vendredi 31 mai 2013

MISÈRES DU DÉSIR - CHAPITRE II


La trop grande peur que j’éprouve me semble fortement reliée à la trop grande importance accordée à la relation interpersonnelle et surtout à la disproportion donnée à la relation amoureuse.  Celle-ci est bien trop fragile et relative pour fonder le sens à vivre d’une personne.  L’amour n’est que le feuillage de l’arbre.  Les feuilles vont et viennent mais l’arbre, lui, continue sa destinée.  La peur de perdre l’autre s’explique en partie, par l’instance sur le “besoin” d’être aimé.  Certains pensent que pour être aimé, il faut tout mettre en oeuvre.  Pourtant, être aimé, quand nous prenons conscience que cela dépend tellement de la bonne volonté de l’autre, devient un cadeau bien agréable à recevoir mais cela reste un cadeau.  Être aimé, c’est un plus mais pas une raison de vivre.  Aimer est tellement plus développemental des ressources que d’être aimé.  Il y a tout avantage à faire le deuil de ce “super besoin” d’être aimé - source de tellement de rétrécissement des personnes.  Ce deuil ne peut toutefois se faire que si la personne s’engage avec elle-même et avec sa vie intérieure.

CHAPITRE II

Étienne Benjamin travaillait plusieurs semaines à la société fondée par Hélène. Son comportement était exemplaire. Il parlait peu, était bourré d’idées géniales qu’il proposait toujours avec réserve et modestie. Il semblait apprécier qu’elle lui ait donné une chance. De la porte vitrée de son bureau, Hélène pouvait l’apercevoir lorsqu’il s’installait à la table destinée aux visiteurs de passage. Il paraissait aimer cet endroit.

Ce matin-là, elle l’observait attentivement. Il était plongé dans une étude de marché qu’elle lui avait confiée la veille. Elle lui avait dit : « Vous ne connaissez pas ce métier, mais vous l’apprendrez vite, j’en suis persuadée. Je vous présenterai à mes collaborateurs qui, eux, sont plus au courant que moi pour régler certains problèmes de ce genre ». D’où elle se trouvait, Hélène voyait la nuque blonde, les épaules larges, le corps long et mince penché sur une table à dessin. Plongée dans ses pensées, elle fut surprise par Odette qui lui apportait de mauvaises nouvelles :

-Louis est revenu sur sa décision. Il annule son projet de contrat. Quant à Régis, il a choisi une autre société pour promouvoir ses produits. Nous jouons de malchance avec ces deux clients qui représentaient de gros intérêts pour nous. Je me fais un souci monstre. Qu’allons-nous devenir? Tu ne sembles pas mesurer le danger.
Hélène parut contrariée par ces échecs. Puis, de nouveau, son regard revint vers la silhouette d’Étienne Benjamin. Odette s’en aperçut et dit :

-Depuis quelques temps, tout va mal. Nous étions si bien parties. Je finis par être superstitieuse. Le Benjamin nous porte peut-être malheur. Sa présence entre nos murs serait-elle maléfique? Il m’a toujours donné une impression de malaise. Quelle idée tu as eue d’engager ce type?

Hélène hausse les épaules.

-Tu m’agaces avec tes histoires ridicules. Que tu ne puisses pas le voir, c’est une chose! Mais que tu le rendes responsable de nos difficultés, je trouve cela primaire et stupide. Je te l’ai déjà dit, ce garçon me plaît. Il est d’une intelligence nettement supérieure à la moyenne. Il comprend tout, abat un travail considérable. Et quelle culture! Il paraît infatigable. Que veux-tu de plus? Je le trouve aussi très séduisant et c’est agréable, reposant de le regarder. Sur ce plan, nous ne sommes pas si gâtées dans la société! Nos collaborateurs habituels ne ressemblent guère à des play-boys!
Odette s’exclama :

-Je vois. C’est pour cela que tu l’as embauché. Je suis convaincue que ce jour là tu as commis une erreur monumentale. En affaire, il faut éviter les coups de cœur.

-Crois-tu?

-Tu n’as même pas cherché à connaître les raisons ni la durée de son incarnation.
Hélène se leva, fit quelques pas dans son bureau.

-J’ai peut-être agi par bravade. Tu sais à quel point j’aime le risque, l’originalité. En embauchant ce garçon, j’étais contente de bousculer les règles établies, de lancer un défi à la société! Quand j’étais plus jeune, j’étais très attirée par les aventuriers, les marginaux. 

-Mais, ma parole, tu en es amoureuse! Tu es complètement folle.

Odette quitta le bureau en claquant la porte avec force, ce qui fit se retourner Étienne Benjamin. Il s’aperçut à ce moment là qu’Hélène le regardait. Il lui sourit. Elle le contempla rêveusement. Les mises en garde d’Odette ne parvenaient pas à modifier son jugement. Au contraire, les craintes de son amie l’amusaient, donnaient du piquant à la situation. Soudain, une idée lui traversa l’esprit. Elle adressa à Benjamin un signe de la main afin que celui-ci vienne la rejoindre dans son bureau.

-J’ai quelques questions à vous poser, lui dit-elle.

-Je vous écoute.

En cet instant, elle remarqua la beauté de ses yeux, d’un bleu tirant sur le mauve. Elle lui demanda brusquement :

-Aimez-vous ce travail?

Il parut gêné, hésita avant de répondre.

-Je dois être franc avec vous, dit-il. À cette période de ma vie, n’importe qu’elle activité m’aurait paru merveilleuse. Je viens de traverser des années que je ne souhaite à personne, un vrai cauchemar! Si vous m’aviez demandé d’être votre valet de chambre, j’aurais sauté sur l’occasion et trouvé cette offre inespérée.

Elle sourit :

-Je vous comprends, tout est relatif.

Elle s’interrompit durant quelques instants et reprit :

-Accepteriez-vous de luncher avec moi bientôt? J’ai des tas de projets en tête à propos de la société. J’aimerais en discuter avec vous. Depuis que les choses se gâtent ici, je me demande si nous ne manquons pas de punch, d’imagination. Vous, vous semblez avoir beaucoup d’idées. Vous êtres très dynamique.

Elle se pencha vers lui, plongea son regard dans le sien.

-Vous pourriez nous aider, dit-elle. J’en suis sûre. Vous ne manquez pas d’envergure.

-Merci, je ne demande pas mieux.

-Alors, rendez-vous demain à midi au restaurant Pedro, pas très loin d’ici. Bien entendu, c’est moi qui vous invite. Un déjeuner d’affaires.

Hélène rentra très tard chez elle. Roger (son mari) semblait de mauvaise humeur. Il regardait un film médiocre à la télévision en buvant une infusion fade.

