dimanche 31 juillet 2011

VIOLENCE FAMILIALE 26e partie

Cycle de violence

Bien que ce concept ne soit pas nouveau, il doit être expliqué car il permet de saisir le sentiment d’impuissance des femmes violentées, de voir comment l’union du couple se maintient, et de percevoir l’engrenage dans lequel se retrouve la victime. Cette information revêt une grande importance, un grand nombre de femmes battues ne parvenant pas à identifier ce cycle de violence et se croyant masochistes parce qu’elles aiment leur conjoint.

Les trois phases de violence

La première phase se situe à la période des tensions. À l’origine, il y a des oppositions dans le couple. Des tensions existent donc entre les partenaires et elles s’accumulent. De son côté, l’agresseur vit des frustrations dans différents domaines de sa vie (au travail, sur le plan social, affectif) et ne parvient pas à les verbaliser ni à s’en libérer. Progressivement, les conflits augmentent. Ils peuvent être alimentés par un stress supplémentaire, une situation frustrante vécue au cours de la journée, ou encore un événement décisif qui se produit au sein même de la famille (perte d’un emploi, annonce d’une grossesse, décès d’une personne importante pour l’agresseur, chicane entre les enfants, souper raté, etc). L’agresseur ressent de l’anxiété, mais ne parvient pas à l’exprimer et à l’assumer. Pour cacher ses angoisses, il a recours aux violences verbales. La victime appréhende immédiatement une crise de colère chez l’agresseur et réagit en se comportant plus nerveusement. Cette réaction de la victime est récupérée par l’agresseur qui ressent ses frustrations comme étant à nouveau justifiées.

Progressivement, il commence à menacer sa partenaire (ce sont les menaces d’agression qui permettent d’identifier les couples où les conflits se règlent par la violence). Il exprime directement son désir de la battre. Cette phase fait partie de l’étape au cours de laquelle l’agresseur se désensibilise à la victime, la plaçant au rang d’objet en la dépersonnalisant. Toutes les violences verbales réduisent la valeur personnelle de la conjointe. Cette dernière devient un objet de mépris et l’homme violent, en augmentant ses remarques dénigrantes, commence à s’autoriser à passer à l’acte. La victime réagit en se repliant sur elle. Ce geste est interprété par l’agresseur comme étant un consentement face à la poursuite de l’escalade. Finalement, il trouve une justification pour exercer des sévices corporels punitifs sur la victime qui devient, à ses yeux, responsable de sa perte de contrôle.

Alors commence la deuxième phase du cycle de violence. L’agression et l’intensité de l’acte augmenteront à chaque récidive puisque l’agresseur n’a jamais réglé les difficultés qui l’amènent à perdre le contrôle. Il faut noter qu’un grand nombre d’hommes violents perdent complètement le contrôle d’eux-mêmes lorsqu’ils frappent, ce qui contribue à augmenter la gravité des blessures. Hofeller évalue à 44% le nombre de cas où l’agresseur n’est plus conscient de ce qu’il fait. Mais cet état ne justifie, en aucun cas, l’acte posé.

Au cours de l’éclatement de sa violence, la libération des tensions de l’agresseur est en fonction de l’énergie physique déployée en frappant. Dès qu’il cesse son agression, il prend conscience qu’il pourrait perdre sa partenaire à cause de cet événement. À ce moment, certains agresseurs regrettent leur acte, certains autres ne vivent aucune culpabilité, mais tous craignent la perte de leur partenaire. La relation est effectivement en péril puisque la victime risque de rejeter son partenaire. Ils tenteront donc de la garder auprès d’eux.

Puis s’amorce la troisième phase du cycle, la période de rémission. L’agresseur a besoin de sa victime pour combler ses besoins affectifs, nourrir son image personnelle et pour conserver sa position de domination. Il va donc mettre tout en œuvre pour retenir sa conjointe près de lui. Il fera toutes les promesses nécessaires (consulter quelqu’un pour son alcoolisme, appeler un organisme pour hommes colériques, etc) dans le but de mettre un terme à ses pertes de contrôle. Il jurera que c’est la dernière fois qu’un tel événement se produit et avouera qu’il a dépassé les limites. Il sera très persuasif dans ses déclarations, car il est sincère dans ce moment d’affolement. Sa peur de perdre sa victime est tellement grande qu’il modifiera ses comportements pendant cette période du cycle de violence. Il ne peut se permettre de perdre sa source affective et il craint de se retrouver seul.

Cette phase de rémission peut débuter immédiatement après l’agression ou peu de temps après. La femme battue, qui est en état de choc, émotivement vulnérable, est sensible aux verbalisations de son partenaire. Celui-ci se montre chaleureux pendant cette séquence du cycle. Il sera présent à sa conjointe et à sa famille, fera des cadeaux, réalisera des promesses faites auparavant (acheter la bicyclette promise à leur enfant, visiter la belle-famille, faire une sortie prévue depuis longtemps). Il devient le mari et le père souhaités. Il tiendra ce rôle tant que la relation de couple ne sera pas consolidée. Cette phase du cycle de violence peut durer plusieurs jours, semaines, mois, voire années. Elle n’est donc pas identifiée par les victimes comme une phase cyclique, mais comme une nouvelle réalité. Un certain temps s’écoulera avant que la victime saisisse que cette expérience s’insère dans un ensemble.

Elle procure au couple une période particulièrement riche sur le plan affectif et renforce la fusion entre les partenaires. L’homme se sent en sécurité puisqu’il est aimé et il éprouve un sentiment de pouvoir, Ayant quelqu’un à dominer. La femme violentée reçoit de l’affection et se sent reconnue comme individu, son partenaire lui accordant de l’attention. Elle a donc des preuves concrètes que son partenaire l’aime. Cette phase de rémission permet à la victime d’oublier l’agression et de croire aux changements annoncés par l’agresseur. C’est pourquoi, il est difficile de travailler directement la violence conjugale avec une femme qui vit cette période de rémission. La violence devient, pour elle, une situation passée, terminée. Tous les jours, n’a-t-elle pas la preuve que son conjoint a changé. Nous verrons, ultérieurement, les objectifs particuliers de l’intervention faite à cette phase du cycle de violence.

La rémission devient donc un moment privilégié dont la victime se souviendra. Lorsqu’elle sera à nouveau victime de mauvais traitements, elle s’accrochera, pour garder l’espoir, aux souvenirs vécus lors des phases de rémission. Le sentiment qu’elle a d’être aimée naît au cours de cette période spécifique du cycle de violence. Sa mémoire enregistre ces moments et ne retient pas ceux des périodes d’agression. En effet, elle perçoit chaque agression comme un événement isolé et l’ensemble des récidives ne forme pas un tout pour elle. Cette censure est un mécanisme de défense qui lui permet de survivre et d’espérer encore. Ce comportement bloque sa compréhension du cycle de violence. À partir du moment où elle le saisit dans son quotidien, la victime additionne ses pertes personnelles (émotives, psychologiques, physiques) consécutives aux agressions. L’inverse a le même effet. La femme violentée, qui accepte de voir les agressions dans leur globalité, en considérant chaque incident de violence et toutes les pertes personnelles subies, prend conscience du cycle de violence.

