lundi 31 mai 2010

L'HOMME IMMIGRANT - 6e partie

L’accès des enfants à un univers culturel différent

Dans les familles immigrantes, l’écart intergénérationnel est particulièrement important puisqu’il se double d’un conflit culturel, l’acculturation étant vécue à des rythmes différents par les uns et par les autres (Bibeau et al.). D’un côté, les parents tentent de communiquer à leurs descendants certains principes, attitudes, valeurs et croyances culturelles qu’ils jugent important de transmettre tout en étant eux-mêmes soumis à un processus d’acculturation. De l’autre côté, les enfants, s’imprègnent des valeurs québécoises à l’école puis, de retour à la maison, s’indignent devant certaines traditions qu’ils jugent trop exigeantes ou carrément désuètes. Cependant, si les études reliées à ce champ se centrent beaucoup sur l’expérience de la biculturalité des enfants et des adolescents (Tap et Kerbel; Malewska-Peyre et al.), il en existe peu qui accordent une place spéciale au vécu des pères.

Pourtant, les pères immigrants ont des préoccupations très grandes et bien particulières pour leurs enfants. Nous parlons ici non plus du sentiment d’être père, d’incarner l’autorité dans la famille, lequel est déjà malmené par la situation d’immigration. Il s’agit cette fois du sentiment impérieux, du désir intense de transmettre l’héritage culturel des ancêtres à sa descendance (dont notamment les préceptes culturels à la base de la différenciation des rôles selon le genre) ou, dit autrement, de la crainte que des siècles d’évolution sociale et culturelle ne s’évanouissent en seulement deux ou trois générations. Or, peu à peu, alors que les enfants grandissent, les parents réalisent que le succès du projet migratoire comporte un prix amer : « Dans le regard de ses enfants, l’immigrant lit le déclin prochain de tout un monde qu’il a eu tant de peine à défendre et à maintenir » (Abou).

Au cours de l’activité de groupe effectuée avec les jeunes pères immigrants (précédemment citée), le thème des relations parents/enfants était celui qui revenait le plus souvent dans les discussions. Ces hommes qui se souvenaient sans rancune des fessées « méritées » pour avoir désobéi à leur père ou à leur mère quand ils étaient jeunes, qui se rappelaient du respect inconditionnel qu’ils vouaient aux figures d’autorité (parents, professeurs, aînés), ces hommes, aujourd’hui, en Amérique du Nord, sont les témoins horrifiés de jeunes qui résistent à l’autorité des adultes, qui s’adonnent à certains comportements leur paraissant abusifs (drogue, expériences sexuelles précoces, délinquance, itinérance, suicide), bref qui leur semblent laissés à eux-mêmes et soumis à aucune discipline. Ces impressions – parfois faussement exagérées – ont un impact considérable sur certains hommes immigrants portés à croire que leurs jeunes feraient de même si on les laissait s’intégrer au pays (Bibeau et al.); ils sentent que la prédominance des valeurs de liberté et d’autonomie individuelle propres aux sociétés modernes peuvent conduire vers des dérapages (négligence parentale, promiscuité sexuelle, désinvestissement familial, arrogance envers les parents) en accordant un pouvoir démesuré aux mineurs. Qui plus est, l’importance accordée à la négociation et au respect inconditionnel de l’enfant ainsi que l’interdiction stricte de la punition corporelle qui prévalent au Québec, peuvent être perçues par certains pères immigrants comme une interdiction pour eux d’éduquer leurs propres fils et filles avec les seuls moyens qu’ils connaissent (Scandariato); ils craignent alors amèrement de perdre progressivement et totalement l’emprise qu’ils ont sur eux. Cette réalité leur est d’autant plus navrante que ces derniers sont souvent considérés comme les véritables symboles du projet migratoire. En effet, les immigrants n’affirment-ils pas avoir pris la décision de partir pour l’avenir des enfants? Les sentiments et les attitudes des pères immigrants à l’égard de leurs enfants sont alors parfois teintés d’une ambivalence qui peut être difficile à gérer dans le quotidien et conduire, là encore, à certains débordements.


* à suivre *

samedi 29 mai 2010

L'HOMME IMMIGRANT - 5e partie

La remise en question du pouvoir et de l’exercice de l’autorité du père

L’une des seules choses qui reste à l’homme immigrant après s’être arraché à sa terre nourricière, après avoir abandonné son emploi, son statut, ses repères, ses liens les plus significatifs avec son milieu d’origine, c’est l’impérieuse responsabilité qu’il assume à l’égard des membres de sa famille partis avec lui, et qui est ravivée dans une période de bouleversement intense. C’est son autorité légitime et instituée auprès d’eux, inscrite profondément dans sa culture et son identité, à laquelle est rattaché son sentiment de dignité. Or le nouveau contexte social, économique et culturel vient remettre peu à peu en question ces prérogatives ainsi que leur reconnaissance par les autres membres de sa famille.

Une étude montréalaise basée sur des exemples cliniques (Scandariato) décrit les caractéristiques importantes liées à la fragilisation de la fonction paternelle en contexte migratoire. D’abord, le père n’est plus l’intermédiaire entre sa famille et l’environnement. Ce sont plutôt les enfants qui vont assumer ce rôle, étant plus rapidement acculturés que leurs parents et maîtrisant souvent beaucoup mieux la langue du pays d’accueil. De plus, n’étant souvent plus le seul à travailler, il ne peut plus assumer à lui seul le rôle de pourvoyeur au sein de sa famille. En outre, alors que le père devrait être « la pierre angulaire des identifications » en intégrant sa descendance dans une généalogie et un système d’appartenance, il se trouve dans un nouveau pays, privé de son réseau social d’origine et où l’identité familiale n’est plus inscrite dans le patrimoine historique. Enfin, la société québécoise, basée sur des principes d’égalité et d’autonomie individuelle, remet souvent en question son autorité et certains de ses comportements à l’égard des autres membres de sa famille, jugés trop sévères ou coercitifs. Les normes québécoises en matière d’éducation des enfants soulignent l’interdiction de toute forme de correction physique et autorisent un interventionnisme étatique qui peut aller jusqu’à séparer les familles lorsqu’il y a des abus, ce qui donne à certains hommes immigrants le sentiment d’être limités ou même bafoués dans l’exercice de leur autorité parentale. Ils sont alors tentés de démissionner de leur rôle de parents-éducateurs.

D’autres études ont aussi relevé des indices de cet établissement du rôle du père au sein de certaines familles immigrantes (Schnapper; Bibeau et al.). Pour sa part, Hammouche s’est intéressé à l’effet de la nucléarisation de la famille maghrébine immigrée en France sur la gestion de l’autorité paternelle. Privé de la société traditionnelle patriarcale du milieu rural d’origine, le rôle du chef de famille n’est plus aussi manifeste; le père n’est plus a priori l’intermédiaire entre sa famille et l’environnement. Alors qu’auparavant, les règles qui régissent les statuts, les rôles et les rapports entre les différents membres de la famille, étaient bien définies, solidement instituées et rarement remises en question, celles-ci deviennent subitement sujettes à la justification – les nouvelles structures sociales ne les autorisant plus explicitement, les décourageant parfois. Sans période de transition, les positions de chacun dans l’organisation familiale s’improvisent et se renégocient au gré des nouvelles contingences sociales et économiques. Au sein d’une société moderne où les liens familiaux sont désacralisés et où l’accent est mis sur l’individu et sa liberté de choix, le rôle traditionnel de chef de famille est considéré comme un frein à l’épanouissement de la conjointe et des enfants. Hammouche soutient même que l’homme-mari- et père – étant souvent considéré comme le gardien de la tradition dans les communautés maghrébines immigrées en France, s’intégrer correspond alors pour les autres membres de la famille à se « libérer » de lui, voire à le considérer comme un enfant qui doit tout réapprendre.

Cette dissolution brutale de la fonction paternelle s’accompagne aussi de gains pour les femmes qui consistent surtout en leur possibilité d’ascension socioéconomique et à l’existence de recours légaux et communautaires dans la société québécoise. Cela se traduit par une transformation des rapports de pouvoir au sein du couple, ce qui provoque, chez beaucoup d’hommes immigrants, le douloureux sentiment d’avoir perdu leur statut au sein de leur propre famille (Bibeau et al.).

Lors de l’activité de groupe effectuée avec les pères immigrants de Côte-des-Neiges (ci-haut mentionnée), cette question de la perte de l’autorité masculine a surgi spontanément dans les échanges. Ces hommes tentent de comprendre et de s’ajuster aux nouvelles réalités. Ils restent néanmoins déchirés entre deux désirs : celui de s’insérer avec succès dans la nouvelle société – ce dont dépend, le plus souvent, le succès du projet migratoire – et celui, non moins intense, de conserver continuité, sens et dignité dans leur rôle. Dans leurs discours mêlés de contradictions, ils disent accepter certains efforts et sacrifices au nom du projet familial, au nom de l’amour porté à leur conjointe et à leurs enfants pour lesquels ils ont émigré. Mais on sent dans le même élan qu’ils sont touchés dans leur identité profonde, dans leur estime d’eux-mêmes, un peu comme s’ils avaient l’impression de perdre l’emprise sur leur propre famille, de ne pas être en mesure d’accomplir leur rôle, de ne pas se conformer aux préceptes implicites du noyau dur de leur culture. Peut-être sentent-ils qu’ils sont en train de perdre la seule source de gratification, la seule promesse de dignité qu’il leur reste depuis leur arrivée au pays? Ou encore qu’ils perdent la face devant leur communauté d’origine, devant leurs ancêtres défunts?

La résolution de ce conflit intérieur ne se fait pas en ligne droite mais plutôt en spirale et s’accompagne le plus souvent de crises répétées, de résistances diverses et de retours en arrière vers une recherche constante d’équilibre. De ce point de vue, ces derniers éléments ne doivent pas être considérés comme des signes d’une mauvaise adaptation ou comme un refus systématique des valeurs de la société d’accueil, mais plutôt comme des étapes normales d’un processus lent et complexe menant vers une stabilisation nouvelle, fonctionnelle et dynamique (Barudy) comme « des projections vers l’avenir d’une autonomie à la fois retrouvée et renouvelée » (De Rudder et Giraud). Toutefois, il est clair que ce chemin difficile peut parfois déraper vers toutes sortes de débordements et menacer grandement l’unité familiale et le bien-être de chacun des membres. Parfois, le couple ne parvient pas à développer de nouvelles formes de communication et à négocier de nouveaux rôles et de nouvelles responsabilités; chacun se rebiffe et durcit ses attitudes; les frustrations s’accumulent; les tensions et les conflits familiaux naissent, s’organisent et, sans l’intervention régulatrice du réseau familial ou de voisinage, explosent en violence conjugale et familiale ou en destruction de l’unité familiale (Juteau; Bibeau et al.,). À partir de là, un constat s’impose : les crises susceptibles de mettre en péril l’équilibre de ces familles en processus de renégociation des rôles doivent être endiguées et, pour cela, les membres les plus influents ont un grand besoin d’être accompagnés.


