samedi 6 septembre 2014

LE CONCEPT D'INTELLIGENCE

Pour Albert Jacquard, quand on emploie le mot “intelligence” dans le public, on l’emploie comme si c’était une faculté globale qui permet de tout résoudre.  Cela n’a pas de sens. On est intelligent dans tel ou tel sens, mais pas d’une façon globale.  Il y a toutes sortes d’intelligence. On peut faire des analyses et dire qu’à cause d’une certaine interaction entre un certain patrimoine génétique et un certain milieu, tel individu va développer telle caractéristique et aura, par conséquent, telle intelligence.


Bien sûr il y a des gens idiots, des gens dont le cerveau a subi des dommages. Il y a des gens dont les gènes ont fabriqué des neurotransmetteurs mal fichus.  C’est le cas en particulier des mongoliens qui ont une mauvaise régulation des neurotransmetteurs dans les synapses.  Mais à partir du moment où notre cerveau fonctionne, il est capable de recevoir toutes les informations du milieu et peu à peu il se constitue. Il se constitue de telle ou telle façon au cours d’une aventure qui commence avant la naissance et qui se poursuit toute la vie.  À partir du moment où on apprend à parler, à comprendre, à écrire, à faire des activités de base, rien ne prouve qu’on ne soit pas capable d’aller plus loin.  Jusqu’où?   Personne n’en sait rien.  La plupart d’entre nous avons un potentiel de développment intellectuel bien supérieur à celui que nous avons développé.  En fait, nous sommes tous beaucoup plus intelligents que nous en avons l’air!  Nous avons un cerveau qui, tout au long de notre vie, est encore malléable.  Jusqu’à l’âge peut-on devenir intelligent? On ne le sait pas, mais c’est certainement de l’ordre de centaines d’années.  Manque de pot, on meurt avant!

Pour Jacquard le mot “surdoué” ne signifie rien.  Pour lui, la seule définition possible est la suivante: un enfant surdoué est un enfant précoce, c’est-à-dire, par exemple, qu’il fait à 12 ans des choses que les autres en comprennent qu’à 14 ans.  Alors il pose la question: pourquoi employer un mot quand on veut en signifier un autre?  Faut-il tenir compte de la précocité des enfants?  Il faut évidemment que l’enseignement s’adapte à la courbe de développement des enfants. Mais l’idée que parce qu’un enfant est précoce, il a un potentiel intellectuel supérieur, c’est une idée ridicule!  Le mot “doué” est un mot qui signifie qu’il y a une fatalité dans l’intelligence.  Or, il défie quiconque de prouver qu’il y a une fatalité dans l’intelligence!

Tous ceux qui parlent d’une “héritabilité” de l’intelligence tiennent un discours qu’aucun scientifique ne peut cautionner. Il faut le dire.  Cela n’existe pas.  Dire qu’un enfant a reçu l’intelligence, comme don, à la naissance, cela rend les parents contents....mais cela n’a aucune signification. Il ne transmet pas ses caractéristiques à ses enfants, il leur transmet la moitié des gènes qui en lui gouvernent ces caractéristiques et c’est totalement différent. Quelqu’un d’autre a fourni aussi la moitié de ces gènes et le tout constitue le patrimoine génétique de l’enfant.   Tout va dépendre de l’interaction de tous ces gènes entre eux.  Tout va dépendre aussi du milieu et de l’interaction entre le patrimoine génétique et le milieu.  Tout va dépendre enfin des transformations qui vont se produire suite aux chocs et aux apports reçus de l’extérieur.

Bien sûr, c’est notre patrimoine génétique qui nous a appris à faire des cellules, les neurones, et entre les neurones les synapses et à l’intérieur de ces synapses les neurotransmetteurs.  C’est notre patrimoine génétique qui nous dit comment on fabrique toutes ces pièces détachées qui vont s’assembler pour constituer notre système nerveux central.  C’est cela la mécanique qui va nous permettre d’être intelligent, mais cela n’est pas l’intelligence. Ce qui compte, c’est la façon, extrêmement complexe, dont le réseau va se constituer suite à l’interaction avec le milieu et suite à l’autoconstruction, à l’autoorganisation qui va s’en suivre.  Vous voyez bien alors que la fameuse banque de sperme des prix Nobel est une idée complètement idiote, poursuit-il.

On a mis au point les fameux tests qui ne mesurent évidemment pas l’intelligence, mais qui mesurent la rapidité à répondre à des questions normalisées dans un environnement normalisé.  Quand on les réussit, on est intelligent.  Quand on les rate, on n’est pas intelligent.  Cela n’a aucun sens et malheureusement on massacre des gens.  Si on vous dit: Monsieur, vous n’êtes pas intelligent!  Vous allez être triste et vexé, mais en fait, cela n’est pas grave.  Tout ce qu’on vous aura dit, c’est que les caractéristiques de votre esprit ne vous font pas répondre vite à des questions saugrenues! On parle des “surdoués”... on en est tous!  On est tous bien plus intelligents qu’on l’imagine.  Mais qu’on ne prenne pas ce concept mal fichu pour massacrer 99% des gosses!