L’agresseur verra aussi ses pertes de contrôle comme des situations isolées et les associera à un événement extérieur et à la victime. C’est en acceptant de voir l’ensemble de son comportement qu’il pourra prendre conscience de son problème de violence. Toutefois, tant qu’il refusera de se sentir responsable, il donnera sans cesse, pendant la phase de rémission, la même explication pour excuser sa perte de contrôle : c’est la victime qui a provoqué sa fureur. Au cours de cette « lune de miel », il trouvera les moyens nécessaires pour convaincre doucement sa victime qu’elle a provoqué son irritabilité : elle le contrarie lorsqu’il arrive fatigué le soir, elle lui présente un repas qu’il déteste, elle ne contrôle pas la turbulence des enfants. La femme violentée intériorise ces messages et les fera siens. La consolidation de la relation de couple s’effectue donc sur les mêmes bases de domination. Le cycle recommence : les tensions réapparaissent progressivement, elles se termineront par une agression puis par une phase de rémission qui maintiendra l’existence du couple.

Chaque cycle complété provoque chez la victime, qui en a vécu les trois phases, une diminution de sa confiance en elle. Son estime de soi subit également une baisse. Son insécurité augmente ainsi que sa vulnérabilité. De son côté, l’agresseur perdra plus rapidement le contrôle. Ses récidives s’accroîtront en intensité et les périodes de rémission seront de moins en moins longues. Cette escalade doit être perçue dans son entité. Lorsque vous aidez une femme violentée, dites-vous qu’elle a vécu déjà plusieurs cycles de violence avant de demander de l’aide et qu’elle vous arrive avec un certain nombre de pertes personnelles. Une étude faite auprès des services policiers démontre que certaines femmes battues ont fait appel à la police jusqu’à 35 fois avant de s’en sortir. En général, elles font leur demande d’aide immédiatement après l’agression. Elles arrivent mobilisées et en période de déséquilibre. Cet appel ne signifie pas que la victime n’est plus sensible à la rémission. Elle doute d’elle-même et elle a peur de se retrouver seule et démunie sans son partenaire. Si elle a coupé la relation avec l’agresseur, celui-ci multipliera ses tentatives pour la récupérer et réamorcer la rémission, parce qu’il craint de ne pouvoir survivre sans sa partenaire. La fin du couple peut signifier, pour certains hommes, la fin de leur vie. C’est pourquoi certains agresseurs font des tentatives de suicide lorsqu’ils perdent leur conjointe envers laquelle ils nourrissent une grande dépendance affective.

Dans tout processus de violence, ce cycle se reproduit. L’agression suit une courbe ascendante, au niveau de la gravité des actes de brutalité. Voyons de quelle façon s’opère cette escalade.

samedi 30 juillet 2011

VIOLENCE FAMILIALE 25e partie

L’Agresseur

Chez l’agresseur, certaines caractéristiques personnelles contribuent à augmenter son potentiel de violence et les discours existant dans la société lui permettant, également, de justifier ses pertes de contrôle. Son degré d’intégration du modèle masculin l’incite à recourir à des moyens violents pour dominer et soumettre sa partenaire.

Caractéristiques personnelles

Le passé de violence de l’agresseur joue un rôle important dans son apprentissage des comportements violents. En effet, l’homme qui a évolué dans une famille où la violence était employée dans le couple ou envers les enfants risque de reproduire les mêmes gestes de violence. Les comportements de violence s’apprennent et se répètent. La jalousie excessive est une autre caractéristique individuelle, associée à la violence. Dès 1975, Gayford avait identifié cette difficulté personnelle chez les hommes qui maltraitent leur partenaire. Cette jalousie se manifeste par un contrôle démesuré des faits et gestes de la victime (vérifier toutes les activités sociales de la conjointe, minuter son temps de sortie, ses contacts téléphoniques et croire à l’existence de rapports sexuels avec un autre homme dès qu’elle s’absente, etc). La jalousie empêche le fonctionnement normal de l’individu qui en souffre, ainsi que celui de la personne qui en est l’objet.

En outre, l’alcool et la violence sont souvent associés. Effectivement, un grand nombre d’agressions se produisent lorsque l’agresseur se trouve en état d’ébriété. En fait, le problème relatif à l’alcool révèle deux types d’agresseurs. Dans une première catégorie, l’agresseur se sert du prétexte de l’alcool pour justifier ses pertes de contrôle, il se déculpabilise en invoquant son état d’ébriété. Dans bien des cas, son geste était planifié depuis longtemps et l’alcool devient l’excuse idéale. Le problème reste ainsi extérieur à lui. L’alcool lui sert de désinhibiteur pour actualiser son désir d’agression.

Dans une seconde catégorie, l’alcoolisme peut être associé à une difficulté personnelle d’alcool lors des agressions, mais de la maladie comme telle. Cette distinction est importante. L’alcoolique a une dépendance à l’alcool et il peut difficilement composer avec la réalité. L’agression lui sert de moyen rapide pour résoudre ses difficultés. Toutefois, s’il s’arrête de boire, cela ne signifie qu’il abandonnera l’usage de méthodes violentes pour régler ses conflits.

Les hommes, ayant un casier judiciaire pour voies de fait, représentent un groupe à risque. Leurs pertes de contrôle ont, dans bien des cas, dépassé le stade de la seule agression de leurs proches. La violence fait partie des moyens qu’ils prennent pour régler un nombre important de conflits avec leurs pairs.

Voici d’autres caractéristiques personnelles que l’on retrouve chez les hommes violents. Ceux-ci ont une faible estime de soi et un fort sentiment d’insécurité. Ils ont une perception rigide du rôle des femmes et des hommes. Ils expriment peu leurs émotions et présentent une image différente d’eux en dehors du foyer. Finalement, un certain nombre d’entre eux souffrent de dépression. Cet état, que la société accepte difficilement chez les hommes, peut se manifester par des pertes de contrôle. Refusant d’assumer les émotions liées à leur état dépressif, l’agression devient, pour eux, la solution à leur problème.

Mythes et préjugés

Voyons quels sont les discours et les mythes qui peuvent renforcer les comportements d’agression. Tout d’abord, il existe encore un cautionnement social qui justifie la violence faite aux femmes. Bien que les valeurs sociales évoluent, les changements demeurent peu évidents dans les faits. La publicité, la pornographie et le peu de sévérité des sentences soutiennent implicitement la violence. Certains discours sexistes, prétendant que les hommes sont agressifs par nature et que les femmes appartiennent aux hommes, confortent l’agresseur. Avant la modification du Code civil, il y a moins de dix ans, les femmes devaient suivre leur mari et ce dernier était responsable des membres de la famille.

Comme cela a déjà mentionné, les agresseurs ont une perception rigide des rôles des hommes et des femmes. Les stéréotypes masculins traditionnels entretiennent le maintien des comportements violents. L’homme y est décrit comme un pourvoyeur, un être traditionnel, fort et productif. Il n’a pas accès à ses sentiments et encore moins à l’expression d’émotions (tristesse, peur, insécurité), s’opposant à l’image de force et de virilité à laquelle il doit se conformer. Il doit dominer sa partenaire et a le pouvoir de la soumettre. Ce modèle permet donc à l’agresseur de trouver toutes les justifications possibles à l’emploi de la violence. Il agresse sa partenaire pour se prouver qu’il la domine, il la violente pour contrôler ce qu’elle fait ou encore pour la forcer à se conformer à ses propres valeurs.

