samedi 6 septembre 2014

LE CONCEPT D'INTELLIGENCE

Pour Albert Jacquard, quand on emploie le mot “intelligence” dans le public, on l’emploie comme si c’était une faculté globale qui permet de tout résoudre.  Cela n’a pas de sens. On est intelligent dans tel ou tel sens, mais pas d’une façon globale.  Il y a toutes sortes d’intelligence. On peut faire des analyses et dire qu’à cause d’une certaine interaction entre un certain patrimoine génétique et un certain milieu, tel individu va développer telle caractéristique et aura, par conséquent, telle intelligence.


Bien sûr il y a des gens idiots, des gens dont le cerveau a subi des dommages. Il y a des gens dont les gènes ont fabriqué des neurotransmetteurs mal fichus.  C’est le cas en particulier des mongoliens qui ont une mauvaise régulation des neurotransmetteurs dans les synapses.  Mais à partir du moment où notre cerveau fonctionne, il est capable de recevoir toutes les informations du milieu et peu à peu il se constitue. Il se constitue de telle ou telle façon au cours d’une aventure qui commence avant la naissance et qui se poursuit toute la vie.  À partir du moment où on apprend à parler, à comprendre, à écrire, à faire des activités de base, rien ne prouve qu’on ne soit pas capable d’aller plus loin.  Jusqu’où?   Personne n’en sait rien.  La plupart d’entre nous avons un potentiel de développment intellectuel bien supérieur à celui que nous avons développé.  En fait, nous sommes tous beaucoup plus intelligents que nous en avons l’air!  Nous avons un cerveau qui, tout au long de notre vie, est encore malléable.  Jusqu’à l’âge peut-on devenir intelligent? On ne le sait pas, mais c’est certainement de l’ordre de centaines d’années.  Manque de pot, on meurt avant!

Pour Jacquard le mot “surdoué” ne signifie rien.  Pour lui, la seule définition possible est la suivante: un enfant surdoué est un enfant précoce, c’est-à-dire, par exemple, qu’il fait à 12 ans des choses que les autres en comprennent qu’à 14 ans.  Alors il pose la question: pourquoi employer un mot quand on veut en signifier un autre?  Faut-il tenir compte de la précocité des enfants?  Il faut évidemment que l’enseignement s’adapte à la courbe de développement des enfants. Mais l’idée que parce qu’un enfant est précoce, il a un potentiel intellectuel supérieur, c’est une idée ridicule!  Le mot “doué” est un mot qui signifie qu’il y a une fatalité dans l’intelligence.  Or, il défie quiconque de prouver qu’il y a une fatalité dans l’intelligence!

Tous ceux qui parlent d’une “héritabilité” de l’intelligence tiennent un discours qu’aucun scientifique ne peut cautionner. Il faut le dire.  Cela n’existe pas.  Dire qu’un enfant a reçu l’intelligence, comme don, à la naissance, cela rend les parents contents....mais cela n’a aucune signification. Il ne transmet pas ses caractéristiques à ses enfants, il leur transmet la moitié des gènes qui en lui gouvernent ces caractéristiques et c’est totalement différent. Quelqu’un d’autre a fourni aussi la moitié de ces gènes et le tout constitue le patrimoine génétique de l’enfant.   Tout va dépendre de l’interaction de tous ces gènes entre eux.  Tout va dépendre aussi du milieu et de l’interaction entre le patrimoine génétique et le milieu.  Tout va dépendre enfin des transformations qui vont se produire suite aux chocs et aux apports reçus de l’extérieur.

Bien sûr, c’est notre patrimoine génétique qui nous a appris à faire des cellules, les neurones, et entre les neurones les synapses et à l’intérieur de ces synapses les neurotransmetteurs.  C’est notre patrimoine génétique qui nous dit comment on fabrique toutes ces pièces détachées qui vont s’assembler pour constituer notre système nerveux central.  C’est cela la mécanique qui va nous permettre d’être intelligent, mais cela n’est pas l’intelligence. Ce qui compte, c’est la façon, extrêmement complexe, dont le réseau va se constituer suite à l’interaction avec le milieu et suite à l’autoconstruction, à l’autoorganisation qui va s’en suivre.  Vous voyez bien alors que la fameuse banque de sperme des prix Nobel est une idée complètement idiote, poursuit-il.

On a mis au point les fameux tests qui ne mesurent évidemment pas l’intelligence, mais qui mesurent la rapidité à répondre à des questions normalisées dans un environnement normalisé.  Quand on les réussit, on est intelligent.  Quand on les rate, on n’est pas intelligent.  Cela n’a aucun sens et malheureusement on massacre des gens.  Si on vous dit: Monsieur, vous n’êtes pas intelligent!  Vous allez être triste et vexé, mais en fait, cela n’est pas grave.  Tout ce qu’on vous aura dit, c’est que les caractéristiques de votre esprit ne vous font pas répondre vite à des questions saugrenues! On parle des “surdoués”... on en est tous!  On est tous bien plus intelligents qu’on l’imagine.  Mais qu’on ne prenne pas ce concept mal fichu pour massacrer 99% des gosses!

CETTE NOTION SE POSE AU QUÉBEC ET AILLEURS:
Pour Albert Jacquard: il y a des raisons économiques.  Étant donné la limitation des ressources pour l’éducation, on ne peut pas donner une éducation complète à tout le monde. Sauf si on y mettait de l’argent qu’on consacre à d’autres sottises....Alors on cherche un truc, un prétexte pour donner un enseignement complet qu’à une petite partie des enfants.  On choisit ceux qui sont précoces comme si le fait qu’ils aient une courbe de développement plus rapide apporte la certitude qu’ils sont plus capables d’avoir un enseignement long, ce qui est totalement faux.  Se baser sur la précocité, c’est hypocrite.  Ce serait beaucoup plus honnête de choisir tous les enfants dont le nom commence par un Z!

Il poursuit dans sa logique: il y a des enfants précoces qui s’ennuient à l’école. Il n’y a aucune raison que tous les enfants aient la même horloge biologique et intellectuelle.  Mais il ne voit pas pourquoi on s’occuperait plus des enfants précoces que des autres.  Adaptons l’école pour qu’elle donne des chances de développement à chacun, pour qu’elle aide chaque enfant à s’accomplir au maximum, au lieu de reproduire la hiérarchie sociale.

Nous vivons, dit-il, dans une société hiérarchisée.  Qu’il y ait quelqu’un dont la fonction consiste à me commander, c’est commode pour s’organiser, c’est une répartition des tâches, à la condition que celui qui me commande ne prétende pas qu’il m’est supérieur.  Seulement, dans nos sociétés, celui qui commande a un accès beaucoup plus rapide aux richesses et nous sommes écartelés entre une morale de l’égalité et la réalité des inégalités sociales.  Alors on voudrait bien que les biologistes fournissent une justification aux inégalités sociales en disant qu’il y a une inégalité naturelle entre les hommes.

Il se dit un scientifique et en tant que biologiste, il nous dit: nous ne sommes pas égaux, mais nous ne sommes pas inégaux; il n’y a pas une inégalité entre nous, mais une diversité; nous ne sommes pas supérieurs ou inférieurs, cela n’a pas de sens, mais différents; nous ne sommes pas hiérarchisables et en particulier en ce qui concerne la faculté centrale, l’intelligence, il n’y a pas de hiérarchie des intelligences. Sinon, alors, Beethoven était lamentable, Einstein n’était pas tellement fort et Tolstoi était, d’après ses professeurs, une catastrophe. Heureusement, on a inventé les tests après que ces gens-là aient été éduqués sinon ils auraient été massacrés.
Il nous parle du rapport supériorité versus infériorité.  Lequel est inférieur?  Lequel est supérieur? Inférieur en quoi?  Supérieur en quoi? Cela ne veut rien dire et il faut lutter contre cette perversion intellectuelle. Comme je ne suis pas “un autre”, je suis tranquille.  On ne me trouvera jamais inférieur ou supérieur.

PUIS IL NOUS PARLE DE LA DIFFÉRENCE HOMMES - FEMMES EN TERME D’INTELLIGENCE
Il ne veut pas faire un cours d’anatomie, il n’y a qu’à regarder, c’est pas pareil!  Qu’il y ait des conséquences hormonales, c’est évident.  Qu’il y ait, en moyenne, des développements différents, c’est aussi évident.  Quant à dire que les femmes ont une activité intellectuelle supérieure ou inférieure, c’est absurde.  Qu’il y ait des attitudes intellectuelles différentes chez les hommes et les femmes pour des raisons hormonales, c’est possible, mais pour l’instant on n’en connaît pas.

