Cette maîtrise a un nom: la perte de l’objet. l’information ne met pas en scène l’objet réel mais les effets qu’il produit sur le sujet: Syberberg dit la même chose lorsqu’il parle de décharges déchiffrables que par leurs effets et écrit “Là où on a disposé une caméra, le marché a vite fait de se remplir”. À cet égard Salò constitue le paroxysme de cette opérativité “néo-naturelle”. Dans un tel système le réel se définit comme réel-à-entrer-en-opération; libre de toute médiation, l’individu nourrit le phantasme de la maîtrise totale et absolue sur ce qui l’entoure en voulant directement façonner le réel dont l’objectivité se donne comme proportionnelle au degré d’opérativité exercée. L’altérité sociale perd tout centre et toute forme symbolique, les évènements s’autonomisent et les faits deviennent indépendants des individus, dépourvus de pensée subjective. Ce qui signifie que personne n’est responsable, autrement dit tout le monde peut et doit désobéir. C’est la nouvelle violence.
La désobéissance “opérationnalisée” n’est-ce pas une idée profonde de Pasolini? La prise directe, la fin de la mise en scène. La vie se démocratise et exciper de ses droits démocratiques est devenu un devoir démocratique si l’on consent à la réalité, si l’on balbutie “plutôt rouge que mort”, si l’on s’acclimate à l’inaptitude à la joie, si l’on se joint au silence des démocraties face au drame polonais, si l’on s’assume comme vrais criminels aux mains blanches. La démocratie croît en même temps que le désert, au rythme des capacités informatives. Hans Jürgen Syberberg qualifie cela de “démocratie hydrochoris” et se demande si l’on peut encore être sauvé parce que “pour être sauvé, il faut avoir perdu une chose et traversé l’épreuve de l’autre”. Nous n’avons pas seulement perdu l’objet mais aussi le sentiment de la perte tout court.
Ainsi le réel lui-même est socialisé, en ce qu’il s’offre “ready-made” tout entier à la consommation directe. Dans ce cas la subjectivité se révèle incapable de se défendre devant la pré-organisation des sens et l’obsolescence programmée des objets. Le réel se tient là devant moi et me pompe, m’aspire - il croît, il vit, il croît démesurément, les objects se jettent après usage, dans les poubelles collectives au même titre que les statistiques, qui ont du reste commander leur mise à mort, et les droits démocratiques. La nature se soumet à une nouvelle nature définie comme système et environnement. Contrairement à une idée bien reçue, nous n’assistons pas à une instrumentalisation technique de la nature mais à ce que Hannah Arendt appelle une “croissance contre nature du naturel” (1).
(1) Cf. Hannah: La condition de l’homme moderne, Paris, Calmann-Lévy, 1961 (The Human condition).
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