dimanche 24 février 2013

LA FIN DE LA VIE - 3e partie


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FRANCIS BACON jusqu’au bout de ses théories.

Père de l’empirisme (1561-1626) décède d’un banal coup de froid lors d’une ultime expérience sur la conservation par la neige.

“Hiver 1626 à Londres. Par un froid glacial, Francis Bacon traverse la ville dans une attelage quand une idée lui traverse soudain l’esprit : et si la neige permettait de conserver la viande aussi longtemps que le sel? Le philosophe se fait apporter un poulet par une vieille dame, mais attrape froid dans la foulée et s’éteint trois jours plus tard.

C’est ce qui s’appelle une mort par “empirisme” courant dont Bacon fut le père sous sa forme moderne.  Le philosophe affirmait que la nature est le fondement du savoir.

Contre l’idée d’une connaissance a priori et innée, Bacon en appelle à la redécouverte du monde physique, à travers les expériences sensibles.  Au coeur de sa philosophie : l’homme “ministre et interprète de la nature” (Novum organum).  En l’occurence, la nature a eu le dernier mot sur Francis Bacon.  En anglais, on dirait qu’il est mort à la tâche, “with his boots on”.  Au delà de sa dimension comique, l’histoire de Bacon possède une morale : le philosophe est mort comme il a vécu.

Il y a une identité parfaite entre sa vie, son oeuvre, et les circonstances de sa disparition.  Celles-là nous font aussi penser à une mort sur scène: par exemple, mourir sur un terrain de football, tels ces joueurs qu’on a vu s’effondrer en plein match... ou encore mourir en donnant un cours de philosophie!”

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Jeremy Bentham (1748 - 1832) est mort de sa belle mort; il a souhaité que son corps soit disséqué et embaumé, il est le fondateur de l’utilitarisme.
“L’histoire de ce philosophe est celle d’un magistral pied de nez.  La prochaine fois que vous vous rendez à londres, allez donc faire un tour à l’University College. Bentham vous attend à l’intérieur d’une vitrine aux faux airs de cabine téléphonique, vêtu de son plus beau costume, comme à la maison.  Dans un texte intitulé Auto-Icon, or Farther uses of the dead to the living (“Auto-icône, ou comment rendre les morts utiles aux vivants”) il s’était longuement expliqué sur le traitement qu’il souhaitait voir réserver à son corps une fois disparu. Il fallait bien que le père fondateur de l’utilitarisme vise une dernière fois “le plus grand bonheur du plus grand nombre” *selon la formule de Joseph Priestley qui inspira l’oeuvre de Bentham) et “maximise son utilité” par delà son existence.

Au-delà de la blague, la mise en scène de Bentham fait écho à sa fascination pour la mort.  Le philosophe était très impressionné par les procédés de momification des têtes pratiqués en Nouvelle Zélande.  On sait qu’au cours des dix dernières années de sa vie, il transporta en permanence sur lui les yeux en verre qui devaient parer sa tête de défunt.  Malheureusement, le procédé devait échouer dans son cas, et l’on eut recours à un visage en Cire!  La tête du philosophe fut placée au pied de son corps embaumé (elle servit un jour de ballon de foot aux étudiants et fut même volée en échange d’une rançon, en 1975).  D’un point de vue proprement philosophique, la démarche de Bentham visait à exprimer une protestation posthume à l’encontre des tabous qui entouraient le corps des morts dans l’Angleterre du XIXe siècle, soumise à l’influence de l’Église anglicane dont l’utilitarisme de Bentham cherchait à s’affranchir sur un plan intellectuel.

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Albert Camus (Existentialiste)
La preuve par l’absurde (1913 -1960) a trouvé la mort dans un accident de voiture.

Sa vie s’est achevée sur une route de l’yonne le 4 janvier 1960. Le véhicule, conduit par son ami Michel Ballimard, était lancé à toute allure et heurte de plein fouet un arbre.  Camus venait d’obtenir le prix Nobel de littérature trois ans plus tôt, et était seulement âgé de 44 ans.  On lui prête d’avoir affirmé qu’aucune disparition ne ferait aussi peu sens qu’une mort par accident de voiture.  L’histoire de Camus est l’exemple parfait de la mort absurde - comme si le philosophe avait été rattrapé par le thème central de son oeuvre.  Nous sommes “tous condamnés à mort” (comme l’explique l’aumônier à Meursault, avant son exécution, dans l’étranger), tous, nous sommes en sursis.  Dans le Mythe de Sisyphe, comme explique : “cette idée que “je suis” ma façon d’agir comme si tout a un sens (...) tout cela se trouve démenti d’une façon vergineuse par l’absurdité par l’absurdité d’une mort possible”.  Je vis dans une rue très fréquentée et il ne passe pas une journée sans que la perspective qu’une fin similaire à celle de Camus ne me traverse l’esprit... Ce type de mort absurde survient chaque jour sur les routes; elle renvoie au sentiment de l’inaccompli.  C’est cette scène du film le septième sceau (d’Ingmar Bergman, 1957) où un chevalier, de retour de croisade, rencontre la mort sur une plage. “J’ai encore tant de choses à accomplir,” lance le chevalier à la mort, qui lui répond, “c’est drôle, tout le monde dit cela.”  Existe-t-il, au fond, un bon moment pour mourir?”.

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Simone Weil : L’Abandon de Soi.  “Philosophe de l’éthique et de la grâce, habitée par la spiritualité.  Simone Weil (1909 - 1943) est atteinte de la tuberculose et s’éteint après s’être infligé de nombreuses privations.”

“Exilée à Londres pendant la seconde guerre mondiale, Simone Weil décide de limiter en quantité de nourriture à celle fixée par le rationnement dans la France occupée, par solidarité avec ses compatriotes.  C’est suite aux complications de sa malnutrition et à un excès de travail qu’elle succombera en 1943 de la tuberculose.  Pour Simone Weil, une théorie politique visant à la transformation de la société doit pouvoir s’enraciner dans une transformation à l’échelle individuelle.  Cette nécessité de se mettre en danger et d’en passer par les situations extrêmes s’est donnée à voir tout au long de sa vie: en témoignant son engagement au côté des républicains durant la guerre d’Espagne, ou ses expériences de travail dans une usine et dans une ferme.  Anarcho-syndicaliste, elle était par ailleurs profondément mystique. À bien des égards, la figure de Simone Weil rassemble toutes les caractéristiques d’une sainte.  Je vois sa mort par privation avant tout comme un acte d’amour tourné vers Dieu, portant jusqu’à la négation de Soi. “Dieu m’a donné l’être pour que je le lui rende”, écrit-elle dans la Pesanteur de la Grâce.  L’amour pour Dieu et celui pour ceux qui souffrent ne font qu’un. “Ce n’est qu’en considérant sa propre personne à partir du point de vue de Dieu que l’on peut se montrer capable d’un authentique acte d’amour envers les plus faibles.”

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Friedrich Nietzche (1804 - 1900).
Héritage : le philosophe Allemand fut le contempteur de la culture occidentale et de ses valeurs morales, par opposition à celles défendues par le surhomme indivdualiste, indépendant et détaché du ressentiment.

Cause du décès - la folie.  Sa crise de démence est restée dans la légende.En 1899, à la vue d’un cheval fouetté par son charretier dans une rue de Turin, Nietzche se jette sur l’animal pour l’embrasser, s’effondrant en sanglots, il ne fut plus jamais capable d’écrire et survécut dans un état végétatif jusqu’à sa fort, onze ans plus tard.

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