CETTE NOTION SE POSE AU QUÉBEC ET AILLEURS:
Pour Albert Jacquard: il y a des raisons économiques.  Étant donné la limitation des ressources pour l’éducation, on ne peut pas donner une éducation complète à tout le monde. Sauf si on y mettait de l’argent qu’on consacre à d’autres sottises....Alors on cherche un truc, un prétexte pour donner un enseignement complet qu’à une petite partie des enfants.  On choisit ceux qui sont précoces comme si le fait qu’ils aient une courbe de développement plus rapide apporte la certitude qu’ils sont plus capables d’avoir un enseignement long, ce qui est totalement faux.  Se baser sur la précocité, c’est hypocrite.  Ce serait beaucoup plus honnête de choisir tous les enfants dont le nom commence par un Z!

Il poursuit dans sa logique: il y a des enfants précoces qui s’ennuient à l’école. Il n’y a aucune raison que tous les enfants aient la même horloge biologique et intellectuelle.  Mais il ne voit pas pourquoi on s’occuperait plus des enfants précoces que des autres.  Adaptons l’école pour qu’elle donne des chances de développement à chacun, pour qu’elle aide chaque enfant à s’accomplir au maximum, au lieu de reproduire la hiérarchie sociale.

Nous vivons, dit-il, dans une société hiérarchisée.  Qu’il y ait quelqu’un dont la fonction consiste à me commander, c’est commode pour s’organiser, c’est une répartition des tâches, à la condition que celui qui me commande ne prétende pas qu’il m’est supérieur.  Seulement, dans nos sociétés, celui qui commande a un accès beaucoup plus rapide aux richesses et nous sommes écartelés entre une morale de l’égalité et la réalité des inégalités sociales.  Alors on voudrait bien que les biologistes fournissent une justification aux inégalités sociales en disant qu’il y a une inégalité naturelle entre les hommes.

Il se dit un scientifique et en tant que biologiste, il nous dit: nous ne sommes pas égaux, mais nous ne sommes pas inégaux; il n’y a pas une inégalité entre nous, mais une diversité; nous ne sommes pas supérieurs ou inférieurs, cela n’a pas de sens, mais différents; nous ne sommes pas hiérarchisables et en particulier en ce qui concerne la faculté centrale, l’intelligence, il n’y a pas de hiérarchie des intelligences. Sinon, alors, Beethoven était lamentable, Einstein n’était pas tellement fort et Tolstoi était, d’après ses professeurs, une catastrophe. Heureusement, on a inventé les tests après que ces gens-là aient été éduqués sinon ils auraient été massacrés.
Il nous parle du rapport supériorité versus infériorité.  Lequel est inférieur?  Lequel est supérieur? Inférieur en quoi?  Supérieur en quoi? Cela ne veut rien dire et il faut lutter contre cette perversion intellectuelle. Comme je ne suis pas “un autre”, je suis tranquille.  On ne me trouvera jamais inférieur ou supérieur.

PUIS IL NOUS PARLE DE LA DIFFÉRENCE HOMMES - FEMMES EN TERME D’INTELLIGENCE
Il ne veut pas faire un cours d’anatomie, il n’y a qu’à regarder, c’est pas pareil!  Qu’il y ait des conséquences hormonales, c’est évident.  Qu’il y ait, en moyenne, des développements différents, c’est aussi évident.  Quant à dire que les femmes ont une activité intellectuelle supérieure ou inférieure, c’est absurde.  Qu’il y ait des attitudes intellectuelles différentes chez les hommes et les femmes pour des raisons hormonales, c’est possible, mais pour l’instant on n’en connaît pas.

Le sexisme fait partie de cette maladie infantile qui nous fait rechercher  dans le mépris une certaine acceptation de nous-mêmes.  Tout racisme est un mépris, un mépris qui signifie que j’ai peur de moi finalement.  Cette tête ne me revient pas, ça veut dire que je n’aime pas les miroirs....Devenir adulte, c’est passer au-delà. Éliminons le mépris comme on élimine les boutons d’acné juvénile!

mercredi 20 août 2014

ÉTAPES DANS L’INTERVENTION EN SITUATION DE CRISE


Étapes dans l’intervention en situation de crise

La technique de l’intervention en situation de crise comprend certaines étapes spécifiques.  Bien qu’il soit difficile d’insérer chacune dans une catégorie nettement définie, l’intervention typique devrait passer par la série d’étapes suivantes:

  1. La première étape consiste à évaluer l’individu et son problème.  Cette démarche exige le recours à des techniques actives de mise au point de la part du thérapeute pour obtenir une évaluation précise de l’événement immédiat et de la crise qui en est résultée et qui a conduit l’individu à rechercher une aide professionnelle. Le thérapeute peut avoir à juger si  la personne qui recherche de l’aide présente ou non un risque élevé de suicide ou d’homicide. S’il juge le malade grandement dangereux pour lui-même ou pour les autres, il le recommande à un psychiatre en vue d’une hospitalisation possible.  Si ce dernier ne juge pas l’hospitalisation nécessaire, le thérapeute entreprend l’intervention.

