À la suite des considérations nous partageons partiellement l’énoncé qui affirme en parlant des causes de l’alcoolisme « que dans presque tous les cas d’alcoolisme il y a un concours de dispositions individuelles et de facteurs sociaux ». Pour nous l’insistance semble devoir porter surtout sur les facteurs sociaux entendus en termes d’influences extérieures à l’individu.
« C’est la famille qui est d’abord et avant tout le milieu porteur d’influences. Elle réalise la plupart des situations fondamentales ; elle donne les premières habitudes, les plus profondes, les plus solides. L’importance du milieu familial tient d’abord à ce qu’il est le premier à agir : les habitudes qu’il fait naître formeront entre elles un système qui exercera une sorte de sélection à l’égard des influences ultérieures ».
Disons tout de suite qu’en établissant un parallèle entre la famille d’orientation et la famille de procréation cela nous permettait de mieux saisir les points de ressemblance et de différence de l’une par rapport à l’autre. De plus cela permettait de mieux percevoir comment une perturbation au niveau de la première projette ses conséquences au niveau de la deuxième, mais plus encore la famille étant une société en miniature, il est normal qu’une perturbation de la vie familiale projette ses conséquences sur toute la vie sociale des individus.
Nous avons parlé de « standard » économique offert à nos sujets dans leur milieu familial ainsi que de l’oscillation constante de privations et de satisfactions provoquées à ce niveau à l’intérieur des autres milieux qu’ils ont connu. Cependant les périodes de satisfactions furent moins intenses et moins longues que les périodes de privations. La majorité des femmes que nous avons rencontrées demeurèrent si fortement attachées à la première période de satisfaction, que les périodes de privations subséquentes augmentaient considérablement la frustration. Ces femmes ont fourni un effort acharné pour lutter contre leurs origines économiques modestes, mais avec un succès très relatif.
Dans leur famille de procréation la situation économique se trouvait beaucoup plus détériorée que dans la famille d’origine. La plupart des femmes adoptaient une attitude de négation devant les carences économiques subies, en ce sens qu’elles sur-valorisaient les gratifications provenant d’une période économique plus favorable. Elles attribuaient à leur père et/ou à leur époux les échecs économiques. Elles prétendaient avoir fait leur part pour enrayer ou diminuer ces échecs dans la mesure du possible. Nous leur concédons partiellement cette prétention. Quand elles ont dû pourvoir à leur propre subsistance elles ne connurent ni l’endettement, ni le chômage ; plus encore elles se satisfaisaient de ce qu’elles pouvaient obtenir par leur gain personnel et elles se tiraient bien d’affaire. Cependant, elles n’évaluent pas la portée de leurs exigences personnelles comme n’étant pas ajustées à la situation économique réelle de leur milieu. Ces exigences (telles que se payer du luxe, des fantaisies au niveau du vêtement, des sorties, de la boisson, des bijoux, etc.) nous ne les considérons pas comme exagérées mais non-conformes à leur situation économique.
Nous constatons cependant que ces exigences ressenties vivement à la période adulte sont directement reliées aux privations supportées dans la famille d’orientation. Elles portent à peu de différence près sur les mêmes objets. Cette situation n’était pas acceptée par la famille d’origine puisqu’elle provoquait les querelles du père. Elle n’a pas non plus été assumée par la femme issue de ce milieu. Nous croyons qu’elle l’a toujours ressentie comme pénible, défavorisée et marginale. Le fait de n’avoir pas réussi à s’en sortir constituait pour nos sujets une première source d’échec social, de déviation sociale.
Un autre facteur qui nous apparaît important dans la socialisation de nos sujets c’est la caractéristique écologique et sociologique de leur milieu familial. Le transfert du milieu rural au milieu urbain s’est effectué de façon trop brusque, trop radicale. Nos sujets n’avaient pas suffisamment intégrées les valeurs du milieu rural pour les confronter avec celles du milieu urbain.
Ils étaient relativement jeunes (18 ans) et complètement laissés à eux-mêmes pour effectuer le choix et l’évaluation des unes et des autres. Les moyens personnels dont ces femmes disposaient étaient très limités si on considère leur bas niveau de culture et de scolarisation. Elles possédaient certes le courage, la débrouillardise, l’honnêteté, la ténacité, un certain sens pratique qui sont des attitudes véhiculées dans les milieux ruraux, mais elles avaient aussi la naïveté et l’immaturité de l’enthousiasme juvénile et l’esprit de dépendance qui durent plus longtemps dans les milieux ruraux. Elles désiraient aussi expérimenter des situations nouvelles, vivre en pleine liberté ; existe-t-il un phénomène plus légitime pour les jeunes ? Je ne le crois pas.
* à suivre *
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