L’on constate fréquemment la présence de l’alcoolisme dans la famille d’origine des deux partenaires, régulièrement même, jusqu’à la troisième génération ascendante. Dès le début du mariage, chacun a eu tout le loisir de s’identifier à un rôle donné par rapport à l’alcoolisme. Le co-alcoolique s’identifie à « la sainte » qui tient le coup dans « la misère la plus noire », tandis que le futur alcoolique a déjà assisté à cette autodestruction à petit feu et reprend à son compte, telle quelle, la consommation massive d’alcool comme seule réponse possible aux contrariétés de l’existence. Les deux rôles se complètent merveilleusement et la rencontre, apparemment fortuite, met les acteurs potentiels du drame familial en place. Particulièrement chez le co-alcoolique, nous retrouvons une identification à une tradition transmise de génération en génération. Quant à la femme, celle-ci se réfère au rôle idéalisé de la mère : la femme hypercompétence qui assume toutes les fonctions vitales de la famille; la matrone soignante et pleine de sollicitude qui « tient tout ». Nous assistons à une intrication des problèmes de deux personnes, formant un tout solide, tel le tenon et la mortaise de la bonne menuiserie.
Dans ce couple formé par l’alcoolique et le co-alcoolique un phénomène de pseudocomplémentarité se développe, c’est-à-dire que l’on assiste de fait à une escalade symétrique, camouflée en complémentarité. Par escalade symétrique, nous entendons un mouvement en spirale à l’intérieur du couple où chacun des partenaires tente de prendre le contrôle de la relation en utilisant chacun des moyens de plus en plus puissants. L’alcoolique devient de moins en moins compétent au fur et à mesure que le co-alcoolique devient de plus en plus compétent. Dans une famille, on voit l’ensemble des tâches d’intendance prise en charge par le co-alcoolique, ce qui a pour effet de décharger l’alcoolique de toute responsabilité ou obligation, lui permettant ainsi de continuer à boire en repoussant le mur de la réalité contre lequel il pourrait se cogner.
Il existerait un défi entre l’alcoolique et son co-alcoolique. Qui tiendra le plus longtemps : l’alcoolique à pousser toujours plus loin le défi de son incompétence, ou le co-alcoolique à se montrer toujours plus magnanime et compréhensif devant l’incroyable exigence de l’alcoolique, toujours plus généreux, mobilisant ses dernières forces pour ce qu’il estime être le bien de l’autre.
Cette escalade symétrique explique ce qui nous étonne souvent dans notre pratique : la durée d’une telle situation et la ténacité avec laquelle les partenaires la poursuivent.
Par ailleurs, la dynamique même d’une symétrie rigide mène le plus souvent à une spirale inexorable, d’où les antagonistes ne peuvent se retirer que très difficilement. En effet, la lutte symétrique implique que quiconque tente d’abandonner est automatiquement taxé de « perdant ». L’alcoolique pousse toujours plus loin son incompétence, éprouvant par là l’indéfectible tolérance du co-alcoolique. Le co-alcoolique, par son hypercompétence toujours plus envahissante, pousse l’alcoolique au-delà de ses retranchements, jusqu’à l’écroulement final.
* à suivre *
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