  1. La première heure peut être consacrée entièrement à évaluer les circonstances reliées directement à la situation de crise immédiate.
  2. La planification de l’intervention thérapeutique: Cette planification prend place après l’évaluation de l’événement (ou des événements) qui a provoqué la crise et de la crise elle-même.  Cette planification n’est pas conçue pour provoquer des changements majeurs  dans la structure de la personnalité mais pour restaurer chez la personne au moins le niveau d’équilibre antérieur à la crise.  Dans cette phase il s’agit de déterminer le temps écoulé depuis le début de la crise.  L’événement “provocateur” se produit d’ordinaire une à deux semaines avant que l’individu ne recherche de l’aide.  Souvent cet événement ne date que de vingt-quatre heures.  Il est important de connaître la façon dont la crise a perturbé la vie de l’individu et les effets de cette perturbation sur les autres dans son milieu.  Il faut aussi rechercher des renseignements pour déterminer les points forts de la structure psychique de l’individu, quelles capaités d’adaptation lui  ont servi efficacement dans le passé et qu’il n’utilise pas à l’heure actuelle et quelles sont les autres personnes qui peuvent lui servir de soutien.  Il faut aussi rechercher d’autres méthodes d’adaptation dont, pour une raison quelconque, il ne tire pas profit à l’heure actuelle.
  3. Intervention: La nature des techniques d’intervention dépend beaucoup des compétences préexistantes, de la créativité et de la souplesse du thérapeute.  Morley suggère certaines des techniques suivantes qui ont déjà fait preuve d’efficacité:
  1. Aider l’individu à acquérir une compréhension intellectuelle de sa crise. Souvent le sujet ne voit aucune relation entre une situation difficile de sa vie et l’extrême malaise de déséquilibre qu’il éprouve. Le thérapeute peut recourir à une approche directe en décrivant au patient la relation entre la crise et l’événement de sa vie.
  2. Aider l’individu à extérioriser ses sentiments actuels auxquels il ne peut avoir accès.  Souvent la personne peut avoir refoulé certains sentiments très réels tels que la colère ou d’autres émotions inadmissibles envers quelqu’un qu’il “devrait aimer ou honorer”. Il peut s’agir aussi de dénégation d’une peine, de sentiments de culpabilité ou d’un processus inachevé de deuil à la suite de la perte d’un être cher.  L’intervention a pour but immédiat de réduire la tension en procurant à l’individu des moyens de reconnaître ces sentiments et de les extérioriser.  Il est parfois nécessaire de provoquer une catharsis émotionnelle et de réduire la tension immobilisante.
  3. Explorer des mécanismes d’adaptation.  Cette approche exige que le thérapeute aide la personne à examiner d’autres moyens d’adaptation.  Si pour une raison ou l’autre les comportements utilisés dans le passé pour réduire efficacement l’anxiété n’ont pas été tentés, il faut étudier la possibilité de leur emploi dans la situation présente.  Il faut rechercher de nouvelles méthodes d’adaptation et souvent la personne imagine des méthodes très originales qu’elle n’a jamais essayées auparavant.
  4. Réouvrir le monde social.  Si la crise a été provoquée par la perte d’une personne importante aux yeux de l’individu, il peut être utile de suggérer la possibilité d’introduire de nouvelles personnes pour combler le vide.  Cette démarche est particulièrement effficace si les nouvelles relations peuvent apporter un degré analogue de soutien et les gratifications qu’il retirait dans le passé avec la personne “disparue”.

4. La dernière étape consiste dans la solution de la crise par planification anticipée. Le thérapeute redonne une nouvelle vigueur aux mécanismes d’adaptation utilisés efficacement dans le passé par l’individu pour réduire la tension et l’anxiété.  Au fur et à mesure que ses capacités d’adaptation augmentent et que des changements positifs se produisent, le thérapeute peut les résumer pour lui permettre de confirmer à nouveau les progrès réalisés.  Le thérapeute accorde son aide selon les besoins pour faire des plans d’avenir réalistes et il expose au malade les manières dont l’expérience actuelle peut l’aider à s’adapter à de nouvelles crises.

mardi 19 août 2014

LA NOTION DE CRISE

LA NOTION DE CRISE

Définition:
La crise survient lorsque l’individu perçoit un évènement comme pouvant menacer son équilibre et lorsque ses mécanismes d’adaptation ne lui permettent pas de maîtriser adéquatement la situation.  Un état de désorganisation s’ensuit.

Typologie:
  1. de situation:
    1. causée par un événement soudain ou inattendu: maladie grave, séparation, désastre naturel, etc.
  2. de maturation:
    1. occasionnée par le passage d’un stade biologique, psychologique ou social à un autre: mariage, adolescence, naissance.

Séquence d’une situation de crise:
Étape 1: La personne rencontre un évement qu’elle définit comme une perte, une privation ou une menace à son intégrité personnelle ou à ses besoins.

Étape 2: La personne répond à l’événement par de l’anxiété.

Étape 3: La personne utilise ses mécanismes d’adaptation pour faire face à l’événement.  Elle tente de le surmonter en employant des mécanismes qui ont déjà prouvé leur efficacité: redéfinir le problème, l’éviter ou rechercher du support.

Étape 4: les mécanismes d’adaptation s’avérant inefficaces, il s’ensuit une période de désorganisation:
  • diminution de la capacité de fonctionner au travail et de s’adonner aux activités quotidiennes accompagnée d’un sentiment d’mpuissance
  • inhibition du fonctionnement intellectuel l’empêchant d’envisager d’autres alternatives à sa situation.

