Lorsqu’elle vivait avec lui, elle n’avait plus de désir de lui. Ce mordant en elle d’établir un pont avec lui - de le contacter. Ce pont, ce mordant, ce désir n’étaient plus là - non pas tellement à cause de lui, mais parce qu’en elle, rien ne s’allumait plus pour lui. Elle avait terminé sa tâche de planche de salut. Elle n’avait plus besoin d’être initié à ses charmes. Elle s’ennuyait de n’avoir plus de sens et cette relation était devenue insignifiante. Elle était une planche de salut qui contemplait son absence de naufrage.
La brisure du lien avec l’autre représente une autre des misères souvent associées à la solitude et qu’il faut confronter. Cette brisure peut être réelle et irrévocable lorsque par exemple, l’un tombe en amour pour un(e) autre, ou même fantasmée lorsque l’autre a coupé le lien affectif, le regard bienveillant. Sentiment d’être abandonné, impression vague et persistante de ne plus compter pour l’autre, ni pour personne, honte par rapport au fait d’avoir perdu son visage devant l’autre: ce sont là quelques unes des facettes de l’émotion qui résulte de la perte de l’être aimé.
Dans le cas particulier et plus, fréquent de la brisure du lien affectif, celui qui éprouve la langueur intérieure et le déchirement de ne pas faire plaisir à l’autre, de le peiner même, risque d’être fortement tenté pour se soulager de régresser dans la fusion avec l’autre. Pourtant, ce n’est qu’en combattant cet appel à la régression et en tolérant la souffrance de la distance affective qu’il parviendra, petit à petit, à conquérir enfin sa vitalité en dehors du regard de l’autre. Sachant qu’aucune fusion n’est permanente sinon par et dans la mort de la personne et ainsi que tout est toujours à recommencer s’il régresse vers la fusion, celui qui perd le regard bienveillant de l’autre doit courageusement couper le contact avec l’autre, y renoncer et passer à travers la misère que cela implique, la tolérer jusqu’à ce que la souffrance finisse par disparaître.
Il n’y a pas d’autre solution, il n’y a pas de magie. Il n’y a que le courage humain celui de passer à travers la peine d’être seul et de n’être pas avec l’autre, celle qui crie après l’union et qui pousse par tous les moyens à retrouver la sécurité de la fusion. Accepter de passer à travers cette peine plutôt que de trouver toutes sortes d’excuses ou de fausses raisons pour garder l’autre à distance implique que la personne accepte la souffrance.
Finalement, cette peine d’être isolé finira pas s’estomper et la solitude sera domestiquée comme un cheval sauvage. Après le combat avec son refus d’être monté, le cheval finit bien par se mettre au service du cavalier à condition que le cavalier se soit auparavant fondu aux mouvements du cheval et l’humain, parallèlement, à la souffrance de la solitude.
CHAPITRE I
Hélène eut un mouvement d’impatience quand Roger, son mari, vient la rejoindre dans la salle de bains. Elle lui cria :
-Je n’aime pas qu’on me surprenne quand je fais ma toilette. Et je suis très pressée. S’il te plaît, laisse-moi tranquille. J’ai si peu de temps pour me détendre. J’ai une journée épouvantable chargée. J’ai trois rendez-vous ce matin et cinq cet après-midi!
Il la regarda. Elle était très belle et il était toujours amoureux d’elle. Ce n’était pas sa faute s’il avait un peu l’impression de la perdre sans rien pouvoir y faire. Il lui dit gentiment :
-C’est ta fête aujourd’hui, trente-huit ans! Il faut célébrer ça, ce soir j’aimerais t’emmener souper quelque part. Choisis toi-même le restaurant. Nous pourrions aller chez Dorais. Tu adores les fruits de mer.
Elle l’interrompit :
-Tu tombes mal. C’est gentil de ta part d’y avoir pensé. Écoute Roger, mon travail m’accapare plus que jamais. Je ne sais pas du tout à quelle heure je rentrerai. Il vaut mieux remettre cela à plus tard. C’est plus sûr, tu risquerais d’être déçu.
-Déçu?
Il n’insistait pas. C’était toujours comme ça. Hélène faisait passer son travail avant tout autre chose. Et il en souffrait. Il ne la voyait presque plus; elle passait le plus clair de son temps au milieu des rendez-vous d’affaires. Quand elle le rejoignit dans le salon, elle remarqua son air contrarié. Elle eut un peu pitié de lui.
