lundi 10 juin 2013

MISÈRES DU DÉSIR - CHAPITRE IV

Hélène : J’espère que mon surprenant changement d’attitude ne te trouve de mauvaise humeur.  Puisse-t-il en même temps réactiver le joyeux courant amoureux qui nous vivifiait naguère, avant la sècheresse relationnelle qui nous afflige au bureau.

Que ce qui nous est arrivé le soit, par omission ou commission, ou par jalousie, par nonchalance ou à cause des problèmes non exprimés, force nous est de constater que nous sommes objectivement divisés.  La raison nous demande d’assainir cette affreuse situation.

Je refuse d’excuser mon amie Odette chez qui l’amour, c’était l’admiration, l’appétit du beau.  Elle savait aimer avec passion, avec excès.  Sa vie tumultueuse, scandaleuse, a rendu son existence essentiellement contradictoire, exhibant, à la fois une grandeur infinie et une misère infinie.  C’est du choc de ces deux “infinis” que se dégage sa méchanceté.  Elle a connu beaucoup d’hommes.  Qui ne se souvient de ses scènes d’amour, se dévalorise depuis que son dernier copain ne s’intéresse pas plus qu’il ne faut à ses activités, à ses goûts, à des préférences, à ses projets.
Elle se sent insignifiante. Elle ne comprend pas pourquoi puisqu’elle est en amour avec l’homme de ses rêves.  Elle ne craignait pas d’avoir déjà atteint l’âge où nous effleure le doute de pouvoir plaire encore.  Mais elle était las de toutes ces coucheries semblablement monotones.  Force lui était d’admettre que son désir, elle le fabriquait à chaque occasion.
Il m’a semblé heureux de m’écouter, Étienne, il a été si gentil et m’a témoigné tant de tendresse que j’ai fondu en larmes dans ses bras.

Plus tard, il voulait voir le film Émmanuelle.  Une scène de saphisme m’a particulièrement bouleversée.  J’étais si mouillée que j’ai craint d’avoir uriné sans m’en apercevoir.  Mes sécrétions intimes n’étaient pas seules en cause; j’avais aussi transpiré des cuisses.  Tout mon corps était moite.
J’en ai fait part à lui et il a déclaré sans rire.
  • la moiteur est une grande vertu!
  • je n’ai pas cherché à comprendre
C’est avant d’aller au lit qu’il a de nouveau abordé la question du saphisme.
  • Mais on n’en souffre pas, Hélène!  Ça ne fait que du bien!!!  J’ai eu envie de lui demander ce qu’il en savait.  Je me suis retenue à temps.
Il me caressait avec beaucoup d’affection.  Mes pensées s’embrouillèrent.  L’obscurité gagna peu à peu mon cerveau.  Je me rappelle voir rassemblé mes dernières forces, pour crier “Étienne” avant de sombrer dans le néant.
J’écrasai ma bouche sur ces lèvres encore chaudes.  Sa langue s’enroula autour de la mienne, se fraya un chemin jusqu’à mon palais, titilla, s’étira, se tordit, se replia sur elle-même, puis s’accorda au rythme allègre de ma langue.
Le corps d’Étienne se plaqua davantage contre le mien, un genou entre mes cuisses.  J’empoignai ses fesses à pleines mains.  Il se cambra et bougea le bassin. Il me mordit la lèvre inférieure, un spasme le secoua.  Nos bouches se dessoudèrent, Étienne se défit de mon étreinte.  Son regard sourit à mon regard.

Étienne - les deux dernières semaines avaient été un enfer. J’avais brûlé de tant de doutes auprès d’Hélène, qu’en ce samedi délicieusement oasif - au sens mercantile du mot - affalé sur mon sofa, je goûtais comme une grâce ces retrouvailles avec moi-même.
J’avais douté de ma capacité d’aimer, depuis l’histoire de son amie Odette et de mon amour pour elle, comme elle même, avait, en toute logique, confrontée à ma semi-indifférence.

Fini par douter de mon amour pour elle et de ses propres charmes.

J’avais  décidé de rompre. Néanmoins, j’atermoyais.  Remettant chaque jour au lendemain le moment où il me faudrait lui avouer : “je ne suis pas dans le désir” avec elle, voilà!
À cette seule pensée, je défaillais.  Ma lâcheté elle-même m’écoeurait.  Il  m’eût été facile de me dire, par exemple, que j’avais pitié d’elle et qu’il me fallait tenter, tant que bien que mal, de l’amener progressivement au dégoût de moi.

