Comment expliquer qu’il y ait plus d’abus sexuel au sein des familles recomposées?
Afin d’expliquer la surreprésentation des familles recomposées dans les cas d’abus sexuels, Finkelhor avance l’idée que le triangle oedipien pourrait rendre l’enfant plus vulnérable aux abus sexuels de son beau-père Cette explication théorique sous-tend que l’enfant peut se sentir trahi par sa mère qui s’engage dans une relation avec un nouveau conjoint ou encore avoir le sentiment que sa mère lui porte une attention moins grande. Selon Finkelhor, ce sentiment pourrait amener l’enfant à concourir avec sa mère afin d’avoir l’attention du beau-père. Il importe cependant de souligner que les écrits d’orientation féministe s’opposent à de telles explications de la problématique de l’inceste en affirmant que celles-ci contribuent à déresponsabiliser le père abuseur en imputant la responsabilité de l’abus à l’enfant victime et à la mère non abuseure (Walby, Clancy, Emetchi et Summerfield, Wattenberg).
D’autre part, plusieurs auteurs soulignent l’absence de lien de consanguinité ainsi que la déficience du lien d’attachement entre le beau-parent et l’enfant afin d’expliquer la prévalence d’abus sexuels au sein des familles recomposées (Hébert et Tremblay; Giles-Sims; Charbonneau et Oxman-Martinez, Williams et Finkelhor, Pauzé et Mercier; Warren et al., Finkelhor; Daly et Wilson; Gouvernement du Québec). En fait, il a été démontré que, lorsque les parents passent moins de temps avec leur jeune enfant et qu’ils lui prodiguent moins de soins, ils sont davantage à risque d’en abuser sexuellement (Giles-Sims). À cet égard, une étude comparative portant sur des pères et beaux-pères incestueux ou non fait ressortir deux facteurs significativement liés au passage à l’acte incestueux, soit le passé carencé du père et la non-participation aux soins de l’enfant entre zéro et trois ans (Gauthier). Ainsi, on considère le beau-père plus enclin à l’agir incestueux avec sa belle-fille, car il n’aurait pas développé ce lien d’attachement que suscite l’intimité physique dans les premières années de la vie, lien qui semble conditionnel à l’inhibition de l’inceste (Langevin et Watson; Pauzé et Mercier; Parker et Parker). La plupart des écrits sur la question suggèrent donc l’hypothèse que plus les pères participent tôt aux soins de leur enfant, moins ils sont susceptibles d’en abuser sexuellement (Williams et Finkelhor). Par contre, dans le but de tester cette hypothèse, deux études ont comparé les scores de déviance obtenus par des pères biologiques et des beaux-pères à la suite d’une évaluation phallométrique (Rice et Harris; Seto, Lalumiere et Kuban). Ces études postulaient que pour surpasser leur aversion d’avoir des relations sexuelles avec leurs propres enfants, les pères biologiques (qui sont présumés avoir passé plus de temps avec leurs filles durant la petite enfance que les beaux-pères) devraient présenter des préférences sexuelles plus fortes envers les jeunes enfants que les beaux-pères. Contrairement à leur hypothèse de départ, les résultats de ces études indiquent que les pères biologiques qui abusent leurs filles n’ont pas de préférences sexuelles plus déviantes que celles des beaux-pères. Les conclusions de ces études jettent donc un doute sur l’idée selon laquelle l’absence d’un lien de consanguinité entre le beau-parent et l’enfant augmente les risques d’inceste.
Suivant l’hypothèse de la déficience du lien d’attachement afin d’expliquer le passage à l’acte incestueux, certaines études soulignent que la présence d’un beau-père peut également accroître le risque que l’enfant soit sexuellement abusé par des individus à l’extérieur de la famille. En effet, Hébert et Tremblay avancent l’idée que les amis et les connaissances du beau-père peuvent percevoir le manque d’attachement de ce dernier envers sa belle-fille et être ainsi plus enclins à en abuser sexuellement. Dans le même sens, Finkelhor souligne que la plus grande vulnérabilité des enfants qui vivent en famille recomposée n’est pas seulement attribuable à la présence du beau-père, mais aussi au fait que l’enfant est alors amené à développer un nouveau réseau familial. À cet égard, il est intéressant de rapporter les résultats de l’étude de Margolin qui a porté sur les abus sexuels commis par les grands-parents. Dans le cadre de cette recherche, 9 dossiers des services de protection de l’enfance de l’Iowa ont été examinés concernant des enfants qui avaient été abusés sexuellement par un grand-parent. Cette recherche fait, entre autres, ressortir que les abus sexuels commis par les grands-parents sont souvent assez sévères, que le père du beau-parent est plus dangereux pour l’enfant que son grand-père biologique et que plusieurs grands-pères abuseurs ont aussi abusé leur fille lorsqu’elle était plus jeune.
Finalement, certains chercheurs expliquent la grande prévalence des abus sexuels au sein des familles recomposées par le fait que les parents y sont généralement plus autoritaires ou coercitifs et qu’ils possèdent moins d’habiletés de résolution de problèmes (Lightcap, Kurland et Burgess). Pour sa part, l’étude de Gordon démontre que les familles biologiques avec une histoire d’inceste possèdent davantage de caractéristiques problématiques que les familles recomposées. En effet, cette étude, qui compare les abus commis par des pères biologiques et des beaux-pères, a révélé que les pères biologiques ressentent plus de stress personnels, sociaux et économiques que les beaux-pères.
De façon générale, les caractéristiques pathologiques qui sont associées à l’émergence de l’inceste ne semblent donc pas nécessairement découler de la structure familiale dans laquelle l’abus prend place. En ce sens, certaines études scientifiques, qui ne font pas de distinction entre les pères biologiques et les beaux-pères, démontrent que, dans l’ensemble, les familles incestueuses se caractérisent par l’omniprésence des conflits ainsi que par moins de cohésion, d’expression affective et d’activités de loisirs (Dadds, Smith, Webber, et Robinson; Carson, Gertz, Donaldson et Wonderlich). Dans ce même ordre d’idées, les écrits cliniques sur les familles incestueuses soulignent la multiplicité des structures et des relations au sein de celles-ci. Ainsi, les auteurs notent la présence de structures familiales chaotique ou, à l’inverse, ultrarigides (Peronne et Nannini), la faible différenciation des structures identitaires des individus (Barudy), l’inversion des rôles mère-fille (Vallée; Tinling, Foucault) ainsi que la répartion inégale du pouvoir au sein de la famille (Strand); Joyce, Russell). Cette dernière caractéristique est également notée dans de nombreuses études qui laissent entendre que les conjointes d’abuseurs sexuels sont fréquemment victimes de violence conjugale, la prévalence de violence conjugale variant entre 44,3% et 85% selon les études consultées (Deblinger et al.; Sirles et Franke; Truesdell, McNeil et Deschner; Cyr, McDuff et Wright).
* à suivre *