- Mets-toi à ma place, lui dit-elle. Je m’occupe maintenant du marketing pour tout le Canada. C’est formidable pour moi, je n’espérais pas tout de cette entreprise que j’ai créée sans trop y croire. Le résultat dépasse mes espérances. Odette et moi, nous travaillons fort. Elle est une collaboratrice précieuse pour moi. Elle me seconde admirablement. Je ne sais pas comment je m’en sortirais si je ne l’avais pas. Elle est très dynamique. Il eut un sourire triste.
-J’en suis heureux pour toi, dit-il. Mais honnêtement, je me demande parfois pourquoi nous nous sommes mariés. La semaine, tu es insaisissable. En principe, pas libre avant 22 heures. Durant les fins de semaine, tu t’enfermes dans ton bureau en me priant de ne pas te déranger. Crois-tu que ce soit une vie? Je me demande ce que je fais dans cette maison, à quoi je sers. Et la tendresse, Hélène? Tu y penses quelquefois?
Elle soupira, sembla réfléchir.
-En ce moment, je joue gros. Essaie de comprendre. J’ai misé le tout pour le tout dans cette affaire et j’y crois dur comme fer. Si je devais échouer, j’aurais du mal à m’en remettre et j’entraînerais des gens déçus dans ma faillite. Je n’ai pas le droit de prendre de tels risques. J’en suis au stade où je dois envisager d’embaucher du personnel nouveau. Tu te rends compte? C’est fantastique, hein? Toi qui pensais que je m’embarquais dans une affaire qui ne tenait pas debout… Si je t’avais écouté, tu m’aurais complètement découragée dès le départ. Mon pauvre Roger, on ne peut pas dire que tu sois un battant!
Elle s’approcha de lui, le contemple longuement.
-C’est curieux, mais je me demande parfois si tu n’es pas jaloux de ma réussite. Tu essaies sans cesse de me freiner.
Il occupait un poste subalterne dans une manufacture de vêtements. Sans ambition, il s’était toujours contenté de peu. Hélène était tout son contraire.
-Tu te trompes complètement, répondit-il. Je ne suis pas jaloux. Seulement, je me reconnais un côté un peu rétro. J’appréciais l’époque où les femmes se consacraient à leur foyer. Où les hommes étaient liés à des épouses qui se songeaient qu’à leur assurer un bien-être constant, à leur mijoter des petits plats!
-Des petits plats!
-Mon père et ma mère vivaient de cette façon-là. Ils s’adoraient. Dans la famille, personne n’a eu à le regretter.
Hélène secoua ses cheveux blonds. Elle se mit à rire.
-Tu es totalement dépassé; Roger. Nous sommes maintenant indépendants! Tant pis pour les machos de ton genre!
-Macho, quel vilain mot! Décidémment, tu ne comprendras jamais!
-C’est possible.
Le visage de Roger s’assombrit.
-Lorsque nous nous sommes mariés, j’avoue que j’espérais mieux.
-Tu pensais que je serais une femme soumise. Tu t’es vraiment planté!
Depuis quelques temps, leurs rapports s’étaient envenimés. Il ne supportait pas de la découvrir ainsi, absorbée par son travail, n’admettait pas le peu d’importance qu’elle lui accordait. Il était malheureux de la voir devenue si sûre d’elle, si active, si sollicitée par cette société dont elle s’occupait avec une telle ferveur. C’était la fin de leur couple, il le pressentait.
-Finalement, conclut-il, tu ne m’as jamais aimé, n’est-ce pas, Hélène?
Elle prit un air grave. Peut-être était-ce la vérité. Et elle était heureuse d’avoir trouvé le moyen d’échapper à l’emprise de cet amour médiocre, de vivre à une autre dimension.
-Disons que nous ne sommes pas faits pour nous entendre, répondit-elle. Comme tant d’autres, nous nous sommes mariés trop tôt sans beaucoup réfléchir. À 20 ans, je n’avais pas les mêmes ambitions. Et puis, je l’avoue, je pensais que tu réussirais mieux.
Leurs regards se croisèrent. Celui de Roger était chargé de colère et de haine. Il y avait des instants où il ne parvenait plus à supporter sa femme. Elle l’exaspérait. Et le sentiment était réciproque.
-Tu me prends toujours pour un minable, reprit-il. Tu crois que je ne m’en rends pas compte? D’après toi, je n’ai aucune envergure. C’est cela, hein?