* à suivre *

vendredi 28 mai 2010

L'HOMME IMMIGRANT - 4e partie

L’accroissement des demandes lié à la diminution du réseau social de la conjointe.

Comme nous l’avons vu plus tôt, les responsabilités familiales des hommes issus de sociétés patriarcales les amènent à travailler à l’extérieur du foyer, tandis que les femmes sont davantage confinées à des tâches dirigées vers l’intérieur du foyer (effectuer les travaux ménagers, veiller au bien-être affectif des enfants). Néanmoins, celles-ci au pays d’origine, bénéficient de tout un réseau d’entraide qui va souvent bien au-delà de la famille élargie (Duval; Battaglini). Ainsi, la communauté fait en sorte que, si les femmes restent souvent à la maison, elles ne souffrent jamais d’isolement.

Dans le pays d’accueil, ces réseaux diminuent considérablement. Une étude exploratoire de Battaglini effectuée auprès de mères immigrantes en période périnatale révèle que, au-delà des origines ethniques spécifiques, l’isolement représente un élément majeur de leur expérience migratoire étant donné la taille relativement faible des réseaux familial et social et leur faible niveau de fréquentation. Ainsi, le rôle de pourvoyeur de l’homme immigrant devient non seulement déficient mais insuffisant, du moins dans les moments de crise comme lors de la venue d’un nouvel enfant : il est incité à une plus grande implication à l’intérieur de sa cellule familiale. En fait, la majorité des mères interrogées dans l’étude de Battaglini reconnaissent que leur mari s’implique davantage à la maison – autant auprès d’elles qu’auprès du bébé - , et ce, pour deux types de raisons majeures. D’abord, alors que dans le pays d’origine, la présence constante de la famille élargie autorisait le père à se consacrer exclusivement à d’autres types de responsabilités, l’immigration amène celui-ci à suppléer au soutien qu’aurait procuré le réseau naturel (en termes d’implication parentale mais aussi en termes d’échanges, d’entraide et de soutien moral et affectif à sa conjointe). Le contexte culturel québécois valorise aussi beaucoup l’implication du père alors que, dans le pays d’origine, elle y était souvent mal perçue, voire raillée, étant donné la division des rôles selon le genre, laquelle est bien ancrée dans les mentalités et les modes de vie. L’étude de Battaglini est très intéressante dans la mesure où elle montre que même si les hommes restent encore attachés à de fortes conceptions culturelles liées à leur rôle, il reste que les circonstances migratoires altèrent la complémentarité des rôles dans la famille et induisent chez eux un rapprochement (quoique limité) et un ajustement de leurs comportements auprès de leur conjointe et de leur(s) enfant(s).

Ce rapprochement assez soudain de l’homme immigrant au sein de sa famille est salutaire dans la mesure où la mère se retrouve moins seule dans une période particulièrement difficile. Cependant, il s’accompagne souvent de complication dont les effets sur les pères sont encore très peu connus. Par exemple, l’étude exploratoire de Dyke et Saucier (2000) portant sur la paternité en situation d’immigration, révèle que la redéfinition des rôles liée à la migration semble entraîner ou amplifier, chez les pères immigrants de certaines communautés culturelles, une difficulté à s’identifier à un modèle positif réel de père. Ensuite, le repartage de certaines tâches à l’intérieur du nid familial implique une négociation à laquelle les hommes immigrants sont peut préparés, négociation qui peut être vécue avec beaucoup de résistance et qui peut occasionner parfois des tensions risquant d’aboutir à de la violence conjugale (Bibeau et al.). Enfin, les pères immigrants semblent être pris dans une double contrainte entre, d’une part, assumer leurs responsabilités de répondre aux besoins économiques et matériels de la famille (travail, études, dans un contexte économique semé d’embûches). Bien sûr, ce facteur de vulnérabilité appartient souvent bien davantage à la mère qu’au père, laquelle peut être contrainte de travailler aussi, s’il y a nécessité d’un double salaire pour assurer le bien-être de la maisonnée. Cependant, on connaît mal la perception des hommes et leurs réactions face à cet accroissement de demandes. Jusqu’à présent, les recherches consacrées à l’impact de l’immigration sur les dynamiques familiales sont restées assez silencieuses sur ces questions.


* à suivre *

jeudi 27 mai 2010

L'HOMME IMMIGRANT - 3e partie

La baisse significative du statut socioéconomique du chef de famille

Les hommes immigrants arrivent au Québec souvent très éduqués. Ceci est vrai autant pour les immigrants de la catégorie « indépendants économiques » que pour les réfugiés (Renaud et Gingras). En fonction de leur âge, ils sont aussi forts d’une expérience de travail et/ou d’une expertise professionnelle. Lorsqu’ils immigrent au Québec, ils se buttent à toutes sortes de barrières qui se posent comme autant d’entraves à l’accomplissement de leur rôle de pourvoyeur économique. La conjoncture économique déjà difficile s’accompagne d’une série de mécanismes d’exclusion qui touchent plus spécifiquement les néo-québécois et limitent beaucoup leur accès à un emploi correspondant à leurs capacités : barrières linguistiques, non-reconnaissance des acquis, exigence d’une expérience canadienne, protectionnisme corporatiste, contingentement professionnel, racisme et discrimination (Langlais et al.; Drudy; Renaud et al, 2001). L’étude de Renaud et al. (2001), qui suit sur dix ans une cohorte d’immigrants admis au Québec révèle que l’insertion dans l’emploi dans les deux ou trois premières années suivant leur arrivée est marquée d’une manière générale par une plus grande instabilité et une rémunération moins élevée, comparativement aux années subséquentes. Du surcroît, après trois années d’établissement en sol québécois, près de la moitié des travailleurs immigrants (eu égard au sexe) affirment avoir un emploi moins qualifié que celui qu’ils occupaient avant leur migration quoique sept ans plus tard, cette proportion n’atteint pas les 30%. Les « immigrants indépendants » sont d’autant plus déçus que c’est justement parce qu’ils répondaient aux critères d’une insertion rapide sur le marché de l’emploi qu’ils ont été choisis par le gouvernement québécois.

Ces multiples obstacles limitant l’accès à l’emploi signifient surtout, pour le chef d’une famille immigrante, une impossibilité de faire vivre convenablement ses membres. Pour celui dont les plus grandes aspirations sont « assurer le bien-être de (sa) famille et profiter des mêmes possibilités que les Canadiens de souche » (Bibeau et al.), cette situation peut affecter profondément son identité personnelle et sociale, son estime de soi, voire son équilibre mental (Beiser et al.; Austin et Este). Même s’il travaille et comble assez bien les besoins de ceux qui dépendent de sa responsabilité, lors des toutes premières années de son installation, il est parfois contraint d’étudier tout en occupant un emploi afin d’apprendre le français ou d’obtenir les équivalences de ses diplômes. Ou encore, il doit cumuler plusieurs emplois faiblement rémunérés pour lesquels il est surqualifié (souvent dans les secteurs les plus mous de l’activité économique), ce qu’il peut vivre de manière très humiliante (Bibeau et al.). Ses nombreux engagements pour subvenir aux besoins de sa famille ne lui permettent pas toujours de consacrer assez de temps à sa conjointe et à ses enfants (Battaglini; Dyke et Saucier). Alors peuvent s’accumuler frustrations, déceptions, angoisse, insécurité, culpabilisation, qui risquent de fragiliser non seulement les hommes mais aussi l’équilibre de toute leur famille.

Cette perte de statut économique s’accompagne souvent d’une perte du statut social. Alors que dans son milieu d’origine, l’immigrant avait développé de multiples appartenances et divers liens de sociabilité en fonction de ses diverses relations sociales et professionnelles, il se retrouve, dans le nouveau pays, porter d’une identité qui ne fait plus écho chez ceux qui l’entourent. Même s’il ressent parfois le poids d’une non-reconnaissance ou d’un rejet de la société d’accueil (Abou; Langlais), il doit travailler à développer un sentiment d’appartenance et d’utilité dans ce pays où il désire s’établir. Sans l’établissement de ce lien social vital, les relations familiales risquent de s’en ressentir fortement :

« Le sentiment d’exclusion, c’est-à-dire de ne pas pouvoir prendre place dans la société, de ne pas y participer à la hauteur de son propre potentiel, est vécu par plusieurs hommes qui ont autant de malaise à trouver une place satisfaisante dans la famille. Il semblerait que moins un homme se sent intégré dans la société, plus il a de difficulté à trouver une place dans sa famille. » (Dyke et Saucier).


* à suivre *

mercredi 26 mai 2010

L'HOMME IMMIGRANT - 2e partie

La remise en question du rôle de pourvoyeur

La place qu’un homme occupe au sein de sa famille et dans la société est définie culturellement sous la forme de rôles sociaux. Selon le sociologue Guy Rocher, le rôle social consiste en « l’ensemble des manières d’agir qui, dans une société donnée, sont censées caractériser la conduite des personnes dans l’exercice d’une fonction particulière » (Rocher, 1969, p.50). Dans le cas de la famille, les membres qui la composent sont tenus d’obéir à des attentes et à des modèles précis qui définissent leurs actions conformément à la position qu’ils occupent (époux/se, père/mère, fils/fille, chef de famille). Cet ensemble de comportements et d’attitudes est en fait une adaptation à des conditions reliées au passé de la société en question (son histoire, son patrimoine culturel) mais aussi aux conjonctures d’un présent en perpétuel changement. Dans cette partie, nous tenterons de comparer les représentations des rôles familiaux masculins en vigueur actuellement dans la société québécoise avec celles par lesquelles la plupart des hommes immigrants ont été socialisés.