L’homme violent a souvent de la difficulté à assumer les rôles de performance dictés par le modèle masculin, tel qu’il est établi dans nos sociétés. Ses attentes envers sa conjointe sont élevées, voire démesurées. L’agression devient donc un moyen qui lui permet de correspondre aux normes masculines, de réduire momentanément les tensions et de régler les conflits. Évidemment, ce fonctionnement se retourne contre lui à moyen et long terme. En effet, la relation de couple se détériore, il se mésestime et augmente sa solitude. Toutefois, il demeure le seul responsable de ses actes violents et, à aucun moment, la victime ne doit porter la responsabilité des pertes de contrôle de l’agresseur.

L’agresseur ne se distingue pas de l’homme moyen. Les hommes qui vivent des problèmes psychiatriques importants représentent une minorité. Monsieur Tout le monde peut s’autoriser, une fois, à recourir à la violence pour défendre son pouvoir. Il n’est pas nécessaire d’avoir des problèmes de disfonctionnement pour perdre un jour son contrôle. Toutefois, les agresseurs manquent de capacités pour exprimer leurs émotions. La violence leur sert d’exutoire pour leurs surcharges émotives. Ces hommes créent également des zones de dépendance affective entre eux et leur partenaire, qui doit répondre à leurs besoins affectifs, bien qu’ils ne puissent eux-mêmes définir ces besoins.

Le point commun qui existe entre l’homme violent et la femme violentée est la difficulté à s’exprimer de façon affirmative, qu’ils éprouvent tous les deux. L’agresseur a recours à la violence pour régler ses conflits ou pour obtenir une réponse à ses besoins. Il ne sait pas comment négocier avec l’autre tout en le respectant. La victime, pour sa part, réagit en se repliant sur elle-même, parce qu’elle n’a pas l’habileté nécessaire pour soutenir ses opinions et délimiter son territoire. Ils se trouvent donc aux antipodes, au niveau de leurs comportements, ce qui engendre des rapports de domination. Ce manque de capacités affirmatives caractérise les pôles des stéréotypes sexuels de l’homme et de la femme dans la société. Il n’est pas nécessaire de retrouver des situations exceptionnelles chez un couple pour constater l’existence d’une relation empreinte de violence. En effet, un rapport de domination suffit pour justifier le recours à l’agression.

Certains comportements communs peuvent se retrouver chez la victime et chez l’agresseur. Par exemple, ils peuvent violenter leurs enfants, tenter parfois de se suicider, consommer de la drogue ou de l’alcool. Cependant ces comportements sont souvent reliés à la violence même de l’agresseur alors qu’ils résultent plutôt, chez la femme, de son incapacité à mettre fin aux agressions.

Voyons maintenant comment le cycle de la violence se perpétue et contribue à maintenir l’union conjugale.

lundi 25 juillet 2011

VIOLENCE FAMILIALE 24e partie

Discours et mythes

Certains discours ou mythes nourrissent la position de victime, en particulier ceux qui « responsabilisent » la femme violentée. Cette dernière se voit définie comme une personne ayant un comportement pathologique et qui désire inconsciemment être agressée. Une masochiste. L’analyse du problème se termine là et le vieux mythe continue.

Un deuxième mythe consiste à rendre la femme responsable de la situation. N’aurait-elle pas provoqué l’agresseur par ses paroles ou son comportement? Voilà comment on ouvre la porte à des analyses qui justifient la perte de contrôle de l’autre. Ce discours est encore bien souvent présent dans l’entourage de la femme battue, ainsi que chez certains professionnels directement impliqués. Le système légal s’obstine à rechercher des comportements de provocation chez la victime. La femme battue, comme la femme violée, porte, aux yeux d’un grand nombre d’individus, la responsabilité d’avoir provoqué l’agression. L’horreur d’être violentée se retourne ainsi contre la femme, la contraignant, une fois de plus, au silence. La tolérance sociale du problème et la protection de l’agresseur se perpétuent donc par une absence de dénonciation.

Elle ne veut pas s’en sortir puisqu’elle retourne avec lui Encore un discours qui culpabilise les victimes. Cette réaction met en évidence l’incompréhension et l’interprétation négative du processus évolutif des ruptures. Si la victime retourne avec son partenaire violent, c’est parce qu’elle manque de confiance en elle, ou parce qu’elle craint de se retrouver seule avec ses enfants, sans ressources financières. De plus, elle ne connaît pas ses droits. Ce geste de retour devient pour l’entourage, la preuve qu’elle ne veut pas s’en sortir. La femme battue qui revient avec son conjoint se juge elle-même sévèrement et oublie de considérer les découvertes qu’elle a pu faire sur elle-même ou sur les ressources du milieu. Elle s’efforce alors souvent de tolérer davantage les différentes manifestations d’agression avant de quitter à nouveau son partenaire. Elle sait qu’elle a perdu des appuis dans son réseau familial et qu’elle ne sera pas prise au sérieux à la prochaine tentative de rupture. Le jugement sévère dont fait l’objet le processus évolutif des ruptures renforce la tolérance de la victime à la violence.

Ces mythes et ces préjugés, repris par l’entourage, contribuent à isoler la femme battue et renforcent sa situation de victime. Ces discours ont pour but de maintenir, au détriment de la femme battue, la cellule familiale qui garantit l’ordre social et assure le maintien du système économique.

Les Stéréotypes féminins

Nous ne reprendrons pas ici tous ces stéréotypes. Nous résumerons uniquement les comportements, dictés aux femmes qui augmentent leur passivité : l’interdit d’exprimer leur colère, qui les incite à retourner cette énergie contre elles-mêmes; l’oubli de soi, la douceur et la passivité, qui augmentent leurs zones de dépendance vis-à-vis de leur conjoint. Ces comportements placent les femmes dans une situation de dominées puisqu’elles n’apprennent pas à affirmer leurs désirs ni leurs besoins. L’apprentissage de la non-affirmation, liée au rôle féminin, crée chez les femmes un sentiment d’incapacité face à leur vie et à leur entourage. Les femmes ne s’accordent pas de pouvoir sur leur vie et délèguent cette responsabilité à leur conjoint.

Tout l’apport des stéréotypes féminins – et leur intégration – maintient la femme violentée dans une position de victime. Les stéréotypes sexistes se réfèrent à des modèles de comportements rigides. Ils servent à reproduire des rapports de domination d’un sexe sur l’autre. Dégageons quelques notions qui favorisent ce que Walker appelle l’incapacité apprise, c’est-à-dire l’intégration d’expériences qui font croire à une personne qu’elle ne peut s’en sortir, malgré tous ses efforts et ses actions. Ce type de comportement qui découle d’un sentiment d’incapacité à contrôler sa vie, s’apparente à celui qu’engendre l’intégration des stéréotypes féminins. C’est dans cette optique que Ball et Wyman considèrent même que la position de victime, chez les femmes, correspond à une sursocialisation des stéréotypes féminins. Les femmes battues ont donc une incapacité à s’affirmer de manière positive.

De façon générale, les femmes croient qu’elles doivent se réaliser à l’intérieur d’une union. Elles ne voient leur existence qu’en dépendance avec celle d’un homme. Ainsi, elles se minimisent en tant qu’individu, ne croyant pouvoir se réaliser qu’à travers l’autre. Ceci place la femme battue devant un échec considérable lorsqu’elle perd l’entité que constitue, pour elle, le couple. Cette vie de couple la définissant, socialement, comme une personne. Ainsi, l’échec du mariage devient un échec de vie. Une telle perspective contribue à rendre acceptable à la femme sa position de victime car elle affirme peu ses besoins et centre sa réalisation personnelle sur la réussite du couple et de la famille.