CHAPITRE IV

Et là j’ai découvert que peut-être et que peut-être je vivais une sorte de fantasme d’intimité, une perpétuelle tension qu’aiguisent des émotions et des sentiments désagréables, je me retrouvais souvent en déséquilibre psychique, une attrayante illusion prometteuse d’un bien-être, l’ivresse donne la confiance en Soi et la sérénité, le plaisir sexuel procure l’extase, l’amour apporte le bonheur. Je réalisais du coup, le fantasme de mes fantasmes, malgré son excitante apparence et au-delà du plaisir qu’elle peut entraîner, ne me mettait pas en contact avec ma réalité ni avec celle de mon environnement.  Mon fantasme me renvoyait plutôt au monde de l’inconscient.  Sous forme d’images, de symboles, d’allégories à décrypter, à décoder, à analyser pour en découvrir le sens profond, j’exprimais malgré moi un besoin caché, un désir à reformuler.

Il faut dire que j’ai vécu au cours de mon enfance une expérience marquante au sein d’une relation affective significative familiale et amoureuses.  N’ayant pas fait le deuil ou la séparation d’avec ce passé, je ne réussissais pas à m’en détacher et j’interprétais le présent dans la crainte ou l’espoir d’une possible répétition de ce malheur ou de ce bonheur.  Face à mon expérience avec Hélène, je tendais à réagir en fonction d’un souvenir-fantasme ayant la force d’une empreinte psychique, plutôt qu’au potentiel d’originalité ou d’exploration de Soi et de l’autre qu’offrait la réalité du présent.  À l’analyse de mon fantasme, je comprends que je ne me reconnaissais aucun attraît, donc aucun moyen de séduire Hélène mais quand Annie, la nouvelle secrétaire, paradait devant moi et laissait apercevoir la naissance de ses seins sous un décolleté, je me sentais adulé.  Mon besoin caché m’apparaissait alors comme la nécessité de développer une image positive de moi-même, ce qui me permettrait d’être plus convaincant dans ma stratégie de séduction hétérosexuelle, et plus fondamentalement de m’aimer moi-même.

Si l’on définit la conjugalité comme la relation amoureuse entre deux partenaires d’abord en contact intime avec leur être individuel, on interprète alors la dynamique de dépendance affective comme un rapport fantasmatique entre deux personnes qui projettent l’une sur l’autre la recherche impuissante de réponses à des besoins qu’elles n’ont pas vraiment clarifiés.
En fait, je sens que je suis un homme dépendant, ma dépendance cache une peur profonde, un malaise existentiel.
L’absence de lien d’intimité en Soi. Je redoute de me retrouver avec moi-même.  La solitude n’est jamais choisie, mais toujours subie.  Je m’ennuie d’Hélène, je suis mal avec moi-même et je suis en mauvaise compagnie quand je me retrouve seul.

Je comprends quand on s’en remet à quelqu’un d’autre pour s’épanouir soi-même, pour dynamiser le bien d’amour, par conséquent on rend cette personne responsables des échecs, on la blâme, on vit du ressentiment à son endroit.
Ma dépendance vise aussi à répondre, de façon tout autant illusoire, à des besoins d’intimité interpersonnelle.  Je demande à l’autre de prendre des initiatives, d’animer et de ressourcer la relation.

J’étais rendu là à cette réflexion.


dimanche 2 juin 2013

MISÈRES DU DÉSIR - CHAPITRE III

CHAPITRE III

Il devint blême et ajouta d’une voix sourde;


-Elle n’a pas souffert. Elle ne s’est même pas rendu compte de ce qui arrivait. Elle est morte sur le coup. C’est pour cela que j’ai été condamné. Je ne voulais pas la tuer, je vous le jure, mais personne ne m’a cru. Les témoignages des autres ont été accablants. On m’a fait passer pour un colérique. Les juges ont été sévères. On a prétendu que je la persécutais avec ma jalousie maladive. Elle est devenue pour le tribunal une sorte de martyre, d’innocente victime. Mon avocat a demandé à certains de mes amis de témoigner en ma faveur. Ils ont tous refusé! La gravité de la situation les a sans doute effrayés.

Il s’arrêta, regarda Hélène d’un air triste.

-Tout le monde n’a pas votre courage, dit-il.

Le garçon leur servit un dessert superbe composé de sorbets et de fruits incrustés dans des meringues. Hélène laissait Étienne lui caresser la main avec douceur. Elle savait qu’ils disaient la vérité et souffrait pour lui à l’évocation de ces souvenirs douloureux et tragiques.

-Mon avocat a plaidé le crime passionnel. C’était la seule solution possible. Il a sollicité la fameuse indulgence du tribunal. J’en ai quand même pris pour cinq ans. Les jurés se sont montrés impitoyables.