-Je crois qu’il ne nous reste plus qu’une solution, lui dit-il brusquement. Nous devrions divorcer.

Elle s’étonna :

-Pourquoi cette décision soudaine?

-La vie n’est plus possible, Hélène. J’en ai assez, je te l’ai déjà dit, de vivre avec une ombre. Le matin, quand je me lève, tu es déjà partie, et le soir, quand tu rentres, je suis souvent déjà couché. Tu connais beaucoup de couples qui se satisfont d’une existence semblable?

Elle soupira.

-Je regrette, mais je me dois à mon métier. Je ne veux pas végéter. Je ne souhaite pas me contenter d’une existence banale. J’aime le risque, le succès, la bagarre professionnelle.

-Je le sais. Tu t’es drôlement bien débrouillé, mais nous ne parlons plus le même langage.

-Vraiment?

-Écoute-moi, Hélène. Nous ne partons plus jamais en vacances ensemble. Tu n’es pas libre quand tombe la date de mes congés!

-Qu’est-ce que je peux y faire? Odette et moi, nous nous battons pour faire prospérer notre société. Tu ne te doutes pas à quel point la vie que je mène est grisante, malgré les difficultés qu’elle comporte. Elle est super stressante bien sûr, mais si intéressante!
Il répéta ironique :

-Oui, intéressante.

Elle prit un temps et ajouta :

-Je ne suis pas l’épouse qu’il te fallait. Tu aurais dû te marier avec une petite femme toute dévouée. Nous nous sommes complètement trompés.

-Trompés! Mais bon sang, quand nous nous sommes connus, tu n’avais pas ces idées-là. Tu étais vendeuse et tu te contentais de ton sort! Nous avions du mal à joindre les deux bouts et nous passions nos vacances à la campagne. Tu n’en demandais pas plus. Un petit hôtel tranquille, une plage suffisaient à ton bonheur. Que t’est-il arrivé?

-Un jour, j’ai pris conscience que je n’étais pas faite pour cette existence-là. J’en ai demandé plus. Pour me baigner, j’ai préféré les mers chaudes à l’eau glacée. J’ai suivi des cours de gestion, de droit. Je suis partie en vacances au Club Med. J’ai évolué et toi, tu en es toujours resté au même point. Tu ne m’as pas suivie. J’adore me battre, assister à des cocktails brillants, rencontrer des gens hors du commun. Je suis bourrée d’ambition.

Il écoutait attentivement. Ce soir, il découvrait une autre femme. Elle ne s’était jamais livrée à pareille confession. Elle poursuivit :

-Tu te contentes de ton petit train-train, de la routine. C’est plutôt tristounet. Pour moi, c’est mortel. On ne peut pas dire que tu aies l’âme d’un aventurier.
Il se rebiffa.

-Pourquoi me dis-tu ça? Tu aurais préféré épouser un don Juan qui te trompe avec toutes tes amies! Mon dévouement, ma fidélité, tu ne les apprécie guère. Notre mariage est un naufrage, n’est-ce pas Hélène? J’avais raison de te le dire tout à l’heure, il faut en finir. À quoi bon garder un ressentiment perpétuel? Parfois, je lis la haine dans ton regard. Je ne peux plus le supporter. Pas plus que tes horaires fantaisistes, les tenues extravagantes que tu portes.

-Tu en es à me reprocher mes tenues! C’est le comble.

-Oui, et aussi ton langage! Les mots nouveaux sont contagieux comme une épidémie. Tu t’en gargarises. Il y a des moments où je ne te comprends même pas! Je ne pensais pas qu’on pouvait se transformer à ce point.

Comme convenu, Hélène et Étienne se retrouvèrent au restaurant qu’elle avait choisi. Pour la circonstance, il portait un nouveau costume qui lui allait bien et mettant en évidence la sveltesse de son corps. Hélène remarqua très vite sa délicatesse et son élégance naturelle. Le garçon leur proposa la carte. Étienne choisit les vins en connaisseur. Elle appréciait sa finesse. Tout en mangeant, ils parlèrent travail.
-J’ai peur, avoue-t-elle. Au début, tout marchait bien. À présent, j’ai l’impression que les choses se gâtent et j’en perds mon latin! Je suis vraiment moins sûre de moi. Les clients se dérobent avant même que nous les ayons appâtés!

Il essaye de la rassurer, lui suggéra discrètement que peut-être, elle ne s’y prenait pas bien.

-Je vous aiderai du mieux que je le pourrai, dit-il. Je vous dois bien ça! Jamais je n’oublierai ce que vous avez fait pour moi. Vous m’avez sauvé à un moment, où je n’espérais plus rien. Vous êtes formidable! Si vous saviez combien je pense à vous. Même lorsque je suis loin du bureau. Je vous admire énormément. Vous n’êtes pas du tout comme les autres. J’aime votre côté femme d’action.

Elle rougit légèrement. Elle était troublée et l’interrompit d’un geste.

-Je vous en prie, Étienne. À mon avis, mon comportement à votre égard a été logique et normal. Vous n’avez rien d’une crapule, d’un voyou! Je suis assez psychologue. De plus, j’ai pour discipline personnelle d’être très perméable aux problèmes des autres. Pour moi, c’est un devoir d’avoir l’esprit large et d’être compréhensive.

Il eut un élan qui l’étonna, par rapport à son attitude réservée habituelle. Il s’empara de sa main et la porta à ses lèvres.

-Je profite de ces instants où nous sommes seuls tous les deux pour vous dire à quel point je vous suis reconnaissant de m’avoir engagé malgré tout. Il vous a fallu un fameux courage. Vous avez pris des risques.

Elle était émue. Elle le trouvait bouleversant. Ses yeux bleus brillaient, son visage reprenait vie. Elle était heureuse de le voir métamorphosé de la sorte. Elle mourait d’envie de lui poser des questions à propos de son passé, mais s’en gardait bien. Il aurait l’impression sans doute qu’elle lui avait tendu un piège. Ce fut lui qui attaqua :

-Je vous remercie également de ne pas avoir cherché à m’interroger davantage, à essayer de savoir…

Il baissa la tête.

-Savoir quoi? Dit-elle.

-Pourquoi j’ai été arrêté. Vous m’avez aidé à oublier que j’avais connu l’enfer. Aujourd’hui, j’ai envie de vous en parler. Me permettez-vous de le faire? Je veux que vous connaissiez tout de moi.

-Mais je ne vous demande rien.

-Ça ne sera pas long : ce drame se résume en peu de mots. Comme l’histoire d’une vie. Vous n’avez pas remarqué? De courtes phrases suffisent souvent à retracer le récit d’un destin.

Il reprit la main d’Hélène comme pour se donner du courage, ferma un instant les yeux. Elle ne prononçait pas une parole et attendait. Elle aimait sa belle voix aux inflexions douces.