En conclusion, la femme battue appartient à toutes les classes de la société. Elle vit les mêmes sentiments de honte, de peur et de culpabilité, quel que soit son niveau de scolarisation ou son statut social. Sa tolérance à la violence est influencée par ses expériences antérieures d’enfant battue ou de témoin de violence. Ses réactions au climat de violence se font en fonction de son degré d’intégration des stéréotypes féminins. Finalement, l’influence des discours sociaux prônés par son entourage immédiat joue un rôle important dans les risques qu’elle prend pour mettre fin à sa situation de victime. C’est dans cette perspective qu’il faut voir la femme battue comme n’ayant, a priori, aucune caractéristique pathologique.

En plus de cette analyse, il s’avère essentiel de bien connaître les effets de la violence chez un individu. Ce n’est pas par hasard qu’un grand nombre de professionnels confondent les conséquences de la violence avec la personnalité de la victime. On retrouve des femmes déprimées parmi les victimes de violence. La dépression est une conséquence de la violence, et non une caractéristique de la femme battue. N’oublions pas qu’un vécu de violence entraîne une diminution de l’estime et de la confiance en soi. Les séquelles émotives et psychologiques peuvent également occasionner des difficultés d’ordre mental et de comportement.

La femme battue doit être vue comme une personne en constante situation de survie. Elle fonctionne comme si elle était en état de siège. Hilberman décrit ce fonctionnement – elle sursaute lorsque le téléphone sonne, manque de concentration, surveille les portes, etc – comme étant le syndrome de la femme battue. Elle appréhende la naissance des tensions, des frustrations de son partenaire et tout événement qui pourrait déclencher sa violence. Les victimes connaissent bien tous les indices qui annoncent une crise. Il ne faut donc pas minimiser les capacités personnelles des femmes violentées. Même si elles semblent démunies, elles trouvent un nombre impressionnant de moyens pour survivre et maintenir la cellule familiale, pour désamorcer certaines crises et pour protéger leur vie. Elles sont pleines de ressources, mais les utilisent pour réagir face à l’autre, et non pour elles-mêmes. À partir du moment où la victime s’accorde le droit de s’occuper d’elle prioritairement, il est impressionnant de constater ce que ses capacités personnelles peuvent faire.

La confiance dans les ressources personnelles des femmes empêche les intervenantes de recréer avec la victime, une relation de pouvoir. La femme battue devient l’experte de la connaissance de son problème. L’intervenante ne risque pas de tomber dans le piège de la prise en charge, ce qui n’exclut pas pour autant qu’elle accompagne et soutienne la femme battue dans sa démarche. Dans la relation d’aide, la « victime » peut donc reprendre du pouvoir sur sa vie et utiliser son potentiel pour elle-même.

vendredi 22 juillet 2011

VIOLENCE FAMILIALE 23e partie

Les facteurs personnels

Sur le plan personnel, la femme qui a connu la violence dans son enfance, soit comme enfant maltraitée, soit comme témoin de violence, risque d’être plus tolérante aux différentes formes d’agression. Elle a intégré une norme familiale de fonctionnement où la violence fait partie des rapports entre les membres de la famille et du couple. La résolution des conflits par la violence lui apparaît donc acceptable. Évoluer dans un milieu de vie où les coups de poing, les coups de pied et les gifles sont monnaie courante accroît la tolérance face à la violence. La femme qui a vécu son enfance dans un tel milieu n’a guère de réactions lorsque ce mode de fonctionnement se reproduit dans sa vie adulte. En effet, elle a déjà fait l’apprentissage du repli sur soi, nécessaire pour survivre, et elle a intégré une image négative d’elle-même (une faible estime de soi). Ces deux mécanismes contribuent à augmenter sa tolérance envers la violence.

Elle a également développé des attitudes de passivité puisque le modèle de femme auquel elle s’est identifiée, sa mère, se confond avec celui de victime – rappelez-vous que les femmes sont les premières à être maltraitées lorsqu’il y a violence familiale. Un tel passé rend une femme plus vulnérable à la violence car son héritage de victime réduit ses capacités d’affirmation et sa confiance en elle. Ses expériences antérieures augmentent sa paralysie et sa passivité devant les agressions et les différentes formes de violence.

Rappelons aussi que les femmes qui ont fortement intégré les stéréotypes féminins (passivité, douceur, oubli de soi, etc.) risquent d’être plus passives devant une situation d’agression. Elles toléreront davantage la violence, se sentant elles-mêmes responsables de cette violence, essaieront de sauver la cellule familiale à leur détriment. Il en est de même des femmes qui adhèrent à des croyances religieuses déterminant, pour elles, les paramètres de leur vie. L’assimilation de telles croyances amène ces dernières à amenuiser leur place, en tant qu’individu, et contribue à atténuer leurs capacités d’affirmation. En effet, les femmes qui se définissent à partir des valeurs et comportements prônés par des codes moraux rigides, établis selon le sexe, la famille ou la religion, augmentent leur potentiel de victime. Ces femmes ne peuvent délimiter leur zone personnelle en fonction de leurs besoins et abandonnent leur pouvoir individuel au profit d’une norme qui ne tient pas compte de leurs droits ni de leur potentiel. Elles éprouvent donc des difficultés à se donner la priorité et à négocier leur place en tant qu’individu.

jeudi 21 juillet 2011

VIOLENCE FAMILIALE 22e partie

PROFIL DE LA FEMME BATTUE

La femme battue ne présente pas un profil différent de celui de la population féminine en général. À ce sujet, l’étude de Rosenbaum et de O’Leary démontre qu’il n’y a pas de différences notables entre un groupe de femmes violentées et un groupe de femmes qui n’ont pas vécu de violence. Le profil des deux groupes s’avère similaire. La femme battue se retrouve dans tous les milieux sociaux et économiques. Elle peut appartenir à n’importe quel groupe d’âge et être très scolarisée ou non. Comme la relation de violence se développe en fonction des rapports de domination. Il n’y a pas de caractéristiques personnelles qui peuvent expliquer ou justifier la perte de contrôle d’une autre personne. En effet, l’acte d’agression appartient à celui qui le commet.

En ayant un portrait rigide et caricatural de la femme battue, l’intervenante peut ne pas se percevoir comme une victime potentielle. En effet, plus le portrait de la femme battue lui est étranger, moins elle s’y identifie. La femme battue avec une épaule cassée, le nez en sang existe, mais elle ne représente pas l’unique image de la victime. Les femmes violentées prennent elles-mêmes un certain temps avant de se considérer comme des victimes. Elles aussi ont une image très précise des femmes battues, une image qui les protège, car elles ont peur de se reconnaître comme une victime de violence conjugale.

Le fossé se rétrécit donc entre l’intervenante et la victime au fur et à mesure que l’intervenante réalise qu’elle appartient au même groupe d’oppression. En tant que femme, elle ressent la même peur d’être agressée le soir, elle découvre progressivement les formes d’agression dont elle peut être victime. L’intervention auprès des femmes battues suscite, immanquablement, chez les intervenantes un questionnement sur leurs rapports avec les hommes et sur leur propre vulnérabilité face à la violence. Cette démarche est perturbante voire menaçante, mais, en la faisant, l’intervenante prend conscience de son appartenance au même groupe d’opprimées que les femmes battues et peut alors se solidariser avec elles. La femme battue ne répond donc à aucun portrait-type.