Étienne a minimisé son geste. Il doit comprendre que sa violence est inacceptable et criminelle. Sa violence n’est pas une maladie. Il choisit la violence parmi d’autres moyens ou options qui lui sont ou pourraient  lui être accessibles et ce dans le but de contrôler et de dominer sa conjointe. C’est un mode appris de relation et de résolution de problème par le contrôle de l’autre. Alors, on ne peut parler de « perte de contrôle » l’homme violent est une personne responsable. Il est donc responsable de ses gestes et de ses comportements violents, de même que  du changement de ses comportements, valeurs et attitudes.
Hélène devrait être en mesure de constater à quel point Étienne se raconte des histoires et vient qu’à y croire. En effet, nous observons qu’Étienne s’est construit une série de scénarios (convictions) qui lui permet de se déculpabiliser, suite au passage à l’acte destructeur.
Cette dimension omniprésente chez cet homme violent provient de ce que l’on appelle la « dissonance cognitive ». L’homme est incapable de répondre à ses attentes et demeure démuni, agissant des comportements impulsifs et non réfléchis. Il n’a en fait jamais résolu cet équilibre nécessaire afin d’affronter tous les éléments de la réalité.
Évidemment, cette dissonance cognitive n’est pas exclusive à l’homme agresseur. L’humain a souvent tendance à interpréter ou biaiser la réalité. L’enjeu, quel qu’il soit est de tirer davantage de cette interprétation. « Nous ne voyons pas la réalité ».
Nous devons absolument faire prendre conscience à l’homme agresseur, qu’en plus de faire une fausse lecture de réel, il s’est façonné une image personnelle de sa propre réalité. C’est ce qui explique que pour l’homme agresseur, qu’il ne sera jamais violent avant qu’on lui dise, avant qu’on l’arrête, avant qu’il soit menacé, avant qu’il soit en réel déséquilibre.
Peut-être qu’Étienne n’a pas résolu la première phase importante de sa vie d’adulte « le déracinement ». Par « déracinement », nous faisons allusion aux travaux de Gail Sheeny « Passages »  qui, poursuivant les travaux d’Erikson, mais cette fois, sur les étapes de développement de l’adulte qu’elle qualifie de crise, identifie les 5 phases majeures de tout adulte qui, si bien résolues deviennent des passages.

Cette période (déracinement 18-22 ans) correspond au moment où l’individu quitte ses parents et commence à vivre son indépendance financière, émotive et sociale. Le jeune adulte  vit alors de nombreuses craintes et inaptitudes mais garde  souvent une façade de confiance en prenant ouvertement des risques. Il s’agit d’une crise d’identité importante et ceux qui ne réussissent pas à quitter leur famille d’origine pour se retrouver comme individus indépendants, devront, de toute façon, le faire plus tard. Chaque crise doit être résolue. Si elle est évitée, elle surgira plus tard à un moment où les décisions seront plus difficiles à prendre. Se référant aux grandes caractéristiques ou profil du conjoint violent, nous ne pouvons faire abstraction de cette dynamique non résolue. C’est pourquoi, nous sommes en mesure de faire un parallèle avec cette étape cruciale du déracinement et ce conflit initial qui sont souvent répertoriés en violence conjugale dès la première relation de couple.

-Cinq ans! Soupira Hélène. C’est affreux! Comment avez-vous pu supporter ça? Un garçon fin et sensible comme vous!

-Je ne méritais pas une telle punition. Quand j’ai été libéré, je touchais le fond, je ne croyais plus en rien. Ma famille m’avait renié. Mes amis aussi. Un sentiment d’injustice m’étouffait. Lorsque je me suis présenté à votre bureau, j’étais totalement désabusé. C’est pour cela que j’éprouve à votre égard une reconnaissance infinie. Sans vous en rendre compte, vous m’avez redonné le goût de vivre. Jamais je ne pourrai assez vous remercier. Vous êtes le seul être d’exception que j’ai rencontré dans ma vie. Je voulais que vous le sachiez, Hélène.

Il regretta aussitôt de l’avoir appelée par son prénom :

-Excusez-moi, vous êtes pour moi presque une amie. J’ai brusquement oublié la hiérarchie.
Elle se mit à rire.

-Je ne vous en veux pas. Au contraire. Moi aussi je vous considère comme un ami. Sinon, nous ne serions pas là.

Quand ils sortirent du restaurant, un soleil pâle glissait sur les trottoirs. Elle lui prit le bras.

-Moi aussi, je vais vous faire des confidences. Comme vous le savez, je suis mariée. Mais je ne suis pas heureuse. Roger et moi, nous avons beaucoup de mal à nous supporter. Chez-nous, l’atmosphère est de plus en plus orageuse. Nous envisagions de divorcer. Nous nous demandons souvent pourquoi nous sommes encore ensemble.
Elle se serra contre lui.

-Les drames de couples, il y en a de toutes sortes…
Ils s’attardèrent. Soudain, Étienne s’arrêta et la prit dans ses bras. Elle ne résista pas.

-Laissez-moi vous embrasser, lui dit-il fiévreusement.
Ils s’étreignirent avec une violente passion.

-Je crois que je vous aime, Étienne. Dès l’instant où je vous ai vu, la première fois, j’ai éprouvé un curieux sentiment.

Autour d’eux, les arbres tournoyaient. Tous deux étaient pris d’un vertige. Il l’entraîna.

-Viens, Hélène, nous ne connaîtrons plus jamais un jour comme celui-ci. Il faut en profiter.