-T’ai-je déjà adressé quelque reproche?
-Je ne suis pas fou. Les expressions de ton visage en disent long. Tu me méprises.
-Mais non!
Hélène achevait de boucler la ceinture de son tailleur. Elle se fit soudait plus conciliante.
-Tu es déçu pour ce soir? Dit-elle d’une voix douce. Tu aurais aimé que nous mangions ensemble. Et bien, si tu y tiens tellement, je m’arrangerai pour être libre. Nous pourrons ainsi fêter mon anniversaire.
Il eut un geste rageur, fit trois pas vers elle. Il était blême, ses mains tremblaient. Il n’avait jamais eu beaucoup de séduction et, en cet instant, Hélène le trouva presque laid, avec son corps maigrichon, son veston mal coupé, ses cheveux déjà rares, son visage aux traits sans grâce. Comment avait-elle pu choisir un tel mari? Elle s’interrogeait maintenant.
-Je ne te demande pas de me faire la charité, gronda-t-il. As-tu souvent vu un type se mettre à plat ventre pour obtenir le privilège d’inviter sa femme à manger? Il y en a beaucoup qui seraient heureuses à ta place.
-Tu crois?
-Tu dépasses les bornes, Hélène! Rentre à l’heure qui te conviendra. Cela m’est égal. Moi, je ne serai pas là! Je m’octroie une permission de sortie. Je ne vois pas pourquoi je resterais à me morfondre à la maison pendant que tu te livres à je ne sais quelle glorieuse occupation. J’ignore ce que tu fais réellement. Tu veux ton indépendance complète? Tu l’auras. Mais cet avantage ne sera pas à sens unique, je te préviens. Je te mets en garde contre les conséquences qui peuvent découler de cette situation…
Elle ne le laissa pas achever sa phrase et sortit de l’appartement en claquant violemment la porte.
C’était vrai, Odette, son assistante, la secondait magnifiquement. Elle était aussi brune qu’Hélène était blonde. Toutes deux, galvanisées par la signature récente d’importants contrats avec des pays étrangers, croyaient plus que jamais à la réussite de leur entreprise. Elles formaient un tandem de choc. Élégantes, dynamiques, modernes, elles ne vivaient que dans l’action.
Ce matin-là, Hélène était agacée. L’attitude négative de Roger l’obsédait. Elle confia son désarroi à Odette qui s’inquiétait de sa mine renfrognée.
-C’est dur de mener de front une vie d’épouse et une existence professionnelle trépidante, lui dit-elle. Bien sûr, je comprends que Roger ait été déçu. Il comptait m’inviter à souper pour mon anniversaire. C’est une attention délicate de sa part car moi-même j’avais complètement oublié qu’il me tombait aujourd’hui une année de plus sur les épaules. D’abord, il n’y a pas de quoi en être fière et puis je n’ai guère le cœur à me distraire en ce moment. Je ne pense qu’à une chose; décrocher cette affaire avec l’Ontario! Il me faut songer à trouver du personnel. Pourrais-tu passer une annonce dans les journaux Odette? Je consacrerai deux jours de la semaine prochaine à choisir soigneusement les collaborateurs qui nous manquent. Il ne faut pas tarder, ok!
Odette était à peine plus âgée qu’Hélène. Toutes deux se connaissaient depuis longtemps, s’entendaient très bien et n’hésitaient pas à se confier les soucis de leur vie privée.
Odette ne s’était jamais mariée. Elle avait vécu une enfance malheureuse entre des parents qui se déchiraient et la perspective d’une éventuelle union lui paraissait inacceptable. Les obstacles que risquaient de rencontrer les couples lui semblaient insurmontables.
-Si Roger ne peut te supporter telle que tu es, dit-elle à son amie, il vaut mieux ne pas continuer à tergiverser. Vous perdez des forces et du temps. À mon avis, c’est une grave erreur. Vous feriez mieux de vous séparer. Tu as plus que jamais besoin de toute ton énergie. L’existence avec lui, ce n’est pas évident.
Hélène sursauta.
