Freud prenait acte des limites de son temps : “nous devons nous attendre à recevoir de la biologie des lumières.... et il s’agira peut-être de réponses telles qu’elles feront s’écrouler tout l’édifice artificiel de nos hypothèses” Freud 1920, p 121-122) Freud nous convoquait déjà à une certaine forme de plasticité, notion présente dans la première partie de cet ouvrage.
Celle-ci, traces et plasticité, rappelle en effet que la plasticité neuronale est la capacité du cerveau à être modifiée par l’expérience, cette dernière laissant donc une trace.
Les traces s’associant les unes avec les autres aboutissent à la formation de nouvelles traces. L’inscription de la trace par la plasticité introduit une discontinuité, espace de non détermination qui permet au sujet d’être auteur et acteur de son devenir, de produire une trace qui le singularise.
Qui dit trace, dit empreinte, mémoire. Y a-t-il une coïncidence entre les deux types de traces: psychique et synaptique? Pour Freud, le frayage est entendu comme une route tracée contre la résistance d’un milieu, sur laquelle tout est inscrit et il n’admet aucune rupture dans la continuité de la consolidation des traces, congédiant toute autonomie de la cause organique. S’il y a névrose traumatique, c’est qu’il y a conflit interne antérieur. Or, des expériences (Joseph Ledoux, Valentino Braitenberg, Hebb, Damasio) développent l’idée que la plasticité post-lésionnelle est susceptible de façonner l’individu avec de profonds changements d’identité.
Aujourd’hui où la névrose de guerre a perdu son nom au profit de “l’état de stress post traumatique”, cela met en jeu une redéfinition radicale de l’étiologie du traumatisme.
Dans la seconde partie du livre, “Pulsion et homeostasie”, il s’agit donc d’interroger les possibles liaisons entre la biologie et le psychologique par la théorie de la pulsion. Partant des expérimentations de Claude Bernard avec la conceptualisation d’une auto-régulatioin à partir de stimuli endogènes, et des travaux de Steven Rose, neurobiologiste londonien, les auteurs développent le principe d’une action pour la conservation d’une unité interne, avec la capacité, non intentionnelle, de s’informer continuellement de l’état du corps, ce qui renvoie au Moi neural de Damasio.
Dans ce système clos, où est en jeu la gestion d’une excitation interne en la réduisant à son minimum supportable, Magistretti et Ansermet proposent la théorie de la pulsion comme possible représentant psychique des excitations. Dans le troisième chapitre, Ameisen, immunologue, dont les recherches portent sur les mécanismes, le rôle, l’origine et l’évolution des phénomènes d’auto-destruction cellulaire a été saisi par l’extraordinaire modernité des idées de Freud. Celui-ci a été marqué à son époque par les travaux de Weismann selon lequel “les organismes unicellulaires sont potentiellement immortels (....) la mort n’émergeant qu’avec les métazoaires (multicellulaires) de Bichat, qui définissait la vie comme “l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort” ou ceux de Darwin,”de l’origine des espèces”, avec l’idée de la lutte constante pour l’existence. Depuis son origine, c’est sous forme de cellules que le vivant s’est propagé à travers le temps.
Une conception nouvelle s’est dès lors imposée : Toute cellule possède la capacité de déclencher son autodestruction. Les cellules produisent des éxécuteurs moléculaires. Il existe des protecteurs, capables de neutraliser les exécuteurs. La pérennité résulte donc d’un équilibre entre destruction et construction. C’est la notion de suicide cellulaire qui joue un rôle dans les maladies.
René Roussillon, dans le chapitre intutilé “Pulsion de mort et apoptose” il conceptualise le fait que la psyché recherche le plaisir lié entre autre à la baisse de la tension. Mais nous avons que la baisse totale de la tension conduit à la mort. Il rappelle que Freud oppose au principe de plaisir le principe de constance ou de réalité. Il faut que la psyché tienne, il n’y a pas d’échange totale des énegies psychiques. Ce qui conduit à une notion de seuil. Tout éloignement du seuil conduit au déplaisir, tout rapprochement au plaisir. Il rappelle une étude menée par Robert Emde, psychanalyste, qui a tenté de vérifier “expérimentalement” la véracité du principe de plaisir (1999), dans laquelle il a pu montrer que des enfants tendent en très grande majorité à éviter le déplaisir et à rechercher le plaisir, les exceptions relèvent alors de la psychopathologie. Comment s’exerce cette tension? Peut-on la penser comme une tension d’investissement nécessaire à un auto-investissement? Deux hypothèses occupent le débat : la première, celle du masochisme érogène primaire où une partie du déplaisir est transformée en plaisir, créant ainsi un plaisir de la tension, où l’appareil psychique devient capable d’endurer une certaine tension sans tenter de l’éviter ou de la décharger: la seconde hypothèse repose sur l’idée que la tension n,est perçue comme telle que pour autant qu’elle est composée d’excitations libres, non liées. Les excitations liées ne sont pas perçues comme des montées de tension, elles sont intégrées dans le fond de la psyché sans provoquer de déplaisir. Se pose alors la question de ce qui organise telle ou telle orientation: l’environnement? La place de l’objet?
Roussillon rappelle que le biologiste Francisco Varela propose une conception du vivant caractérisée parce qu’il nomme autopoiëse : tout ce qui pénètre au sein d’un organisme vivant ne peut le faire sans blesser celui-ci, sans qu’il se produise une transformation qui le rende compatible avec le milieu interne, impliquant un SAS entre dedans et dehors pour effectuer les transformations.
Roussillon développe quant à lui la notion de transformation en représentation. Si la transformation en représentation échoue, c’est la compulsion de répétition, au-delà du principe de plaisir.