S’il s’avère impossible de déterminer le profil de la femme violentée, il devient important d’identifier ce qui peut augmenter le seuil de tolérance de la victime. Il existe certaines caractéristiques chez la femme battue qui peuvent contribuer à la maintenir dans une position de passivité. Afin de bien identifier les facteurs d’ordre personnel qui accentuent la position de victime, référons-nous à trois points d’analyse : les facteurs personnels qui affectent la tolérance, les discours ou mythes qui renforcent la position de victime et le stéréotype féminin ou « l’incapacité apprise ».

mercredi 20 juillet 2011

VIOLENCE FAMILIALE 21e partie

4. La violence familiale
Le sentiment d’insécurité parmi la population est plus élevé bien que la violence civile ait éliminé, sauf en ce qui concerne la violence familiale, qui est maintenant passible de poursuites judiciaires. La société est désormais moins tolérante face aux formes de violence survenant dans la vie privée, même si, dans l’espace public, la représentation de la violence est omniprésente. La violence familiale comprend la violence conjugale, la maltraitance et les agressions sexuelles.

Les notions de pouvoir et d’inégalité entre les hommes et les femmes sont au cœur de la violence et des agressions. La dépendance des victimes, la domination des agresseurs, tel est le schéma classique de la violence familiale sur fond de culture patriarcale où la violence devient un moyen de contrôle des hommes à l’égard des femmes.

5. La violence conjugale
La violence conjugale a été dénoncée par le mouvement féministe, qui a contribué à mettre à jour la problématique des femmes et des enfants battus. Parmi les facteurs sociaux qui interviennent dans l’expression de la violence conjugale se trouvent la socialisation sexuée, la discrimination sexiste et la tolérance sociale.

Les hommes et les femmes sont victimes de violence conjugale. Les hommes subissent une violence mineure et situationnelle, reliée à une dynamique de couple privilégiant la résolution agressive des conflits. Ce type de violence est documenté dans les enquêtes de population qui utilisent l’Échelle des tactiques de conflit (CTS). Dans les cas de violence conjugale grave, ce sont les femmes qui sont le plus durement touchées, 87% d’entre elles étant les victimes, et subissant blessures et homicides dans une proportion de 10 contre 1,5. Il s’agit là d’une forme de violence chronique, instrumentale, impliquant une prise de contrôle de l’homme sur sa conjointe. Les données proviennent des déclarations d’actes criminels ou des maisons d’hébergement.

Trois catégories de théories sont utilisées pour expliquer la violence conjugale : les théories intra-individuelles portent sur le caractère dysfonctionnel de l’agresseur; les théories socioculturelles et politiques mettent en cause l’environnement social, les inégalités et les facteurs individuels des membres de la famille; les théories psychosociologiques démontrent la transmission et la reproduction de la violence d’une génération à l’autre. Les facteurs sociaux associés à la violence conjugale sont la socialisation différenciée et les stéréotypes traditionnels, l’inégalité sociale et économique du groupe des femmes et la tolérance sociale face à l’expression médiatisée des formes de violence. Le facteur individuel le plus déterminant est celui des antécédents familiaux de violence dans la vie des agresseurs et des victimes.

6. La maltraitance

La maltraitance porte sur la négligence ainsi que sur les abus physiques et les agressions sexuelles à l’endroit des enfants. Il est parfois difficile de délimiter des situations d’agression ou de négligence selon les normes culturelles d’éducation propres à un groupe. Les facteurs sociaux liés à la maltraitance sont les normes culturelles à la violence, l’environnement social des familles (au premier plan, la pauvreté), et des structures familiales qui augmentent les risques d’abus.

Les cas de maltraitance des enfants sont en hausse en Amérique du Nord. Les garçons sont davantage victimes d’abus physiques et de négligence, alors que les filles sont surtout en proie aux agressions sexuelles. La maltraitance augmente avec l’âge pour les filles, et diminue dans le cas des garçons. La violence dans les médias affecte les enfants et les adolescents en augmentant le risque qu’ils commentent des actes violents à l’âge adulte. Le risque de maltraitance augmente lorsque les parents appliquent un mode d’éducation coercitif, faisant appel à des punitions corporelles, et lorsqu’il y a d’autres formes de violence dans l’environnement familial.

mardi 19 juillet 2011

VIOLENCE FAMILIALE 20e partie

Qu’est-ce qui protège de la violence?

Il existe aussi des facteurs qui protègent de la violence, tels que certaines caractéristiques personnelles (avoir un enfant facile à éduquer) et familiales (avoir le soutien actif d’un conjoint). D’autres facteurs protecteurs prennent racine dans l’environnement social. L’intégration des familles dans un réseau social et de soutien peut contrer l’effet négatif du stress quotidien ou le caractère plus difficile d’un enfant. L’appui de groupes communautaires rompt la dépendance à l’égard des institutions officielles et aide à renforcer l’estime de soi nécessaire pour établir des relations intrafamiliales positives.

En bref
Dans ce chapitre sur les problématiques familiales, nous avons vu :
1. L’approche synchronique dans l’étude de la famille
L’étude de la vie quotidienne nous amène à observer la famille d’un point de vue synchronique en privilégiant les événements intrafamiliaux. La vie familiale s’organise autour des échanges entre les membres de la famille à travers un ensemble d’activités marquées par le temps.

Le temps familial est celui passé à partager des activités avec les membres de sa famille. Ces activités peuvent être de l’ordre de l’obligation ou du plaisir, mais le plus souvent, le temps familial est dicté par les obligations diverses.

2. Le travail domestique
Le travail domestique se décompose en trois types de tâches : celles liées aux besoins des personnes, celles concernant l’entretien de l’habitation et, enfin, les soins et l’éducation dispensés aux enfants. Les hommes effectuent des tâches définies comme étant fonctionnelles, délimitées dans le temps et uniques. Les femmes s’occupent davantage de l’aspect multidimensionnel du travail domestique, de la superposition des tâches et de leur dimension affective.

Ce sont les femmes qui effectuent le plus grand nombre d’heures hebdomadaires de travail domestique. La charge domestique varie en fonction du nombre d’enfants que compte la famille, de l’activité professionnelle de la mère, et de la socialisation à l’égard du rôle féminin qu’a connue l’épouse. Lorsque la mère travaille à l’extérieur, elle doit comprimer le nombre d’heures consacrées aux tâches familiales, ou recourir à des services extérieurs si le revenu familial le permet. La participation des plus jeunes générations d’hommes a augmenté, mais elle est encore stéréotypée.

3. Le réseau social
La sociabilité familiale désigne les relations d’échange entre une famille et son entourage. Ces échanges peuvent répondre à des besoins matériels ou économiques, mais aussi à des besoins d’ordre affectif.

Le réseau d’une famille peut comprendre des membres de la famille et de la parenté, des personnes du voisinage, des amis, des collègues de travail.