-Nous séparer? Tu pousses, un peu! Je n’y ai jamais songé jusqu’à maintenant. Le pauvre! S’il t’entendait…
Odette expliqua :
-Pour moi, tu sais, il n’y a pas trente-six solutions. Ou bien l’on est heureux de vivre ensemble, ou bien l’on coupe les ponts si cela ne marche pas. On me reproche de collectionner les aventures. Personne ne comprend mon problème. En réalité, je suis constamment à la recherche de l’idéal. Tu vois ce que je veux dire? Un type dont les qualités et les défauts s’harmoniseraient avec les miens. Ça ne se trouve pas facilement, tu peux me croire. Alors, aux yeux des autres, je passe pour une cavaleuse insatiable. Cela m’est égal, je ne me jetterai jamais à la tête du premier venu sous prétexte d’en finir, même si l’on doit continuer à me cataloguer dans les vielles filles!
-Vielle fille, ce n’est pas exactement ton style! Tu es plutôt une dévoreuse, non?
Hélène fixait son amie de son beau regard noir. Elle semblait réfléchir. Quand Roger avait dit au cours de leur récente querelle : « Finalement, tu ne m’as jamais aimé », elle avait réalisé qu’il venait sans doute de résumer la vérité en quelques mots. Et cette évidence l’avait plongée dans la plus profonde affliction. Ainsi, elle aurait perdu tant d’années à faire semblant? Leur existence n’aurait-elle été qu’une comédie? C’était lamentable.
La semaine suivante, Odette croula sous une avalanche de lettres et de coup de fil. Les annonces passées dans les journaux avaient déclenché un véritable déferlement d’éventuels candidats.
-Je te charge d’effectuer une sélection serrée, lui dit Hélène. Je te préviens. Je ne pourrai pas recevoir plus d’une dizaine de personnes. Vendredi prochain, je dois aller à Toronto. Un fabriquant compte sur nous pour promouvoir la vente de ses produits au Québec, sous l’aspect le plus favorable. D’ailleurs, tu devrais étudier la question avec moi. À l’avenir, il peut-être un client intéressant, même si, au départ, le contrat ne représente pas un gain appréciable pour nous.
Le jour où elle décida de recevoir dix postulants sélectionnés par Odette, Hélène s’enferma dans son bureau. Elle avait étudié sans passion les curriculum vitae des candidats. Ils n’avaient pas de références appréciables. Ils étaient bien notés, mais ne semblaient pas extraordinaires. Des employés ponctuels et sérieux, peut-être, mais sans génie. Et ce qu’elle cherchait justement, c’était une personne d’envergure à la personnalité très marquée!
Les premières entrevues de la matinée ne furent guère concluantes. Tous les candidats répondirent timidement aux questions posées. Au moment d’aller, Hélène sentit le découragement la gagner.
-Nous aurons du mal à trouver l’oiseau rare, dit-elle à sa collaboratrice.
L’après-midi, le premier à se présenter fut un homme d’une trentaine d’années environ. Il était beau garçon, très grand, très viril. Une certaine distinction se lisait sur les traits réguliers de son visage et au fond de son regard clair brillait une vive lueur d’intelligence. Hélène le scrutait, l’interrogeait. Il finit par avouer :
-Je sais d’avance que je ne ferai pas l’affaire. Inutile de vous bluffer.
-Pourquoi? Ne soyez pas pessimiste. Je n’aime pas les perdants. Si vous êtes venu me voir, c’est que vous espérez quand même décrocher cet emploi.
-Non, même pas.
-Alors, vous, vous êtes un cas!
-c’est exactement ça, un cas!
Il dit simplement :
-Je sors de prison.
-Pardon?
-Oui, de prison! Pour une histoire passionnelle.
Elle tressaillit, le regarda plus attentivement. Il ne cilla pas et ajouta :
-Je m’appelle Étienne Benjamin.
Elle demanda avec humour :
-Est-ce notre seule référence?
-À peu près.
-Cela ne vous a pas empêché de tenter votre chance ici?
-Qu’est-ce que je risquais à le faire?
Il la contemplait, imperturbable, guettant sa réaction.
Allait-elle le jeter dehors?
-Je vois que vous ne manquez pas d’audace, dit-elle simplement.
Il eut un sourire triste et las.
-À un éventuel employeur, je ne peux offrir que ma bonne volonté, quelques connaissances en informatique, une solide culture générale, surtout en histoire de l’art…
Elle l’interrompit :
-Ce n’est pas exactement ce que je souhaite, vous l’imaginez.
-Oui, je m’en doute.
-Alors, pourquoi êtes-vous venu?
Il eut un geste vague, un grand voilé, et répondit d’une voix sourde :
-Ce serait trop long à vous expliquer. En résumé, je n’ai pas le choix et n’ai rien à perdre.