Dés lors, la compulsion à retrouver un état antérieur s’avère être compulsion à retrouver un état de mort : “la vie pulsionnelle comme la vie biologique apparaissent marquées par une dualité: d’un côté la vie se maintient et se prolonge grâce au germen, d’un autre le soma porte la finitude et une aspiration au retour à l’inorganique. Et la vie, celle de l’individu, non celle de l’espèce, apparaît comme un détour, un détournement d’une aspiration fondamentale à la mort qui finira par gagner sa lutte après au temps plus ou moins long”(p.174) ce qui vient “retarder” cette fatale condition, cet effacement effectif, c’est la rencontre avec l’objet, la nécessité d’une unité externe qui transforme et qui porte la vie.
Roussillon rappelle que Freud lui-même a largement utilisé les recherches de ses contemporains (woodruff) pour conceptualiser la pulsion de mort et la nécessité d’inter-échanges, d’une rencontre avec le différent, avec l’autre.
Bernard Golse, dans le chapitre suivant, poursuit la réflexion sur l’attention à portée, dans les deux modèles psychanalytique et biologique, sur l’origine de la mort: pour les biologistes, elle reste interne, pour les psychanalystes, elle relèverait autant de l’interne que de l’externe.
La troisième partie du livre débat de l’inconscient. Nicolas Georgieff, psychiatre et psychanalyste, travaille à un principe de compatibilité entre les approches neuroscientistes et psychanalytiques, et développe l’idée que la théorie de la pulsion peut être rapprochée de la théorie de l’action. Si la théorie de la pulsion est une théorie de l’acte mental formulée en termes d’une théorie de la représentation, Georgieff propose de suivre la piste de Widlöcher qui redéfinit la représentation inconsciente (représentation de chose) comme “représentation d’action” et le fantasme inconscient comme “expérience d’action”, les données de l’imagerie montrent l’équivalence fonctionnelle entre représentation et action : l’action est d’abord effectuée sous forme d’acte mental. Il ajoute qu’en se reférant à l’action, la situation analytique est l’objet même de la théorie de la pulsion. La théorie de la pulsion suppose que le psychique est par nature co-psychique et procède par essence de l’interaction interindividuelle. Il n’y aurait pas de psyché individuelle: un individu a un cerveau mais il faut plusieurs cerveaux pour constituer une psyché. Georgieff suppose que le rapprochement entre théorie psychanalytique et neuroscience se fera, de façon privilégiée autour de l’intersubjectivité et des processus co-psychiques, plutôt que dans le champs d’une psychologie “individuelle”.
Enfin, Lionel Naccache, neurologue, avance que ce qui fait question n’est pas tant l’inconscient que l’origine de la conscience. Il décortique la richesse de l’inconscient cognitif en développant trois idées, la première étant que les représentations inconscientes occupent toutes les zones du cerveau. Deuxièmement, il existe un principe de proximité automatique, c’est à dire qu’il n’y a pas de vision topique de la conscience, aucune région cérébrale dont l’activité apparaîtrait comme réservée aux pensées conscientes.
Troisièmement, les échanges entre couches des processus inconscients et conscients sont nombreux. Mais ces représentations inconscientes plurielles sont différentes des pensées inconscientes. Ainsi, trois propriétés de l’inconscient Freudien sont en contradiction avec la conception mentale neuro-scientiste. La première est le refoulement. Pour Freud, il est un processus psychologique inconscient qui lutte contre l’irruption au sein de la conscience du sujet de certaines représentations mentales désagréables. Mais selon les neurosciences, les mécanismes de contrôle relèvent toujours d’un fonctionnement conscient - la deuxième propriété est la durée de vie des représentations mentales inconscientes; la capacité à maintenir activement une représentation pendant une durée illimitée nécessite un mode de traitement conscient. Pour les situations de cognition inconsciente, il y a un caractère évanescent, de l’ordre du centième de millième de seconde. La troisième propriété est la causalité même de l’inconscient par la nécessité d’une censure de nos intentions, nos désirs, et nos affects. On pose donc la question; dans l’effort de la découverte de l’inconscient, aurions-nous négligé la part fondamentale de la conscience? Naccache remarque que la posture du psychanalyste, sujet conscient qui interprète le mental, qui n’a de cesse de chercher et de construire une signification et une causalité dans tout ce qui procède de la vie psychique de son patient, de lui-même et de tout sujet humain, contient l’essence même de la conscience, et représente donc posture consciente interprétative d’une réalité psychique et non d’une réalité matérielle.
Des expériences de callotomie ont démontré qu’il existe une conscience pour chacun des hémisphères, et qu’elles ne sont pas forcément coordonnées. On y apprend que le sujet, quand il prend conscience du comportement qui affecte le corps, lui donne une signification.
L’hémisphère gauche donne du sens au réel. Le patient façonne une cause. Ce qui fait sens est une construction mentale fictive: “j’inteprète donc je suis”. La place de la composante interprétative est immense : faculté d’interprétation mentale consciente, incorporation des autres données du réel pour corriger ces interprétations. La révision des constructions conscientes est constante, mais il reste une diversité propre à chacun en fonction des diverses interprétations conscientes fictives. Ces interprétations fictionnelles jouent un rôle majeur dans notre fonctionnement mental. Naccache propose l’inconscient en tant que conscience du sujet qui interprète sa propre vie mentale inconsciente à la lumière de ses croyances conscientes.
La synthèse des apports actuels de chacune des disciplines témoigne de l’intérêt à travailler ensemble, avec une collaboration qui implique de revisiter nos conceptions, préservant à chacun ses singularités au service d’une humanité.
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