-Il y a quelques années, dit-il, j’ai aimé une femme à la folie. Elle s’appelait Louise. Elle s’est jouée de moi… Elle me trompait autant comme autant. Elle prenait plaisir à me narguer, à me détruire. Cela l’amusait d’exciter ma jalousie. Un jour, n’en pouvant plus, je l’ai frappée.

Il avala une gorgée de vin, reprit son souffle. Son visage eut une expression douloureuse. Elle murmura :

-Ne continuez pas! Vous n’êtes pas obligé de me raconter ce drame. C’est notre secret.

-J’y tiens. Je ne me sens pas le droit de demeurer plus longtemps pour vous une énigme. Je pense qu’à présent, vous m’avez suffisamment observé et jugé.

-Mais oui, j’ai confiance en vous. Vous êtes un garçon scrupuleux. Vous vous acquittez parfaitement de votre tâche. Je suis ravie de vous avoir engagé.

Il sembla réfléchir, reprit son élan et dit d’une traite :

-Revenons à ce drame. Je veux que vous sachiez tout. Oui, j’ai frappé Louise. J’étais exaspéré. Dans ma colère, j’ai dû être brutal que je ne l’avais prévu. À un moment, elle a perdu l’équilibre. Son crâne a heurté le coin de la cheminée de marbre.

jeudi 30 mai 2013

MISÈRES DU DÉSIR - INTRODUCTION


Lorsqu’elle vivait avec lui, elle n’avait plus de désir de lui.  Ce mordant en elle d’établir un pont avec lui - de le contacter.  Ce pont, ce mordant, ce désir n’étaient plus là - non pas tellement à cause de lui, mais parce qu’en elle, rien ne s’allumait plus pour lui.  Elle avait terminé sa tâche de planche de salut.  Elle n’avait plus besoin d’être initié à ses charmes.  Elle s’ennuyait de n’avoir plus de sens et cette relation était devenue insignifiante.  Elle était une planche de salut qui contemplait son absence de naufrage.

La brisure du lien avec l’autre représente une autre des misères souvent associées à la solitude et qu’il faut confronter. Cette brisure peut être réelle et irrévocable lorsque par exemple, l’un tombe en amour pour un(e) autre, ou même fantasmée lorsque l’autre a coupé le lien affectif, le regard bienveillant. Sentiment d’être abandonné, impression vague et persistante de ne plus compter pour l’autre, ni pour personne, honte par rapport au fait d’avoir perdu son visage devant l’autre: ce sont là quelques unes des facettes de l’émotion qui résulte de la perte de l’être aimé.

Dans le cas particulier et plus, fréquent de la brisure du lien affectif, celui qui éprouve la langueur intérieure et le déchirement de ne pas faire plaisir à l’autre, de le peiner même, risque d’être fortement tenté pour se soulager de régresser dans la fusion avec l’autre.  Pourtant, ce n’est qu’en combattant cet appel à la régression et en tolérant la souffrance de la distance affective qu’il parviendra, petit à petit, à conquérir enfin sa vitalité en dehors du regard de l’autre.  Sachant qu’aucune fusion n’est permanente sinon par et dans la mort de la personne et ainsi que tout est toujours à recommencer s’il régresse vers la fusion, celui qui perd le regard bienveillant de l’autre doit courageusement couper le contact avec l’autre, y renoncer et passer à travers la misère que cela implique, la tolérer jusqu’à ce que la souffrance finisse par disparaître.

Il n’y a pas d’autre solution, il n’y a pas de magie. Il n’y a que le courage humain celui de passer à travers la peine d’être seul et de n’être pas avec l’autre, celle qui crie après l’union et qui pousse par tous les moyens à retrouver la sécurité de la fusion.  Accepter de passer à travers cette peine plutôt que de trouver toutes sortes d’excuses ou de fausses raisons pour garder l’autre à distance implique que la personne accepte la souffrance.

Finalement, cette peine d’être isolé finira pas s’estomper et la solitude sera domestiquée comme un cheval sauvage.  Après le combat avec son refus d’être monté, le cheval finit bien par se mettre au service du cavalier à condition que le cavalier se soit auparavant fondu aux mouvements du cheval et l’humain, parallèlement, à la souffrance de la solitude.


CHAPITRE I

Hélène eut un mouvement d’impatience quand Roger, son mari, vient la rejoindre dans la salle de bains. Elle lui cria :
-Je n’aime pas qu’on me surprenne quand je fais ma toilette. Et je suis très pressée. S’il te plaît, laisse-moi tranquille. J’ai si peu de temps pour me détendre. J’ai une journée épouvantable chargée. J’ai trois rendez-vous ce matin et cinq cet après-midi!
Il la regarda. Elle était très belle et il était toujours amoureux d’elle. Ce n’était pas sa faute s’il avait un peu l’impression de la perdre sans rien pouvoir y faire. Il lui dit gentiment :
-C’est ta fête aujourd’hui, trente-huit ans! Il faut célébrer ça, ce soir j’aimerais t’emmener souper quelque part. Choisis toi-même le restaurant. Nous pourrions aller chez Dorais. Tu adores les fruits de mer.

Elle l’interrompit :
-Tu tombes mal. C’est gentil de ta part d’y avoir pensé. Écoute Roger, mon travail m’accapare plus que jamais. Je ne sais pas du tout à quelle heure je rentrerai. Il vaut mieux remettre cela à plus tard. C’est plus sûr, tu risquerais d’être déçu.

-Déçu?

Il n’insistait pas. C’était toujours comme ça. Hélène faisait passer son travail avant tout autre chose. Et il en souffrait. Il ne la voyait presque plus; elle passait le plus clair de son temps au milieu des rendez-vous d’affaires. Quand elle le rejoignit dans le salon, elle remarqua son air contrarié. Elle eut un peu pitié de lui.

- Mets-toi à ma place, lui dit-elle. Je m’occupe maintenant du marketing pour tout le Canada. C’est formidable pour moi, je n’espérais pas tout de cette entreprise que j’ai créée sans trop y croire. Le résultat dépasse mes espérances. Odette et moi, nous travaillons fort. Elle est une collaboratrice précieuse pour moi. Elle me seconde admirablement. Je ne sais pas comment je m’en sortirais si je ne l’avais pas. Elle est très dynamique. Il eut un sourire triste.

-J’en suis heureux pour toi, dit-il. Mais honnêtement, je me demande parfois pourquoi nous nous sommes mariés. La semaine, tu es insaisissable. En principe, pas libre avant 22 heures. Durant les fins de semaine, tu t’enfermes dans ton bureau en me priant de ne pas te déranger. Crois-tu que ce soit une vie? Je me demande ce que je fais dans cette maison, à quoi je sers. Et la tendresse, Hélène? Tu y penses quelquefois?
Elle soupira, sembla réfléchir.