Le sexisme fait partie de cette maladie infantile qui nous fait rechercher  dans le mépris une certaine acceptation de nous-mêmes.  Tout racisme est un mépris, un mépris qui signifie que j’ai peur de moi finalement.  Cette tête ne me revient pas, ça veut dire que je n’aime pas les miroirs....Devenir adulte, c’est passer au-delà. Éliminons le mépris comme on élimine les boutons d’acné juvénile!

mercredi 20 août 2014

ÉTAPES DANS L’INTERVENTION EN SITUATION DE CRISE


Étapes dans l’intervention en situation de crise

La technique de l’intervention en situation de crise comprend certaines étapes spécifiques.  Bien qu’il soit difficile d’insérer chacune dans une catégorie nettement définie, l’intervention typique devrait passer par la série d’étapes suivantes:

  1. La première étape consiste à évaluer l’individu et son problème.  Cette démarche exige le recours à des techniques actives de mise au point de la part du thérapeute pour obtenir une évaluation précise de l’événement immédiat et de la crise qui en est résultée et qui a conduit l’individu à rechercher une aide professionnelle. Le thérapeute peut avoir à juger si  la personne qui recherche de l’aide présente ou non un risque élevé de suicide ou d’homicide. S’il juge le malade grandement dangereux pour lui-même ou pour les autres, il le recommande à un psychiatre en vue d’une hospitalisation possible.  Si ce dernier ne juge pas l’hospitalisation nécessaire, le thérapeute entreprend l’intervention.

  1. La première heure peut être consacrée entièrement à évaluer les circonstances reliées directement à la situation de crise immédiate.
  2. La planification de l’intervention thérapeutique: Cette planification prend place après l’évaluation de l’événement (ou des événements) qui a provoqué la crise et de la crise elle-même.  Cette planification n’est pas conçue pour provoquer des changements majeurs  dans la structure de la personnalité mais pour restaurer chez la personne au moins le niveau d’équilibre antérieur à la crise.  Dans cette phase il s’agit de déterminer le temps écoulé depuis le début de la crise.  L’événement “provocateur” se produit d’ordinaire une à deux semaines avant que l’individu ne recherche de l’aide.  Souvent cet événement ne date que de vingt-quatre heures.  Il est important de connaître la façon dont la crise a perturbé la vie de l’individu et les effets de cette perturbation sur les autres dans son milieu.  Il faut aussi rechercher des renseignements pour déterminer les points forts de la structure psychique de l’individu, quelles capaités d’adaptation lui  ont servi efficacement dans le passé et qu’il n’utilise pas à l’heure actuelle et quelles sont les autres personnes qui peuvent lui servir de soutien.  Il faut aussi rechercher d’autres méthodes d’adaptation dont, pour une raison quelconque, il ne tire pas profit à l’heure actuelle.
  3. Intervention: La nature des techniques d’intervention dépend beaucoup des compétences préexistantes, de la créativité et de la souplesse du thérapeute.  Morley suggère certaines des techniques suivantes qui ont déjà fait preuve d’efficacité:
  1. Aider l’individu à acquérir une compréhension intellectuelle de sa crise. Souvent le sujet ne voit aucune relation entre une situation difficile de sa vie et l’extrême malaise de déséquilibre qu’il éprouve. Le thérapeute peut recourir à une approche directe en décrivant au patient la relation entre la crise et l’événement de sa vie.
  2. Aider l’individu à extérioriser ses sentiments actuels auxquels il ne peut avoir accès.  Souvent la personne peut avoir refoulé certains sentiments très réels tels que la colère ou d’autres émotions inadmissibles envers quelqu’un qu’il “devrait aimer ou honorer”. Il peut s’agir aussi de dénégation d’une peine, de sentiments de culpabilité ou d’un processus inachevé de deuil à la suite de la perte d’un être cher.  L’intervention a pour but immédiat de réduire la tension en procurant à l’individu des moyens de reconnaître ces sentiments et de les extérioriser.  Il est parfois nécessaire de provoquer une catharsis émotionnelle et de réduire la tension immobilisante.
  3. Explorer des mécanismes d’adaptation.  Cette approche exige que le thérapeute aide la personne à examiner d’autres moyens d’adaptation.  Si pour une raison ou l’autre les comportements utilisés dans le passé pour réduire efficacement l’anxiété n’ont pas été tentés, il faut étudier la possibilité de leur emploi dans la situation présente.  Il faut rechercher de nouvelles méthodes d’adaptation et souvent la personne imagine des méthodes très originales qu’elle n’a jamais essayées auparavant.
  4. Réouvrir le monde social.  Si la crise a été provoquée par la perte d’une personne importante aux yeux de l’individu, il peut être utile de suggérer la possibilité d’introduire de nouvelles personnes pour combler le vide.  Cette démarche est particulièrement effficace si les nouvelles relations peuvent apporter un degré analogue de soutien et les gratifications qu’il retirait dans le passé avec la personne “disparue”.

4. La dernière étape consiste dans la solution de la crise par planification anticipée. Le thérapeute redonne une nouvelle vigueur aux mécanismes d’adaptation utilisés efficacement dans le passé par l’individu pour réduire la tension et l’anxiété.  Au fur et à mesure que ses capacités d’adaptation augmentent et que des changements positifs se produisent, le thérapeute peut les résumer pour lui permettre de confirmer à nouveau les progrès réalisés.  Le thérapeute accorde son aide selon les besoins pour faire des plans d’avenir réalistes et il expose au malade les manières dont l’expérience actuelle peut l’aider à s’adapter à de nouvelles crises.

mardi 19 août 2014

LA NOTION DE CRISE

LA NOTION DE CRISE

Définition:
La crise survient lorsque l’individu perçoit un évènement comme pouvant menacer son équilibre et lorsque ses mécanismes d’adaptation ne lui permettent pas de maîtriser adéquatement la situation.  Un état de désorganisation s’ensuit.

Typologie:
  1. de situation:
    1. causée par un événement soudain ou inattendu: maladie grave, séparation, désastre naturel, etc.
  2. de maturation:
    1. occasionnée par le passage d’un stade biologique, psychologique ou social à un autre: mariage, adolescence, naissance.

Séquence d’une situation de crise:
Étape 1: La personne rencontre un évement qu’elle définit comme une perte, une privation ou une menace à son intégrité personnelle ou à ses besoins.

Étape 2: La personne répond à l’événement par de l’anxiété.

Étape 3: La personne utilise ses mécanismes d’adaptation pour faire face à l’événement.  Elle tente de le surmonter en employant des mécanismes qui ont déjà prouvé leur efficacité: redéfinir le problème, l’éviter ou rechercher du support.

Étape 4: les mécanismes d’adaptation s’avérant inefficaces, il s’ensuit une période de désorganisation:
  • diminution de la capacité de fonctionner au travail et de s’adonner aux activités quotidiennes accompagnée d’un sentiment d’mpuissance
  • inhibition du fonctionnement intellectuel l’empêchant d’envisager d’autres alternatives à sa situation.

Étape 5: La personne trouve une solution à son problème: 
  • elle retrouve l’équilibe qui existait avant la crise et même améliore son niveau de fonctionnement antérieur

OU

- elle revient à un niveau de fonctionnement inférieur à ce qu’il était avant la crise.



Nature et Ampleur de la crise dépendent de :

OBJECTIF
restaurer le niveau de fonctionnement antérieur à la crise et même l’améliorer, ce qui implique le rétablissement d’anciens comportements réducteurs d’anxiété ou le développement de nouveaux.

CARACTÉRISTIQUES
brièveté: l’ici et maintenant de la crise est l’objet de l’attention du thérapeute. La cueillette des données se fait en vue de définir le problème, d’identifier les réactions de l’individu et d’esquisser un plan d’action pour résoudre la crise.

liberté
flexibilité    qualités de base pour une stratégie thérapeutique efficace
créativité

Connaissance des ressources communautaires.
ouverture à l’autre.

ÉVALUATION
l’entrevue initiale a trois buts:
  1. recueillir de l’information en vue de définir le problème, d’identifier les issues possibles et de suggérer des moyens pour les atteindre.

En plus le thérapeute doit évaluer le niveau d’anxiété, le fonctionnement du  Moi, les changements affectifs et les symptômes actuels. Il doit aussi explorer les conditions de vie et de travail, les relations interpersonnelles et les situations sociales de l’individu.

  1. établir une relation de confiance.

Le client doit sentir qu’une aide lui sera apportée, ce qui fait naître l’espoir et ainsi diminuer l’anxiété.

  1. fournir de l’aide pendant l’entrevue initiale.

le thérapeute peut clarifier le problème, exprimer des sentiments ou, quand c’est indiqué, donner une médiation pour soulager la détresse.

son POINT D’ATTENTION est l’événement précipitant.

L’entrevue d’évalutation peut commencer par cette question:

  • Qu’est-ce qui vous amène à demader de l’aide maintenant?

La réponse donne des indications sur l’anxiété du genre épuisement, nervosité, insomnie, inappétence etc. le thérapeute enchaîne alors sur ces symptômes en demandant:
  • Quand cela a-t-il commencé?
  • Avez-vous une idée de ce qui peut les causer?

Des réactions à l’événement, nous passons à l’identification de l’événement lui-même:

  • Est-ce que le client peut identifier lui-même son problème?
  • Est-ce que sa définition du problème tient compte de la réalité? Si non, quelles en sont les distorsions?
  • Est-ce que le problème implique seulement le client? Si d’autres personnes sont impliquées, qui sont-elles?
  • Qelle est la nature de leur implication?
  • Comment le client voit-il que le problème affecte sa vie présente et future?