Ils se retrouvèrent bientôt dans un hôtel charmant et discret. Elle lui demanda :

-Tu es déjà venu ici?

-Absolument pas. Je découvre avec toi cet endroit. Le destin a guidé nos pas.

-Quelle jolie définition! Dit-elle en riant.

Entre les murs tendus de soie de la chambre qu’on leur avait donnée, ils vécurent des moments d’une incroyable passion. Lorsqu’Hélène se retrouva entre ses bras, elle crut défaillir. Bien sûr, ce garçon était plus jeune qu’elle, mais jamais elle n’avait éprouvé une telle attirance pour un homme.
-Grâce à toi, Hélène, je renais à la vie. Avant de te rencontrer j’étais une sorte de mort vivant, un homme à la mer, complètement déphasé.

Elle lui répondit en se blottissant contre lui :

-Moi je découvre un univers nouveau. Auparavant, je n’avais rien éprouvé de si merveilleux. Étions-nous faits l’un pour l’autre sans le savoir? Qui pourrait nous comprendre?

-Personne ne comprend jamais.

Il l’embrassa encore. Elle s’accrocha à lui, fit glisser fébrilement ses mains le long de son dos.

-Tu es si séduisant, murmura-t-elle. Tu as tellement de charme! 

Il la contempla étrangement.

-Comment allons-nous faire maintenant? Je ne pourrai plus te regarder sans me trahir.

-Et bien, il deviendra donc nécessaire de ne plus nous cacher.

Hélène profita d’un contact avec une entreprise de Québec pour passer la fin de semaine dans Charlevoix avec Étienne. 

-Que penses-tu de concilier les affaires et le plaisir? Lui demanda-t-elle amoureusement.

-Ne pas avoir vu la région depuis si longtemps et la retrouver avec toi, ce serait tout simplement magnifique.

Elle sourit en lui prenant la main.

-Comme je suis bien avec toi! Tu es si différent des autres!

Charlevoix rappelait bien des souvenirs à Étienne. Il y était venu avec son ex-femme, la femme qui l’avait ensorcelé et conduit à sa perte. À cette époque, il menait grand train, dépensait sans compter l’héritage de ses parents. Elle aimait le luxe, la vie facile. Pourquoi, un jour, l’avait-elle poussé à bout? Son ex était son premier amour. Elle était superbe, un peu distante. Elle aimait tous les plaisirs de la vie. Il la suivait sans discuter. Il avait toujours si peur de la perdre… Elle avait été pour lui une femme fatale dans le plein sens du terme. Il essaya de chasser ces souvenirs de son esprit. Il fallait absolument oublier tout cela.

Il remonta en voiture avec Hélène.

-Où m’amènes-tu? lui demanda-t-elle.

-C’est une surprise.

Il décida de lui montrer Petite-Rivière-Saint-François, où avait habité Gabrielle Roy.

-C’est une surprise.

Hélène était heureuse de cette balade avec lui. Elle l’écoutait lui donner des détails sur la vie que menait ici la grande romancière. Il racontait avec passion…

Le soir, ils regargnèrent l’Auberge des lilas. À peine la porte de la chambre refermée, Hélène se jeta dans ses bras.

-Je n’ai jamais passé une aussi merveilleuse fin de semaine. Si tu savais…

Lundi, ils retrouvèrent le bureau, les problèmes, les affaires. Il fallait profiter de cette trêve.

Au bureau, Odette avait engagé une nouvelle secrétaire, une fille de 25 ans qui s’appelait Annie. Elle faisait preuve d’une compétence remarquable, d’un esprit d’initiative peu commun.

-J’ai fait la majeure partie de mes études en Angleterre, avait-elle expliqué à Hélène médusée. Je parle aussi l’allemand et l’italien.

-Une perle! S’exclama Odette qui alla rejoindre son amie dans un bureau voisin. Je suis fière de cette nouvelle recrue. Qu’en penses-tu?

-J’ai l’impression que tu ne pouvais pas trouver mieux, dit Hélène.

-Je me doutais que tu serais de cet avis. Avant de revenir ici, elle travaillait chez Mac et Tauch, une des plus grosses boîtes d’import-export de Londres. Je me suis renseignée à son sujet. Elle a des références impeccables.

-Peut-être est-elle un peu trop sûre d’elle!

Odette haussa les épaules.

-À notre époque, seuls les battants font recette. Les gens trop discrets et effacés sont perdus d’avance.

Quelques jours plus tard, Odette remarqua que le comportement d’Annie avait changé. Surtout à l’égard d’Étienne qui semblait ne pas la laisser insensible. Elle contemplait le jeune homme avec une insistance gênante, ne cachait guère l’attirance qu’elle éprouvait à son égard. Ses attitudes devenaient lascives, provocantes. Un soir, elle proposa carrément à Étienne :

-Si nous allions prendre un verre ensemble? Je suis agréablement surprise d’apprendre que tu connais bien la Suède. Je t’ai entendu tout à l’heure discuter avec un client au téléphone. C’est un pays que j’adore. Nous pourrions en parler pendant des heures, j’en suis certaine. J’ai ramené de là bas de très bons souvenirs. Il en est peut-être de même pour toi.