Étape 5: La personne trouve une solution à son problème: 
  • elle retrouve l’équilibe qui existait avant la crise et même améliore son niveau de fonctionnement antérieur

OU

- elle revient à un niveau de fonctionnement inférieur à ce qu’il était avant la crise.



Nature et Ampleur de la crise dépendent de :

OBJECTIF
restaurer le niveau de fonctionnement antérieur à la crise et même l’améliorer, ce qui implique le rétablissement d’anciens comportements réducteurs d’anxiété ou le développement de nouveaux.

CARACTÉRISTIQUES
brièveté: l’ici et maintenant de la crise est l’objet de l’attention du thérapeute. La cueillette des données se fait en vue de définir le problème, d’identifier les réactions de l’individu et d’esquisser un plan d’action pour résoudre la crise.

liberté
flexibilité    qualités de base pour une stratégie thérapeutique efficace
créativité

Connaissance des ressources communautaires.
ouverture à l’autre.

ÉVALUATION
l’entrevue initiale a trois buts:
  1. recueillir de l’information en vue de définir le problème, d’identifier les issues possibles et de suggérer des moyens pour les atteindre.

En plus le thérapeute doit évaluer le niveau d’anxiété, le fonctionnement du  Moi, les changements affectifs et les symptômes actuels. Il doit aussi explorer les conditions de vie et de travail, les relations interpersonnelles et les situations sociales de l’individu.

  1. établir une relation de confiance.

Le client doit sentir qu’une aide lui sera apportée, ce qui fait naître l’espoir et ainsi diminuer l’anxiété.

  1. fournir de l’aide pendant l’entrevue initiale.

le thérapeute peut clarifier le problème, exprimer des sentiments ou, quand c’est indiqué, donner une médiation pour soulager la détresse.

son POINT D’ATTENTION est l’événement précipitant.

L’entrevue d’évalutation peut commencer par cette question:

  • Qu’est-ce qui vous amène à demader de l’aide maintenant?

La réponse donne des indications sur l’anxiété du genre épuisement, nervosité, insomnie, inappétence etc. le thérapeute enchaîne alors sur ces symptômes en demandant:
  • Quand cela a-t-il commencé?
  • Avez-vous une idée de ce qui peut les causer?

Des réactions à l’événement, nous passons à l’identification de l’événement lui-même:

  • Est-ce que le client peut identifier lui-même son problème?
  • Est-ce que sa définition du problème tient compte de la réalité? Si non, quelles en sont les distorsions?
  • Est-ce que le problème implique seulement le client? Si d’autres personnes sont impliquées, qui sont-elles?
  • Qelle est la nature de leur implication?
  • Comment le client voit-il que le problème affecte sa vie présente et future?


Le thérapeute clarifie la relation qui existe entre les symptômes et l’événement, ce qui a pour effet de diminuer les sentiments d’accablement et d’inadéquacité.
Le problème étant clairement identifié, le thérapete dirige son attention sur les mécanismes d’adaptation:

  • Quels mécanismes d’adaptation a-t-il utilisés? Quels sont les résulats?
  • Quelles sont les zones de sa vie quotidienne qui ont été affectées? jusqu’à quel point?
  • Y a-t-il d’autres personnes touchées? À quel degré?


Des informations concernant le passé peuvent être recherchées afin d’avoir une image plus précise des mécanismes d’adaptation:

  • Quels autres mécanismes a-t-il utlisés pour réduire sa tension?
  • A-t-il déjà vécu une expérience semblable?  Si oui, qu’a-t-il fait pour la résoudre?


Il n’est pas question d’appliquer automatiquement les mêmes solutions; cependant elles doivent être considérées et les résultats doivent être anticipés.

Vient le temps d’explorer les relations interpersonnelles du client en vue de déterminer le degré d’isolement.  La famille, les amis peuvent fournir du support.  Si ces ressources ne sont pas disponibles, le thérapeute s’offre en tant que soutien temporaire.

INTERVENTION

À la fin de l’entrevue initiale, le thérapeute doit avoir suffisamment d’informations pour décider d’un plan d’action relié à l’individu et à son problème.  Ce plan d’action doit être mis à l’épreuve, évalué puis modifié si besoin.

lundi 10 mars 2014

CLIN-D’OEIL SUR L’HISTOIRE D’HAÏTI - Période 1957 à nos jours

Aristide

Avant son élection, Aristide faisait de la Constitution sa boussole et déclarait à l’AFP qu’il la respecterait s’il était élu, promettant de choisir son gouvernement “parmi les membres du parti ayant la majorité au Parlement”.  Une fois élu, cet “intrépide” a préféré faire appel à ses amis et n’a tenu aucun compte de la majorité relative du FNCD qui l’avait porté au pouvoir.  Il a agi comme Napoléon qui pensait que le coeur d’un chef est dans sa tête et qu’il fait confiance à sa tête (sic dans Radio Soleil d’HaÏti, 9 février 1997).