Elle était un peu éberluée. Sur le coup, elle avait éprouvé une vive impatience qu’elle avait eu du mal à réprimer. Mais peu à peu cet étonnant personnage lui paraissait énigmatique, intéressant. Où voulait-il en venir? Il avait une étrange séduction.
-Mon temps est précieux, dit-elle. Je suis désolée, mais je ne vois pas la nécessité de poursuivre cet entretien. Je vous remercie.
Il se leva, s’inclina légèrement devant elle, prêt à quitter son bureau. Il la regarda une dernière fois au fond des yeux.
-Excusez-moi, dit-il. Je vous comprends. Je ne suis pas le candidat idéal. Ma présence ici est presque un gag!
-Il ne faut rien exagérer.
-Je n’ai pas le droit de laisser passer la moindre chance. J’ai lu vôtre annonce et je me suis décidé.
Elle ferme à demi les yeux, se concentra. L’espace d’une seconde, elle imagina le destin de cet homme rejeté de partout. Marqué par son passé, personne ne lui tendrait la main, c’était certain. Elle ignorait les raisons précises de son drame, mais il lui inspirait un sentiment bizarre; une sorte de compassion mêlée à de la curiosité. De plus, elle aimait les situations dangereuses. Elle détestait la banalité.
Pourquoi ne pas tenter une expérience avec ce garçon qui paraissait raffiné, élégant malgré ses vêtements fatigués, son air meurtri. Il lui plaisait. Il avait de la classe, du charme. Peu à peu, un contact s’était établi entre eux. Elle hésita un moment. Tandis qu’il s’apprêtait à sortir, elle le retint :
-Et bien, lui dit-elle, je vais sans doute vous surprendre : Je vous engage à l’essai.
Il sursauta :
-Ce n’est pas vrai! Vous me faites marcher!
-Absolument pas.
Il garda son sang froid, ne fit rien voir de la joie qu’il dut sans doute éprouver à cet instant.
-Merci, dit-il, la voix un peu altérée. Quand devrais-je commencer?
-Dès que vous serez libre.
Il eut un sourire lorsqu’elle prononça ce dernier mot.
-Mais je suis libre, insista-t-il. Et si heureux de l’être.
-Alors, je vous attends demain à 9 heures.
Il semblait ne pas y croire.
Dès qu’il eut disparu, elle alla rejoindre Odette.
-À ton avis, qu’ai-je fait? Lui demanda-t-elle.
-Aucune idée.
-J’ai embauché Étienne Benjamin.
-Tu as raison. S’il a les qualités que tu exiges…
-Pas exactement. Sais-tu d’où il sort?
Odette ouvrit les yeux étonnés. Hélène ménagea ses effets.
-Et bien, de prison, ma chère! Je trouve cela assez cocasse, non?
-Pourquoi l’as-tu sélectionné?
-Cet homme me plaît. Je ne sais pas pourquoi. Je crois être psychologue, très intuitive et je suis persuadée que, malgré les circonstances, mon choix insolite est judicieux : durant toute la matinée, je n’ai rencontré que des gens d’une navrante banalité : tu me connais.
-Ah! Oui!
-J’espère que je ne serai pas déçue par mon choix. C’est un véritable défi d’avoir engagé ce garçon. Je ne sais pas pourquoi, j’ai confiance en lui.
-T’a-t-il expliqué au moins les raisons de son incarnation?
-Je ne me suis pas permis de le lui demander. C’est difficile. Il a l’air si secret, si peu démonstratif.
Odette se précipita vers son bureau, sortit un dossier d’un tiroir, essaya de retrouver la fiche concernant Étienne Benjamin.
-Bien sûr, je n’ai que des renseignements succins le concernant. Il a 30 ans. Il a prétendu avoir travaillé longtemps comme pigiste dans la publicité. Ce qui m’a convaincue, c’est la manière intelligente dont il s’exprimait, sa sobriété. Je me souviens parfaitement de lui : Peut-être le timbre de sa voix m’a-t-il subjuguée!
-C’est vrai, il a une très belle voix… Tu m’étonneras toujours, Hélène! Personne n’aurait engagé ce type.
-Je me félicite souvent de n’être pas conformiste. Tu n’as rien à m’envier dans ce domaine. C’est sans doute grâce à cela que notre société prospère aussi rapidement.
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