Le thérapeute clarifie la relation qui existe entre les symptômes et l’événement, ce qui a pour effet de diminuer les sentiments d’accablement et d’inadéquacité.
Le problème étant clairement identifié, le thérapete dirige son attention sur les mécanismes d’adaptation:

  • Quels mécanismes d’adaptation a-t-il utilisés? Quels sont les résulats?
  • Quelles sont les zones de sa vie quotidienne qui ont été affectées? jusqu’à quel point?
  • Y a-t-il d’autres personnes touchées? À quel degré?


Des informations concernant le passé peuvent être recherchées afin d’avoir une image plus précise des mécanismes d’adaptation:

  • Quels autres mécanismes a-t-il utlisés pour réduire sa tension?
  • A-t-il déjà vécu une expérience semblable?  Si oui, qu’a-t-il fait pour la résoudre?


Il n’est pas question d’appliquer automatiquement les mêmes solutions; cependant elles doivent être considérées et les résultats doivent être anticipés.

Vient le temps d’explorer les relations interpersonnelles du client en vue de déterminer le degré d’isolement.  La famille, les amis peuvent fournir du support.  Si ces ressources ne sont pas disponibles, le thérapeute s’offre en tant que soutien temporaire.

INTERVENTION

À la fin de l’entrevue initiale, le thérapeute doit avoir suffisamment d’informations pour décider d’un plan d’action relié à l’individu et à son problème.  Ce plan d’action doit être mis à l’épreuve, évalué puis modifié si besoin.

lundi 10 mars 2014

CLIN-D’OEIL SUR L’HISTOIRE D’HAÏTI - Période 1957 à nos jours

Aristide

Avant son élection, Aristide faisait de la Constitution sa boussole et déclarait à l’AFP qu’il la respecterait s’il était élu, promettant de choisir son gouvernement “parmi les membres du parti ayant la majorité au Parlement”.  Une fois élu, cet “intrépide” a préféré faire appel à ses amis et n’a tenu aucun compte de la majorité relative du FNCD qui l’avait porté au pouvoir.  Il a agi comme Napoléon qui pensait que le coeur d’un chef est dans sa tête et qu’il fait confiance à sa tête (sic dans Radio Soleil d’HaÏti, 9 février 1997).

Au-delà de la stratégie d’Aristide, il faut se souvenir que le mouvement antiduvaliériste avait utilisé des mots d’ordre inscrits dans l’arbitraire ambiant : déchoukay en 1986, l’état d’esprit raché-manyok en 1987 et le phénomène lavalas en 1900 s’inscrivent tous dans une stratégie stérile d’affrontement des arbitraires.  En 1996-1997 les organisations dites populaires obéissent à cette même stratégie despotique quand elles dressent des barricades enflammées sur les principales artères du territoire.

On se demande quelles sont les véritables nuances idéologiques qui permettent de différencier les attitudes duvaliéristes d’hier et les comportements antiduvaliéristes de l’époque, ou si les initiatives des uns et des autres obéissent à la même logique arbitraire (macoute)? Que cache donc l’indicatif péjoratif créole Ti (petit) quand les Haïtiens se mettent à l’heure des Ti pour parler le langage archaïque des Ti-Légliz, des Ti-Lamé, des Ti-Curé, des Ti-Jandam...?  Il semble que de très nombreux bourgeois et petits bourgeois qui se reconnaissent dans des pitit-soyèt (petits ou fils du peuple) voudraient aller au-delà, en quête de leur propre image dans l’autre: le pitit-soyèt. C’est sans doute leur façon de se déculpabiliser face à un système aberrant qu’ils ont toujours vénéré.

Après son intronisation le 7 févirer 1991, J.-B. Aristide, et avec lui ceux qui prétendent incarner une nouvelle classe politique, objective vite ses limites car il se montre irresponsable et utopique.  Il est renversé du pouvoir le 30 septembre 1991 par un coup de force militaire qu’on ne peut analyser de manière subjective.  Aristide et les militaires qui le renversent sont de la même génération et font preuve d’un même manque de culture politique et des mêmes attitudes jusqu’au-boutistes qui provoquent un enlisement de la situation politique, sous les auspices tantôt de l’ONU tantôt des responsables américains.  Aucune solution négociée même acceptée des deux côtés ne peut se mettre en place devant leur intransigeance.  On peut affirmer sans trop de réserves que c’est le besoin d’un pouvoir fantasmé qui a conduit au débarquement en Haïti de vingt mille militaires américains le 19 septembre 1994 et à une occupation militaire telle que le souhaitait Aristide (quarante et un ans), prêtre ti-légliz et Cédras (quarante-cinq ans), chef d’état-major de l’armée. 

Formée à l’organisation sociale égalitaire de la paysannerie des Mornes de Port-Salut et ayant de bonnes dispositions scolaires.  Aristide réussit à contourner l’inflation des valeurs ambiantes,  Grâce aux initiatives de religieux qui le prennent en charge, il fait de billantes études.  Les jeunes de sa génération incultes pour la plupart, admirent son supposé savoir et comme lui sont atteints du virus du pouvoir fantasmé.  Contrairement à ses déclarations (Dans Tout homme est un homme), il fera tout pour accéder au pouvoir et se justifiera: il ne créera pas de parti politique pour ne pas accréditer les allégations de ceux qui disent qu’il a un goût immodéré du pouvoir et veut y accéder à n’importe quel prix!


Bertrand Aristide - inscrit dans le mouvement charismatique lavalas - de canaliser seul toute la contestation antiduvaliériste des religieux Ti-légliz (prêtres, pasteurs et ougans....); R. Préval, ancien Premier ministre incompétent, devient président de doublure de février 1996 à 2001.  Chacun à sa manière ces “présidents” sabordent les espérances des masses populaires et refusent toute alternative sérieuse.  Alors qu’une conférence nationale leur aurait permis d’aboutir à la mise en place d’un gouvernement de salut public et de sauvegarde nationale.  Chacun se demande à qui la faute.  Responsabilité collective certes, mais les démarches psychopathologiques des Duvalier, Aristide, tontons-macoutes, chimères (sbires du lavalas), des attachés du FRAP (milice néo-duvaliériste) et autres...ont pesé lourd.



Au-delà de leurs déclarations tonitruantes, Duvalier (Papa Doc ) et Aristide (Titid) sont bien les deux images mentales qui maintiennent l’état de pauvreté d’Haïti.  Leur vécu fait de frustrations chroniques ne leur a pas permis de sublimer autrement leur passé de pitit-soyèt (fils du peuple).  Tous deux ont alimenté la passion de ceux qui, par rétroaction, n’ont cessé d’amplifier la légende de ces petits grands hommes au regard mystique et au verbe mystificateur.  Il est vrai que les Haïtiens se sont longtemps reconnus en eux parce qu’ils manipulaient avec aisance des thèses populistes adaptées à la psychologie de leurs compatriotes.  Lorsqu’ils sont arrivés au pouvoir, ils ont ainsi bénéficié de la complicité de tous ceux qui se sont identifiés à leur vécu.  Cette dévalorisation mal compensée a toujours empêché l’adaptation des petits-bourgeois haïtiens qui vivent mal leur transfert de classe ou de caste dans un contexte psychosocial d’arbitraire institutionnalisé.  Il ne s’agit pas de banaliser les actes rétrogrades d’hier, mais il est évident que le fait Duvalier et le fait Aristide  se situent exclusivement au niveau d’un mythe progressiste postcolonial.  La mentalité haïtienne taxe d’ailleurs d’imbécilité ceux qui ne savent pas profiter des largesses offertes par les idiots!  Sot ki bay, imbésil ki pa pran, dit-on banalement en créole pour justifier ce comportement égoïste et cynique bien que fondamentalement humain.  Certains justifient ces comportements en prétextant que dépi nan ginin, nèg rayi nèg, c’est-à-dire que l’Haïtien a toujours haï les siens.  Ces deux étranges bonshommes d’origine modeste correspondent au vocable discriminatoire pitit-soyèt (fils du peuple) utilisé avec tant d’a priori par les Haïtiens qui condamnent les “petits” à l’exclusion.

mardi 7 janvier 2014

CLIN-D’OEIL SUR L’HISTOIRE D’HAÏTI - Période 1957 à nos jours

Lors de la première élection de novembre 1987, la population avait voté pour Sylvio Claude.  Pourquoi Sylvio Claude?  Parce qu’il faisait sens, essentiellement pour une chose: c’était une victime du duvaliérisme.  Le fait d’avoir été torturé et d’avoir été emprisonné sous Duvalier pouvait suffire pour attester de son intégrité politique.  Pour les plus démunis cette figure de victime prenait place dans un grand vide politique.  Ce n’est pas le discours de Sylvio Claude qui la séduisait mais la poétique de la victime transformée en monument digne d’être vénéré et chanté.  Lorsque Aristide se présente aux élections, les déshérités optent sponténament pour lui.  Pourquoi Aristide?  La figure est plus puissante parce qu’elle fait sens par-delà le monument de la victime.  En effet, avec Aristide, un langage politique leur donne accès à la compréhension des conditions de formation de leur pauvreté.  Dès lors, la possibilité d’entrer dans la pensée et l’action politique devient réelle, c’est-à-dire fait sens.  Aristide c’est aussi la matérialisation du fantasme du sauveur qui permet à ses électeurs de s’approprier les espaces d’origine qui obsèdent tant le présent.  Ces déplacements et ces renversements ne constituent pas pour autant des conditions de production d’une mutation historique et culturelle.  La conscience n’est pas encore la pensée critique et créative et, avec Hurbon, on s’interroge sur l’effet de barrage à une telle émergence que produit le rapport haïtien à l’histoire: “On dirait qu’ainsi dans les Caraïbes, nous n’avons pas de dette: tous les “autres” nous doivent tout, ils doivent nous payer pour avoir fait de nous des vaincus.  Habitant le passé, comment donc pouvons-nous disposer d’une mémoire?  Or le rapport à la mémoire, rapport constitutif d’un peuple ou d’une nation, reste impensable sans la possibilité d’oublier, c’est-à-dire sans l’effort d’arrachement de soi au passé” (Hurbon 1990: 2).