Au-delà de la stratégie d’Aristide, il faut se souvenir que le mouvement antiduvaliériste avait utilisé des mots d’ordre inscrits dans l’arbitraire ambiant : déchoukay en 1986, l’état d’esprit raché-manyok en 1987 et le phénomène lavalas en 1900 s’inscrivent tous dans une stratégie stérile d’affrontement des arbitraires.  En 1996-1997 les organisations dites populaires obéissent à cette même stratégie despotique quand elles dressent des barricades enflammées sur les principales artères du territoire.

On se demande quelles sont les véritables nuances idéologiques qui permettent de différencier les attitudes duvaliéristes d’hier et les comportements antiduvaliéristes de l’époque, ou si les initiatives des uns et des autres obéissent à la même logique arbitraire (macoute)? Que cache donc l’indicatif péjoratif créole Ti (petit) quand les Haïtiens se mettent à l’heure des Ti pour parler le langage archaïque des Ti-Légliz, des Ti-Lamé, des Ti-Curé, des Ti-Jandam...?  Il semble que de très nombreux bourgeois et petits bourgeois qui se reconnaissent dans des pitit-soyèt (petits ou fils du peuple) voudraient aller au-delà, en quête de leur propre image dans l’autre: le pitit-soyèt. C’est sans doute leur façon de se déculpabiliser face à un système aberrant qu’ils ont toujours vénéré.

Après son intronisation le 7 févirer 1991, J.-B. Aristide, et avec lui ceux qui prétendent incarner une nouvelle classe politique, objective vite ses limites car il se montre irresponsable et utopique.  Il est renversé du pouvoir le 30 septembre 1991 par un coup de force militaire qu’on ne peut analyser de manière subjective.  Aristide et les militaires qui le renversent sont de la même génération et font preuve d’un même manque de culture politique et des mêmes attitudes jusqu’au-boutistes qui provoquent un enlisement de la situation politique, sous les auspices tantôt de l’ONU tantôt des responsables américains.  Aucune solution négociée même acceptée des deux côtés ne peut se mettre en place devant leur intransigeance.  On peut affirmer sans trop de réserves que c’est le besoin d’un pouvoir fantasmé qui a conduit au débarquement en Haïti de vingt mille militaires américains le 19 septembre 1994 et à une occupation militaire telle que le souhaitait Aristide (quarante et un ans), prêtre ti-légliz et Cédras (quarante-cinq ans), chef d’état-major de l’armée. 

Formée à l’organisation sociale égalitaire de la paysannerie des Mornes de Port-Salut et ayant de bonnes dispositions scolaires.  Aristide réussit à contourner l’inflation des valeurs ambiantes,  Grâce aux initiatives de religieux qui le prennent en charge, il fait de billantes études.  Les jeunes de sa génération incultes pour la plupart, admirent son supposé savoir et comme lui sont atteints du virus du pouvoir fantasmé.  Contrairement à ses déclarations (Dans Tout homme est un homme), il fera tout pour accéder au pouvoir et se justifiera: il ne créera pas de parti politique pour ne pas accréditer les allégations de ceux qui disent qu’il a un goût immodéré du pouvoir et veut y accéder à n’importe quel prix!


Bertrand Aristide - inscrit dans le mouvement charismatique lavalas - de canaliser seul toute la contestation antiduvaliériste des religieux Ti-légliz (prêtres, pasteurs et ougans....); R. Préval, ancien Premier ministre incompétent, devient président de doublure de février 1996 à 2001.  Chacun à sa manière ces “présidents” sabordent les espérances des masses populaires et refusent toute alternative sérieuse.  Alors qu’une conférence nationale leur aurait permis d’aboutir à la mise en place d’un gouvernement de salut public et de sauvegarde nationale.  Chacun se demande à qui la faute.  Responsabilité collective certes, mais les démarches psychopathologiques des Duvalier, Aristide, tontons-macoutes, chimères (sbires du lavalas), des attachés du FRAP (milice néo-duvaliériste) et autres...ont pesé lourd.



Au-delà de leurs déclarations tonitruantes, Duvalier (Papa Doc ) et Aristide (Titid) sont bien les deux images mentales qui maintiennent l’état de pauvreté d’Haïti.  Leur vécu fait de frustrations chroniques ne leur a pas permis de sublimer autrement leur passé de pitit-soyèt (fils du peuple).  Tous deux ont alimenté la passion de ceux qui, par rétroaction, n’ont cessé d’amplifier la légende de ces petits grands hommes au regard mystique et au verbe mystificateur.  Il est vrai que les Haïtiens se sont longtemps reconnus en eux parce qu’ils manipulaient avec aisance des thèses populistes adaptées à la psychologie de leurs compatriotes.  Lorsqu’ils sont arrivés au pouvoir, ils ont ainsi bénéficié de la complicité de tous ceux qui se sont identifiés à leur vécu.  Cette dévalorisation mal compensée a toujours empêché l’adaptation des petits-bourgeois haïtiens qui vivent mal leur transfert de classe ou de caste dans un contexte psychosocial d’arbitraire institutionnalisé.  Il ne s’agit pas de banaliser les actes rétrogrades d’hier, mais il est évident que le fait Duvalier et le fait Aristide  se situent exclusivement au niveau d’un mythe progressiste postcolonial.  La mentalité haïtienne taxe d’ailleurs d’imbécilité ceux qui ne savent pas profiter des largesses offertes par les idiots!  Sot ki bay, imbésil ki pa pran, dit-on banalement en créole pour justifier ce comportement égoïste et cynique bien que fondamentalement humain.  Certains justifient ces comportements en prétextant que dépi nan ginin, nèg rayi nèg, c’est-à-dire que l’Haïtien a toujours haï les siens.  Ces deux étranges bonshommes d’origine modeste correspondent au vocable discriminatoire pitit-soyèt (fils du peuple) utilisé avec tant d’a priori par les Haïtiens qui condamnent les “petits” à l’exclusion.