Ce n’est que depuis deux ou trois générations que la famille québécoise n’est plus normalisée sous le modèle traditionnel-conservateur (l’homme pourvoyeur/la femme confinée à l’espace domestique). Les divers changements sociaux du 20e siècle liés à une industrialisation massive, mais surtout l’influence des mouvements sociaux des années 1960 inspirés par un idéal de liberté et par la révolte contre le joug des normes sociales institutionnalisées – incarnées par l’autorité du père - , ont mené vers un effritement de la fonction paternelle et un repositionnement des rôles dans la famille québécoise (Dulac, 1997). Aujourd’hui, le rôle du père dans sa famille et dans la société se reconstruit à partir de nouvelles valeurs mais aussi de nouvelles réalités sociales et économiques : accès des femmes au marché du travail, désacralisation du lien marital, augmentation de la monoparentalité au féminin, chômage. Insécurité salariale, nécessité du double salaire pour le plus en plus de ménages…Ces diverses transformations sociales, économiques et culturelles ont eu pour conséquence une profonde modification des représentations des rôles familiaux en Amérique du Nord dans les dernières décennies, dans le sens d’une moins grande différenciation des rôles sexuels et des rôles économiquement partagés pour l’homme et pour la femme (Wilkie, 1993). Ainsi, La famille patriarcale s’est substituée assez rapidement à DES familles conjugales où les rapports de couple sont caractérisés par l’égalité, par la négociation et par une répartition plus équitable des tâches domestiques, des responsabilités parentales et de l’autorité. Les discours scientifiques et politiques actuels valorisent, chez l’homme, son implication dans les soins et dans l’éducation des enfants, tout en dénonçant le père absent et passif ainsi que le père strictement pourvoyeur, éloigné ou distant de ses enfants (Dulac, 1997).

C’est dans ce contexte particulier qu’arrivent les familles immigrantes issues de sociétés non occidentales, dont une part importante est régie par un système de droits et d’obligations sociales ordonnant les statuts et les rôles en fonction de l’âge et du sexe de chacun (Cohen-Emerique, 1990). Selon McGoldrick et al. (1996), chez les peuples originaires d’Asie, D’Afrique et d’Amérique latine, d’où proviennent 72% des nouveaux arrivants reçus au Québec entre les années 1996 et 2000 sur un total de 145 619 -, le patriarcat participe profondément des conduites sociales selon le genre, notamment dans le cercle intime de la cellule familiale. En général, l’homme-chef de famille est considéré comme le pourvoyeur économique et le principal garant de l’ordre moral, de l’autorité et de la sécurité dans la famille. La femme, quant à elle, a la responsabilité des tâches domestiques et du bien-être des enfants en veillant à leurs besoins de base et à leurs besoins affectifs. Cette différenciation des rôles est remise en question par la situation d’immigration vécue par les immigrants comme une transition écologique, dès lors que les conditions physiques, sociales et culturelles qui ont permis leur structuration laissent la place à d’autres (Sabatier, 1991). Une étude de Haddad et Lam (1988) effectuée auprès de 117 pères immigrants canadiens révèle qu’une proportion de seulement 12% restent réfractaires aux changements de rôles et désirent conserver intactes les structures sociales dans leur famille. Néanmoins, pour les autres, les ajustements sont dus surtout au changement des contextes socioéconomique et socio-culturel et ne s’accompagnent pas nécessairement d’un changement au plan des mentalités. Cette transformation des rôles familiaux est donc le produit de circonstances migratoires qui doivent être aussi comprises comme autant de facteurs de fragilisation pour l’homme immigrant au sein de sa famille : la baisse significative de son statut socioéconomique, l’accroissement des demandes lié à la diminution du réseau social de sa conjointe, la remise en question de son pouvoir et de l’exercice de son autorité et l’accès de ses enfants à un univers culturel différent.


* à suivre *

mardi 25 mai 2010

L'HOMME IMMIGRANT - 1e partie

Si, depuis quelques années, un champ de recherche s’est ouvert pour aborder l’homme en tant qu’être potentiellement vulnérable ayant besoin de soutien et de services spécifiques (Dulac, 2001), la question de l’homme immigrant demeure entière. Les connaissances disponibles sur ce sujet proviennent en grande partie des travaux de recherche effectués dans le domaine de l’impact de l’immigration sur les dynamiques familiales. Or, lorsque la question du genre est introduite en ce qui concerne, notamment, la réorganisation et les relations familiales, ce sont surtout les points de vue de l’épouse, de la mère ou des enfants qui sont pris en compte, dans la perspective de leur émancipation individuelle (Labelle et al., 1987; Juteau, 1991; Legault, 1993). Ces études ont l’avantage de nous renseigner sur la modification partielle des rôles et du partage des tâches au sein des ménages immigrants, ce qui nous aide à mieux comprendre les conflits qui peuvent y survenir. Cependant, il est surprenant de constater la rareté du point de vue des hommes dans ces analyses. Nous avons parfois quelques indices sur l’expérience intime du père ou du mari immigrant dans certaines des dynamiques familiales en général (Bibeau et al., 1992) ou encore dans quelques rares analyses qualitatives plus approfondies à échantillon restreint (Noivo, 1997;Hones, 1999). Ce n’est que tout récemment que des études exploratoires ont été entreprises dans le but de révéler le vécu intime de l’immigrant masculin (Austin et Este, 1999; Dyke et Saucier, 2000).

Pour Stéphane Hernandez, l’objectif est de décrire quelques éléments majeurs qui sont à la source d’une certaine vulnérabilité rencontrée par les hommes immigrants, en lien avec leur vécu familial. La démarche méthodologique a consisté à rassembler en une synthèse descriptive ce qui ressort des quelques études québécoises, canadiennes et françaises qui abordent de manière spécifique la question de la transformation du rôle masculin traditionnel chez les hommes immigrants (Haddad et Lam, 1988; Scandariato, 1993; Hammouche, 1997; Dyke et Saucier, 2000). Elle est complétée par divers travaux – en majorité québécois – touchant de près ou de loin l’impact de l’immigration sur la complémentarité des rôles ou sur les dynamiques familiales (Sabatier, 1991; Bibeau et al., 1992; Barudy, 1992; Battaglini, 2000). Cette recherche s’inspire aussi des résultats d’une activité de groupe que nous avons mise sur pied avec des pères immigrants ayant des enfants d’âge préscolaire à Montréal. Ici, l’expérience de l’homme immigrant est abordée sous l’angle de l’impact des nouveaux contextes socioéconomique et socioculturel sur la transformation du rôle traditionnel masculin dans la famille. Nous commencerons alors par situer ce rôle dans le contexte plus large de la société québécoise.


* à suivre *

lundi 24 mai 2010

COMPRENDRE L'IDENTITÉ MASCULINE 12e partie

La vie de groupe

Au fil des semaines, un noyau de participants fidèles se forme dans le groupe. Cela crée des dynamiques récurrentes, propres au groupe et aux rôles que les membres s’attribuent les uns aux autres. Par exemple, le garçon qui se montre le moins travaillant lors des activités peut devenir un bouc émissaire. Les coanimateurs ont alors à aider le groupe à articuler leurs points de vue de façon appropriée. Cela aide les garçons à parler de leurs opinions et de leurs affects et à maintenir la cohésion du groupe.

La projection du théâtre intérieur

Quand la confiance s’installe davantage entre les membres du groupe, il peut être intéressant de leur proposer de faire la projection du théâtre intérieur (adaptée du Parts’ Party, de Satir et al., 1991). Dans cet exercice, on demande à chacun d’eux de dresser une série de personnages très connus ou légendaires qui représentent quelques-unes de leurs propres caractéristiques positives ou négatives. Ensuite le groupe choisit une des séries de personnages parmi les séries que certains participants ont partagé avec le groupe. L’auteur des personnages dont il est question choisit alors des membres du groupe pour incarner ses personnages et procède ensuite à la mise en scène d’une situation impliquant tous les personnages, telle que l’écrasement d’un avion à bord duquel les personnages étaient passagers. À la fin de la mise en scène (qui peut être vidéographiée pour visionnement ultérieur par le groupe), l’auteur demande à chaque personnage de se présenter à lui par son nom de personnage et par la caractéristique qu’il représente, puis de dire qui pourrait incarner selon lui l’opposé de cette caractéristique.

Cet exercice donne aux participants l’occasion d’explorer certaines de leurs figures internes en interaction avec les figures internes d’autrui. Cela facilite l’expression affective et l’intégration plus riche et plus souple de ces figures dans leurs psychés.

Conclusion

L’adolescence est un défi d’initiative. Comme Œdipe, chaque garçon doit résoudre les énigmes qui l’interpellent. Blos (1979) décrit l’adolescence comme un passage. Aujourd’hui, il y a peu de rituels pour guider les adolescents à travers ce passage. Si chaque garçon est le héros de sa propre histoire, il est indiqué de l’épauler sur son chemin. Les groupes de pair peuvent être un atout en ce sens, particulièrement lorsqu’ils sont appuyés par un modèle d’animation qui fait la promotion de l’épanouissement personnel.

dimanche 23 mai 2010

COMPRENDRE L'IDENTITÉ MASCULINE 11e partie

Le dessin du père : un défi d’initiative

Pour faire appel au mode interactionnel des garçons, fondé davantage sur l’action que sur l’expression verbale, ainsi qu’à leur esprit compétitif et leur besoin de vie de groupe, L’Oiseau de feu a recours à une formule de défis d’initiative (traduction de initiative challenges), adaptée à partir d’activités développées par la commission scolaire de la Beauce-Etchemin dans leurs groupes père-fils (Enjeux, 2001).

Dans L’Oiseau de feu, le défi d’initiative sert d’agent motivateur pour encourager les participants à échanger sur des thèmes portant sur l’adolescence masculine. « Le dessin du père », une des activités proposées par L’Oiseau de feu, est un bon exemple, d’un tel défi d’initiative. Les garçons sont organisés en deux équipes. Chaque équipe a à relever le même défi : ils forment l’équipage d’une navette spatiale naufragée sur une planète lointaine habitée par des êtres semblables aux humains. Le jour du naufrage est la fête des pères chez ces « extraterrestres ». Ces derniers invitent les astronautes à dessiner des images qui représentent ce qu’est un père sur la planète Terre. Puisque les extraterrestres se méfient des astronautes, ils les attachent deux par deux à la cheville.

Chaque équipe se met alors à fabriquer une immense bannière à partir de bristol et de ruban adhésif. Ils discutent et dessinent puis, une fois qu’ils ont terminé, doivent accrocher leur bannière au mur du gymnase en grimpant dans les échelles, toujours attachés deux par deux à la cheville. Ils ont un temps limite pour faire tout cela. L’équipe avec le plus d’images gagne, mais l’équipe adversaire a le droit d’argumenter la non-pertinence de certaines images et tenter ainsi d’invalider ces images. Ceci donne lieu à des échanges enthousiastes.

