons à la douleur du Héros de Page d’Amour, l’angoisse d’Argan nous étreint souvent, le désarroi des Dix Hommes Noirs nous plonge dans la méditation.  La mélancolie est un sentiment propre à Vilaire, mais avivé par son milieu social comme l’a si bien montré Seymour Pradel dans son article : “Les deux Tendances”.

Le poète ne croît pas toujours aux hommes, au bonheur, et arrive même à douter de Dieu.  Il crée alors un monde sombre.  La mort hante tous les personnages.  Ils souffrent, haïssent, aiment, desespèrent, vont toujours à la mort comme à la délivrance.  Vilaire intitule d’ailleurs le deuxième tome de ses poésies complètes “Poèmes de la Mort”.

“L’obsession de la mort, le sentiment de la failbesse humaine, l’angoisse et la tristesse dominent toute son oeuvre. Les splendeurs même du printemps, le spectre de la vie et de la force n’égayent qu’un instant le poète, parce qu’ils sont inévitablement liés au souvenir de la mort, au sentiment de l’universel et incessant écoulement des choses”  (Pradel Pompilus, pages de la littérautre Haïtienne).

Cependant, en dépit des apparences, Vilaire ne vise pas à détruire.  Mais plutôt à construire.  L’unité de son oeuvre trouve sa source dans sa foi chrétienne et dans sa conception de l’homme, de la divinité et de l’au-delà.  L’homme est pêcheur.  Il ne peut se regénérer que dans la souffrance.  D’où les misères et la fin macabre de tous les personnages de Vilaire. Mais, tous ses textes s’éclairent d’une lueur de consolation.  Tous ses poèmes débouchent sur la volonté divine et sur l’éternité.  La mort n’et qu’un passage.

Le sépulcre est une porte
Qui ne s’ouvre qu’au ciel...
                (Paroles des trépassés aux vivants)

Voilà qui autorise à considérer Vilaire comme un optimiste triste.  Il croit au bonheur final de l’homme. Mais, ce dernier doit se purifier dans la souffrance avant de jouir des félicités éternelles.

La philosophie de Vilaire
Vilaire lie le comportement de l’homme à un absolu. Parmi les contingences temporelles où il se débat, il a le besoin de cultiver un sentiment de transcendance. Il a pour but ultime: L’Éternel.  Et cet éternel c’est Dieu.  L’attitude est métaphysique.  À travers toute son oeuvre, il porte ses personnages à réfléchir sur les origines et la destinée de l’homme, sur leurs rapports avec Dieu, sur les mystères de l’infini.

Par la bouche de ses héros, Vilaire blasphème des fois.  Il secoue les formules imposées par son éducation religieuse pour essayer de voir clair.  L’existence de Dieu se pose pour lui: il n’est pas un religieux.  Ni un irreligieux: Il n’a jamais essayé de nier l’existence de Dieu et de combattre la religion.  Au contraire.  L’existence de Dieu est nécessaire pour l’aider à construire sa pensée et sa vie.  À la manière de Bossuet ou de Paul Lochard, Vilaire sent et affirme la présence d’un Dieu transcendant et personnel”.

Comme tous les philosophes chrétiens, il s’est interrogé et a recherché des lumières dans la bible et la pratique des vérités révélées.  Ce qui l’a conduit aux portes de divers cultes.  Il est obsédé par le désir d’appréhender la vérité.  C’est de là que le drame est né dans son coeur, puis sa raison, pour alimenter sa poésie.

Tout au cours de son oeuvre, Vilaire l’a affirmé souvent : L’homme est marqué du sceau du péché, donc voué à la souffrance; l’amour est pour lui une source de déboires, la société où il vit ne sera jamais organisée selon ses désirs et le contraindra au deséspoir.  Il a aspiré au beau, au vrai, à une permanence de bonheur.  Mais, sa raison, ses relations sociales, sont autant d’entraves, à son évolution. L’homme est donc d’une race déchue.  Il est pêcheur.  Mais il n’est pas irrémédiablement voué au malheur.  Il est destiné au triomphe final.  Il doit lever les yeux au ciel, implorer le pardon tout en pratiquant les vertus théologales.

Vilaire a écrit toute son oeuvre pour “ceux que tourmentent le drame de la vie, les problèmes de la destinée et de l’âme”.  A-t-il réussi?  Sa conception n’est-elle pas discutable? Oui, quand on envisage que les solutions qu’il propose sont toutes métaphysiques.  L’homme doit-il se soumettre, les bras croisés aux décisions de la Providence, comme le conseille Franck, ou doit-il se secouer, chercher sa voie, (qui n’est pas non plus dans le suicide) pour des lendemains meilleurs.  Ne doit-il pas rechercher le bonheur sur la terre ne serait-ce que par le biais de la fraternité, de la justice et de la luttre pour le pain quotidien?

On peut ne pas partager entièrement la conception philosophique de Vilaire.  Mais, on doit lui rendre ce témoignage d’être l’un des rares écrivains de notre littérature à proposer une solution aux problèmes troublants de nos origines et de nos destinées.  Il est notre premier poète philosophe.

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