mardi 7 janvier 2014

CLIN-D’OEIL SUR L’HISTOIRE D’HAÏTI - Période 1957 à nos jours

Lors de la première élection de novembre 1987, la population avait voté pour Sylvio Claude.  Pourquoi Sylvio Claude?  Parce qu’il faisait sens, essentiellement pour une chose: c’était une victime du duvaliérisme.  Le fait d’avoir été torturé et d’avoir été emprisonné sous Duvalier pouvait suffire pour attester de son intégrité politique.  Pour les plus démunis cette figure de victime prenait place dans un grand vide politique.  Ce n’est pas le discours de Sylvio Claude qui la séduisait mais la poétique de la victime transformée en monument digne d’être vénéré et chanté.  Lorsque Aristide se présente aux élections, les déshérités optent sponténament pour lui.  Pourquoi Aristide?  La figure est plus puissante parce qu’elle fait sens par-delà le monument de la victime.  En effet, avec Aristide, un langage politique leur donne accès à la compréhension des conditions de formation de leur pauvreté.  Dès lors, la possibilité d’entrer dans la pensée et l’action politique devient réelle, c’est-à-dire fait sens.  Aristide c’est aussi la matérialisation du fantasme du sauveur qui permet à ses électeurs de s’approprier les espaces d’origine qui obsèdent tant le présent.  Ces déplacements et ces renversements ne constituent pas pour autant des conditions de production d’une mutation historique et culturelle.  La conscience n’est pas encore la pensée critique et créative et, avec Hurbon, on s’interroge sur l’effet de barrage à une telle émergence que produit le rapport haïtien à l’histoire: “On dirait qu’ainsi dans les Caraïbes, nous n’avons pas de dette: tous les “autres” nous doivent tout, ils doivent nous payer pour avoir fait de nous des vaincus.  Habitant le passé, comment donc pouvons-nous disposer d’une mémoire?  Or le rapport à la mémoire, rapport constitutif d’un peuple ou d’une nation, reste impensable sans la possibilité d’oublier, c’est-à-dire sans l’effort d’arrachement de soi au passé” (Hurbon 1990: 2).

Cette période en Haïti est un temps de dévoilement des effets d’une pratique excessive et dramatique de l’histoire.  Ce dévoilement a quelque chose de terrible et de fantastique en même temps.  C’est le désordre violent des tableaux de Jérôme Bosch avec ses points de lumière.  Comme si à l’horizon du tableau, une lumière apparaissait puis disparaissait pour réapparaître ailleurs, là où on s’y attend le moins.  Cette période de transition vers une démocratie ouvre les conflits et excède les cercles vicieux et les rémanences.  C’est bien dans l’ouverture des conflits que se mettent en place les dispositifs de la démocratie et c’est aussi à ce moment-là que les résistances à ce type de changement se révèlent à outrance.

Un rapport folkloriste à l’histoire

Les duvaliérsites et les intellectuels haïtiens, en général, usent largement de cette notion de “pays profond”.  La notion de “pays profond” réfère à la culture créole en milieu paysan et s’y oppose, à l’autre extrémité, la culture occidentale.  Le “pays profond” est intérieur au pays et à son histoire.  Plus une région est démunie des moyens de production de la culture occidentale et plus elle est éloignée du centre socio-économique de Port-au-Prince, plus elle est vraie par rapport à ces deux espaces d’origine: L’Afrique et la libération de l’esclave. Le “pays profond” c’est le vaudou, la langue créole, le lakou, le kombite (groupe de travail communautaire), la magie, les guérisseurs, etc.  Le “pays profond”, ce ne sont jamais les différents dispositifs mis en place par la culture haïtienne après l’Indépendance pour réduire une partie de la population à l’esclavage, à la féodalisation et à l’exploitation, et que l’on retrouve partout en Haïti.  Ce ne sont pas les pratiques de corruption, du simulacre et du paraître qui ont tant marqué le rapport au pouvoir.  Ce n’est pas non plus la connivence haïtienne face au pouvoir colonial et néo-colonial ni son choix des stratégies de participation à la culture occidentale.  Ce ne sont pas non plus les transformations qu’a pu opérer dans la culture créole l’éthique duvaliériste des relations de pouvoir qui s’est imposée au pays depuis plus de trente ans.