Une discussion suit chaque défi d’initiative. La discussion porte autant sur le sujet du défi que sur les dynamiques de chaque équipe. Afin de promouvoir l’apprentissage d’un vocabulaire affectif, les garçons sont encouragés à se référer à des totems, inspirés des cultures autochtones nord-américaines, qui représentent des valeurs et des attitudes : l’aigle pour le leadership et l’initiative ; le bufle pour l’esprit d’équipe et la persistance ; l’écureuil pour l’imagination et l’esprit ludique ; l’ours pour l’affirmation de soi et l’auto-contrôle. Ces totems forment un vocabulaire imagé, concret et transitionnel. Il s’agit de médiateurs qui permettent aux jeunes de parler d’affects sans pour autant se sentir trop vulnérables.

L’avantage d’un défi d’initiative comme celui-ci c’est que les garçons échangent beaucoup entre eux sur le thème en question (en l’occurrence, le rôle du père) sans s’en rendre compte et donc sans trop se retenir. Avec l’aide des animateurs, cela les emmène à une exploration et à une intégration de leurs vies intérieures, enrichissant ainsi leurs identités masculines. Ils apprennent aussi à mieux fonctionner en groupe et à échanger sur les dynamiques d’équipe, ce qui leur permet d’améliorer leurs capacités sociales.


* à suivre *

samedi 22 mai 2010

COMPRENDRE L'IDENTITÉ MASCULINE 10e partie

Le comment faire

Le groupe est animé par un homme ou coanimé par deux hommes ou un homme et une femme. Quand les garçons arrivent, les animateurs leur disent qu’il s’agit d’une occasion de participer à des activités amusantes qui leur permettront d’explorer ce que c’est d’être un gars. On leur dit qu’ils peuvent dire ce qui leur passe par la tête, que presque tout sera considéré comme pertinent et significatif (Malekoff, 1997). L’objectif est de dissoudre le mur de honte qui les sépare de leurs propres affects. Au fur et à mesure que se dissout le mur, ils refont connaissance avec ces affects, découvrent leurs sens et se les réapproprient de manière à ne pas les percevoir comme des menaces à leurs masculinités.

Les reflets, reformulations et autres interventions des animateurs approfondissent l’échange herméneutique. Les dynamiques de groupe y sont aussi pour beaucoup. En plus, d’exprimer leurs propres idées et affects, les participants témoignent des autres qui s’expriment de façon masculine, dans des corps masculins et avec un langage non verbal masculin. Ils ont l’occasion de constater qu’il est possible d’exprimer une grande gamme de pensées et d’affects sans que cela ne soit catastrophique pour leurs masculinités. Ce vécu est assimilé comme autant de manières d’être un gars.

Ces phénomènes de miroir et de modelling se produisent également vis-à-vis des animateurs masculins. Quand il s’agit d’un modèle avec une coanimatrice, la présence d’une femme peut parfois inhiber l’expression des participants, surtout en ce qui concerne les propos sexuels. Par contre, cela procure aux participants l’occasion de voir une relation homme-femme où règne la coopération et de s’habituer à parler de leurs affects en présence d’une femme (Meuner et Roy, 2000). En fait, certains garçons réagissent de façon positive à la présence maternelle d’une coanimatrice. Une coanimation homme-femme permet aussi la reproduction du triangle oedipien au sein duquel le garçon peut cheminer de la mère vers le père sans pour autant perdre la disponibilité de la mère.

Il arrive parfois que l’animateur adopte un rôle plus féminin et maternel et que l’animatrice assume un rôle davantage masculin et paternel. Par exemple, l’animateur peut se pencher sur la facilitation de la verbalisation des affects pendant que l’animatrice s’occupe de maintenir l’ordre et la discipline au sein du groupe. Ceci permet aux participants d’observer la flexibilité des rôles sexuels.

L’Oiseau de feu ne propose pas de recettes quant à l’identité masculine. Les participants suivent leurs propres chemins et en arrivent à leurs propres conclusions. Le modèle est donc heuristique.


* à suivre *

vendredi 21 mai 2010

COMPRENDRE L'IDENTITÉ MASCULINE 9e partie

Le Thunderbirds Boys’ Group

Lancé au début de l’année scolaire 1996-1997, le Thunderbirds Boys’ Group vise à soutenir la consolidation de l’identité masculine adolescente sur une trajectoire saine et non-violente. Il a élu domicile à l’Académie LaurentHill, l’école secondaire publique anglophone de Saint-Laurent, une banlieue urbaine de Montréal composée de plus de quarante ethnies.

À l’origine, un remue-méninges d’une heure offert une seule fois, aux garçons seulement, dans les cours de morale, le Thunderbirds Boys’ Group était une activité hebdomadaire se déroulant pendant l’heure du lunch sur une base volontaire. Il s’agissait d’un modèle ouvert et continu, qui ciblait les garçons en secondaire 1 et 2, généralement âgés de 12 à 14 ans.

La prémisse est que les adolescents masculins bénéficieraient de l’occasion d’échanger entre eux sur leur vie intérieure. Cela faciliterait leur intégration psychique et améliorait leurs compétences sociales. Mais si les garçons parlent si peu entre eux, comment les aider à échanger ?

L’oiseau de feu

Le Thunderbirds Boys’ Group s’inspire de l’Oiseau de feu, un modèle d’intervention de groupe pour adolescents masculins (Plouffe, 2001-A, 2001-B). L’Oiseau de feu n’est pas un livre de recettes. Le modèle prend souche dans une solide compréhension de la psychodynamique de l’identité masculine et de l’adolescence masculine. Il se déploie à travers une approche et une attitude de la part des animateurs qui permettent aux garçons de parler sans honte, de réfléchir, de cerner le sens de leurs dires, de travailler ensemble, de faire un effort soutenu puis de comprendre les conséquences de leurs pensées, de leurs émotions et de leurs gestes.


* à suivre *

jeudi 20 mai 2010

COMPRENDRE L'IDENTITÉ MASCULINE 8e partie

Les groupes de pairs pour adolescents : au-delà du vestiaire

Il n’y a pas une pénurie de groupes pour adolescents masculins. Au Québec, presque chaque communauté a ses équipes de hockey, de soccer et de baseball. Les garçons se rassemblent spontanément dans les cafétérias d’école, les autobus et les centres d’achats. Les garçons se rassemblent depuis la nuit des temps. C’est en fait une des caractéristiques de l’adolescence masculine que de cultiver entre eux un sentiment d’appartenance et de loyauté (Erikson, 1968).

Les garçons vivent beaucoup de choses à travers ces expériences de groupe. Selon Michèle Montrelay (citée dans Dumas, 1990, p.31), le groupe de pairs représente d’abord pour eux le corps de la mère : accueillant et acceptant. Ensuite, quand le groupe se dote d’une hiérarchie, il représente davantage le corps du père : un galon qui les aide à se mesurer, un jalon qui les aide à se situer.

Quoique les activités de groupe traditionnelles des adolescents leur transmettent des valeurs et des habiletés sociales (certaines positives, certaines négatives), un observateur averti remarquera que les propos abordés au sein de tels groupes ne touchent que peu aux émotions au-delà de l’expression d’une gamme affective plutôt étroite. Les adolescents se côtoient entre autres pour trouver refuge face à la confusion créée par l’identité masculine. Toutefois, les dynamiques de leurs personnalités et du groupe, conditionnées et restreintes jusque-là par ses limites de leur développement psychosocial, ne facilitent pas nécessairement l’émergence d’une identité masculine qui intègre toutes les facettes de leur être. Ils ont besoin de quelque chose au-delà de la simple occasion d’agir et de se parler.


* à suivre *

mercredi 19 mai 2010

COMPRENDRE L'IDENTITÉ MASCULINE 7e partie

Le père absent

Qu’en est-il du garçon sans père ou dont le père occupe peu de place dans sa vie ? Son identité masculine est-elle vouée à l’échec présagé par le titre bien connu, Père manquant, fils manqué (Corneau, 1989) ? Force est de croire qu’un garçon peut être en contact avec des figures paternelles autres que son père biologique et peut à la rigueur porter en lui-même une figure paternelle composée de représentations d’hommes et du travail de son imagination.

Les nouvelles formes de vies familiales

Le rôle paternel tel que défini par la grille psychanalytique se limite-t-il aux personnes de sexe masculin ? Est-il possible, par exemple, de trouver au sein d’un couple lesbien une figure paternelle ? Ces questions débordent du cadre du présent article, mais il demeure tout de même pertinent de souligner l’importance de telles questions dont les réponses pourraient témoigner de la grande capacité d’adaptation de l’esprit humain.

La vie sexuelle

C’est à l’adolescence ou au début de la vie adulte que le jeune tente de s’approcher des filles ou des femmes de façon sexuelle. Il revient alors, en réalité et en fantasmes, vers un corps différent du sien et du même sexe que celui de sa mère. Ce mouvement peut être vécu comme régressif et anxiogène par le jeune, qui risque de l’associer à une fusion avec la mère. De là, la tendance chez certains jeunes de fanfaronner par rapport à leurs conquêtes sexuelles, afin de chasser de leur esprit toute connotation fusionnelle.

Autant que le mouvement peut être vécu comme régressif, autant peut-il avoir un potentiel libérateur et transformateur, permettant au jeune de projeter sur l’objet de son désir sa propre féminité, puis de faire preuve de tendresse et de sollicitude envers cette féminité, qui lui revient ainsi enrichie sous forme d’introject.


* à suivre *

mardi 18 mai 2010

COMPRENDRE L'IDENTITÉ MASCULINE 6e partie

L’anorexie projective

Dans la mesure où il étouffera le féminin en lui, où il refusera de le nourrir ou de s’en nourrir, nous pouvons parler d’anorexie. Les stéréotypes masculins dont il tente de s’alimenter manquent de substance et sont même toxiques. Il s’agit d’une nourriture incomplète pour l’identité masculine, car dépourvue d’éléments féminins qui lui permettaient d’être en relation avec toutes les facettes de lui-même et faciliteraient ses relations avec les femmes en lui permettant de s’y identifier (Jung, 1951). Sans contact avec son intérieur féminin, l’adolescent ne peut le projeter sur les filles ni sur les femmes, ce qui pose obstacle à sa capacité d’empathie vis-à-vis d’elles.

