Candide, c’est la grande confidence de Voltaire, ce sont ses confessions, à lui, autrement émouvantes, on peut le dire, et même autrement religieusement que celles de Jean-Jacques. À chaque page y reparaît, blessante mais encore plus blessée, grimaçante mais d’un rictus de douleur, cette âme déçue dans sa recherche du vrai, dans sa recherhe de Dieu, qu’elle a entreprise par les seuls moyens de la raison, de sa raison. Et cette lamentation insultante qui éclate enfin. Voltaire alors a soixante-cinq ans - est singulièrement plus profonde que les souffrances sensuelles ou sentimentales de Rousseau, et que sa profession de foi elle-même, où la part de l’illusion est si forte, et de la volonté d’illusion. Détaché de sa foi chrétienne par les philosophes de Paris, Rousseau a tenu, pour se conserver du bonheur, à se créer un refuge contre l’irreligion, un palier sur la pente du doute et du désespoir. Effort original, méritoire à sa manière, mais qui contient autant d’épicurisme masqué que d’esprit adorateur. “Vous jouissez, mais j’espère”, écrivait Rousseau à son ennemi, “et l’espérance embellit tout”. Lui Rousseau, qui se jugeait ascète, à sa manière, il jouissait “ de lui-même, de la nature entière et de son incomparable auteur”, et de l’illusion: “Rien n’est beau que ce qui n’est pas.”
Avide de voir clair, impatient d’atteindre à cette réalité métaphysique à laquelle il croyait, mais qu’il s’irritait de voir définir par autrui, et de ne pouvoir définir lui-même, Voltaire a haï cet esprit de Chimère.
Lui, il a cherché ce qui est: son active intelligence ne peut pas s’arrêter longtemps à mi-chemin; lui-même au contraire la pousse en avant, battant tous les buissons, culbutant tous les adversaires médiocres, parce qu’adversaires, parce que médiocres. Ses blasphèmes sont le cri de sa déception. Où trouve-t-on chez Rousseau un amertume aussi pathétique que celle-ci:
“Aimant passionnément la vérité, nous sommes nés pour tout ignorer.”
Aussi ne faut-il pas omettre Voltaire, lorsqu’on énumère les sources de la pensée romantique. Non seulement son déisme est passé chez Hugo, mais sa hantise métaphysique est devenue celle de Vigny, peinant à son tour à la recherche d’une solution rationaliste du problème de notre destinée et à son tour invectivant et blasphémant dans ses destinées et son Christ au mont des Olivier; et conseillant l,action, le travail du poète comme un dérivatif, utile au reste de l’humanité. Enfin n’est-ce pas la pensée même de Voltaire sur Dieu, celle que Candide développait, hérissait de sarcasmes, que l’on retrouve, transfigurée mais authentiquement Voltairienne, dans le plus beau poème philosophique de Lamartine, le Désert:
“Insectes bourdonnants, assembleurs de nuage,
Vous prendrez-vous toujours au piège des images?
Me croirez-vous semblable aux dieux de vos tributs?
J’apparais à l’esprit, mais par mes attributs.
.....................................................................
Tu creuseras en vain, le ciel, la mer, la terre,
Pour m’y trouver un nom; je n’en ai qu’un....Mystère.
Blasphème lyrique contre le Christianisme, contre l’idée de l’incarnation, le Mystère est la seule divinité ou le seul nom de la divinité que Voltaire désormais consente à adorer.
..........................Est-ce partial maintenant, que de chercher l’une des explications de l’atittude haineuse à laquelle Voltaire s’est arrêté envers l’Église dans cette formule de l’imitation:
Qui autem vult plene et sapide Christi verba intelligere, apportet
ut totam vivam suam illi studeat conformare.
“Si l’on désire avoir dans leur plénitude et leur vrai goût le sens des paroles de Christ, il faut s’appliquer à mettre toute sa vie en conformité avec la vie du Christ.” Ainsi Voltaire a pu lire et relire l’Écriture, parcourir les théologiens, méditer les philosophes Chrétiens, connaître, peut-être admirer de saintes âmes, et cependant rester fermé à la bonne nouvelle.
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