Le “pays profond”, on le retrouve au fond des campagnes loin de la mobilité du temps et des mouvements de transformations, dans ce que communément, en Haïti, on appelle le traditionnel.  Cette notion se loge dans la peinture naïve, le monument historique, le mouvement duvaliériste du noirisme, dans la poésie de la diaspora, dans le discours politique duvaliériste et démocratique haïtien.  Cette notion rend extérieure à la société haïtienne la reproduction de l’ordre colonial et néo-colonial.  Elle rend possible une grille d’évaluation linéaire et bipolaire de la culture qui juge de la vérité ou de la fausseté de l’une ou de l’autre des deux cultures présentes, en fonction des intérêts socio-politiques en jeu.  Cette notion relève d’un mode de relation de pouvoir et le point de vue folkloriste sur l’histoire la rend possible: “Tout ce qui est ancien, tout ce qui appartient au passé et que l’horizon peut embrasser, finit par être considéré comme également vénérable; par contre tout ce qui ne reconnaît pas le caractère vénérable de toutes les choses d’autrefois, donc tout ce qui est nouveau, tout ce qui est dans son devenir, est rejeté et combattu” (Nietzche 1988: 98).

Lors de l’interruption violente des élections de november 1987, l’armée s’est assurée de la fermeture de tous les postes de radio et de télévision.  Seul le poste de la télévision nationale était resté ouvert avec une programmation bien spéciale.  En plus de diffuser les informations du gouvernement Namphy, une série d’émissions présentait le vaudou, ses esprits, ses rites et ses danses.  Une ethnographie de la culture créole et de sa religion prenait place au sein du contrôle militaire.  Comment dans ce contexte dictatorial, est-il possible de dire le vaudou et pas autre chose?  Dans le discours de Namphy adressé à son armée en 1987, peu de temps avant l’interruption violente des élections, quelques éléments de réponse sont fournis.  L’armée doit protéger le peuple, malgré lui, de ses excès.  Dans sa fonction fantasmée de Père, l’armée connaît ce qui doit composer l’ordre, elle juge que la démocratie n’est pas un exercice historique dont le peuple est capable.  Au moment du vote, qui se déroule partout en Haïti avec discipline et enthousiasme, l’armée interrompt le processus démocratique: “Le plus grand ennemi à l’heure actuelle est peut-être les excès commis sur le chemin difficile de l’apprentissage de la démocratie que fait de façon si douloureuse le peuple haïtien qui en ces circonstances mérite d’être encadré, protégé, parfois même malgré lui.  Et c’est pour moi un motif de fierté que de féliciter notre sens de l’ordre et ce courage dont vous savez à l’occasion faire preuve en face de certains groupes manipulés qui se montrent hostiles et délibérément provocateurs.  On ne louera jamais assez cette maîtrise de soi et cette pondération qui vous ont été inculquées dans les casernes et à l’académie militaire.  Il incombe aux forces armées de faire respecter la discipline républicaine” (Nampy, 1987, Télévision nationale d’Haïti).

Mais, le peuple a besoin d’être encadré: par quelle forme de règles?  Mais le peuple doit être protégé: contre quoi au juste?  Comment Namphy peut-il penser que le peuple a besoin d’être protégé “malgré lui” et pouquoi le ramène-t-il jsutement au vaudou alors qu’il se rendait vers la démocratie?

L’ethnographie du vaudou présentée au lendemain de l’élection avortée, rappelle le lieu des ancêtres et du “barbare” contre le “civilisé”.  En effet, Namphy n’a plus besoin du colon pour diffuser l’éthique occidentale du XVIIe siècle qui validait l’esclavage au nom de la civilisation et des vertus chrétiennes.  Au lendemain des élections, l’armée renvoie le peuple au vaudou, ce lieu par excellence en Haïti, pour résister et rejouer symboliquement l’affrontement et la libération à l’égard de l’Occident.  Elle le renvoie au vaudou, dans ce “pays profond” qui n’a pas à se mêler des affaires du politique.  Elle le renvoie dans l’espace de l’affirmation de la “négritude”, car il est le lieu de la différence haïtienne.  Elle le renvoie aussi dans l’espace de son exploitation et de sa réduction à l’état d’esclave et de colonisé.  L’armée actuelle en Haïti relève du duvaliérisme et elle a été formée par les États-Unis; son langage est celui du “civilisateur” colonial et impérialiste.  Avec le duvaliérisme le théâtre coloniale caricature à l’extrême les rôles: le riche, le technocrate, le militaire, le macoute et le duvaliériste portent le masque du colon et le “pays profond” porte celui du colonisé.  Ce jeu a quelque chose de terrible et de désolant parce qu’il maintient la relation colon-colonisé et le reproduit comme pratique historique.  Hurbon a très bien montré le fonctionnement des représentations du “barbare” et du “civilisé” dans l’expérience historique d’Haïti; “[...] c’est la représentation du vaudou comme sorcellerie, et sa distribution autour de deux pôles de la société haïtienne: le pouvoir politique (le palais national étant tenu pour le haut-lieu des papa-lwa ou oungans réputés forts), les classes populaires (paysans et gueux des villes).  L’ordre de la révolte et l’ordre du pouvoir établi se rejoindraient ainsi.  Pour ce dernier, le vaudou ne peut être qu’un lieu de consensus inavouable.  La tolérance du vaudou se donne alors comme nécessaire au fonctionnement général de la société.  Mais sa pénalisation, non moins” (Hurbon 1987: 92).

