samedi 17 octobre 2009

LA MARGINALISATION - 5e partie

Et tout cela, bien sûr, est étonnamment rassurant. La connaissance du réel et de l’authentique garantit la possession tranquille de la vérité. Ce qui était conflit et contradiction devient normal, car la vérité crue est toujours accablante, et la culture devient gérance collective du déficit et de la monstruosité : il n’y a plus de problèmes parce que TOUT est devenu problématique. On sait, maintenant, que les businessmen auraient voulu être des artistes et que les artisans aimeraient gagner beaucoup d’argent.


On objectera peut-être que l’entreprise demeure toujours rien de mieux qu’une vaste fumisterie et que ce qui est appréhendé n’est jamais la réalité mais une série d’images fabriquées et marchandées. À cela il faut répondre qu’une telle distinction appartient à un ancien régime imaginaire, que rien n’est plus vrai que le monde télévisé et qu’il serait regrettable d’en laisser la seule conscience aux politiciens. Max Frisch disait que la technologie est « l’art d’arranger le monde pour ne pas être forcé de l’affronter ». Il en a probablement toujours été ainsi mais la technique s’améliore et permet mieux que jamais d’éviter le monde et donc autorise le spectacle et la connaissance intime de ce qui autrefois aurait paru trop menaçant. Le risque eut été socialement impensable sans d’abord assurer que l’auditoire demeurera distant et le plus souvent muet.


Si on revient enfin à l’essentiel de l’argument d’Ellen Corin, il semble que ces sociétés « autres », dont le succès démontré nous fait envie, offrent une solution stratégique d’intervention qui ne nous fera pas grand plaisir. Leurs systèmes de représentations, qui sont toujours des systèmes étroits, précis, particuliers et surtout largement intolérants. Ce n’est pas qu’ailleurs on tolère ou accepte la folie. Au contraire, ailleurs, on comprend la folie : on la dit clairement folle, marginale et inacceptable. Pour celui ou celle qui la vit, il n’y a le plus souvent d’autre issue que la guérison ou l’exclusion sociale. Tandis qu’ici, la folie n’a plus de sens dans sa relation à un centre ou à une normalité qui ne sont plus saisissables : la folie est incomprise, intéressante et au mieux inquiétante. Inquiétante surtout par ce qu’elle ajoute au doute et à l’incertitude du centre. Et si la folie n’a plus de sens et que le centre est peuplé de marginaux, exemplaires et rémunérés, les fous peuvent-ils être si différents? Tout au plus incompris ou malchanceux, comme disent souvent les thérapeutes.

Il s’agit moins de savoir si la question est excessive que si elle va dans un bon sens. Car si la question s’avère pertinente et si on arrivait à démontrer la thèse qui la sous-tend, on ne se surprendrait plus des échecs de nos interventions thérapeutiques. Mais il nous faudrait aussi admettre le choix ignoble entre l’intolérance injustifiable et la folie incurable.

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