Inconsciemment, cette anorexie, ou le refus de nourrir et de se nourrir de son féminin, peut être difficilement tolérable, car la féminité du jeune ne cesse de surgir puis de s’imposer et la restriction de cette féminité est mutilante pour lui sur le plan identitaire. La souffrance qui s’ensuit peut mener à une projection de cette anorexie sur les filles et sur les femmes dans un processus d’anorexie projective (Plouffe, 2002). L’adolescent projette sur elles sa féminité persécutée qu’il considère comme inacceptable, et oriente la restriction de cette féminité vers elles. Ainsi, un jeune peut en venir à exprimer des commentaires désobligeants à l’égard des rondeurs et de la sensibilité émotionnelle des filles et des femmes de son entourage. Cela peut même se produire à l’échelle collective des sociétés, telles que la société nord-américaine, qui ne valorisent pas le féminin.

La présence d’une figure masculine positive, surtout d’un père, peut contrer ce phénomène en fournissant à l’adolescent un modèle d’homme qui a réussi à intégrer ses aspects féminins sans que cela ne détruise sa masculinité, mais, au contraire, en faisant en sorte que cela complète sa masculinité. Le jeune peut voir en lui, de par son gestuel, sa voix et ses formulations, un homme qui a assimilé ses qualités féminines et les exprime en homme. Ce phénomène de modelling peut aussi se produire entre pairs adolescents.



* à suivre *

lundi 17 mai 2010

COMPRENDRE L'IDENTITÉ MASCULINE 5e partie

L’adolescent et le père

Toutefois, dans le retour de la dynamique oedipienne, le garçon a beaucoup plus de besoin face au père que face à la mère. Il a besoin de se mesurer à son père, de rivaliser avec lui, afin de tester ses propres capacités en tant que mâle. Il a besoin d’être vu comme un homme par son père, afin d’être confirmé dans sa masculinité. Il a besoin de regarder avec son père, dans la même direction, et de voir les choses de la même façon, afin d’expérimenter davantage la complicité masculine et d’adhérer au modèle d’homme que lui propose son père (Delisle, 2000). Il a aussi besoin de regarder sans son père, de voir les choses à sa façon et autrement que par les lunettes paternelles, ce qui peut être facilité par la fréquentation de groupes de pairs masculins. Comme l’affirmation Olivier (1980 p.67), il doit aussi passer de « l’être-comme » (identification) à « l’être-soi » (identité).

Il y a donc une polarité relationnelle dans le lien père-fils, c’est-à-dire que leur relation est à la fois sympathique et antagoniste. Si l’adolescent persiste trop dans le rôle antagonique, dans le refus de l’héritage paternel, et ce, au-delà de la rébellion normale (Erikson, 1959), dû à la perturbation de l’attachement père-fils, son identité masculine peut être carencée et le passage au manhood compromis. L’absence du père ou d’une figure masculine adulte positive peut amplifier cette défiance. Consciemment ou pas, l’adolescent vit du ressentiment envers le père absent, qu’il projette sur les figures d’autorité homme ou femme. Cette défiance amplifiée est aussi un appel à l’aide, en ce sens que le jeune tente de provoquer la paternité chez les figures d’autorité hommes ou femmes et d’évoquer ainsi le père.

Qui plus est, l’absence du père ou d’une figure masculine positive peut mener à un sentiment d’inadéquation chez le jeune, qui en vient à se dire, « Je ne mérite pas un père ». L’absence du père peut être compensée chez l’adolescent par le développement d’un surmoi tyrannique qui persécute son féminin intérieur, exacerbant ainsi la différenciation sexuelle par la complémentation. L’adolescent aura donc encore plus tendance à se définir comme homme en s’opposant non seulement aux femmes, mais en se coupant aussi de son féminin intérieur, car toute féminité sera perçue comme une menace à son identité sexuelle masculine et comme un risque de fusion avec la mère.



* à suivre *

dimanche 16 mai 2010

COMPRENDRE L'IDENTITÉ MASCULINE 4e partie

L’adolescent et la mère

L’adolescent est ambivalent face à la mère. Il persiste chez lui une quête de la fusion avec elle, issue d’une anxiété de séparation, ainsi qu’une fuite de cette fusion, amorcée par son besoin d’individuation. La quête de la fusion maternelle est liée à la peur de la vie, la peur d’être un individu (Rank, 1929-1931). Cette quête peut mener à une inhibition identitaire, ce qu’Erikson (1968) nomme « rôle fixation ». La fuite de la fusion maternelle part d’une anxiété d’annihilation, ou de la peur de la mort et de ne plus être un individu (Rank, 1929-1931). Quand elle est modérée, cette fuite peut mener à la consolidation identitaire, ce qu’Erikson (1968) nomme « role experimentation ».

Dans les sociétés tribales, les garçons passent de l’enfance à l’âge adulte par le truchement de rites initiatiques (Campbell, 1949). On leur fait grâce de l’adolescence. Ces rites sont menés par des mâles adultes et ont pour but de rompre le lien entre le garçon et la mère, afin qu’il puisse entrer dans le monde des hommes.

Dans notre société, le passage au monde des hommes est censé se faire de façon définitive au cours de l’adolescence. L’adolescent qui se retrouve sans rites pour l’encadrer, ni père, ni figure paternelle pour l’épauler, risque d’éprouver de sérieuses difficultés lors de ce passage. De plus, sans père ni figure paternelle, il lui est difficile d’avoir recours à l’oedipe. Or, le retour de la dynamique oedipienne est un mécanisme qui répond très bien aux besoins d’individuation et d’identification sexuelle du garçon. Il s’agit toutefois d’un mécanisme complexe, comportant plusieurs éléments.

D’abord, on y retrouve le désir de la mère, surtout inconscient, porté sur la lame de fond de l’afflux hormonal et de la fébrilité sexuelle qui s’ensuit. Le désir de la mère est anxiogène, car elle entraîne le garçon vers la fusion maternelle qui représente la mort de son individualité. Le désir de la mère mène au besoin chez le garçon d’être vu par elle comme un mâle qui peut être sexuellement désirable, sans qu’elle le désire sexuellement.


* à suivre *

samedi 15 mai 2010

COMPRENDRE L'IDENTITÉ MASCULINE 3e partie

Les attitudes envers les masculinité et féminité
Le attitudes des parents envers la masculinité et la féminité sont des facteurs psychosociaux de risque et de résilience pour l’identité masculine (Pollack,1998 ;Cyrulnik,1989). Ces attitudes peuvent soit contribuer à la promotion d’une identité masculine saine chez le garçon, soit nuire au développement de son identité sexuelle. Par exemple, quelle est l’attitude de la mère envers la masculinité ? Du côté du père, est-ce qu’il trouve cela bien d’être un homme, un père ? La mère a-t-elle des croyances rigides sur ce que c’est d’être un homme ? Quelles sont les attitudes du père envers la féminité, la mère ? Comment la mère parle-t-elle du père à l’enfant ? Comment le père voit-il son propre père ?

Nous pouvons nous poser les mêmes sortes de questions par rapport aux figures de l’entourage, telles que la parenté, les voisins et les amis de la famille. Il est important aussi de tenir compte de l’organisation sexuelle des contextes social et culturel du garçon, à savoir la façon dont la culture et la société d’appartenance du garçon définissent la masculinité et la féminité. Le fait que l’environnement signifie le père a aussi beaucoup d’impact. Par exemple, à travers le biais de sa nomenclature, le réseau sociosanitaire qualifie régulièrement une famille où le fils vit avec sa mère et voit son père les fins de semaine de « famille monoparentale » (Gaudet et Devault, 2001). Pourtant, il y a deux parents dans ce portrait-là.

Le retour de l’oedipe
Lors du retour de l’oedipe, à l’adolescence, le rôle paternel de contrainte à la fusion mère-fils s’avère une source de réconfort pour le garçon, qui doit composer avec la lourde tâche d’assimiler sa sexualité génitale et l’image corporelle qui s’ensuit (Laufer, 1968). Le père incarne le tabou de l’inceste (Freud, 1933 ; Corneau, 1989 ; Cyrulnik, 1989 ; Cournut, 1997) et représente ainsi un pilier auquel l’adolescent peut s’accrocher afin de ne pas sombrer dans la relation symbiotique avec la mère, ce qui l’anéantirait en tant que mâle et en tant qu’individu. D’autre part, la figure paternelle sert de repère pour permettre au garçon de poursuivre son individuation de la mère et son identification au masculin. Étant donné son apport potentiel à la consolidation de l’identité masculine, il serait peut-être plus approprié de parler de dynamique oedipienne au lieu de complexe d’Œdipe.


* à suivre *

vendredi 14 mai 2010

COMPRENDRE L'IDENTITÉ MASCULINE 2e partie

Qu’est-ce que l’identité masculine ?
La masculinité varie d’une culture à une autre (Mead, 1928) et d’un individu à l’autre. L’identité masculine doit nécessairement s’échapper de la rigidité d’une description définitive saine, on peut avancer qu’il s’agit d’un certain équilibre entre les aspects masculins et féminins sur le plan intrapsychique (Jung, 1951) qui se traduit par des relations interpersonnelles harmonieuses avec les deux sexes. Bien entendu, aucun homme n’est parfaitement conforme à cet idéal. Mais cela ne l’empêche pas d’y aspirer afin de se sentir mieux dans sa peau. Dans cette page, il ne sera question que d’identité masculine hétérosexuelle et issue de la culture occidentale dominante, car les questions d’identités masculines homosexuelles et interculturelles déborderaient du présent cadre. De plus, les concepts des qualités masculines et féminines dans cet article se limitent aux concepts propres à la culture occidentale dominante.

Outre-mère

Le garçon ne passe pas instantanément du ventre maternel au monde « outre-mère » ou au-delà d’elle. Issu de la fusion intra-utérine, il vit, lors des premières semaines qui suivent la naissance, une sorte de prolongation de cet état fusionnel. Du creux de la symbiose mère-fils, le garçon ne se différencie d’elle que tout doucement. Il a d’abord recours à la complémentation sexuelle, plutôt qu’à l’identification sexuelle (Bureau, 1998). Pour la fille, sa relation avec sa mère est à la base d’une identification à son propre sexe (Olivier, 1980). Pour le garçon, sa mère représente en partie une inversion du rôle de mâle qu’il aura à assumer.

Afin de réaliser son identité masculine, le garçon doit prendre certaines distances face à la mère. En ce sens, la proximité de la mère peut être menaçante à son identité masculine (Olivier, 1980). Parallèlement, il a besoin de sa mère et y est attaché au point de ressentir de la nostalgie pour le paradis perdu de l’état fusionnel (Pollack, 1998).