Hurbon nous amène au coeur même des contradictions haïtiennes qui se révèlent dans les relations de pouvoir.  Le rôle des déshérités dans la société est de tenir la position de résistance, non pas à l’ordre actuel, mais à l’ordre d’un passé qui, un jour, s’est transformé en révolte devenant ce 1804.  Tenu à l’écart de la vie politique, exploité de toutes sortes de manière, sa révolte qui s’actualiserait représenterait la mise en échec non pas seulement d’intérêts économiques mais d’intérêts symboliques et érotiques.  La jouissance du pouvoir chez le duvaliériste est trop grande pour qu’il puisse soutenir l’effondrement de ses illusions: “Par rapport à la société haïtienne, à la culture officielle dominée par la pénétration de la culture et de la technologie bourgeoise démocratiques, le vaudou se constituait déjà comme une clandestinité reconnue.  Cette “reconnaissance” du vaudou était sa récupération même par une bourgeoisie nationale et une élite intellectuelle noiriste.  Elle devait aboutir à sa finalité inconsciente et inavouable, qui témoignait déjà la domination de cette bourgeoisie internationale; la folklorisation du vaudou.  Ce mouvement qui tendait à mettre le vaudou sur le devant de la scène culturelle est un mouvement historique.  Il signait, pour des élites impuissantes devant l’envahissement du capitalisme, la prise de possession d’une culture populaire et sa perversion” (Apolon 1976: 188).

Avec Duvalier (François), ce “barbare” reste toujours “barbare” mais avec son idéologie noiriste, le “barbare” est valorisé positivement là où il permet à “l’élite” d’affirmer sa différence vis-à-vis de l’Occident.  Toujours vue comme petite, “primitive” ou “traditionnelle”, la culture paysanne sert à une chose : faire signe à la nation où elle vient.  La paysannerie représente le passé et elle est donc vénérable.  Elle est vénérable dans ses jardins transformés en musée où, tenue à l’écart de la vie politique, elle conserve les attributs de la différence.

Le rapport folkloriste à l’histoire permet de valoriser positivement la culture créole mais à un niveau très superficiel car il produit socialement un rapport à la culture à la manière d’une muséographie. L’anthropologie qui se développe à l’intérieur d’une socialisation et d’une utilisation politique d’un tel rapport à l’histoire ne s’y soustrait pas. IL n’y a qu’au moment des ruptures radicales avec les formes de connivence des groupes (d’opposition ou non), avec les relations de pouvoir telles qu’elles sont alors pratiquées que le savoir émerge et transforme la relation “savoir-pouvoir”.

Le point de vue folkloriste sur l’histoire ne permet pas seulement la représentation haïtienne sur la scène nationale et internationale, c’est aussi une pratique de soi (individu ou groupe) dans son rapport à l’Autre.  Le point de vue folkloriste permet au poète haïtien d’user des métaphores du vaudou et du nom de ses esprits alors qu’il n’est pas vaudouisant, qu’il n’ose pas l’être, ou qu’il craint de le dire.  C’est le vaudou appartenant à l’Ordre du vernissage, du mémorisé, du conservé mais surtout, il n’est pas à “soi”. Le point de vue folkloriste ouvre à la possibilité d’une prolifération de houngan makout (prêtre vaudouisant qui n’a pas été initié).  Ce point de vue folkloriste est aussi pour le magicien un de ces dispositifs pour mettre en forme son art des simulacres.  Le regard folkloriste sur la culture donne à l’Église catholique la possibilité d’intégrer les rythmes et les structures des chants vaudous à sa liturgie.  Alors que l’Église tient un discours inquisiteur violent ou doux selon les époques, sur le vaudou : “Les pasteurs, les prêtres et les sociologues trouveront également dans l’ethnodrame un concept-clef pour explorer les voies de conversion du vodouisme au christianisme” (Price Mars 1986:24). L’effet de la folklorisation du vaudou et de sa culture donne la possibilité du jeu de la vente du secret et du asson par le houngan à l’étranger, et facilite sa participation dans les stratégies d’exploitation du peuple.  L’effet de ce point de vue folkloriste sur l’histoire produit aussi de l’exotisme dans le rapport à la culture d’origine et un rapport exotérique à Dieu et aux esprits.  “Quand, derrière l’instinct historique, il n’y pas un instinct constructeur qui agit, quand on ne détruit et ne déblaye point, pour qu’un avenir déjà vivant en espérance édifie sa demeure sur le sol débarrassé, quand la justice seule règne, alors l’instinct créateur est affaibli et découragé.  Une religion, par exemple, qui doit être transformée en savoir historique, une religion qui doit être étudiée de part en part, scientifiquement, une fois cette étape franchie, sera, par là même, détruite” (Nietzche 1988:132)


Dans le contexte de rupture avec un passé et de construction de la vie, un peuple dans son devenir imaginé de lui-même peut s’inspirer des monuments pour activer ses luttes. Mais s’il ne passe pas en jugement son histoire, ni n’interroge les études excessives de son histoire, ni ne rompt avec le passé, ce peuple risque de s’affaiblir, de s’illusionner et surtout de laisser trop d’espace à la riposte du passé.  Le rapport monumental à l’histoire et le rapport folkloriste à la culture ont produit en Haïti une force d’inertie incommensurable des institutions à l’égard de leur développement.