Cette période en Haïti est un temps de dévoilement des effets d’une pratique excessive et dramatique de l’histoire.  Ce dévoilement a quelque chose de terrible et de fantastique en même temps.  C’est le désordre violent des tableaux de Jérôme Bosch avec ses points de lumière.  Comme si à l’horizon du tableau, une lumière apparaissait puis disparaissait pour réapparaître ailleurs, là où on s’y attend le moins.  Cette période de transition vers une démocratie ouvre les conflits et excède les cercles vicieux et les rémanences.  C’est bien dans l’ouverture des conflits que se mettent en place les dispositifs de la démocratie et c’est aussi à ce moment-là que les résistances à ce type de changement se révèlent à outrance.

Un rapport folkloriste à l’histoire

Les duvaliérsites et les intellectuels haïtiens, en général, usent largement de cette notion de “pays profond”.  La notion de “pays profond” réfère à la culture créole en milieu paysan et s’y oppose, à l’autre extrémité, la culture occidentale.  Le “pays profond” est intérieur au pays et à son histoire.  Plus une région est démunie des moyens de production de la culture occidentale et plus elle est éloignée du centre socio-économique de Port-au-Prince, plus elle est vraie par rapport à ces deux espaces d’origine: L’Afrique et la libération de l’esclave. Le “pays profond” c’est le vaudou, la langue créole, le lakou, le kombite (groupe de travail communautaire), la magie, les guérisseurs, etc.  Le “pays profond”, ce ne sont jamais les différents dispositifs mis en place par la culture haïtienne après l’Indépendance pour réduire une partie de la population à l’esclavage, à la féodalisation et à l’exploitation, et que l’on retrouve partout en Haïti.  Ce ne sont pas les pratiques de corruption, du simulacre et du paraître qui ont tant marqué le rapport au pouvoir.  Ce n’est pas non plus la connivence haïtienne face au pouvoir colonial et néo-colonial ni son choix des stratégies de participation à la culture occidentale.  Ce ne sont pas non plus les transformations qu’a pu opérer dans la culture créole l’éthique duvaliériste des relations de pouvoir qui s’est imposée au pays depuis plus de trente ans.

Le “pays profond”, on le retrouve au fond des campagnes loin de la mobilité du temps et des mouvements de transformations, dans ce que communément, en Haïti, on appelle le traditionnel.  Cette notion se loge dans la peinture naïve, le monument historique, le mouvement duvaliériste du noirisme, dans la poésie de la diaspora, dans le discours politique duvaliériste et démocratique haïtien.  Cette notion rend extérieure à la société haïtienne la reproduction de l’ordre colonial et néo-colonial.  Elle rend possible une grille d’évaluation linéaire et bipolaire de la culture qui juge de la vérité ou de la fausseté de l’une ou de l’autre des deux cultures présentes, en fonction des intérêts socio-politiques en jeu.  Cette notion relève d’un mode de relation de pouvoir et le point de vue folkloriste sur l’histoire la rend possible: “Tout ce qui est ancien, tout ce qui appartient au passé et que l’horizon peut embrasser, finit par être considéré comme également vénérable; par contre tout ce qui ne reconnaît pas le caractère vénérable de toutes les choses d’autrefois, donc tout ce qui est nouveau, tout ce qui est dans son devenir, est rejeté et combattu” (Nietzche 1988: 98).

Lors de l’interruption violente des élections de november 1987, l’armée s’est assurée de la fermeture de tous les postes de radio et de télévision.  Seul le poste de la télévision nationale était resté ouvert avec une programmation bien spéciale.  En plus de diffuser les informations du gouvernement Namphy, une série d’émissions présentait le vaudou, ses esprits, ses rites et ses danses.  Une ethnographie de la culture créole et de sa religion prenait place au sein du contrôle militaire.  Comment dans ce contexte dictatorial, est-il possible de dire le vaudou et pas autre chose?  Dans le discours de Namphy adressé à son armée en 1987, peu de temps avant l’interruption violente des élections, quelques éléments de réponse sont fournis.  L’armée doit protéger le peuple, malgré lui, de ses excès.  Dans sa fonction fantasmée de Père, l’armée connaît ce qui doit composer l’ordre, elle juge que la démocratie n’est pas un exercice historique dont le peuple est capable.  Au moment du vote, qui se déroule partout en Haïti avec discipline et enthousiasme, l’armée interrompt le processus démocratique: “Le plus grand ennemi à l’heure actuelle est peut-être les excès commis sur le chemin difficile de l’apprentissage de la démocratie que fait de façon si douloureuse le peuple haïtien qui en ces circonstances mérite d’être encadré, protégé, parfois même malgré lui.  Et c’est pour moi un motif de fierté que de féliciter notre sens de l’ordre et ce courage dont vous savez à l’occasion faire preuve en face de certains groupes manipulés qui se montrent hostiles et délibérément provocateurs.  On ne louera jamais assez cette maîtrise de soi et cette pondération qui vous ont été inculquées dans les casernes et à l’académie militaire.  Il incombe aux forces armées de faire respecter la discipline républicaine” (Nampy, 1987, Télévision nationale d’Haïti).

Mais, le peuple a besoin d’être encadré: par quelle forme de règles?  Mais le peuple doit être protégé: contre quoi au juste?  Comment Namphy peut-il penser que le peuple a besoin d’être protégé “malgré lui” et pouquoi le ramène-t-il jsutement au vaudou alors qu’il se rendait vers la démocratie?

L’ethnographie du vaudou présentée au lendemain de l’élection avortée, rappelle le lieu des ancêtres et du “barbare” contre le “civilisé”.  En effet, Namphy n’a plus besoin du colon pour diffuser l’éthique occidentale du XVIIe siècle qui validait l’esclavage au nom de la civilisation et des vertus chrétiennes.  Au lendemain des élections, l’armée renvoie le peuple au vaudou, ce lieu par excellence en Haïti, pour résister et rejouer symboliquement l’affrontement et la libération à l’égard de l’Occident.  Elle le renvoie au vaudou, dans ce “pays profond” qui n’a pas à se mêler des affaires du politique.  Elle le renvoie dans l’espace de l’affirmation de la “négritude”, car il est le lieu de la différence haïtienne.  Elle le renvoie aussi dans l’espace de son exploitation et de sa réduction à l’état d’esclave et de colonisé.  L’armée actuelle en Haïti relève du duvaliérisme et elle a été formée par les États-Unis; son langage est celui du “civilisateur” colonial et impérialiste.  Avec le duvaliérisme le théâtre coloniale caricature à l’extrême les rôles: le riche, le technocrate, le militaire, le macoute et le duvaliériste portent le masque du colon et le “pays profond” porte celui du colonisé.  Ce jeu a quelque chose de terrible et de désolant parce qu’il maintient la relation colon-colonisé et le reproduit comme pratique historique.  Hurbon a très bien montré le fonctionnement des représentations du “barbare” et du “civilisé” dans l’expérience historique d’Haïti; “[...] c’est la représentation du vaudou comme sorcellerie, et sa distribution autour de deux pôles de la société haïtienne: le pouvoir politique (le palais national étant tenu pour le haut-lieu des papa-lwa ou oungans réputés forts), les classes populaires (paysans et gueux des villes).  L’ordre de la révolte et l’ordre du pouvoir établi se rejoindraient ainsi.  Pour ce dernier, le vaudou ne peut être qu’un lieu de consensus inavouable.  La tolérance du vaudou se donne alors comme nécessaire au fonctionnement général de la société.  Mais sa pénalisation, non moins” (Hurbon 1987: 92).

Hurbon nous amène au coeur même des contradictions haïtiennes qui se révèlent dans les relations de pouvoir.  Le rôle des déshérités dans la société est de tenir la position de résistance, non pas à l’ordre actuel, mais à l’ordre d’un passé qui, un jour, s’est transformé en révolte devenant ce 1804.  Tenu à l’écart de la vie politique, exploité de toutes sortes de manière, sa révolte qui s’actualiserait représenterait la mise en échec non pas seulement d’intérêts économiques mais d’intérêts symboliques et érotiques.  La jouissance du pouvoir chez le duvaliériste est trop grande pour qu’il puisse soutenir l’effondrement de ses illusions: “Par rapport à la société haïtienne, à la culture officielle dominée par la pénétration de la culture et de la technologie bourgeoise démocratiques, le vaudou se constituait déjà comme une clandestinité reconnue.  Cette “reconnaissance” du vaudou était sa récupération même par une bourgeoisie nationale et une élite intellectuelle noiriste.  Elle devait aboutir à sa finalité inconsciente et inavouable, qui témoignait déjà la domination de cette bourgeoisie internationale; la folklorisation du vaudou.  Ce mouvement qui tendait à mettre le vaudou sur le devant de la scène culturelle est un mouvement historique.  Il signait, pour des élites impuissantes devant l’envahissement du capitalisme, la prise de possession d’une culture populaire et sa perversion” (Apolon 1976: 188).

