Parallèlement, on a aussi développé une passion pour la documentation totale, entière et extrême du réel. C’est le voyeurisme le plus complet : il faut tout voir, tout connaître, et rien ne peut plus demeurer secret ou privé. Les touristes entrent dans votre cuisine pour pouvoir dire qu’ils ont vraiment pris contact avec les « autochtones », et la pornographie atteint ce qui ne peut être dépassé que par la chirurgie. On ne tolère plus le simulacre ou le faux : les faux indigènes et les acteurs sont en voie d’extermination. Il faut toujours et partout atteindre l’authenticité parfaite. Toucher le vrai rocher de Plymouth, rencontrer de vrais Indiens, avoir lu le vrai texte original de Marx, ou voir des gens vraiment ordinaires tout nus («The girl next door » de Playboy).
D’autre part, et nous retrouverons là notre question, parmi les principaux effets de ce nouvel état de choses, il y a aussi la conviction généralisée que nous sommes tous, chacun de nous, de quelque manière handicapé, un peu gros, un peu petit, myope, lent ou grossier, sans parler de l’hystérie ou de la Pensée Sauvage qui sont en chacun de nous. Nous sommes tous devenus marginaux, du moins nous le croyons, et la société prend sous nos yeux forme d’un assemblage grandissant de niches de marginalités multiformes. D’où l’importance non tant de respecter ces différences mais de s’en protéger. Chacun est fou à sa manière et chacun est bien car la folie des autres, seule véritable menace, nous concerne de moins en moins. En même temps, et offrant une contradiction qui n’est qu’apparente, la distanciation et la tolérance prennent forme dans une notion tout à fait nouvelle de responsabilité généralisée : nous sommes tous passagers d’un même vaisseau spatial, dont nous sommes tous responsables et tout cela est de notre faute.
* à suivre *
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