-En ce moment, je joue gros. Essaie de comprendre. J’ai misé le tout pour le tout dans cette affaire et j’y crois dur comme fer. Si je devais échouer, j’aurais du mal à m’en remettre et j’entraînerais des gens déçus dans ma faillite. Je n’ai pas le droit de prendre de tels risques. J’en suis au stade où je dois envisager d’embaucher du personnel nouveau. Tu te rends compte? C’est fantastique, hein? Toi qui pensais que je m’embarquais dans une affaire qui ne tenait pas debout… Si je t’avais écouté, tu m’aurais complètement découragée dès le départ. Mon pauvre Roger, on ne peut pas dire que tu sois un battant!

Elle s’approcha de lui, le contemple longuement.

-C’est curieux, mais je me demande parfois si tu n’es pas jaloux de ma réussite. Tu essaies sans cesse de me freiner.

Il occupait un poste subalterne dans une manufacture de vêtements. Sans ambition, il s’était toujours contenté de peu. Hélène était tout son contraire. 

-Tu te trompes complètement, répondit-il. Je ne suis pas jaloux. Seulement, je me reconnais un côté un peu rétro. J’appréciais l’époque où les femmes se consacraient à leur foyer. Où les hommes étaient liés à des épouses qui se songeaient qu’à leur assurer un bien-être constant, à leur mijoter des petits plats!

-Des petits plats!

-Mon père et ma mère vivaient de cette façon-là. Ils s’adoraient. Dans la famille, personne n’a eu à le regretter.

Hélène secoua ses cheveux blonds. Elle se mit à rire.

-Tu es totalement dépassé; Roger. Nous sommes maintenant indépendants! Tant pis pour les machos de ton genre!

-Macho, quel vilain mot! Décidémment, tu ne comprendras jamais!

-C’est possible.

Le visage de Roger s’assombrit.

-Lorsque nous nous sommes mariés, j’avoue que j’espérais mieux.

-Tu pensais que je serais une femme soumise. Tu t’es vraiment planté!

Depuis quelques temps, leurs rapports s’étaient envenimés. Il ne supportait pas de la découvrir ainsi, absorbée par son travail, n’admettait pas le peu d’importance qu’elle lui accordait. Il était malheureux de la voir devenue si sûre d’elle, si active, si sollicitée par cette société dont elle s’occupait avec une telle ferveur. C’était la fin de leur couple, il le pressentait.

-Finalement, conclut-il, tu ne m’as jamais aimé, n’est-ce pas, Hélène?

Elle prit un air grave. Peut-être était-ce la vérité. Et elle était heureuse d’avoir trouvé le moyen d’échapper à l’emprise de cet amour médiocre, de vivre à une autre dimension.

-Disons que nous ne sommes pas faits pour nous entendre, répondit-elle. Comme tant d’autres, nous nous sommes mariés trop tôt sans beaucoup réfléchir. À 20 ans, je n’avais pas les mêmes ambitions. Et puis, je l’avoue, je pensais que tu réussirais mieux.
Leurs regards se croisèrent. Celui de Roger était chargé de colère et de haine. Il y avait des instants où il ne parvenait plus à supporter sa femme. Elle l’exaspérait. Et le sentiment était réciproque.

-Tu me prends toujours pour un minable, reprit-il. Tu crois que je ne m’en rends pas compte? D’après toi, je n’ai aucune envergure. C’est cela, hein?

-T’ai-je déjà adressé quelque reproche?

-Je ne suis pas fou. Les expressions de ton visage en disent long. Tu me méprises.
-Mais non!

Hélène achevait de boucler la ceinture de son tailleur. Elle se fit soudait plus conciliante.

-Tu es déçu pour ce soir? Dit-elle d’une voix douce. Tu aurais aimé que nous mangions ensemble. Et bien, si tu y tiens tellement, je m’arrangerai pour être libre. Nous pourrons ainsi fêter mon anniversaire.

Il eut un geste rageur, fit trois pas vers elle. Il était blême, ses mains tremblaient. Il n’avait jamais eu beaucoup de séduction et, en cet instant, Hélène le trouva presque laid, avec son corps maigrichon, son veston mal coupé, ses cheveux déjà rares, son visage aux traits sans grâce. Comment avait-elle pu choisir un tel mari? Elle s’interrogeait maintenant.

-Je ne te demande pas de me faire la charité, gronda-t-il. As-tu souvent vu un type se mettre à plat ventre pour obtenir le privilège d’inviter sa femme à manger? Il y en a beaucoup qui seraient heureuses à ta place.

-Tu crois? 

-Tu dépasses les bornes, Hélène! Rentre à l’heure qui te conviendra. Cela m’est égal. Moi, je ne serai pas là! Je m’octroie une permission de sortie. Je ne vois pas pourquoi je resterais à me morfondre à la maison pendant que tu te livres à je ne sais quelle glorieuse occupation. J’ignore ce que tu fais réellement. Tu veux ton indépendance complète? Tu l’auras. Mais cet avantage ne sera pas à sens unique, je te préviens. Je te mets en garde contre les conséquences qui peuvent découler de cette situation…
Elle ne le laissa pas achever sa phrase et sortit de l’appartement en claquant violemment la porte.

C’était vrai, Odette, son assistante, la secondait magnifiquement. Elle était aussi brune qu’Hélène était blonde. Toutes deux, galvanisées par la signature récente d’importants contrats avec des pays étrangers, croyaient plus que jamais à la réussite de leur entreprise. Elles formaient un tandem de choc. Élégantes, dynamiques, modernes, elles ne vivaient que dans l’action.

Ce matin-là, Hélène était agacée. L’attitude négative de Roger l’obsédait. Elle confia son désarroi à Odette qui s’inquiétait de sa mine renfrognée.

-C’est dur de mener de front une vie d’épouse et une existence professionnelle trépidante, lui dit-elle. Bien sûr, je comprends que Roger ait été déçu. Il comptait m’inviter à souper pour mon anniversaire. C’est une attention délicate de sa part car moi-même j’avais complètement oublié qu’il me tombait aujourd’hui une année de plus sur les épaules. D’abord, il n’y a pas de quoi en être fière et puis je n’ai guère le cœur à me distraire en ce moment. Je ne pense qu’à une chose; décrocher cette affaire avec l’Ontario! Il me faut songer à trouver du personnel. Pourrais-tu passer une annonce dans les journaux Odette? Je consacrerai deux jours de la semaine prochaine à choisir soigneusement les collaborateurs qui nous manquent. Il ne faut pas tarder, ok!