La honte
La honte est un sentiment particulièrement masculin (Pollack, 1998 ; Osherson & Krugman, 1990). Selon Haviland & Malatesta (1981), dès les premiers mois de la vie, les garçons sont non seulement plus expressifs que les filles, mais reçoivent de la rétroaction positive surtout pour l’expression d’affects positifs, ce qui n’est pas le cas pour leurs consoeurs. Les garçons apprennent donc assez rapidement à taire en eux les affects plus négatifs, telles que la tristesse et l’angoisse (pas la colère, par contre). On encourage aussi les garçons, dès les premières années, à se séparer de la mère et à prendre leurs distances du monde féminin (Pollack, 1998, p.11).

Ceci suscite chez le garçon un profond sentiment de honte face à ses affects négatifs et face à sa propre féminité. Il en vient d’ailleurs à associer ses affects négatifs à son féminin intérieur. La honte le détache de ces facettes de lui-même et du même coup les cachent du monde extérieur (Lee, 2000,p.18). Le garçon subit par conséquent une grande solitude affective et une vie intérieure mutilée. Il peut en venir à construire son identité masculine comme un « faux soi » (Winnicott, 1960) afin de répondre aux attentes de son environnement plutôt qu’à ses propres besoins psychiques.


* à suivre *

jeudi 13 mai 2010

COMPRENDRE L'IDENTITÉ MASCULINE 1e partie

Pour Jean-Pierre Plouffe, la trajectoire de l’identité masculine comme celle de l’identité feminine est ponctuée d’étapes psycho-développementales qui sont autant de configurations relationnelles proposant à l’homme ou à la femme d’autres dimensions de sa masculinité ou de sa féminité. L’identité sexuelle est rarement consolidée une fois

pour toute. Elle évolue d’habitude, si ce n’est qu’en termes d’ajustements subtils, tout au cours de la vie. L’adolescence est une étape critique. Cet article explore les dynamiques inhérentes au développement de l’identité masculine adolescente selon la théorie psychanalytique des relations d’objets. De plus, il esquisse des dynamiques dans l’intervention de groupe auprès d’adolescents masculins sur la question de l’identité masculine.

Qu’est-ce que l’identité ?

Ce sont surtout les théoriciens de la psychologie du moi qui se sont penchés sur la question de l’identité (Hartmann, 1950 ; Erikson, 1959, 1968). Hartmann (1950) préconise l’usage du terme « self-representation » pour dénoter l’objet investi par la libido dans le narcissisme. Erikson (1968, p.50) fait la distinction entre une identité perceptuelle (« personal identity ») et une identité consciente (« ego identity »).

L’identité aurait à la fois une qualité de permanence qui maintient un sentiment de continuité chez l’individu à travers le temps et l’espace, ainsi qu’une qualité ponctuelle permettant à l’identité d’être plus ou moins colorée par les contextes relationnels dans lesquels se retrouve l’individu d’un moment à l’autre (Wheeler, 2000). Il serait donc opportun de parler d’identité en termes de représentations de soi qui peuvent s’inscrire dans une structure ou dans un processus et qui peuvent être plus ou moins conscientes. Un dérivé des relations objectales, l’identité est un facteur critique au sein des relations interpersonnelles.

En somme, l’identité serait composée des variables suivantes, qui s’inspirent largement des définitions de l’identité qu’avance Erikson (1968) :
- Les représentations que la personne fait de soi (auto représentations de soi) ;
- Les représentations que la personne fait des représentations d’elle qu’ont les autres ;
- Les rôles sociaux qui sont proposés à la personne ;
- Les rôles sociaux que la personne adopte.

* à suivre *

mercredi 12 mai 2010

DIFFICILE D'ÊTRE HÉTÉROSEXUEL 2e partie

On ne peut pas ne pas signaler deux témoignages remarquables tous deux pour des raisons différentes. D’abord, celui de Thomas Trahant sur l’homosexualité. On sait peu de choses sur le comportement homosexuel. On le voit de loin. On l’imagine surtout et les stéréotypes abondent. L’auteur nous propose donc quelques « portraits » très sensibles et qui ne cachent aucunement ce qui paraît être une banalité dans le monde homosexuel masculin : la multiplicité de l’aventure sexuelle. Mais ce n’est pas tout. On y voit que l’homosexuel masculin s’interroge lui aussi sur sa nature. On le voit chercher des « types » possibles, viables. Puis, le témoignage de Marc Chabot, professeur de philosophie à Québec. Son interrogation est, dans un sens, plus tragique parce qu’il représente l’hétérosexuel masculin majoritaire. Comment l’hétérosexuel peut-il se définir au sein de ce brassage social dont il est le témoin et parfois la victime? Comment résister aux assauts de l’homosexualité, du féminisme…et des autres hétérosexuels qui ne tiennent pas tellement à se poser de questions? Dans une entrevue qu’il a accordée à Marc Chabot, il lui a raconté cette histoire assez révélatrice. Il a prononcé une conférence devant les Gais de l’Université Laval. Le lendemain, participant à une joute de hockey, ses coéquipiers, fort gênés, lui ont demandé s’il était « viré gais ». Mais non! Il n’était pas viré gai. Il acceptait simplement de parler, de se mettre en situation de comprendre et, surtout, de se comprendre.

Plus général est le bel article « lacanien » de Patrick Valas sur la sexualité de l’homme en général. Il se pose la question de savoir si cette nature sexuelle masculine est semblable à la nature féminine. Faisant sienne l’idée de Lacan, Patrick Valas postule une sexualité masculine « perverse ». Il écrit : « La perversion est bien un mode d’exercice du désir où se manifestent toutes les passions humaines, avec leurs nuances, de la honte au prestige, de la souffrance à l’héroïsme… » Il y a beaucoup à dire sur ce sujet. On ne se gêne pas d’ailleurs. C’est pourtant là un domaine du spécialiste qui, lui-même, n’y retrouve pas toujours son latin. Mais il en faut.

Ce petit livre a malheureusement ses propres limites. L’hétérosexualité mâle a imposé son discours durant de nombreux siècles, pour le meilleur et pour le pire. Elle a occulté tout autre discours ou à peu près. L’hétérosexualité masculine serait-elle un « genre épuisé »? On aurait dû traiter de cette question. D’un autre côté, il y a beaucoup de théories dans ces textes et pas beaucoup de choses pratiques. Changer? Très bien! Comment? Si l’on excepte les deux témoignages que j’ai cités, remarquables justement à cause de ça, il n’y a pas grand-chose de concret là-dedans. Quelques statistiques des changements réels (place de la femme dans le marché du travail, évolution de la loi concernant la pratique sexuelle, etc…) n’auraient pas fait de mal.

Les sexes de l’homme participe d’une prise de conscience collective très difficile, surtout pour les hétérosexuels mâles. Cela, il ne faut jamais l’oublier, ni en rire. Il n’est pas toujours facile d’être femme, il n’est pas toujours facile d’être homosexuel. Il n’est pas facile non plus d’être hétérosexuel mâle.

mardi 11 mai 2010

DIFFICILE D'ÊTRE HÉTÉROSEXUEL

Non, ce n’est pas facile d’être hétérosexuel, dites-vous?

C’est ce que nous apprend Jean Basile et citant le livre « Les sexes de l’homme » de Geneviève Delaisi que depuis que les « rôles sexuels ont été remis en question, il y a eu bien des interrogations et peu de réponses. C’est que le champ de la sexualité considérée dans ses rapports avec l’autre est un domaine difficile à cerner, piégé de toutes parts. C’est là, en effet, où l’être humain éprouve sa complexité. C’est là où il découvre son angoisse.

Mais, lentement, des lignes directrices émergent qui permettent de mettre un peu d’ordre dans cette jungle toujours à explorer. Dans un petit livre parfois remarquable, Les Sexes de l’homme, la préfacière, Geneviève Delaisi de Parseval, dégage les deux axes principaux qui ont presque forcé les mâles hétérosexuels à réévaluer leur identité profonde : le féminisme et l’homosexualité masculine. Le féminisme, parce que le mâle hétérosexuel s’est vu soumis à un désir qui ne passait plus par ses propres fantasmes mais bien par les fantasmes de sa ou ses partenaires. L’homosexualité, parce que l’homosexuel masculin au-delà de toutes ses marges, vit, selon le mot de l’historien des mentalités. Philippe Ariès, « une sexualité à l’état pur, et par conséquent, une sexualité pilote ».

Ces deux assertions, si brutales, sont certainement choquantes. Peu d’hommes hétérosexuels y réagiront positivement. Quoi! Les «p’loves » et les « fifs » vont nous donner des leçons! Il semble que cela soit pourtant vrai, étant entendu qu’il ne faut pas mélanger ce que l’on voit aisément du féminisme et de l’homosexualité masculine (la démarche politique radicale, le terrorisme intellectuel ou émotif) et une réalité plus profonde…que ne connaissent pas toujours la féministe et l’homosexuel, pris eux-aussi, dans la ronde des apparences et des futilités.

L’avantage de ce petit livre est sa clarté. Il ne tombe jamais dans la polémique ou la simplification à outrance. Il y a donc quelques témoignages, puis un peu de physiologie, puis un peu de physiologie basée sur une clinique. Chaque texte arrive à sa place, explique, détruit un petit mythe au passage. Tous montrent que la question est chaude, que l’hétérosexuel masculin, lui aussi, est encore la victime de préjugés. Celui de la masturbation, par exemple, le « vice » par excellence des vieux collèges classiques, que le pape condamne encore, dont l’on sait pourtant aujourd’hui qu’elle est sinon innocente, inévitable du moins.


* à suivre *

lundi 10 mai 2010

LA FABRICATION DU MÂLE - 13e partie

CONCLUSION

La culture masculine est un monde de force, de courage, de bravoure, de détermination et de victoire. Cet univers est peuplé de rois, de princes, d’amants magnifiques, de héros, de magiciens, de chevaliers superbes et d’athlètes (Nantel, 1998). Il est aussi hanté par la solitude, par la coupure du lien ainsi que par la peur de la vulnérabilité, de l’échec et de la honte.

La solitude des hommes comme un aspect central de leurs difficultés, favorise le développement de plans d’intervention davantage pertinents en ce qui touche les individus, les groupes, la relation d’aide est porteuse de valeurs, d’attitudes et d’orientations qui peuvent amplifier l’isolement masculin. Une vision de la pratique, considérant les diverses institutions et les communautés. L’intervention sociale auprès des hommes est essentiellement une question de liens car elle questionne l’image associée aux rôles masculins ainsi que les rapports sociaux basés sur l’individualisme, la productivité et les valeurs patriarcales dominantes.