Elle se penchait vers lui, sans chercher à déguiser ses pensées. Un large décolleté laissait apercevoir la naissance de ses seins. Elle avait un regard troublant, une voix suave. Étienne fut choqué par ce comportement audacieux.

-Je n’ai pas beaucoup de temps libre en dehors des heures de bureau, dit-il.

-Je sais, répondit-elle effrontément. La patronne t’accapare beaucoup.

Il fit semblant de ne pas comprendre et reprit :

-De plus, mon séjour en Suède, c’est déjà loin. Je ne suis pas un homme qui vit avec le passé. Les souvenirs rapportés de là bas ne sont pas spécialement agréables. Il y en a que je préfèrerais justement oubliés.

Elle ne se découragea pas pour autant et dès le lendemain revint à la charge.

-Allez! S’exclama-t-elle. Ne fais pas semblant de ne pas comprendre tu me plais. J’irai même jusqu’à affirmer qu’aucun homme ne m’a pas impressionné autant que toi. Tu es terriblement séduisant. Tu le sais, non?

Elle posa sa main sur la sienne. Il s’apprêtait à la repousser quand Odette entra brusquement. Son visage se crispa dans un sourire ironique. Elle recula d’un bond, comme si elle était embarrassée de les avoir surpris.

-Pardon dit-elle. J’ai oublié de frapper. J’ai cette très mauvaise habitude quand je suis pressée.
Étienne devint blême. La colère déformait ses traits.

-Vous n’avez pas à vous excuser, répondit-il. Je n’ai rien à cacher.

Annie sortit d’un pas rapide. Odette contempla longuement son interlocuteur et murmura :

-J’en suis convaincue. Tout à fait convaincue.

Et elle se mit à rire en sortant à son tour.

Pour essayer de récupérer un important client qui menaçait aussi de les lâcher pour une société qui lui proposait les mêmes services à des prix plus compétitifs, Hélène passe une journée à Sherbrooke. Odette l’accompagna.

-Si ça continue, dit celle-ci à son amie, nous allons être contraintes à déposer un bilan avant la fin de l’année, c’est la galère.

Le visage d’Hélène se crispa :

-Est-ce à ce point? Je me refuse à voir les choses en face. Et pourtant, je sais qu’hier notre expert était très pessimiste.

-Nous avons trop de dettes, répondit Odette. De plus, nous gonflons exagérément nos prix afin de faire face. Résultat : nous allons perdre nos meilleurs clients sans pour cela pouvoir nous débarrasser de nos créanciers. C’est un cercle vicieux.

Odette était d’humeur sombre. Elle ne faisait plus jamais allusion à Étienne. Mais elle ne cachait pas à Hélène sa nette réprobation à cet égard. D’ailleurs, au bureau, elle évitait tout contact avec lui, n’hésitant pas à lui témoigner une hostilité grandissante.

À Sherbrooke, leur démarche fut vaine. Elles perdirent aussi le client. Il avait déjà confié la promotion de ses produits à un groupe dynamique qui venait de se créer dans la région.
Elles durent se rendre à l’évidence; quelques semaines plus tard, la réalité s’imposa. Un dépôt de bilan devenait urgent afin de ne pas aggraver le déficit de la société.

-Te rends-tu compte de ce qui nous arrive? Dit Odette. C’est une véritable catastrophe.
L’esprit d’Hélène était ailleurs.

-Je vais le surprendre. Une seule chose compte pour moi à présent : l’amour que me porte Étienne. Depuis que je l’ai rencontré, je suis nettement moins passionnée par les affaires.
Odette n’osait pas lui avouer qu’elle l’enviait…

Lorsqu’il connut ses problèmes, Étienne essaye de la réconforter du mieux qu’il put.

-Je ne baisserai pas les bras, lui confia-t-elle. Je recommencerai ailleurs. J’aurai alors plus d’expériences. Je ne commettrai plus les mêmes imprudences, les mêmes erreurs. Tu me suivras, n’est-ce pas? Tu me feras profiter de toutes les excellentes idées qui fourmillent dans ton esprit.
Il la prit dans ses bras.

-Je suis désolé, Hélène, nous avons réformé trop tard vos formules d’origine. Il n’aurait pas fallu démarrer comme vous l’avez fait. Ce départ sur les chapeaux de roues était, certes, spectaculaire mais manquait de structures et devait fatalement vous conduire à la catastrophe. 