Odette était à peine plus âgée qu’Hélène. Toutes deux se connaissaient depuis longtemps, s’entendaient très bien et n’hésitaient pas à se confier les soucis de leur vie privée.

Odette ne s’était jamais mariée. Elle avait vécu une enfance malheureuse entre des parents qui se déchiraient et la perspective d’une éventuelle union lui paraissait inacceptable. Les obstacles que risquaient de rencontrer les couples lui semblaient insurmontables.

-Si Roger ne peut te supporter telle que tu es, dit-elle à son amie, il vaut mieux ne pas continuer à tergiverser. Vous perdez des forces et du temps. À mon avis, c’est une grave erreur. Vous feriez mieux de vous séparer. Tu as plus que jamais besoin de toute ton énergie. L’existence avec lui, ce n’est pas évident.

Hélène sursauta.

-Nous séparer? Tu pousses, un peu! Je n’y ai jamais songé jusqu’à maintenant. Le pauvre! S’il t’entendait…

Odette expliqua :
-Pour moi, tu sais, il n’y a pas trente-six solutions. Ou bien l’on est heureux de vivre ensemble, ou bien l’on coupe les ponts si cela ne marche pas. On me reproche de collectionner les aventures. Personne ne comprend mon problème. En réalité, je suis constamment à la recherche de l’idéal. Tu vois ce que je veux dire? Un type dont les qualités et les défauts s’harmoniseraient avec les miens. Ça ne se trouve pas facilement, tu peux me croire. Alors, aux yeux des autres, je passe pour une cavaleuse insatiable. Cela m’est égal, je ne me jetterai jamais à la tête du premier venu sous prétexte d’en finir, même si l’on doit continuer à me cataloguer dans les vielles filles!

-Vielle fille, ce n’est pas exactement ton style! Tu es plutôt une dévoreuse, non?

Hélène fixait son amie de son beau regard noir. Elle semblait réfléchir. Quand Roger avait dit au cours de leur récente querelle : « Finalement, tu ne m’as jamais aimé », elle avait réalisé qu’il venait sans doute de résumer la vérité en quelques mots. Et cette évidence l’avait plongée dans la plus profonde affliction. Ainsi, elle aurait perdu tant d’années à faire semblant? Leur existence n’aurait-elle été qu’une comédie? C’était lamentable. 

La semaine suivante, Odette croula sous une avalanche de lettres et de coup de fil. Les annonces passées dans les journaux avaient déclenché un véritable déferlement d’éventuels candidats.

-Je te charge d’effectuer une sélection serrée, lui dit Hélène. Je te préviens. Je ne pourrai pas recevoir plus d’une dizaine de personnes. Vendredi prochain, je dois aller à Toronto. Un fabriquant compte sur nous pour promouvoir la vente de ses produits au Québec, sous l’aspect le plus favorable. D’ailleurs, tu devrais étudier la question avec moi. À l’avenir, il peut-être un client intéressant, même si, au départ, le contrat ne représente pas un gain appréciable pour nous.

Le jour où elle décida de recevoir dix postulants sélectionnés par Odette, Hélène s’enferma dans son bureau. Elle avait étudié sans passion les curriculum vitae des candidats. Ils n’avaient pas de références appréciables. Ils étaient bien notés, mais ne semblaient pas extraordinaires. Des employés ponctuels et sérieux, peut-être, mais sans génie. Et ce qu’elle cherchait justement, c’était une personne d’envergure à la personnalité très marquée!

Les premières entrevues de la matinée ne furent guère concluantes. Tous les candidats répondirent timidement aux questions posées. Au moment d’aller, Hélène sentit le découragement la gagner.

-Nous aurons du mal à trouver l’oiseau rare, dit-elle à sa collaboratrice.

L’après-midi, le premier à se présenter fut un homme d’une trentaine d’années environ. Il était beau garçon, très grand, très viril. Une certaine distinction se lisait sur les traits réguliers de son visage et au fond de son regard clair brillait une vive lueur d’intelligence. Hélène le scrutait, l’interrogeait. Il finit par avouer :

-Je sais d’avance que je ne ferai pas l’affaire. Inutile de vous bluffer.

-Pourquoi? Ne soyez pas pessimiste. Je n’aime pas les perdants. Si vous êtes venu me voir, c’est que vous espérez quand même décrocher cet emploi.

-Non, même pas.

-Alors, vous, vous êtes un cas!

-c’est exactement ça, un cas!

Il dit simplement :

-Je sors de prison.

-Pardon?

-Oui, de prison! Pour une histoire passionnelle.

Elle tressaillit, le regarda plus attentivement. Il ne cilla pas et ajouta :

-Je m’appelle Étienne Benjamin.

Elle demanda avec humour :

-Est-ce notre seule référence?

-À peu près.

-Cela ne vous a pas empêché de tenter votre chance ici?

-Qu’est-ce que je risquais à le faire?

Il la contemplait, imperturbable, guettant sa réaction.

Allait-elle le jeter dehors?

-Je vois que vous ne manquez pas d’audace, dit-elle simplement.

Il eut un sourire triste et las.

-À un éventuel employeur, je ne peux offrir que ma bonne volonté, quelques connaissances en informatique, une solide culture générale, surtout en histoire de l’art…

Elle l’interrompit :

-Ce n’est pas exactement ce que je souhaite, vous l’imaginez.

-Oui, je m’en doute.

-Alors, pourquoi êtes-vous venu?

Il eut un geste vague, un grand voilé, et répondit d’une voix sourde : 

-Ce serait trop long à vous expliquer. En résumé, je n’ai pas le choix et n’ai rien à perdre.

Elle était un peu éberluée. Sur le coup, elle avait éprouvé une vive impatience qu’elle avait eu du mal à réprimer. Mais peu à peu cet étonnant personnage lui paraissait énigmatique, intéressant. Où voulait-il en venir? Il avait une étrange séduction.

-Mon temps est précieux, dit-elle. Je suis désolée, mais je ne vois pas la nécessité de poursuivre cet entretien. Je vous remercie.

Il se leva, s’inclina légèrement devant elle, prêt à quitter son bureau. Il la regarda une dernière fois au fond des yeux.

-Excusez-moi, dit-il. Je vous comprends. Je ne suis pas le candidat idéal. Ma présence ici est presque un gag!

-Il ne faut rien exagérer.

-Je n’ai pas le droit de laisser passer la moindre chance. J’ai lu vôtre annonce et je me suis décidé.

Elle ferme à demi les yeux, se concentra. L’espace d’une seconde, elle imagina le destin de cet homme rejeté de partout. Marqué par son passé, personne ne lui tendrait la main, c’était certain. Elle ignorait les raisons précises de son drame, mais il lui inspirait un sentiment bizarre; une sorte de compassion mêlée à de la curiosité. De plus, elle aimait les situations dangereuses. Elle détestait la banalité.