Avec Duvalier (François), ce “barbare” reste toujours “barbare” mais avec son idéologie noiriste, le “barbare” est valorisé positivement là où il permet à “l’élite” d’affirmer sa différence vis-à-vis de l’Occident.  Toujours vue comme petite, “primitive” ou “traditionnelle”, la culture paysanne sert à une chose : faire signe à la nation où elle vient.  La paysannerie représente le passé et elle est donc vénérable.  Elle est vénérable dans ses jardins transformés en musée où, tenue à l’écart de la vie politique, elle conserve les attributs de la différence.

Le rapport folkloriste à l’histoire permet de valoriser positivement la culture créole mais à un niveau très superficiel car il produit socialement un rapport à la culture à la manière d’une muséographie. L’anthropologie qui se développe à l’intérieur d’une socialisation et d’une utilisation politique d’un tel rapport à l’histoire ne s’y soustrait pas. IL n’y a qu’au moment des ruptures radicales avec les formes de connivence des groupes (d’opposition ou non), avec les relations de pouvoir telles qu’elles sont alors pratiquées que le savoir émerge et transforme la relation “savoir-pouvoir”.

Le point de vue folkloriste sur l’histoire ne permet pas seulement la représentation haïtienne sur la scène nationale et internationale, c’est aussi une pratique de soi (individu ou groupe) dans son rapport à l’Autre.  Le point de vue folkloriste permet au poète haïtien d’user des métaphores du vaudou et du nom de ses esprits alors qu’il n’est pas vaudouisant, qu’il n’ose pas l’être, ou qu’il craint de le dire.  C’est le vaudou appartenant à l’Ordre du vernissage, du mémorisé, du conservé mais surtout, il n’est pas à “soi”. Le point de vue folkloriste ouvre à la possibilité d’une prolifération de houngan makout (prêtre vaudouisant qui n’a pas été initié).  Ce point de vue folkloriste est aussi pour le magicien un de ces dispositifs pour mettre en forme son art des simulacres.  Le regard folkloriste sur la culture donne à l’Église catholique la possibilité d’intégrer les rythmes et les structures des chants vaudous à sa liturgie.  Alors que l’Église tient un discours inquisiteur violent ou doux selon les époques, sur le vaudou : “Les pasteurs, les prêtres et les sociologues trouveront également dans l’ethnodrame un concept-clef pour explorer les voies de conversion du vodouisme au christianisme” (Price Mars 1986:24). L’effet de la folklorisation du vaudou et de sa culture donne la possibilité du jeu de la vente du secret et du asson par le houngan à l’étranger, et facilite sa participation dans les stratégies d’exploitation du peuple.  L’effet de ce point de vue folkloriste sur l’histoire produit aussi de l’exotisme dans le rapport à la culture d’origine et un rapport exotérique à Dieu et aux esprits.  “Quand, derrière l’instinct historique, il n’y pas un instinct constructeur qui agit, quand on ne détruit et ne déblaye point, pour qu’un avenir déjà vivant en espérance édifie sa demeure sur le sol débarrassé, quand la justice seule règne, alors l’instinct créateur est affaibli et découragé.  Une religion, par exemple, qui doit être transformée en savoir historique, une religion qui doit être étudiée de part en part, scientifiquement, une fois cette étape franchie, sera, par là même, détruite” (Nietzche 1988:132)


Dans le contexte de rupture avec un passé et de construction de la vie, un peuple dans son devenir imaginé de lui-même peut s’inspirer des monuments pour activer ses luttes. Mais s’il ne passe pas en jugement son histoire, ni n’interroge les études excessives de son histoire, ni ne rompt avec le passé, ce peuple risque de s’affaiblir, de s’illusionner et surtout de laisser trop d’espace à la riposte du passé.  Le rapport monumental à l’histoire et le rapport folkloriste à la culture ont produit en Haïti une force d’inertie incommensurable des institutions à l’égard de leur développement.

vendredi 27 décembre 2013

CLIN-D’OEIL SUR L’HISTOIRE D’HAÏTI - Période 1957 à nos jours

L’Histoire Monumentale

Dans son livre sur l’histoire haïtienne Eve di Chiara tient un point de vue historique qui est socialement le plus en vogue en Haïti et politiquement le plus utilisé.  On retrouve dans ce livre tous les vices d’une “histoire globale” (Foucault) qui cherche à donner le visage d’une époque en s’appuyant sur une analyse psychologique des héros qu’elle resitue dans une vision d’ensemble économique, sociale et politique. Ce genre d’étude aboutit inévitablement à un procès d’intention qui, chez Eve di Chiara, s’énonce à partir d’une position morale, typique de cette fin du XXe siècle.

Ce regard sur l’histoire entretient le culte de la personnalité ainsi que la conception d’une histoire continue où un espace d’origine absorbe l’actualité avec cette promesse de retrouver ce qui dans le présent semble perdu.  Avant c’était mieux et depuis c’est touours la souffrance.  Cet espace d’origine est infini: vers cette terre d’Afrique, là où les ancêtres évoqués étaient des princes, des guérisseurs, là surtout où l’esclavage n’existait pas ou tout au moins n’était pas là pour soi.  Cet espace d’origine si lointain est traversé de bord en bord par une ligne qui ne cesse d’agacer le présent.  Cette ligne, c’est l’autre espace d’origine, celui qui contient le mouvement glorieux de la libération de 1804.  Cette origine ne cesse de se dérober à l’actualité haïtienne.  Et ceux-là qui, à l’intérieur du pays, produisent sa dérobabe, l’honorent en glorifiant les monuments qui en témoignent.  La population quant à elle, livrée tout entière à la survie et à l’exploitation par ces despotes, revient obstinément avec ses luttes vers cet espace pour le reprendre.

Mais que l’on travaille pour la vie ou pour la mort, le rapport à l’histoire qui produit le monument ne retient que sa splendeur donnant forme à des figures qui n’ont rien à voir avec les effets des relations à travers lesquelles elles se sont manifestées: “L’histoire continue, c’est le corrélât indispensable à la fonction fondatrice du sujet: la garantie que tout ce qui lui a échappé pourra lui être rendu; la certitude que le temps ne dispersera rien sans le restituer dans une unité recomposée; la promesse que toutes les choses maintenues au loin par la différence, le sujet pourra un jour - sous la forme de la consicence historique - se les approprier derechef, y instaurer sa maîtrise et y trouver ce qu’on peut bien appeler sa demeure.  Faire de l’analyse historique le discours du continu et faire de la conscience humaine le sujet originaire de tout devenir et de toute pratique, ce sont les deux faces d’un même système de pensée.  Le temps y est conçu en termes de totalisation et les révolutions n’y sont jamais que des prises de conscience” (Foucault 1969:22).

Le monument Dessalines, par exemple, modèle la relation au pouvoir sous le signe du Père libérateur, du Père militaire, du Père familial et enfin de Dieu le Père. Même si Dessalines a reproduit le système colonial en favorisant les militaires dans la distribution des terres, institué la corvée pour les anciens esclaves et mené une lutte féroce au vaudou (Métraux 1958), l’histoire monumentale oubliera ces détails.  Elle lisse l’histoire et fait briller le reflet d’un acte qui sert le présent.

Les monuments qui inspirent ceux qui veulent gouverner (entre 1986 et 1988) sont ceux qui ont libéré le pays de l’étranger: du colon.  Lorsque Namphy préside la cérémonie d’inauguration de la statue de Capois-la-Mort en 1987 à Port-au-Prince, sur le Champ de Mars, il fait briller la puissance militaire irréductible à l’assaut de l’étranger.  Dessalines, Capois-la-Mort, Louverture, le Marron (le nègre anonyme qui fuit l’esclavage et mène la révolte des esclaves) et Charlemagne Péralt (un héros de la libération de l’occupation américaine qui a duré de 1915 à 1934) sont évoqués avec insistance dans les discours.  En effet, le duvaliérisme a toujours fait appel à la conscience nationaliste et au culte des ancêtres avec un point de vue de continuité historque: “[...] la patrie, il convient en effet de la défendre contre les ennemis quels qu’ils soient, de la protéger contre les menaces extérieures et de sauvegarder son intégrité par la surveillance de ses frontières terrestres, maritimes et aériennes.  Car la première composante de notre mission n’est-elle pas de permettre sur ce territoire arrosé du sang de nos aïeux, que les Haïtiens puissent vivre en toute indépendance, maître d’eux-mêmes et de leur destin, sans jamais recevoir de diktat de personne.  Cela représente pour nous officiers sous-officiers, soldats des forces armées d’Haïti, un impératif de tout premier ordre en ces temps difficiles. La presse utlisant à très mauvais escient les libertés d’expression, d’association et de réunion récemment acquises, entretient un climat de tension au sein de la population.  Elle parle sans en mesurer les conséquences de soumission à une nation étrangère, élective, effrontément sur le sol sacré de la patrie de Jean Jacques Dessalines, d’Henri Christophe, de Capois-la-Mort et des Pierre Suli.  De semblables étrangers qu’ils souhaitent même hisser et faire flotter au sommet de nos édifices publics.  Quel sacrilège!” (Namphy, novembre 1987, Télévision nationale d’Haïti).