Dans un autre domaine, Hélène devait assumer les conséquences de son divorce avec Roger. Celui-ci se montrait peu coopératif. Il avait constitué contre elle un dossier accablant. Il l’avait fait suivre par un détective qui lui avait donné tous les détails sur sa liaison avec Étienne. Lorsqu’ils se rencontrèrent chez le juge, elle le trouva encore plus minable qu’autrefois. Il la regardait sournoisement. Elle lui fit part de son mépris.

-Pourquoi avons-nous attendu si longtemps pour divorcer?

Les dernières phrases qu’elle lui adressa résumèrent ce qu’elle pensait de lui. Elle lui cria :

-Je regrette d’avoir perdu avec toi les plus belles années de ma jeunesse.

Le juge essaye de la calmer.

-Je vous en prie, madame, cessez de vous énerver. Cela ne sert plus à rien. Dans quelques minutes, vous serez libre.

Roger se montra alors grossier et conclut:

-Par bonheur, Hélène, je suis enfin débarrassé de toi! 

Quand elle retrouva Odette à la sortie du Palais de Justice, elle lui dit :

-Tout cela est lamentable. Nous aurions pu en finir avec plus d’élégance. J’aurais dû me séparer de lui plutôt. En réalité, je crois que nous ne nous sommes jamais aimés. Décidément, je traverse une période assez perturbée. Si Étienne n’était pas là, je pense que mon légendaire optimisme finirait par m’abandonner.

Lorsque son amie prononça le prénom du jeune homme, Odette esquissa une vague grimace.

-Je crains que tu n’aies bientôt de ce côté-là aussi quelques désillusions.

Hélène sursauta.

-Des désillusions?

-J’en ai bien peur. Maintenant que tu as presque tout perdu, tu seras sans doute bientôt fixée. 

Étienne ne va pas manquer de se trouver au pied du mur. Il n’a plus rien à perdre.
Hélène devint livide. Elle agrippa le bras de son amie :

-Au pied du mur! Qu’entends-tu par là? Explique-toi, je t’en prie. Dès qu’il s’agit de lui, tu es toujours pleine de sous-entendus. Je déteste cette haine par en dessous que tu lui portes.
Odette eut un sourire méchant.

-Et pour cause! C’est parce que j’ai beaucoup de sympathie pour toi. Tu ne t’es donc aperçue de rien? Serais-tu aveugle à ce point?

-Que veux-tu dire?

-N’as-tu pas remarqué son manège avec Annie?

Hélène semblait de plus en plus éberluée.

-Avec Annie? Non, je n’ai rien remarqué. Cette fille m’est totalement indifférente et à lui aussi. Elle fait bien son travail. C’est une bûcheuse née. Elle nous est très précieuse. Je t’ai d’ailleurs félicité de l’avoir embauchée.

-Ouvre les yeux, je t’en prie, poursuivit Odette. Sinon, tu seras vite la risée de ceux qui t’entourent. Étienne se moque de toi. Il flirte effrontément avec cette fille. Peut-être couchent-ils déjà ensemble? Cela ne m’étonnerait pas. Ils ont l’air si proches l’un de l’autre. Une grande harmonie semble installée entre eux.

Hélène rejeta en arrière ses cheveux blonds. Ses beaux yeux noirs étaient agrandis par une sorte de panique. Comme si elle venait de découvrir une vision terrifiante.

-Ce n’est pas possible!

-Mais si, ma pauvre Hélène!

-Je ne te crois pas. Il est follement amoureux de moi. Tout comme je le suis de lui. Nous ne connaissons pas une ombre, pas un nuage. Nous venons de passer des mois merveilleux. Nous nous apprêtons d’ailleurs à vivre complètement ensemble. Nous faisons tout pour cela. Et ce sera extraordinaire. Une existence nouvelle commence pour nous…

Odette ne la laissa pas achever sa phrase.

-Ne me dit pas qu’à ton âge tu en es encore à être dupe des apparences! Sois lucide quand même! Étienne est plus jeune que toi. Malheureusement, cela compte pour un couple. Il est beau garçon, je te l’accorde. C’est une chose qui ne laisse pas les femmes insensibles. La petite Annie a eu une réaction saine tout à fait logique. On ne peut pas lui en vouloir. De plus, elle est très séduisante, très jolie.

Elle ajouta, faisant mine de réfléchir :

-Quel âge a donc cette fille? Vingt-quatre, vingt-cinq ans? Il faut les comprendre tous les deux. Ils sont si bien assortis. Je trouve qu’ils forment un beau couple.

Hélène ne put entendre davantage. Elle courut vers sa voiture. Son cœur battait à un rythme fou. Comme dans un film accéléré, les épisodes de ses amours avec Étienne défilaient devant ses yeux. Pas plus tard que la fin de semaine précédente, ils avaient passé des heures exquises dans une ravissante auberge située sur les bords du lac St-Pierre. 