Pourquoi ne pas tenter une expérience avec ce garçon qui paraissait raffiné, élégant malgré ses vêtements fatigués, son air meurtri. Il lui plaisait. Il avait de la classe, du charme. Peu à peu, un contact s’était établi entre eux. Elle hésita un moment. Tandis qu’il s’apprêtait à sortir, elle le retint :

-Et bien, lui dit-elle, je vais sans doute vous surprendre : Je vous engage à l’essai.
Il sursauta :

-Ce n’est pas vrai! Vous me faites marcher!

-Absolument pas.

Il garda son sang froid, ne fit rien voir de la joie qu’il dut sans doute éprouver à cet instant.

-Merci, dit-il, la voix un peu altérée. Quand devrais-je commencer? 

-Dès que vous serez libre.

Il eut un sourire lorsqu’elle prononça ce dernier mot.

-Mais je suis libre, insista-t-il. Et si heureux de l’être.

-Alors, je vous attends demain à 9 heures.

Il semblait ne pas y croire.

Dès qu’il eut disparu, elle alla rejoindre Odette.

-À ton avis, qu’ai-je fait? Lui demanda-t-elle.

-Aucune idée.

-J’ai embauché Étienne Benjamin.

-Tu as raison. S’il a les qualités que tu exiges…

-Pas exactement. Sais-tu d’où il sort?

Odette ouvrit les yeux étonnés. Hélène ménagea ses effets.

-Et bien, de prison, ma chère! Je trouve cela assez cocasse, non?

-Pourquoi l’as-tu sélectionné?

-Cet homme me plaît. Je ne sais pas pourquoi. Je crois être psychologue, très intuitive et je suis persuadée que, malgré les circonstances, mon choix insolite est judicieux : durant toute la matinée, je n’ai rencontré que des gens d’une navrante banalité : tu me connais.

-Ah! Oui!

-J’espère que je ne serai pas déçue par mon choix. C’est un véritable défi d’avoir engagé ce garçon. Je ne sais pas pourquoi, j’ai confiance en lui.

-T’a-t-il expliqué au moins les raisons de son incarnation?

-Je ne me suis pas permis de le lui demander. C’est difficile. Il a l’air si secret, si peu démonstratif.

Odette se précipita vers son bureau, sortit un dossier d’un tiroir, essaya de retrouver la fiche concernant Étienne Benjamin.

-Bien sûr, je n’ai que des renseignements succins le concernant. Il a 30 ans. Il a prétendu avoir travaillé longtemps comme pigiste dans la publicité. Ce qui m’a convaincue, c’est la manière intelligente dont il s’exprimait, sa sobriété. Je me souviens parfaitement de lui : Peut-être le timbre de sa voix m’a-t-il subjuguée!

-C’est vrai, il a une très belle voix… Tu m’étonneras toujours, Hélène! Personne n’aurait engagé ce type.

-Je me félicite souvent de n’être pas conformiste. Tu n’as rien à m’envier dans ce domaine. C’est sans doute grâce à cela que notre société prospère aussi rapidement.


dimanche 26 mai 2013

RAPPORTS SOCIAUX ET SIDA DANS LA COMMUNAUTÉ HAÏTIENNE - FAISONS LE POINT


Faisons le point

Le VIH et le sida peuvent frapper n’importe qui, indépendamment de l’âge, de la culture, de l’ethnie, du sexe, du lieu géographique, de la religion, de la nationalité et de l’orientation sexuelle.  Le nombre de personnes vivant avec le VIH ou le sida au Canada et dans le monde démontre que la maladie prend sans cesse de l’ampleur et que, dans certaines régions, elle atteint des proportions pandémiques. Au Canada, le VIH est une maladie multidimensionnelle qui pousse les soins de santé bien au-delà des limites établies, par l’interaction de facteurs sociaux tels que la pauvreté, la violence et la toxicomanie.  Les enjeux liés au VIH augmentent en nombre et en complexité, à mesure que la maladie atteint des populations où la mobilisation communautaire est très difficile.  Selon les estimations, 30,000 personnes porteuses du VIH au Canada auront besion de services au cours des 20 prochaines années. La majorité des Canadiens malades demeurent encore les hommes homosexuels ou bisexuels (78%) mais, depuis quelques années, cette proportion est à la baisse tandis que celle des femmes, de enfants et des usagers de drogues injectables augmente.  La plupart des cas rapportés de sida appartiennent au groupe d’âge des 30 à 39 ans (44%), mais environ 20% des cas connus sont du groupe des 20 à 29 ans.  Étant donné la longue période d’incubation de la maladie, bon nombre de ces personnes ont dû être infectées pendant leur adolescence.  Toutes les provinces rapportent des cas de sida.  Les communautés canadiennes les plus diverses comptent parmi elles des personnes ayant le VIH/sida et, dans certaines, par milliers.

Globalement et localement, le VIH a une incidence énorme sur la santé, la fibre sociale et l’économie du pays.

Depuis dix ans, le traitement et les soins des personnes ayant contracté le VIH ont fait d’importants progrès. La maladie étant diagnostiquée à un stade plus précoce, le traitement peut commencer plus tôt.  Des personnes malades vivent parmi nos collectivités et participent activement à l’administration de leurs propres soins.  Les répercussions psychologiques et sociales pour ces personnes, leurs partenaires, leurs familles et la communauté augmentent sans cesse, et il faut mettre sur pied divers moyens pour y faire face.

Les personnes ayant le VIHA ou le sida ont déjà accès à un système complet de services.  Bon nombre de services sociaux et de santé possèdent un tel système, mais souvent ces personnes ont de la difficulté à y accéder.  Les services dont elles ont besoin comprennent les soins de santé (allant du curatif), la sécurité du revenu, les services financiers et juridiques, le transport, le logement, le counselling et les services de soutien à domicile.  Ces personnes peuvent avoir d’autres besoins auxquels ne peuvent répondre les services existants.

mardi 21 mai 2013

RAPPORTS SOCIAUX ET SIDA DANS LA COMMUNAUTÉ HAÏTIENNE - CONCLUSION


Conclusion

Cette enquête est la première à aborder le sujet dans cette communauté; il est donc maintenant essentiel que les résultats de cette enquête soient largement diffusés, commentés et discutés aussi bien dans les milieux communautaires que dans la population en général.

L’enquête a également révélé la présence d’obstacles qui gênent la prévention du sida et qui sont spécifiques à certains sous-groupes de la population québécoise d’origine haïtienne. Il s’agit d’identifier ces différences et de les intégrer dans les activités destinées à ces groupes.  Les inégalités entre hommes et femmes ont un impact considérable sur la définition des rôles dans la société, sur les comportements sexuels et sur la capacité de chaque individu à contrôler ses relations sexuelles; toute intervention auprès d’adultes ou de jeunes devrait permettre d’encourager la valorisation du statut de la femme.