Trois types de réseaux familiaux peuvent être observés. Le réseau de clan compte beaucoup sur la famille et la parenté. C’est un réseau propre aux quartiers populaires où les familles se voisinent et se soutiennent mutuellement par une foule de services rendus. Le réseau de couple favorise les relations entre couples recrutés parmi les collègues de travail du mari. C’est souvent un réseau déterritorialisé, car les amis des enfants et de la famille n’habitent pas le même quartier. Enfin, le réseau de type individuel est composé de relations hétérogènes où les voisins et les amis prennent une place importante.

lundi 18 juillet 2011

VIOLENCE FAMILIALE 19e partie

La pauvreté conduit-elle à maltraiter les enfants?
On ne peut prétendre que la pauvreté des enfants et des familles conduit fatalement à la maltraitance. Il ne faut pas ignorer le courage et la volonté de la majorité des parents pauvres qui élèvent leurs enfants dans des contextes inappropriés. À pauvreté semblable, les familles les mieux protégées sont celles où l’environnement offre le plus de soutien, là où les réseaux d’entraide sont variés – parenté, garderies, groupes communautaires, écoles, professionnels (Gouvernement du Québec, 1992). Il n’en demeure pas moins que la pauvreté est associée à un très grand nombre de facteurs qui augmentent les risques de maltraitance pour les enfants et les jeunes (MacMillan, 1993).

Les structures familiales
Plusieurs études ont confirmé que les recompositions familiales présentent un risque d’abus, dans certains contextes, pour les filles. La présence d’un père substitut qui n’a pas développé un lien d’attachement père-enfant augmente le risque d’agression sexuelle pour une fille (Bouchard, 1991).

La monoparentalité matricentrique est quant à elle fortement associée à la pauvreté qui, comme on vient de le voir, a une incidence importance sur la maltraitance. Selon Éthier (1992), les mères qui négligent leurs enfants sont habituellement des mères isolées socialement et fortement démunies sur le plan financier. Par ailleurs, les conflits conjugaux altèrent la qualité du climat familial et engendrent des états de stress tels qu’ils peuvent avoir des répercussions sur la compétence parentale des adultes. L’enfant pourra servir d’exutoire à la tension vécue par l’adulte.

Finalement, les familles où le modèle des relations parent-enfant est empreint d’autoritarisme et fortement inégalitaire sont plus susceptibles de recourir à des moyens coercitifs pour éduquer les enfants. Des mauvais traitements peuvent alors en découler.

Une forme de violence mineure constitue un environnement hostile pour un enfant et risque d’entraîner une escalade dans la violence. La probabilité, dans ce contexte, de subir de la violence sévère augmente de sept fois (Jetté et al., 2001). Il en va de même pour les probabilités de violence psychologique. Les possibilités de dérapage sont bien réelles.

vendredi 15 juillet 2011

VIOLENCE FAMILIALE 18e partie



Les facteurs sociaux dans l’étiologie de la maltraitance

L’une des difficultés que comporte l’identification de la maltraitance réside dans la capacité de définir les mauvais traitements. En effet, la maltraitance se définit par rapport aux normes culturelles retenues pour la socialisation des enfants. Quel geste devient un abus physique ou une négligence, et par rapport à quelle norme? Laisser pleurer un nourrisson pour le former, est-ce de la négligence? Laisser de jeunes enfants sous la surveillance d’un enfant de 10 ans, est-ce encore de la négligence? Utiliser la fessée comme principe d’éducation, est-ce une agression physique? Où s’arrête le respect de la diversité culturelle et sociale, et où commence le droit à l’intégrité corporelle et psychologique des enfants?

Cette question vaut autant pour les communautés ethniques que pour les sous-groupes sociaux et religieux. Il semble que, dans la définition de la maltraitance, il y ait deux écueils à éviter : l’ethnocentrique des valeurs occidentales – qui sont les valeurs servant de mesure de comparaison pour les spécialistes des institutions – et le relativisme culturel, qui met en péril l’intégrité des enfants. Par exemple, certaines pratiques culturelles qui sont adaptées à la société d’origine peuvent être sources de réel danger une fois transposées dans un autre contexte social. Mais l’application étroite des normes du groupe dominant crée aussi des traumatismes inutiles. La recherche de la maltraitance à tout prix en fait parfois voir de toutes les couleurs à des parents bien intentionnés. Comme pour la violence conjugale, les facteurs sociaux et les facteurs individuels se combinent pour expliquer les comportements de maltraitance des adultes-parents à l’égard des enfants. Les causes de ces problèmes sont nombreuses et complexes.

Les normes culturelles de la violence

Parmi les facteurs sociaux, nous trouvons au premier plan les normes culturelles face à la violence et à son usage dans l’éducation des enfants. À plusieurs égards, certaines institutions sociales cautionnent son adoption en tant que moyen efficace de résoudre les conflits. D’abord, les médias fournissent maintes occasions d’observer des scènes de violence qui, de manière régulière, présentent un schème de conduite agressive dans les relations interpersonnelles. On sait que les médias constituent un puissant agent transmetteur des valeurs et des conduites auprès des jeunes.

Les enfants côtoient la violence tous les jours à la télévision, dans la programmation régulière ou dans les films vidéo qui sont loués. Les jeunes Américains auront été témoins de 18 000 meurtres et de 800 suicides avant d’avoir atteint l’âge de 18 ans (Bouchard, 1991). Camil Bouchard estime que cette omniprésence de la violence télévisuelle ne prépare pas les enfants et les jeunes à résoudre les conflits par le biais de conduites pacifiques et par la négociation.

Des chercheurs américains ont mis en évidence les effets à long terme de la violence télévisée sur les comportements d’agressivité des adolescents une fois arrivés à l’âge adulte (Le Devoir, 2002). Ils ont suivi 700 jeunes sur une période de 18 ans, allant de l’adolescence à l’âge adulte, en fonction de leur écoute quotidienne de la télévision, compte tenu du nombre d’actes violents auxquels ils avaient été exposés (de 20 à 25 actes violents/heure dans les programmes destinés aux enfants). Qu’ont-ils découvert? Que seulement 5,7% des adolescents qui passaient moins d’une heure par jour devant la télévision commettaient des actes violents à la fin de l’adolescence et au début de l’âge adulte, contre 22,5% de ceux qui regardaient la télévision entre une et trois heures, et 28,8% de ceux qui la regardaient plus de trois heures. D’après les chercheurs, cette étude contredit l’hypothèse selon laquelle la violence télévisuelle n’affecte que les enfants. La violence dans les médias contribue réellement à produire une société plus violente.

D’autre part, il existe une norme implicite qui veut que le parent doive exercer un contrôle sur son enfant parce qu’il en est le « propriétaire ». Dans le prolongement de cette norme, on tolère que le parent puisse user de châtiments ou de punitions pour se faire obéir. Cette acceptation ouvre la voie à des sanctions disciplinaires abusives. La plupart des parents qui maltraitent leur enfant prétendront avoir voulu le corriger parce qu’il était désobéissant ou turbulent. Certaines études ont mis en évidence la popularité du châtiment corporel en tant que moyen de contrôler l’enfant (Chamberland, 1992), spécialement le jeune garçon qui est plus susceptible d’être la victime des abus physiques.

L’étude sur la violence dans la vie familiale des enfants, effectuée en 1999 auprès de femmes vivant avec au moins un enfant âgé de moins de 18 ans, montre que, plus un parent est d’accord, avec l’utilisation de punitions corporelles pour résoudre un conflit avec un enfant, plus le risque augmente que l’enfant subisse des épisodes de maltraitance (Jetté et al., 2001).

L’environnement social
La précarité économique est une des composantes majeures du problème de la maltraitance, spécifiquement dans les cas d’abus physique et de négligence – les agressions sexuelles se répartissent davantage dans tous les milieux sociaux.