Dans ce discours de Namphy tout était déjà dit pour valider les actes de violence de son gouvernement afin de barrer la route à la démocratie en 1987 puis en 1991.  Ces monuments historiques sacralisés et amalgamés au politique forment une théocratie haïtienne.  Dès lors, toute action gouvernementale et militaire fondent ses stratégies d’action sur une théologie: l’autorité qu’ils représentent émane des ancêtres, des esprits ou de Dieu selon les intérêts en jeu, enracinant le politique au religieux.  La possibilité de penser qu’il y a “sacrilège” indique une forme d’exaltation mystique de l’action politique et, dans ce contexte, la violence lui est essentielle.  Le type de pouvoir qui en résulte en est un de pure consommation de jouissance et, entre les mains de la convoitise d’un pouvoir absolu, le monument est érotisé et fraie avec la mort.

L’histoire monumentale, en Haïti, est partagée par les différents groupes sociaux lorsqu’ils s’affrontent dans les relations de pouvoir.  En 1987, la population en général, plus consciente des causes politiques, sociales et économiques, des difficultés de développement d’Haïti, demeure sensible à l’évocation des héros de l’indépendance et de la libération de l’occupation américaine.  Cette sensibilité est l’effet de la formation de son regard sur l’histoire qui lui est aussi donnée par l’institution scolaire.  Chaque matin, partout en Haïti, les enfants procèdent à la montée du drapeau haïtien, autre monument fortement ritualisé. Puis, les enfants mémorisent leur histoire continue qui glorifie les héros de l’Indépendance et dénonce les actes impérialistes de l’Occident.  La lutte de Vertières est l’un de ces moments historiques mémorisés et transformés en monument.  Elle représente l’ordre militaire si fondamental à cette période duvaliériste tout en produisant le fantasme de l’indestructibilité de l’Haïtien dans la bataille armée : “Pour atteindre Charrier, il faut passer par une route et sur un pont que Vertières domine.  Capois part avec sa fidèle 9e demi-brigade.  Fauchée par la mitraillette, elle hésite; mais, à la voix de son chef, elle resserre ses lignes et bondit en avant.  Capois, à cheval, l’entraîne avec sa fougue ordinaire quand un boulet lui enlève son chapeau: “En avant! En avant!”, crie-t-il quand même.  Un second boulet renverse son cheval.  L’intrépide Capois, prestement relevé, brandit son sabre et aux cris répétés de “En avant! En avant!”, s’élance une fois de plus, à la tête de ses hommes.  Une bravoure si éclatante émeut la garde d’honneur de Rochambeau.  Elle applaudit.  Un roulement de tambour se fait entendre.  Le feu cesse.  Un hussard sort de Vertières, se dirige vers le front indigène. “Le capitaine général Rochambeau, déclare-t-il, envoie son admiration à l’officer général qui vient de se couvrir de tant de gloire.” Il se retire ensuite  et la lutte recommence” (Dorsainvil 1934: 133)

François Capois, l’intrépide héros, que l’ennemi reconnaît comme tel, est l’un des multiples héros guerriers d’Haïti.  Haïti en lutte pour sa libération de l’esclavage puis en lutte contre l’Occident qui lui impose sa loi par la voie de l’impérialisme américain lorsqu’il occupe son territoire en 1915. Les héros guerriers d’Haïti sont le socle de sa machine de guerre qui a pour fonction mythique de mettre en échec l’entreprise impérialiste de l’Occident.  L’ennemi de ces héros ne se trouve en aucune façon à l’intérieur de la culture; l’ennemi c’est l’Autre, c’est la différence, le Blanc, l’étranger.  Le héros guerrier haïtien inspire un sentiment d’irréductibilité face aux forces étrangères et le nationalisme duvaliériste a justement fondé sa légitimité sur le monument guerrier contre la formation de l’État.  Il est un soutien mythique à l’ordre des simulacres qui régit les relations de pouvoir.

De l’école, qui procède essentiellement de la mémorisation, au fondement social et rituel de la société, le monument s’impose, envahit et subjugue le rapport à soi, au monde, aux esprits et à Dieu. En février 1986, le départ de Duvalier s’accompagne de la destruction de monuments historiques.  Pour un moment, les Haïtiens tournent le dos à l’histoire et la passe en jugement.  Ils condamnent ceux qui ont usé de tant de violence envers eux depuis si longtemps et détruisent ce qu fait signe de leur passage.  La chasse aux tontons macoutes fait plus de deux cents morts en deux jours et celle-ci s’accompagne de la destruction et du pillage de tous les biens leur appartenant.  Le mausolée de François Duvalier est détruit et, comme en Allemagne avec le mur de Berlin, on s’approprie des morceaux de pierre provenant du tombeau.  La plaque de la statue du “Nègre Marron” est enlevée et sa flamme éteinte, la statue de Christophe Colomb est arrachée de son socle.  la croix en béton que Simone Duvalier avait fait ériger et au bas de laquelle (rapporte Eve di Chiara 1988) se faisaient des sacrifices humains a été déracinée, dechouke.

Ces actes collectifs de déchoukage (déracinement) des monuments sont en quelque sorte transgressifs; ils détruisent et tuent ce qui depuis bien longtemps est intouchable.  Ici, il n’y a pas de négation du monument.  Au contraire, le monument est affirmé: sa destruction permet à la population de s’en approprier, de le jauger et d’effectuer des renversements de sens.

La pratique du pè lebrun (mode de tuerie du tonton macoute: utilisation d’un pneu enflammé autour du cou) permet à la population livrée toute entière à la violence duvaliériste de s’approprier la justice.  Avec le père Lebrun elle ne le fait pas n’importe comment: elle se livre au sacrifice et, pour cette fois, elle occupe la position du sacrifiant.  Le père Lebrun fait souffrir avant de mourir et les actes d’anthropophagie qui ont occasionnellement eu lieu (rapportés par différents journaux et témoins informateurs) nous donnent à voir un rituel de sacrifice qui renverse les positions des sujets: celui qui est dans cette instance appelé à être privé de ce qui l’humanise (par la torture puis la mort) pour passer à un état d’immanence n’est rien d’autre que cette figure qui, depuis plus de trente ans, se livre à une violence erotisée contre le peuple.

Le rite du pè lebrun s’adresse à tous ceux qui représentent le duvaliérisme et qui se sont servis du discours vaudou, du discours de la magie noire et de l’histoire pour asseoir leur autorité absolue.  Il n’est pas étonnant que ce rite du pè lebrun ait été produit : il est la possibilité même du duvaliérisme et si les duvaliéristes le craignent tant c’est justement parce qu’il leur répond avec le même langage.

Ce rite ne transforme rien; il répond à une violence, il incorpore la puissance (en termes énergétiques) du sacrificateur et en renverse le sens.  Ce renversement, on le voit clairement dans ce graffiti inscrit sur les murs de Jérémie : “Nous avons pour arme la loi, pour étendard l’idéal démocratique, et pour boussole la morale chrétienne”.  Cet énoncé reprend en le transformant ce qu’avait dit le secrétaire de Dessalines et que tous les Haïtiens connaissent bien: “Pour dresser l’acte d’Indépendance, il  nous faut la peau d’un Blanc pour parchemin, son crâne pour écritoire, son sang pour encre et une baïonnette pour plume. C’est la barbarie du maître qu’il faut accuser pour la barbarie de l’esclave”  (Eve di Chiara 1988: 275)


lundi 23 décembre 2013

CLIN-D’OEIL SUR L’HISTOIRE D’HAÏTI - Période 1957 à nos jours

L'idéologie Coloriste

Il est complémentaire au regard folkloriste qui s’est joint au mouvement indigéniste des années 50 dont Duvalier s’est fait le principal propagateur.  Il est aussi complément du regard monumental sur l’histoire qui marque tant la culture haïtienne dans son rapport au pouvoir.

Les héros de l’Indépendance d’Haïti (Toussaint Louverture, Dessalines, Capois-la-Mort, Makandal, Boukman, le Marron) et les événements qui les situent dans l’histoire (La cérémonie du Bois Caïman en 1791, l’Indépendance d’Haïti en 1804, la bataille de Vertières) sont sans cesse glorifiés comme le sont la nature, les maisonnettes, les paysans et les dieux vaudous dans un tableau naïf, dans la poésie et le roman.  Le regard monumental et folklorique sur l’histoire rend lumineux un présent qui n’arrive pas à se projeter vers un devenir : “[...] toujours elle [l’histoire monumentale] rapprochera ce qui est inégal, elle généralisera pour rendre équivalent, toujours elle affaiblira la différence des mobiles et des motifs, pour présenter les événements aux dépens des effets et des causes, sous leur aspect monumental, c’est-à-dire comme des monuments dignes d’êtres imités” (Nietzsche 1988:91).