Les jeunes ont un degré de connaissance assez élevé sur le sida.  Toutefois, c’est chez eux que l’on retrouve la plus forte proportion de personnes ayant des comportements sexuels à risque, bien qu’ils soient plus nombreux que leurs aînés à évaluer leur risque d’être infecté comme faible.  L’enquête a permis de constater les difficultés qui existent dans les relations parents-enfants.  La rupture avec la culture traditionnelle haïtienne est plus forte chez les jeunes nés au Québec et entraîne des conflits importants entre générations.  Néanmoins, le milieu familial reste un lieu privilégié pour l’échange d’informations.

Par ailleurs, nous avons documenté le lieu de contrôle externe qui caractérise certains segments de la population immigrante haïtienne.  Il ne s’agit pas de soustraire la pensée magique et religieuse de l’interprétation de la maladie, mais de dynamiser le rapport de la pensée magique à la pensée scientifique, afin d’apprivoiser la maladie, tout en se donnant des moyens objectifs d’intervention.

L’enquête a de plus permis de constater une augmentation des voyages entre le Québec et Haïti attribuable, en grande partie, au changement de gouvernement en Haïti.  Aussi faut-il tenir compte de cette nouvelle donnée dans le cadre de la prévention du sida.

Par ailleurs, les Haïtiens font preuve d’ostracisme envers leurs compatriotes infectés ou atteints du sida.  Ces derniers, souvent par crainte de la rumeur, évitent d’avoir recours aux ressources qui existent dans la communauté même.

Mentionnons en outre que le condom est encore peu utilisé et son utilisation mal connue.  L’information à ce sujet devrait par conséquent être continuelle.

Le système de santé et les médecins en particulier constituent l’une des sources préférées d’information sur le sida.  Or les résultats de l’enquête montrent que ces professionnels donnent peu d’information sur le sida à leur clientèle. Les médecins et les autres professionnels de la santé devraient assumer des responsabilités accrues dans ce domaine.

Pour conclure, l’enquête a permis de révéler qu’il était primordial de mieux connaître les facteurs psychosociaux qui déterminent l’adoption ou non d’un comportement donné dans certains sous-groupes de la population visée, notamment les individus ayant des comportements connus comme étant à risque.  Il serait également utile de mieux comprendre des déterminants qui influencent une évolution plus égalitaire en ce qui concerne les rapports hommes-femmes, l’influence de la pensée religieuse sur les attitudes, croyances et comportements face au sida.

À cause de la longue période de latence, il est important, en liant les facteurs de risque à l’état sérologique de la population, d’obtenir une image plus récente des groupes à risque chez les Québécois d’origine haïtienne.  De plus, la connaissance actuelle de la séroprévalence dans la population permettra de mesurer avec plus d’exactitude l’impact des campagnes d’éducation et de prévention.

Le sida est un problème de santé publique important pour les Québécois d’origine haïtienne.  Les déterminants des comportements à risque pour la transmission du sida, comme cette enquête nous a permis de le montrer, sont complexes.  Il faut s’assurer d’un engagement à long terme de tous les éléments qui constituent la communauté, de l’individu jusqu’aux organismes communautaires haïtiens.

dimanche 19 mai 2013

RAPPORTS SOCIAUX ET SIDA DANS LA COMMUNAUTÉ HAÏTIENNE - SUITE


Résumons-nous
L’enquête avait pour objectifs de définir la distribution et les déterminants socio-culturels des facteurs de risque pour la transmission du VIH chez les Montréalais d’origine haïtienne et de mesurer l’évolution de ces facteurs, afin d’être en mesure de mieux diriger les interventions de prévention.  De plus, l’enquête permet de fournir des données concernant les sources d’information sur la maladie.

Ainsi, pour réaliser cette enquête, nous avons associé deux démarches: la première est une démarche quantitative de type épidémiologique appliquée dans une perspective psychosociale et la deuxième est une démarche qualitative qui a permis de compléter les différentes données d’ordre culturel.

Connaissance sur le sida
L’enquête révèle que 94,5% des répondants ont établi un rapport entre la maladie et les contacts sexuels.  Entre la première phase (1988) et la troisième phase (1900), le degré de connaissances sur le sida a progressé.  La moyenne sur l’échelle des connaissances est passée de 8,38/11 à la phase I, à 8,94 à la phase II et à 9,75 à la phase III.

Cependant, nous avons encore noté des lacunes, particulièrement sur la question qui concerne la transmission du VIH par l’utilisation d’ustensiles appartenant à un sidéen ou par une piqûre de moustique.

Nous avons également montré que c’est parmi les répondants âgés de 15 à 24 ans que nous avons observé la plus forte augmentation du degré de connaissances.  Nous avons remarqué, en outre, une relation significative entre le niveau de scolarité et le degré de connaissances.  Plus les personnes ont un niveau de scolarité élevé, meilleur est leur résultat sur l’échelle des connaissances.

Enfin, l’utilisation du condom et la fidélité sont les comportements que les répondants ont le plus mentionnés, pour se protéger du sida.  Pour les personnes interrogées, les individus les plus susceptibles d’être infectés par le VIH sont les homosexuels (74,5%), les personnes ayant plusieurs partenaires sexuels (63,0%) et les toxicomanes (59,6%).

Sources d’information sur le sida
Il est certain que les médias constituent les principales sources d’information sur le sida.  La télévision atteint la majorité de la population (88,4%).  Cependant, lorsqu’on s’informe auprès de la population sur les sources d’informatoin au sujet du sida qu’elle privilégierait, celle-ci ne cite les médias que dans une très faible proportion (11,6%).  Par contre, les médecins et les infirmières ont la confiance de 77,7% des répondants.

Attitudes et croyances.
À chaque phase, nous avons observé une progression des attitudes positives envers les sidéens.  Nous avons noté la progression la plus importante du nombre de répondants ayant une attitude très positive parmi les jeunes âgés de 15 à 25 ans.  Par contre, la population de l’enquête reste très partagée quant à l’idée de rendre obligatoire un test de dépistage.

La majorité des personnes se dit très inquiète à l’effet de contracter le sida.  Cependant, seulement 13% des personnes interrogées évaluent leur risque personnel d’être infecté par le VIH comme étant très élevé.  Par ailleurs, il est inquiétant de constater la progression du nombre de personnes qui estiment ce risque comme peu élevé ou nul, entre la première et la troisième phase.

Près de 20% des répondants de l’enquête déclarent avoir déjà passé un test de dépistage du VIH.  Cette proportion est assez élevée, étant donnée que, pour l’ensemble du Québec, cette proportion se situerait entre 1% et 4%.