L’approche structurelle utilise les mêmes techniques d’intervention avec lesquelles tout intervenant social formé à « l’école du féminisme » est familier. Elle sensibilise à préserver une ouverture d’esprit pour l’ensemble des populations et tient compte des diverses relations de pouvoir et des multiples sources idéologiques d’aliénation qui affectent les relations entre les hommes de diverses masculinités à être plus près d’eux-mêmes, plus près des autres et de leurs collectivités au-delà des autres et de leurs collectivités au-delà des visions stéréotypées, des dogmes et des idéologies dominantes, dualisantes et aliénantes.

dimanche 9 mai 2010

LA FABRICATION DU MÂLE - 12e partie

a) Intervenir sur les liens « homme et réseaux-sociaux »

Il apparaît clairement que les normes de conduite masculines et le processus de socialisation donnent la priorité à une identification centrée sur des rôles prescrits et hiérarchisés laissant peu de place à la sensibilité. Une intervention auprès des hommes peut remettre en question les valorisations, les contraintes et les inconvénients de devoir se conformer à des rôles restrictifs. L’homme peut devenir un agent de changement visant à se définir, à redéfinir ses rôles et ses relations.

La reconnaissance des composantes structurelles pourra faciliter le partage en groupe. Les rencontres de groupe permettent de faire les liens entre l’idéologie dominante, les rôles traditionnels actualisés, la socialisation masculine, les conditions de vie, les difficultés vécues et les définitions des problèmes masculins. Il importe de rappeler que la participation à un groupe peut être un processus long et exigeant qui ne correspond pas à toutes les situations, ni à tous les types masculins.

Conscientiser le client à l’oppression qu’il subit et/ou qu’il a appris à subir est aussi un objectif particulièrement pertinent à l’approche structurelle. Il ne s’agit pas d’imposer son système de valeurs ou sa vision personnelle mais plutôt de tenter de trouver des éléments de solution, de générer des optiques nouvelles qui sont susceptibles de donner un peu d’espoir….(Lévesque et al., 1985, p.422).

L’homme qui est généralement isolé peut également apprécier la possibilité de développer des habiletés relationnelles au-delà de la performance et de la compétition. L’intervention favorise la pratique du lien de collaboration et la réalisation d’une affirmation réciproque. Il est aussi possible de cultiver l’implication au sein de réseaux d’amitiés, d’activités de groupe et familiales pour briser l’absence de lien.

d) Intervenir sur les liens « homme et société »
Selon certaines visions, intervenir afin d’améliorer le lien des hommes avec leur société peut sembler incongrue. Malgré le rôle masculin conservateur de responsable de la sphère publique, il nous semble que la grande majorité des hommes, marginalisés ou non, se sentent davantage l’objet des forces socio-politico-économiques qu’un sujet de la transformation et de l’évolution de leur collectivité.

L’intervention sociale auprès des hommes devrait reconnaître la diversité des masculinités et aider les hommes à déterminer l’impact qu’ont les valeurs sociales, culturelles et politiques dominantes sur leur vécu personnel et sur leurs relations. Elle peut également aider les hommes à sortir de leur isolement et favorisant le développement de solidarités et encourageant les hommes à participer activement à leur collectivité en fonction de la diversité des besoins, valeurs, intérêts et aspirations. Il peut s’agir aussi bien de bénévolat et d’implication dans des mouvements sociaux que de participation à des activités de loisir, d’éducation, de création et de spiritualité sans pour autant se limiter aux sphères traditionnellement considérées masculines ni en survalorisant le travail et la productivité.

Au plan social, il est nécessaire de valoriser l’implication des hommes comme agents de changement dans leur collectivité. Dans leurs différents milieux, ils sont susceptibles d’exprimer leur créativité, de transmettre de nouvelles références et de proposer des liens plus humains.


* à suivre *

samedi 8 mai 2010

LA FABRICATION DU MÂLE - 11e partie

b) Intervenir sur le lien « homme et réseau d’aide formelle »

Dulac (1997) a documenté la difficulté du réseau d’aide formelle de répondre aux besoins des hommes en difficulté. Cette inadaptation des ressources formelles doit être prise en compte dans le portrait global de l’isolement des hommes. D’autres études, effectuées surtout dans les services sociaux à la famille, corroborent les observations de Dulac (1997) (Gaudet et Devault, 2001).

Il n’est pas surprenant que ce soit les services sociaux à la famille qui soient au cœur des débats actuels sur l’intervention auprès des hommes. La famille étant le « vaisseau amiral du conservatisme », les services sociaux à la famille se retrouvent au cœur d’un bouillonnement idéologique. Canetto (1996) soulignait que les sciences humaines reflètent et contribuent à alimenter la position culturelle conservatrice faisant de la famille conservatrice Le modèle auquel toutes les autres formes familiales sont jugées et comparées. Le père cherchant à jouer un rôle de premier plan auprès de ses enfants se heurte donc autant à la norme conservatrice qu’à des services sociaux mal adaptés à sa réalité. Pourtant, Moreau soutenait que pour l’approche structurelle « toutes les formes de familles, et non seulement la famille biparentale, hétérosexuelle, isolée, nucléaire, représentée par l’homme unique ou principal pourvoyeur, et la femme à la maison ou gagne-pain secondaire, sont encouragées, tant concrètement que dans les politiques sociales » (Moreau, 1987,p.239).

Il nous est apparu important d’œuvrer de manière à reconnaître concrètement les besoins et les réalités des hommes aux prises avec des difficultés sociales. En accord aux prises avec des difficultés sociales. En accord avec nos observations, le S.A.C. (Service d’aide aux conjoints) a adapté ses structures, ses services et ses modes de fonctionnement conformément aux caractéristiques des participants. Il nous semble également nécessaire de contribuer à documenter les besoins des hommes et d’appuyer les développements de ressources et de services. Il s’agit de faciliter l’accès réel des hommes de diverses masculinités aux ressources d’aide en favorisant la remise en question des normes conservatrices hiérarchisantes, dualisantes et aliénantes.


* à suivre *

vendredi 7 mai 2010

LA FABRICATION DU MÂLE - 10e partie

a) intervenir sur le lien « homme et intervenant(e) »

La relation sur laquelle il est possible d’intervenir, dans le but de favoriser les liens des hommes, est celle que nous établissons nous-mêmes avec les participants masculins. La prise de contact et l’accueil demeurent particulièrement fondamentaux pour soutenir ou anéantir une relation d’aide. L’établissement d’un lien de confiance et d’une relation dialogique permet un échange dans un processus de développement. Les principaux objectifs du lien entre l’individu et l’intervenant(e) sont : agir pour favoriser la confiance, connaître et apprendre ensemble, partager la solution au problème, partager le contrôle de l’entrevue et maintenir une ouverture réciproque (Lévesque et al., 1985). Les dimensions sociales des problèmes sont validées et les enjeux sociaux reconnus pour « démarquer la responsabilité individuelle et la responsabilité sociale dans la situation d’une personne » (Moreau, 1987, p.233).

Les hommes nous laissent percevoir que les principales qualités qu’ils apprécient d’un(e) intervenant(e) demeurent la franchise, l’ouverture, l’écoute, l’honnêteté, l’intérêt, l’égalité, le respect et la flexibilité. Ils apprécient la qualité du lien, les tentatives de coopération pour trouver conjointement la définition du problème et l’aide pour décrire leurs idées, leurs sentiments et leurs comportements. Il s’agit finalement des caractéristiques de la relation dialogique.


* à suivre *

jeudi 6 mai 2010

LA FABRICATION DU MÂLE - 9e partie

e) La judiciarisation comme réponse unique

Les problématiques qui affectent les hommes mènent souvent à une judiciarisation. Le service social partage avec les institutions régulatrices une fonction de contrôle social. La violence, la toxicomanie, l’itinérance, le divorce, l’homosexualité, le chômage et même le décrochage scolaire sont encadrés par des législations. Un autre des pièges de l’intervention sociale auprès des hommes est de valoriser uniquement des actions coercitives afin de réagir à la marginalité par la dénonciation et l’encadrement.

L’arrestation ou l’emprisonnement des déviants est l’ultime répétition de l’humiliation et de l’isolement ayant caractérisé la socialisation des hommes. Bédard (1998) soutient dans un historique des institutions de charité (devenues institutions d’aide) que les pauvres méritants ont droit à l’aide, tandis que les non-méritants ont droit aux tribunaux. Il précise que « pour être bon, le pauvre doit être innocent, naïf, victime, réceptif et reconnaissant » (Bédard, 1998, p. 30). Il est à noter que ces caractéristiques sont habituellement considérées féminines dans la définitive sexiste des genres. Les hommes se différenciant de ces caractéristiques rapportent davantage être perçus comme non méritants par les institutions d’aide.

IV. INTERVENTION SOCIALE ET RELATION D’AIDE AUPRÈS DES POPULATIONS MASCULINES

Dans le processus d’intervention sociale auprès des hommes, il est indispensable de clarifier une vision théorique et de demeurer particulièrement attentif aux valeurs associées à une pratique vers le changement social.

Les prémisses de l’approche structurelle suggèrent que « les conditions matérielles objectives engendrées par le patriarcat et le mode de production capitaliste déterminent avant tout la façon dont les hommes et les femmes, selon leur classe sociale, pensent, agissent et se sentent » (Moreau, 1982b, p.159). Ce postulat invite les intervenants à définir et à solutionner les problèmes sociaux dans leur contexte social, économique et politique. L’approche structurelle évite d’établir une hiérarchie entre les formes d’oppression s’appuyant sur ces différentes caractéristiques sociales (Gascon, 2001). Cette approche en travail social demeure une référence pertinente permettant d’adopter une vision collective, de faire les « liens entre la socialisation, les choix réels de la personne compte tenu des biais sociaux à son égard et ses façons de penser, de sentir et d’agir » (Moreau, 1987, p.233).

Une relation s’établit entre les difficultés personnelles, les structures sociales et l’idéologie capitaliste et patriarcale dominante; l’approche structurelle visera des changements autant au plan personnel et interpersonnel qu’au plan institutionnel et politique. Nous proposons une pratique sociale auprès des hommes favorisant le développement des liens avec soi-même, avec l’intervenant€, avec le réseau d’aide formelle, ainsi qu’avec les réseaux et les milieux sociaux.