Le départ de Duvalier en 1986 entraîne un retour d’une partie de la diaspora en Haïti. Le film “Les îles ont une âme” réalisé par Alain d’Aix (1988) illustre fort bien la poétique du regard monumental et folkloriste sur l’histoire.  Ce film nous présente le pèlerinage d’un intellectuel haïtien, de son lieu d’exil à sa terre natale: “Haïti Chérie”.  Il quitte Montréal avec ce rêve de retour qu’il a tant caressé pendant ces quinze ou vingt ans au Québec.  La traversée, de Montréal jusqu’en Haïti, se fait sous le signe de Agwè (esprit vaudou de la mer).  La première partie du film est un hymne à la population qui déambule, à travers les couleurs des taptap dans Port-au-Prince.  Un point d’arrêt sur le décor de Green qui rappelle l’état policier et la dictature.  Puis on nous amène voir les richesses d’Haïti: le soleil, la mer et la Citadelle.  C’est au bas du palais du roi Christophe, au son des tambours, des chants et de la danse, à la nuit tombée, que l’histoire d’Haïti nous est racontée.  Ce récit lyrique et poétique chante la douleur de l’esclave et celle résultant de l’exploitation du peuple haïtien.  Tour à tour, les héros de l’Indépendance et les événements qui les ont produits, nous sont racontés dans un style grandiloquent.

Comment la pauvreté haïtienne peut-elle faire signe de beauté et de pureté?  Comment le gris oxyde de carbone des tap-tap au bruit infernal peut-il s’estomber dans le tableau pour ne laisser que la couleur?  Comment la souffrance liée à l’exploitation et à la violence du dictateur peut-elle être chantée et devenir exaltation poétique? Comment la Citadelle peut-elle servir le décor de la rentrée du démocrate alors qu’elle est le produit de l’esclavage réformable par Henri Christophe, “roi Henri I”?  Comment est-il possible que le retour de l’intellectuel peut-il se faire sous le signe de la cérémonie du Bwa Kaïman? Oui, comment se fait-il que cet événement historique qui a donné au vaudou et à la magie un rôle mythique fondamental dans la puissance de mobilisation des esclaves pour leur libération, puisse servir la poétique du retour en Haïti alors “qu’il n’est pas question de présenter des citadins, des bourgeois comme des vaudouisants” (Hurbon 1987: 163) (et rajoutons sans équivoque les intellectuels)?

Un rapport monumental à l’histoire

Dans leur quête d’un devenir imaginé meilleur et différent du présent, les Haïtiens se tournent vers leur passé et cherchent les événements et les personnages qui leur apparaissent sublimes, faisant signe que si c’était possible hier, ça l’est encore aujourd’hui.  Transformés en monuments, ces événements et ces héros, produisent de l’éclat donnant sens aux luttes et aux actions d’oppression ou servant même de supports à la rhétorique du pouvoir en place ou en opposition.  Pendant mon séjour en Haïti, les forces sociales et politiques en présence fondaient leur discours sur le monument historique.  Les discours électoraux de 1987 tenus par les aspirants à la présidence (démocrate ou non), le discours de Namphy à l’ONU en 1987 et les discours des gouvernements provisoires, entre 1986 et 1990, sont truffés des monuments de l’histoire haïtienne.

Jean-Jacques Dessalines, le Père de l’Indépendance, est souvent évoqué et fait frémir plus d’un aspirant à la présidence.  Ce monument évoque la puissance du Père qui rallie l’ensemble des esclaves à la défense de la liberté, puis au moment de la libération, à la défense du territoire contre les colons qui aspirent à reprendre Haïti : “On sait par exemple, que Duvalier se prenait pour Dessalines, le “père” de la nation, et se plaçait ainsi au fondement, à l’origine d’un nouveau 1804.  Dans cette perspective, tout opposant à son régime devient automatiquement un apatride” (Hurbon 1987: 166).

Toussaint Louverture, déporté en France en 1802, a promulgué la constitution qui fonde l’autonomie de Saint-Domingue en 1801. Louverture précède Dessalines et initie les batailles qui permettront à Haïti de se soustraire au colon français.  “La situation historique ne lui [Toussaint Louverture] a laissé que la place d’un homme de transition; mais le souffle qu’il a fait passer sur le peuple était plus grand, plus éternel que lui.  Et c’est lui qui va conduire l’histoire qu’il a commencée, vers la liberté jusqu’à l’indépendance” (Eve di Chiara 1988: 251).


La figure de Louverture va prendre plus d’importance après le départ de Duvalier; les intellectuels et les technocrates (duvaliéristes ou non) cherchent à valoriser ce monument: “Nous avons été injustes avec Louverture, car c’est lui qui a fait l’Indépendance”, me dit un technocrate duvaliériste.  François Duvalier s’est tellement identifié à Dessalines que ce monument après 1986 craque sur son socle.  Toutefois, lorsque l’armée reprend de façon provisoire sa puissance politique (pendant cette période de 1986 à 1988), Dessalines réapparaît et regagne souverainement sa place dans le mythe de libération qui valide le pouvoir duvaliériste (avec ou sans Duvalier).

vendredi 13 décembre 2013

CLIN-D’OEIL SUR L’HISTOIRE D’HAÏTI - Période 1957 à nos jours

L’idéologie Coloriste

L’idéologie noiriste du Duvaliérisme a fait semblant d’apporter une réponse radicale à l’histoire de la discrimination raciale, qui a tant marqué la distribution du pouvoir en Haïti et ses relations avec l’Occident.  L’Haïtien, très sensible à son histoire, a été en quelque sorte leurré par la semblance nationaliste de la culture duvaliériste.  La parade des héros de l’Indépendance par l’histoire monumentale et l’extériorisation de la culture créole par l’histoire folkloriste ont servi de support à la simulation du nationalisme.  Trouillot (1986) nous donne un certain nombre d’éléments pour mieux saisir cette tromperie.

Duvalier aurait utilisé politiquement la confusion idéologique en totalisant trois types de discours se référant à trois réalités différentes : la négritude, le noirisme et l’indigénisme.  Trouillot individualise ces discours : “[...] le noirisme comme Idéologie politique (le pouvoir aux représentants épidermiques du plus grand nombre) de l’indigénisme (réévaluation de la culture nationale) et de la négritude (ré-évaluation de la Race et de toute Culture Noires)” (Trouillot 1986 : 142).

Cette individualisation des discours par Trouillot est intéressante dans la mesure où elle clarifie leurs portées dans les pratiques socio-politiques. Elle permet aussi d’émerger d’une totalisation qui a réduit et biaisé la portée symbolique des luttes fondamentales pour la construction d’une identité culturelle et nationale.  En effet, la totalisation duvaliériste de ces trois discours a empêché le processus de décolonisation, qui ne demandait qu’à se produire dans la conjoncture des annés 50.  Trouillot démontre le non-sens du discours sur le noirisme parce que celui-ci se réduit à une mesure superficielle de la culture nationale en ne se référant qu’au phénotype.  Dégagés de cette idéologie propre à l’homme de cour, l’indigénisme et la négritude retrouvent leur pouvoir de représentation.  Ce pouvoir de représentation rend possible une réévaluation de la nation et de la culture qui s’articule à la vie haïtienne dans une perspective d’un développement comme processus de différentiation : “Le préjugé de couleur existe et son fonctionnement est autonome de l’exploitation économique.  Il se manifeste particulièrement dans les choix matrimoniaux qui tendent à reproduire l’esthétique mulâtriste, mais aussi à assurer la reproduction des couches dominantes à travers l’endogamie (mulâtre) ou à travers l’échange des valeurs sociales (couleur/position/revenus)” (Trouillot 1986 : 144).

Dans le fonctionnement des relations de pouvoir en Haïti, le maniement de l’art des apparences se combine à celui des armes et des esprits.  La toute-puissance guerrière fortement ritualisée puise sa substance dans un rapport monumental à l’histoire.  Cette deuxième catégorie d’attributs de pouvoir est plus facilement accessible aux paysans et aux démunis.

“En définitive, la nature totalitaire du régime des Duvalier parvient à provoquer un état de persécution politique collective, puisque tout Haïtien est sommé tôt ou tard de s’avouer duvaliériste pour disposer du droit de vivre sur le sol d’Haïti” (Hurbon 1987: 38)

Tout ce qui n’est pas duvaliériste est communiste.  Il n’y a qu’une possibilité “d’être” qui fixe l’identité sociale.  Elle se retrouve dans ce “tout” que représentait Duvalier et que l’on voit transposer dans la conception des relations de pouvoir en Haïti.  Pour asseoir leur autorité, le père et le fils ont imaginé un système répressif tentaculaire.  Au fil du temps, ce système a modelé le fonctionnement des relations sociales haïtiennes, traversant tout l’espace culturel, tant créole qu’occidental.  L’opposition à cette culture duvaliériste n’est pas encore le signe d’une position extérieure à ses codes de conduite.  Et, la résistance n’est pas plus le signe d’une non participation à cette culture; elle en est une condition de possibilité sans pour cela représenter un affranchissement.