Follement épris l’un de l’autre, ils ne s’étaient pas quittés un seul instant. Promenades, soupers aux chandelles… Comme à l’accoutumée, leurs étreintes avaient été passionnées. Ils avaient échangé des mots qui ne trompaient pas. Personne ne pouvait simuler à ce point. Et ils avaient fait ensemble des projets. « Nous monterons une autre affaire semblable, mais cette fois-ci ensemble», lui avait-elle dit. Pour toute réponse, il l’avait serrée très fort contre lui. Quelques instants plus tard, il avait dit : « Et cette fois, nous gagnerons, ma chérie ». Elle se souvenait d’une foule de scènes identiques, de moments enivrants, d’heures si délicieuses qu’elle avait toujours eu peur de les voir s’évanouir. Ah! Comme ils étaient bien aussi à Petite-Rivière-Saint-François, quand il lui faisait découvrir la maison de Gabrielle Roy.

Quand elle arriva au bureau, son premier regard fut pour Étienne qui lui sourit de loin avec tendresse. Elle devait avoir l’air très angoissée car il s’empressait de venir la rejoindre.

-Où est Annie? Lui demanda-t-elle sans préambule.

Cette question parut le surprendre.

-Annie? Je ne sais pas. Je crois qu’elle a pris un jour de congé. Elle a des problèmes familiaux. Sa mère est souffrante.

-Tu es au courant de sa vie privée?

-Absolument pas. Seulement, je l’ai entendue qui parlait à Josée, sa meilleure amie.

Hélène le fixait cherchant à deviner ses pensées. Jamais elle n’avait autant aimé un homme. Il demeurait imperturbable, continuant à la contempler avec étonnement.

-Tu sembles contrariée, lui dit-il. Les choses se sont mal passées avec Roger?

Elle répondit sèchement :

-Il ne s’agit pas de lui. Il s’agit de toi, d’Annie. Je ne tiens pas à ce que tu te moques de moi plus longtemps. Cesse de me jouer la comédie de l’amour. Je déteste le mensonge. J’ai été assez stupide et naïve pour te croire…

Cette fois, il l’interrompit.

-Je t’en prie, Hélène, sois plus claire. Je me demande vraiment ce qui t’arrive. Que vient faire Annie dans notre histoire?

-Tu le sais bien.

-Mais non!

Elle se leva brusquement.

-L’endroit est mal choisi pour une scène de rupture ou des explications de ce genre. Rejoins-moi ce soir vers 20 heures chez moi. À moins que tu préfères en finir maintenant.

-Mais tu deviens folle! Qu’est-ce qui te prend?

Il semblait ne pas comprendre, regagna son bureau pour achever de mettre au point une dernière mission qu’elle lui avait confiée. Que se passait-il? Il n’avait jamais eu de chance. Allait-il maintenant perdre Hélène? Ce n’était pas possible!

Rentrée chez elle, elle perdit toute dignité. Elle s’effondra. Le destin s’acharnait contre elle. Elle n’en pouvait plus. Elle se jeta sur son lit et se mit à pleurer. Elle avait supporté sans faiblir ce divorce lamentable, les perspectives d’une faillite de sa société. Mais sa déception à l’égard d’Étienne l’achevait totalement. Elle ne pouvait pas croire à sa trahison. Il paraissait si loyal avec elle et tellement amoureux. Pourquoi avait-il agi ainsi? Et quel aplomb de continuer à lui mentir en prenant un air si innocent! Elle souffrait horriblement. Elle savait que, plus jamais, elle ne pourrait aimer avec une telle force, une telle passion. Il représentait ce qu’elle avait toujours souhaité découvrir chez un homme : la sensibilité, l’intelligence, la tendresse. Et brusquement, tout s’écroulait.


Je regrette mais je ne peux plus vivre cette situation!

Je ne peux plus accepter de vivre torturée par d’incessants questionnements, quant à son intégrité, quant à sa relation avec Annie (qui je le sais, existe toujours), quant à sa capacité de s’impliquer, quant à ce qu’il veut de moi.

Que veut-il ? Qu’attend-il de moi?  Une soumission totale à des désirs, à des fantasmes?  Une adoration inconditionnelle?  Il semble se faire une gloire d’avoir les femmes littéralement folles de lui!

Je regrette mais je veux être aimée avec respect, pour mes forces autant que pour mes faiblesses.  Et je définis l’amour comme le désir ultime du bonheur de l’autre, de sa réalisation personnelle et intégrale, que je sois accessoire à ce bonheur ou non.
Je ne considère pas le désir de refaire l’autre, de le soumettre, de le conduire à une dépendance maladive, une saine forme d’amour mais comme du pur narcissisme.  Mon instinct de préservation me garde contre son besoin que je lui donne tout de moi sans rien demander en retour.

Son éternel quête (qu’il dit parfois inconsciente) d’admiration et de confirmation qu’il est un être spécial et supérieur, me semble une façon de nourrir une faim insatiable d’être aimé.