* à suivre *

mercredi 5 mai 2010

LA FABRICATION DU MÂLE - 8e partie

c) L’échec individualisé

Une vision individualiste ne permet pas d’identifier les composantes sociales d’une difficulté. Ainsi, une intervention orientée uniquement vers une responsabilisation individuelle ne fait qu’accroître l’isolement et donne pour image que l’homme est le seul à ne pas réussir ce qu’il devrait normalement réaliser. L’échec devient individualisé; c’est l’individu qui ne fait pas assez d’effort, trop faible, trop sensible, trop fort, trop libre, il n’a pas assez fait, trop fait ou rien fait. C’est l’individu qui devient l’objet problématique. L’échec individualisé est un moyen puissant favorisant l’aliénation masculine et légitimant le mépris, l’humiliation et l’isolement.

Les interventions qui blâment l’individu exclusivement, qui blâment les autres exclusivement et/ou qui blâment les autres exclusivement entraînent la culpabilisation et la dévalorisation individuelle (Moreau, 1982). La responsabilisation doit donc tenir compte à la fois des facteurs individuels, relationnels et sociaux et de l’autoaliénation comme de l’aliénation des autres.

d) La valeur de l’homme en tant que commodité

Une des tendances aliénantes de notre société consiste à établir la valeur d’un individu en fonction de son utilité : la production pour les hommes et la reproduction pour les femmes. Certaines interventions semblent avoir comme principal objectif de conditionner l’homme à tenir un rôle moins nuisible pour son entourage, en l’amenant à être un agent de support ou de développement pour ses proches ou, encore, en redevenant rapidement un objet productif dans l’organisation du travail.

« On devrait faire comprendre aux hommes qu’en se suicidant, ils mettent leur famille dans le trouble ». L’appel au père responsable est une des versions les plus répandues de la considération des hommes en tant que commodité. En périnatalité, le père peut être amené, par exemple, à être supportant pour sa conjointe avec peu d’égard pour ce qu’il vit comme bouleversements et questionnements à l’approche de la paternité. Une fois père, il sera l’objet d’intervention afin de favoriser le développement de ses enfants. Il pourra également recevoir des services en violence dans un secteur où l’objectif principal est l’élimination de la violence faite aux femmes et aux enfants et la prévention de la transmission intergénérationnelle de la violence. Ces interventions, par ailleurs pertinentes, ciblent toujours et uniquement le développement et la sécurité des proches des hommes ou la réduction de « coûts sociaux » en oubliant au détour le principal intéressé.

Un des pièges de l’intervention auprès des hommes est donc de leur apporter une aide qui valide involontairement qu’ils se doivent de redevenir un objet utile ou les contraignent à se dissocier pour le devenir davantage.


* à suivre *

mardi 4 mai 2010

LA FABRICATION DU MÂLE - 7e partie

b) Arrange-toi!

Nous observons que les services médicaux et sociaux offerts reflètent bien les spécificités des stéréotypes selon le genre et le modèle conservateur. Un vaste réseau d’organismes et de services aident, supportent et protègent les sphères dites féminines : maternité, enfance, contrôle des naissances, santé des femmes, violence faite aux femmes, cancer du sein, maintien à domiciles, santé mentale, etc. Parallèlement des prisons, de cures fermées en toxicomanie et des services de régulation visant un changement autour de problèmes à résoudre, tels le sida, l’itinérance, la criminalité, les services pour conjoints violents et le suicide.

Curieusement, il semble commun de chercher à référer rapidement une demande d’aide masculine vers un service externe. Par ailleurs, les démarches faites pour le développement de nouveaux services pour hommes sont souvent minimisées ou classées non-prioritaires. Le recensement des données statistiques sur les besoins ou les difficultés masculines sont peu existantes et les données actuelles prennent peu de place dans l’orientation des politiques sociales. Le système des services sociaux opère une discrimination conservatrice qui se valide par une vision où l’homme est fort, autonome, indépendant et tout-puissant. La division sexiste et conservatrice préservée conformément aux archétypes sociaux conservateurs de la classe moyenne, blanche, hétérosexuelle de culture occidentale.

Ainsi, les actions qui ne favorisent pas l’accès réel aux ressources pour les hommes de toutes conditions les laissent seuls face aux structures sociales et idéologies dominantes.


* à suivre *

lundi 3 mai 2010

LA FABRICATION DU MÂLE - 6e partie

III. PIÈGES DE L’INTERVENTION : LA RÉGULATION DES NORMES DE CONDUITES MASCULINES.

En intervention sociale, il existe différentes approches qui s’appuient sur des idéologies variées et qui orientent les visions des situations problèmes, les analysent et définissent les prémisses dans l’élaboration des programmes d’intervention. L’intervention sociale est une action subjective qui vise à favoriser des changements individuels et sociaux en s’appuyant sur une échelle de valeurs. La notion de valeurs privilégiées est donc essentielle et centrale. Dans le processus d’aide auprès des hommes, les interventions peuvent facilement devenir paradoxales, d’une part, maintenir et perpétuer les messages dominants et conservateurs, d’autre part, invalider et discréditer les vécus masculins. Alors, les interventions deviennent involontairement un moyen de sauvegarde des valeurs conservatrices et de régulation des conduites masculines. Voici, une description des principaux pièges de l’intervention auprès des hommes.

a) On va faire un homme avec toi!

Cette injonction soutient que le modèle masculin est mal intégré et que certains comportements ou attitudes doivent être corrigés. Les prémisses de la conduite masculine reposent sur les coupures de liens et la sauvegarde d’une distance émotive. L’homme doit démontrer sa force, son indépendance et son autonomie. « Sois fort! », « Ne sois pas trop sensible à tes petits malheurs! », « Fais des efforts! ». La priorité de l’intervention est axée vers une responsabilisation individuelle et une intégration des rôles socialement prescrits. Conséquemment, l’homme se heurte à des exigences culturelles qui se transforment. Il doit devenir plus fort, plus expressif, meilleur pourvoyeur, plus adapté aux nouvelles exigences du rôle parental, plus sensuel, plus à l’écoute des autres sans l’être pour soi, bref, plus compétent à répondre aux impératifs demandés.

Les interventions qui se limitent à conditionner les hommes à améliorer les compétences à tenir des rôles imposés ne font que valoriser les messages sociaux dominants et prescrire un modèle masculin limitatif.


* à suivre *

dimanche 2 mai 2010

LA FABRICATION DU MÂLE - 5e partie

c) Être seul parmi les autres

Les références sociales et les sources de valorisation actuellement proposées encouragent l’individualisme et diminuent l’esprit de solidarité collective. La satisfaction individuelle est devenue le critère de référence prioritaire. Chacun tente de se définir, de préciser sa voie, sa foi et sa loi. Ainsi, chacun se retrouve seul à se faire une place parmi les autres et à tenter de trouver un sens à sa quête de bonheur. L’intériorisation des normes et des valeurs culturelles orientent les idéaux vers une ascension dans l’échelle sociale. L’individu devient le maître de sa propre destinée et l’unique responsable de ses succès et échecs.

Cette croyance néglige les différences de statuts, de privilèges et de reconnaissance selon la classe sociale, le sexe, l’origine ethnique, l’âge, l’orientation sexuelle, la religion, etc. Les catégories ne sont pas identiques ou homogènes. Ainsi, cette vision évacue les différences existant entre les personnes qui, quotidiennement, leur attribuent une place unique dans la pyramide du patriarcat capitaliste. Les hommes sont inégaux dans la compétition vers le sommet de la performance masculine qui couronne ses héros : des hommes seuls, forts, indépendants, insensibles qui peuvent servir de soldats redresseurs de torts, de dirigeants puissants, de protecteurs sans peur ou de main-d’œuvre sans limite, totalement dévoué à un idéal. Les hommes sont seuls dans le succès mais aussi dans l’échec.

Les hommes que nous rencontrons, socialisés pour ces rôles surhumains, reconnaissent les efforts tentés pour obtenir une place enviable dans cette hiérarchie compétitive. Ils éprouvent une grande vulnérabilité quand survient la perte de rôles prescrits qui définissaient leur existence dans la communauté et leur valeur personnelle. Leur sentiment d’échec est proportionnel à leur adhésion aux normes reconnues et aux références culturelles de la réussite sociale. Ils éprouvent alors un sentiment d’incompétence, de désarroi et d’isolement. Ces malaises sont parfois accrus par le sentiment de ne pas être reçu et compris par les professionnels des services d’aide formels.


* à suivre *

samedi 1 mai 2010

LA FABRICATION DU MÂLE - 4e partie

b) Être seul avec d’autres

Aussi, les activités masculines (le travail, les rencontres sportives, sociales, récréatives et familiales comme les rares implications en groupe d’entraide) peuvent masquer une solitude immense derrière une image d’autonomie. Au travail, les hommes peuvent parfois établir des liens relativement proches selon les milieux et la culture de l’organisation. L’équipe de travail permet de rassembler des forces autour d’un mandat commun et d’atteindre des objectifs professionnels. De même, l’équipe sportive ou le groupe d’activités récréatives sont des occasions de vivre et de partager une certaine solidarité. Cependant, les actions sont orientées vers un but à atteindre et un objectif d’efficacité. Ces activités sont propices à la valorisation de la performance, à la compétition et désapprouvent tout lien personnel qui pourrait nuire à l’accomplissent des tâches ou le réduire.

De même, dans les rencontres sociales et familiales, il est souhaitable de maintenir une image correspondant aux attentes, soit celle d’un adulte masculin indépendant qui contrôle sa destinée.

Les participants à nos groupes d’entraide, nous rapportent fréquemment qu’ils n’ont pas L’habitude d’échanger entre hommes sur leur intériorité. L’homme qui risque de partager avec le groupe connaît la honte de dévoiler une partie de sa vulnérabilité et la crainte que les autres s’attardent ou encore discréditent sa sensibilité et ses sentiments. En accord avec l’image masculine d’indépendance et d’autonomie, les hommes participant à des groupes d’entraide manifestent la tendance de vouloir conseiller, solutionner, expliquer leur vision à l’autre comme s’il s’agissait d’un groupe de tâches. Les efforts et la volonté d’être efficace expriment une grande générosité et un souci de l’autre. Tout en étant une interaction positive, centrée sur une solution et sur des moyens concrets, elle peut parfois maintenir une distance et donner l’impression de regrouper un gang de « tout seul ».

Nous constatons donc que, malgré une vie professionnelle active, malgré l’exercice d’une variété d’activités sociales et une volonté de partager, l’homme demeure souvent un être seul.


* à suivre *