Dans le rapport Un Québec fou de ses enfants, Camil Bouchard insiste sur l’importance de la pauvreté dans la genèse des problèmes de tous ordres qui menacent le bien-être des enfants et des familles. La pauvreté et l’isolement social sont étroitement liés aux diverses formes de maltraitance (Éthier et al., 1992).

Les conditions de vie subies par les familles pauvres augmentent de six à sept fois le risque d’abus et de négligence des enfants, en comparaison avec les conditions de vie des milieux nantis. Pourquoi? Essentiellement parce que les ressources – celles du parent, celles de l’enfant et celles du milieu – qui servent d’assises au parent pour exercer son rôle sont déficientes : les parents pauvres sont plus souvent malades, démobilisés, préoccupés, isolés. Ils vivent dans des lieux souvent inadéquats, trop petits, mal équipés, qu’ils n’ont pas choisi d’habiter. Il arrive souvent aussi que les enfants pauvres soient eux-mêmes plus malades, davantage sujets à des infections ou à des maladies du système respiratoire. La santé altérée de ces enfants peut nuire à la formation des liens d’attachement parents-enfants qui sont nécessaires dans une relation affective positive. Le stress élevé qu’éprouvent jour après jour les familles pauvres met la compétence parentale à rude épreuve, et les ressources parentales déjà précaires s’épuisent plus vite.

jeudi 14 juillet 2011

VIOLENCE FAMILIALE 17e partie

En 1998-1999, près de 24 000 cas touchant des enfants ont été signalés à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) du Québec, dont près de la moitié pour négligence, alors que les autres l’ont été pour mauvais traitements psychologiques et abus physiques (Tourigny et al., 2001, p. 465). Parmi ces cas, 3565 ont été jugés comme étant fondés. Les cas de maltraitance des enfants sont en hausse, probablement parce qu’on les dénonce davantage, mais aussi parce que, au cours de la décennie passée, la violence familiale a connu une flambée en Amérique du Nord et au Québec (Paré, 2004). Au Québec, on a constaté une augmentation de 56% des mauvais traitements physiques infligés aux enfants. À l’heure actuelle, 38% des décès accidentels de bébés sont causés par la violence parentale.

Une étude effectuée en 1992-1993 a permis d’estimer 48% la prévalence annuelle de violence psychologique, à 27% celle de la violence physique mineure, et à 4% celle de la violence physique majeure sur le territoire québécois (Jetté et al., 2001, p. 475).

Les caractéristiques des enfants maltraités

Il existe des différences dans les mauvais traitements infligés aux enfants selon le sexe de la victime (Tourigny et al., 2001). Les filles sont presque trois fois plus souvent victimes d’agressions sexuelles que les garçons; ces derniers sont un peu plus souvent victimes de négligence et d’abus physiques. La violence psychologique, pour sa part, est également répartie entre les filles et les garçons.

En ce qui concerne l’âge auquel ont lieu ces mauvais traitements, la négligence parentale touche particulièrement le groupe des enfants âgés de 0 à 5 ans et diminue avec l’âge. C’est le phénomène inverse qui se produit chez les victimes d’agressions sexuelles : leur taux augmente avec l’âge. Après l’âge de 12 ans, il y a une diminution du nombre des enfants victimes d’abus physiques. De manière générale, le taux de victimisation diminue avec l’âge, surtout chez les garçons, alors que, chez les filles, les agressions physiques et sexuelles augmentent avec l’âge.

mercredi 13 juillet 2011

VIOLENCE FAMILIALE 16e partie

Les enfants maltraités

« Dites aux adultes de ne pas dire des mots qui tuent! » La maltraitance est une réalité encore plus invisible que la violence conjugale. De nombreux enfants souffrent au premier chef de la négligence de leurs parents, ensuite de violence physique, psychologique et de langage, et, finalement, des agressions sexuelles.

Il n’est pas facile de déterminer l’ampleur du phénomène de la maltraitance des enfants. Un rapport sur l’incidence des agressions sexuelles indique que 34% des filles et 13% des garçons seraient agressés sexuellement avant l’âge de 18 ans (Bouchard, 1991). Sur le territoire francophone de Montréal, on estime à environ 1% le taux d’incidence annuel de cas d’agression physique et de négligence – près de 12 enfants sur 1000 (Chamberland, 1992). Les agressions physiques représentent environ 10% des cas de mauvais traitements sur le territoire québécois.


La maltraitance des parents à l’égard des enfants se présente sous cinq formes :
 La négligence, principale forme de maltraitance : défaut de superviser pouvant entraîner un préjudice physique, négligence éducative, etc.
 Les abus physiques : discipline physique abusive, brutalité impulsive, restriction physique excessive, etc.
 Les abus sexuels : attouchements ou caresses aux parties génitales, relation sexuelle avec pénétration, exhibitionnisme, etc.
 L’abandon : refus d’assurer la garde, absence des parents, expulsion du foyer, etc.
 Les mauvais traitements psychologiques : exposition à la violence conjugale, rejet, dénigrement, indifférence affective, etc.

vendredi 8 juillet 2011

VIOLENCE FAMILIALE 13e partie


• Les périodes de transition familiale sont des moments charnières pour les manifestations de violence. La rupture du couple et la grossesse en sont deux exemples.
• Il y a des antécédents de violence et de négligence dans les familles et des événements traumatisants dans leur passé.
• Les conditions socioéconomiques difficiles sont un terrain propice à l’apparition des comportements violents. Un faible revenu est associé à la probabilité d’être victime (et d’être agresseur). Pour les femmes, le fait d’être pauvre, d’être étudiante, sans emploi, d’éprouver de l’insécurité alimentaire et de la pauvreté dans la famille, est associé à des taux plus élevés de violence sexuelle ou physique.
• Enfin, il y a une forte association entre la consommation d’alcool et de drogue, que ce soit chez les conjoints ou les conjointes, et des taux élevés de violence physique.

jeudi 7 juillet 2011

VIOLENCE FAMILIALE 12e partie

Les facteurs individuels
Les études effectuées auprès des agresseurs démontrent que les facteurs individuels suivants peuvent laisser présumer de la propension à utiliser la violence : le fait d’avoir été maltraité durant son enfance ou d’avoir assisté à des scènes de violence conjugale, la faible estime de soi, le stress occasionné par des difficultés, la vulnérabilité émotionnelle, la faible scolarité, et le degré d’intériorisation des valeurs masculines traditionnelles qui associent la masculinité à l’agressivité. Toute une gamme d’incidents peuvent déclencher la crise de violence, mais il apparaît que la grossesse constitue un facteur déclenchant important (Statistique Canada, 1993). Elle suscite des réactions violentes de la part du conjoint, qui craint de perdre l’exclusivité affective de sa conjointe.

Le facteur individuel dont l’incidence sur la violence conjugale a été le plus clairement démontré est celui de l’origine familiale : on estime que 81% des hommes agresseurs et 33% des femmes violentées ont été battus lorsqu’ils étaient enfants (Rochon, 1988). Il est clair qu’il y a une reproduction de la violence familiale d’une génération à l’autre : les enfants battus ou ayant assisté à des scènes de violence entre leurs parents ont tendance à reproduire ce modèle sexué de comportement. Voilà l’effet le plus clair de la socialisation à l’égard de la violence. Cela ne veut pas dire qu’un enfant battu utilisera nécessairement à son tour la violence. La majorité des enfants violentés apprennent à rejeter ce mode de relations, car les autres institutions sociales transmettent un message interdit des formes de violence.