Il est par ailleurs opportun de souligner que la proportion des personnes qui ont accepté de se soumettre au test de dépistage du VIH, dans le cadre de notre enquête, a diminué à chaque phase.  Nous avons relevé la plus forte baisse chez les répondants âgé de 15 à 19 ans.

Les comportements sexuels associés au risque de transmission de la maladie
L’écart entre la proportion des hommes et des femmes ayant des comportements sexuels à risque est considérable à chaque des phases.  Ce sont les jeunes âgés de 14 à 24 ans qui sont les plus nombreux à avoir des comportements sexuels à risque.  Durant la dernière phase de l’enquête, 10 des 126 femmes actives interrogées et actives sexuellement, soit, 7,9%, avaient en plus d’un partenaire sexuel au cours de l’année qui avait précédé l’entrevue, comparativement à 27 des 92 hommes interrogés, soit 29,3%.

Nous avons observé que le risque relatif d’avoir des comportements sexuels peu sécuritaires est plus élevé chez les personnes en union légale ou de fait.  Les analyses multivariées montrent également que le risque relatif d’avoir des comportements sexuels à risque élevé est plus grand chez les hommes, les personnes qui connaissent une personne infectée par rapport à celles qui n’en connaissent pas et les personnes interrogées à la phase I par rapport à celles qui ont été interrogées aux phases II et III.

Signalons à ce propos que les perosnnes les plus scolarisées sont généralement plus nombreuses à présenter des comportements sexuels à risque.

Enfin, près de la moitié des répondants sexuellement actifs de la phase III ont dit avoir changé de comportements sexuels pour se protéger du sida.  Les hommes sont nettement plus nombreux que les femmes à affirmer qu’ils ont modifié leurs comportements.  Les personnes dont les comportements sexuels ont été définis comme étant à risque élevé sont plus nombreuses à avoir adopté de nouveaux comportements.

Utilisation du condom
Nous savons que la majorité des femmes n’ont jamais utilisé de condom pour se prémunir contre les maladies transmissibles sexuellement, alors que plus de la moitié des hommes assurent qu’ils l’utilisent, toujours ou souvent, pour se protéger. Les personnes ayant 14 ans et plus de scolarité et celles qui prétendent avoir changé de comportements afin de se protéger contre le sida, sont plus nombreuses à avoir utilisé le condom, toujours ou souvent.

De surcroît, plus du tiers des individus interrogés ne connaissaient pas l’utilisation adéquate du condom.  Ainsi, près de 40% des répondants connaissaient mal le moment où le condom devait être placé.

Pour les perosnnes interrogées, la crainte de contrarier le partenaire régulier, un plaisir moindre lors des relations sexuelles et le prix constituent les principaux obstacles à l’utilisation du condom.

Conclusion
Cette enquête est la première à aborder le sujet dans cette communauté; il est donc maintenant essentiel que les résultats de cette enquête soient largement diffusés, commentés et discutés aussi bien dans les milieux communautaires que dans la population en général.

L’enquête a éaglement révélé la présence d’obstacles qui gênent la prévention du sida et qui sont spécifiques à certains sous-groupes de la population québécoise d’origine haïtienne. Il s’agit d’identifier ces différences et de les intégrer dans les acitvités destinées à ces groupes.  Les inégalités entre les hommes et femmes ont un impact considérable sur la définition des rôles dans la société, sur les comportements sexuels et sur la capacité de chaque individu à contrôler ses relations sexuelles; toute intervention auprès d’adultes ou de jeunes devrait permettre d’encourager la valorisation du statut de la femme.

Les jeunes ont un degré de connaissances assez élevé sur le sida.  Toutefois, c’est chez eux que l’on retrouve la plus forte proportion de personnes ayant des comportements sexuels à risque, bien qu’ils soient plus nombreux que leurs aînés à évaluer leur risque d’ëtre infecté comme faible. L’enquête a permis de constater les difficultés qui existent dans les relations parents-enfants.  La rupture avec la culture traditionnelle haïtienne est plus forte chez les jeunes nés au Québec et entraîne des conflits importants entre générations. Néanmoins, le milieu familial reste un lieu privilégié pour l’échange d’informations.

Par ailleurs, nous avons documenté le lieu de contrôle externe qui caractérise certains segments de la population immigrante haïtienne.  Il ne s’agit pas de soustraire la pensée magique et religieuse de l’interprétation de la maladie, mais de dynamiser le rapport de la pensée magique à la pensée scientifique, afin d’apprivoiser la maladie, tout en se donnant des moyens objectifs d’intervention.

L’enquête a de plus permis de constater une augmentation des voyages entre le Québec et Haïti attribuable, en grande partie, au changement de gouvernement en Haïti.  Aussi faut-il tenir compte de cette nouvelle donnée dans le cadre de la prévention du sida.

Par ailleurs, les Haïtiens font preuve d’ostracisme envers leurs compatriotes infectés ou atteints du sida.  Ces derniers, souvent par crainte de la rumeur, évitent d’avoir recours aux ressources qui existent dans la communauté.

Mentionnons en outre que le condom est encore peu utilisé  et son utilisation mal connue.  L’information à ce sujet devrait par conséquent être continuelle.

Le système de snaté et les médecins en particulier constituent l’une des sources préférées d’information sur le sida. Or les résultats de l’enquête montrent que ces professionnels donnent peu d’information sur le sida à leur clientèle.  Les médecins et les autres professionnels de la santé devraient assumer des responsabilités accrues dans ce domaine.

Pour conclure, l’enquête a permis de révéler qu’il était primordial de mieux connaître les facteurs psychosociaux qui déterminent l’adoption ou non d’un comportement donné dans certains sous-groupes de la population visée, notamment les individus ayant des comportements connus comme étant à risque.  Il serait également utile de mieux comprendre les déterminants qui influencent une évolution plus égalitaire en ce qu concerne les rapports hommes-femmes, l’influence de la pensée religieuse sur les attitudes, croyances et comportements face au sida.

À cause de la longue période de latence, il est important, en liant les facteurs de risque à l’état sérologique de la population, d’obtenir une image plus récente des groupes à risque chez les Québécois d’origine haïtienne.  De plus, la connaissance actuelle de la séroprévalence dans la population permettra de mesurer avec plus d’exactitude l’impact des campagnes d’éducation et de prévention.

Le sida est un problème de santé publique important pour les Québécois d’origine haÏtienne.  Les déterminants des comportements à risque pour la transmission du sida, comme cette enquête nous a permis de le montrer, sont complexes.  Il faut s’assurer d’un engagement à long terme de tous les éléments qui constituent la communauté, de l’individu jusqu’aux organismes communautaires haïtiens.