Dès l’Indépendance s’est mise en place la trame des dispositifs et des valeurs sociales et symboliques qui ont rendu possible le type d’assujettissement que connaît Haïti.  Le duvaliérisme qui s’inscrit bien dans cette histoire semble avoir conduit à leur apogée les technologies du pouvoir.  Trouillot (1988) montre que cet affinement est réel : les duvaliéristes ont maintenu et affiné une “posture nationaliste et une attitude dépendante” à l’égard de l’étranger.  Cette double contrainte a organisé la souveraineté duvaliériste, accentuant jusqu’à leurs limites des pratiques d’exclusions relevant de la colonisation.  Duvalier est un nom propre qui caractérise l’affinement de la figure du colonisé jouant à la manière d’une commedia del arte la figure du colon.  Duvalier caractérise un mouvement historique extrêmement  puissant dans la culture haïtienne qui maintient l’ordre du colonialisme où la décolonisation est un désir en devenir mais insaisissable dans le présent : “Toute analyse du duvaliérisme qui présente la crise 1956-1986 comme une anomalie, et la république héréditaire qui formalisa cette crise comme une forme bâtarde de pouvoir, super-imposée d’en haut ou du dehors à la structure sociale haïtienne, par la simple force des armes, est pour le moins simpliste, au pire dangereuse.  De même, tout analyse de la formation sociale haïtienne qui ne peut formuler une théorie de la genèse de cette forme de pouvoir, au-delà des attributs personnels, nous condamne à répéter le duvaliérisme” (Trouillot 1986: 16).

Au lendemain du 7 février 1986, la paysannerie, comme toutes les classes sociales en Haïti, se confrontent (lucidement ou non) au mode de fonctionnement des relations de pouvoir qui est en vigueur dans la société. 


Le duvaliérisme a pénétré puissamment la culture parce qu’il s’est imposé de façon totalitaire comme axe central de définition de la personne et des groupes sociaux et religieux.  Aujourd’hui encore, l’Haïtien, à Port-au-Prince ou ailleurs dans le pays, en est réduit à s’affirmer par rapport à cet axe central d’identité. Il se définit au dedans de cette forme de relation ou se définit en tenant une position d’opposition ou de transversalité ou de rupture ou de connivence déguisée ou de bordure. Qu’importe la nature de son affirmation, elle est contrainte de se définir par rapport à cet axe qui totatlise les identités.  Le totalitarisme absorbe les individualités (personne ou groupe), et les hommes de pouvoir qui s’appuient sur cette forme pour gouverner la conduite des autres craignent au plus haut point la pluralité des êtres.  Dans cette perspective de crainte, le duvaliérisme a imaginé des dispositifs de pouvoir capable d’annihiler les possibilités mêmes de l’émergence de formes pouvant se définir hors de son idéologie.  Ainsi, l’opposition à l’ordre duvaliériste peut certes le renverser mais il n’est pas encore l’indication d’une métamorphose sociale et culturelle.

dimanche 8 décembre 2013

CLIN-D’OEIL SUR L’HISTOIRE D’HAÏTI - Période 1957 à nos jours

Le Paraître en Haïti

En tant que technique de relation de pouvoir, le paraître ou la semblance codifie l’accès à une position de “maître”.  La classe sociale, la scolarité, la proximité sociale avec le pouvoir en place ou en opposition, l’argent, la maîtrise du français en place ou en opposition, l’argent, la maîtrise du français et de sa rhétorique, la couleur de la peau et la “possession” de plusieurs femmes pour l’homme sont les principaux attributs du paraître: “L’apparence est donc ce qui est premier par rapport à nous seuls et ce qui amorce la démarche a posteriori; et pourtant l’être sans le paraître, ne serait que ce qu’il est, à savoir Esse nudum, terne substance et réalité méconnaissable.  Le paraître donne à l’être de l’éclat, mais ce n’est pas lui qui fait être l’être; le paraître ne rend pas juste la justice, ni raisonnable la raison ni vraie la vérité, il fait seulement qu’elles en aient l’air et la réputation, et que tout le monde les reconnaisse pour telles”  (Jankélévitch 1980: 15).

Dans son petit livre Le je-ne-sais-quoi et le presque-rien, Jankélévitch (1980) montre comment procède le paraître pour subjuguer.  Ces attributs du paraître instrumentent l’art de simuler, l’habileté d’avoir l,air de, le charme des bonnes manières, la flatterie, l’adresse de crocheter l’acquiescement en vue d’une domination.

Quand Hurbon nous dit que : Seule l’ambition du pouvoir confère à l’intellectuel son essence véritable” (1987:46), il resitue l’intellectuel haïtien dans son adéquation au paraître en tant que technologie de pouvoir.  Ce n’est pas tant la connaissance avec sa possibilité de pousser le regard vers la critique de l’État ou de la culture qui intéresse cet intellectuel mais plutôt le succès de sa quête de pouvoir.  Ceci nous rappelle, comme je l’ai décrit précédemment, comment la scolarisation des enfants de la paysannerie s’insère dans cette représentation.  Elle permet, en effet, d’agrandir la sphère des échanges symboliques.  Depuis 1986, les luttes internes entre les différentes classes sociales visent à prendre pied dans un processus de décolonisation et, pour y parvenir, elles privilégient la voie de la démocratie.  Toutefois, ces luttes se heurtent aux politiciens de tout acabit, qui tiennent une rhétorique impeccable sur les changements à effectuer.  Ce grand vide entre la parole et l’action, décrié par les Haïtiens eux-mêmes, appartient et à cet ordre du paraître, à l’épaisseur du vernis sur lequel glisse le réel.

L’histoire d’Haïti est sillonn;e d’ingérences multi-formes de la part de l’Occident. Et celles-ci sont validées par les représentations de la civilisation: la chrétienté contre l’animisme, l’humanisme contre la barbarie et la démocratie contre le totalitarisme.  Même si la chrétienté procède du mépris, l’humanisme d’une violence douce et d’un intégrisme, et la démocratie d’un impérialisme, le Blanc domine toujours.  La quête du pouvoir en Haïti vise un sommet à deux-têtes: la tête blanche et la tête noire.  Les attributs du Blanc sont suffisamment incorporés pour que le pouvoir noir ait l’air blanc.

Le citadin a facilement accès à cette catégorie de techniques de relation de pouvoir. L’infrastructure du système d’éducation est centralisée dans la ville: “on compte 1500 écoles urbaines contre 500 écoles rurales, alors que la campagne comprend 80% de la population: (Hurbon 1987: 32).

Le fonctionnement de ce dispositif de pouvoir s’observe aussi dans le choix de la forme culturelle de la modernité effectuée par les technocrates haïtiens et les membres de la bourgeoisie locale.  Les règles du paraître “civilisé” ou “cultivé” font de la culture occidentale exercée en Haïti, une culture conservatrice et intégriste des valeurs qui, en Occident même, sont vacillantes et remises en question par une couche médiane de la culture occidentale.  Aussi le duvaliérisme semble avoir exacerbé ce paraître en faisant de la corruption un dispositif fondamental dans le maintien de son pouvoir.  “L’ordre du simulacre” (Hurbon 1987) est la règle première du fonctionnement de l’appropriation des richesses et des privilèges:  “Ce qui caractérise l’État Duvaliérien, ce n’est donc pas nécessairement le degré de corruption administrative.  La différence Duvalier, c’est plutôt que la disparition totale du principe d’efficacité laissait le champt tout à fait libre à la corruption généralisée.  La corruption devint le seul principe, la seule raison d’être de la machine administrative.  Et elle gagna, de ce fait, une rentabilité politique jamais égalée jusqu’ici: elle garantit le support inconditionnel des fidèles du régime : (Trouillot 1986: 193).


On ne peut parler de cette technologie du paraître en dehors de l’idéologie de la couleur qui fait de la couleur blanche la représentation du “civilisé”.  En Haïti, il n’est pas rare d’entendre des paroles de mépris, mais aussi l’expression d’une fascination face à l’étranger, de ce Blanc à qui on rappelle sans cesse sa couleur: “Blan, blan” qu’on lui crie avec désinvolture, tout au long de son chemin.  Cette insistance à lui rappeler sans cesse qu’il fait tache blanche sur le noir rend compte de la différenciation sociale qui s’effectue à partir de la couleur de la peau et qui obsède le Noir dans sa relation avec le Blanc. Le processus de décolonisation se heurte encore à la représentation haïtienne des attributs corporels du Blanc.  Ces cheveux perçus comme bèl cheveu, bon tèrin (bon terrain), byen soti (bien sorti) revêtent une qualité supérieure parce qu’ils se rapprochent du cheveu du blanc : lisse et fin.  La couleur des yeux, la couleur de la peau, des traits faciaux passent par la grille blanche et sont signes de beauté, particulièrement chez des hommes de pouvoir.  Le corps n’est pas le seul moyen de blanchissement et Labelle (1978) a montré que l’aménagement de l’idéologie de couleur dans le cadre de sa fonction discriminante se combine à d’autres attributs: l’argent, le nom, le degré de scolarité, et pour l’homme des maîtresse blanches.