L’enquête sur la violence envers les conjointes envers les couples québécois (2003) met en évidence certaines caractéristiques quant aux femmes victimes :

 Les taux de violence sexuelle et physique sont plus élevés chez les femmes dont l’indice de soutien social est faible. Celles-ci sont plus insatisfaites de leur vie sociale, sont isolées pendant leur temps libre, n’ont personne dans leur entourage pouvant leur offrir de l’aide, se confient moins; lorsqu’elles le font, c’est tout de même à des personnes de leur entourage plutôt qu’aux réseaux d’aide formelle.
 Elles ont un niveau élevé de détresse psychologique et un piètre état de santé mentale. Il en est de même pour le conjoint agresseur.
 Le jeune âge des femmes et de leur conjoint, assorti à une courte durée de la relation (quatre ans et moins) sont reliés à des taux plus élevés de violence physique et sexuelle envers les femmes. Plus la durée de la vie commune est courte, plus la violence est présente.

mercredi 6 juillet 2011

VIOLENCE FAMILIALE 11e partie

La discrimination sexiste
Comme on l’a souligné précédemment, l’inégalité sociale entre les hommes et les femmes est la pierre d’assise de l’expression de la violence conjugale. La dépendance économique de l’épouse face à son conjoint rend possible le contrôle de celui-ci sur sa femme. Celle-ci étant démunie financièrement, il lui est très difficile de briser le cercle de la violence.

Mais l’inégalité n’est pas seulement économique : elle concerne tous les aspects de la vie sociale, du travail aux loisirs, de la justice aux services publics. La discrimination à l’égard des femmes est encore bien réelle, inscrite dans les codes culturels et dans les structures sociales.

La tolérance sociale
Il peut paraître paradoxal de prétendre extraire la violence des relations conjugales (Gouvernement du Québec, 1996) alors que notre société tolère différents niveaux d’expression de la violence. Même si les opinions des experts sont divisées en ce qui concerne l’effet des images de violence à la télévision et au cinéma, toutes les personnes concernées conviennent que les enfants sont très tôt exposés à des scènes de violence. Ces scènes sont chose normale dans les films d’action, elles sont abondantes et de plus en plus réalistes. Les films qui s’adressent aux jeunes garçons montrent l’agressivité et la violence, ainsi que l’utilisation de la force, comme constituant des réponses adéquates aux différentes situations de la vie. Dans ces mêmes films d’action, les valeurs dites féminines ne sont pas très prisées.

Les facteurs sociaux expliquent pourquoi la violence devient un mode de communication dans le couple et pourquoi les femmes en sont les principales victimes. Les facteurs individuels, eux, permettent de comprendre pourquoi, dans une situation semblable, un individu s’exprimera par la violence et un autre, par le calme.

mardi 5 juillet 2011

VIOLENCE FAMILIALE 10e partie


Les facteurs sociaux dans l’étiologie de la violence conjugale

Nous verrons trois facteurs sociaux qui augmentent les risques d’utilisation de la violence dans les relations de couple. Ce sont la socialisation différente des garçons et des filles en ce qui a trait aux rôles conjugaux, la discrimination sociale que subissent les femmes et la tolérance de la société à l’égard de l’expression de comportements violents.

Les théories de la violence conjugale

La socialisation sexuée
La socialisation des garçons et des filles est différente. Chez les garçons, on valorise l’action, la force, l’agressivité au travail et dans les loisirs, l’affirmation de soi. On pardonne plus facilement aux garçons les écarts de langage ou de geste. Chez les filles, on valorise des comportements dits féminins, comme la douceur, la voix posée, des loisirs qui n’impliquent pas une force exagérée mais mettent en évidence la grâce féminine. On surveille davantage les filles, on les surprotège par crainte des agressions dont elles pourraient être victimes. On dit encore aujourd’hui à propos des enfants : « on sait bien, c’est un garçon » ou « c’est normal, c’est une fille ».

Les hommes qui usent de violence dans leurs relations de couple ont profondément intériorisé le type d’éducation masculine qui fait de la force et de l’agressivité le mode de communication privilégié. La force devenue violence face à la conjointe est alors un des modes d’expression de la masculinité et fait partie du rôle d’époux. La violence dans la relation de couple est perçue comme un fait normal.

De même, les femmes qui ont reçu une éducation féminine traditionnelle sont celles qui se soumettent le plus à la domination du mari. Elles sont infériorisées au sein du couple et les rôles conjugaux sont fondés sur l’autorité du mari. Elles éprouvent des difficultés à briser le cycle de la violence parce qu’elles se sentent investies de la mission de sauvegarder leur union. Par ailleurs, elles se croient responsables de la violence de leur époux et elles pensent pouvoir leur faire modifier les comportements indésirables. Pourtant, plusieurs spécialistes soulignent que la soumission de la femme, loin de changer la situation, devient un facteur individuel de risque.

Plus la socialisation différenciée est renforcée, plus les risques de violence conjugale augmentent. Au contraire, une socialisation qui puise aux comportements associés aux deux sexes, basée sur des valeurs éducatives égalitaires, prémunit les individus contre l’adoption de comportements violents, et contre l’acceptation de cette violence.

vendredi 1 juillet 2011

VIOLENCE FAMILIALE 8e partie

Y a-t-il un schéma de la violence conjugale?

Sous ses différentes formes, la violence du mari ou du petit ami se produit selon un cycle qui se répète jusqu’à ce que la victime puisse le rompre. La relation débute par une première phase dite de « lune de miel » où tout va pour le mieux dans le couple. Après une période de tensions plus ou moins longue survient une première crise au cours de laquelle la violence sera utilisée : des cris, des tapes, une poussée, un enfermement dans la maison, de l’argent retiré, etc. La violence prend droit de cité. Cette première crise s’explique souvent par un facteur atténuant : la fatigue, le stress, l’alcool ou la perte d’un emploi sera invoqué par le conjoint pour se disculper. Malheureusement, près de la moitié des cas de violence apparaissent pour la première fois lorsque la femme est enceinte. Suit une phase de rémission où le bonheur semble revenu. C’est de nouveau la lune de miel….avant l’accumulation des tensions qui mèneront à la prochaine crise (Lacombe, 1990).

Pendant la lune de miel, le conjoint exprime des remords et des regrets pour les gestes posés ou les paroles dites. Il fait des promesses de changement à sa conjointe : cela ne se produira plus. La réconciliation est possible, d’autant plus qu’elle est souhaitée par la femme qui aime toujours l’homme avec qui elle a choisi de vivre. C’est cette période de rémission qui explique en partie pourquoi les femmes violentées demeurent avec leur conjoint et supportent une situation qui peut prendre des années à se détériorer jusqu’à la limite du tolérable. Les femmes croient le conjoint, lui pardonnent et espèrent qu’il finira par changer. L’espérance de la réconciliation, combinée à d’autres facteurs comme la dépendance financière, le désir de maintenir intacte la famille ou la protection des enfants, fait perdurer la situation de violence conjugale. Le conjoint violent jouera sur toute la gamme des barrières matérielles, affectives et psychologiques qui rendent sa conjointe dépendante de lui et l’empêchent de briser le cycle de la violence.

Avec le temps, les périodes de lune de miel raccourcissent et les crises surviennent plus souvent. Beaucoup d’événements de la vie du couple deviennent prétexte à déclencher la crise et servent à justifier le climat de violence qui s’installe à demeure. Le cycle de la violence et ses différentes formes sont résumés au tableau ci-dessous :