Ses tests incessants de mon amour et sa dominance non-négotiable de notre relation, me font penser à une bataille entre son besoin de mon adoration inconditionnelle et la menace qu’il pressent d’être englouti dans notre amour.  Puisqu’il m’est impossible de passer tous ses tests, il peut plus facilement prendre du recul, car après tout je le déçois, donc est-ce que je le mérite?

Qu’est-ce que je retire de cette relation?  Des orgasmes, certes!  Mais pas de satisfaction affective.  Je ne le sens pas présent dans mon quotidien.  Je ne sens pas non plus, son désir d’y être.  Je croyais sortir avec un homme marié, qui doit se sauver pour me donner quelques heures par semaine.

Je conçois une relation comme une aventure à deux dans la vie, pas seulement au lit! Je crois que nous sommes en conflit sur ce point.  Je ne perçois son besoin d’une femme dans sa vie, que comme partenaire sexuelle.  Et je me questionne à savoir si le visage de celle-ci importe?

C’est pour quoi il lui est facile de mener plusieurs relations de front.  Il n’implique ni ses sentiments, ni sa personne, seulement des fantasmes.  L’utilisation de tous ces appareils au lit, n’est-ce pas la façon ultime de ne pas s’impliquer?  En utilisant des gadgets, ne se retire-t-il pas dans un voyeurisme dont il a seul le contrôle?

Il enlève à la femme le pouvoir de se faire jouir directement, tout se passe dans sa tête, bien à l’abri, sous son unique pouvoir.

Je ne peux trouver de paix à l’intérieur de notre relation.  J’ai perdu toute capacité à lui faire confiance, j’ai perdu toute illusion, au sujet de sa volonté à redéfinir notre relation, si ce n’est selon ses critères.

Il me demande de l’accepter dans ses seuils, mais où y-a-t-il place pour la négociation?  Tous les compromis je dois les faire, mais si ceux-ci dépassent mes seuils?


Nous avons parlé, des promesses ont été faites, aucune ne se s’est matérialisée. C’est sans issue, donc je me retire et je lui demande de me respecter dans ce choix.

Comment n’avait-elle pas remarqué le manège d’Annie? Elle ne s’était jamais attardée sur cette fille. Elle la trouvait sympathique, dynamique, fonceuse. Elle n’aurait jamais pensé qu’Étienne pût s’intéresser à elle. Elle le croyait très épris. Il était si prévenant, si adorable.

Elle songea brusquement au passé d’Étienne, à la tragédie qu’il avait vécue. Elle comprenait mieux maintenant le sens de son geste, de ce drame qui l’avait conduit aux abîmes. Lui aussi avait été affreusement jaloux, comme elle aujourd’hui. Elle se sentait soudain capable d’en faire autant. Frapper! Le détruire! Pour assouvir cette soif de vengeance, le punir de cette ignoble trahison, calmer cette douleur qui la torturait. Elle était prête à tout. Elle devenait folle.

Vers 19 heures, le téléphone sonne. Hélène hésita avant de décrocher. C’était Étienne sans doute. Il se défilait, annulait ce rendez-vous qui devait le confondre, elle en était certaine. Quel manque de courage! Elle l’aurait cru fair-play. Elle finit quand même par prendre le combiné et reconnut tout de suite la voix de Odette au bout du fil.

-Je suis chez moi, dit celle-ci. Je n’ai pas eu la force de retourner au bureau. Je voudrais te parler.
Hélène se hérissa.

-Tu souhaiterais savoir où j’en suis avec Étienne? C’est ça, hein?

-Oui, j’espère que tu ne lui as encore rien dit.

-Pourquoi?

Odette poursuit.

-Pardonne-moi, je t’en prie. Il faut que je t’explique.

Hélène entendit la respiration haletante de son amie au bout du fil. Enfin, celle-ci se jeta à l’eau.

-Ce que je t’ai raconté à propos d’Annie et d’Étienne est absolument faux. J’ai voulu te faire du mal. Je sais, c’est ignoble de ma part.

-Me faire du mal!

-Oui, Hélène, je n’en peux plus. Je suis au bord de la déprime. Je perds la tête. Je deviens folle. 

J’ai si peu de chance en amour que j’éprouve beaucoup de difficulté à supporter le bonheur des autres. Toutes les aventures que j’ai connues ne m’ont menée à rien. Personne ne m’aime. Je viens encore de rompre. C’est affreux, mais c’est ainsi. Encore une fois, je te demande pardon. J’ai agi comme une garce. Un véritable moment de folie. Cela m’exaspère tellement de vous voir si heureux tandis que je souffre de mon horrible solitude. Aucun homme, jamais ne s’attache à moi. Alors, j’ai agi par dépit, la haine au cœur. Depuis des semaines, je vous vois si amoureux... Votre bonheur me fait mal, tu comprends? J’ai voulu vous démolir.

-Je te plains, Odette.

Hélène raccrocha. Elle se mit à pleurer, mais de joie cette fois.

Quand Étienne arriva un peu plus tard, il ne comprit pas pourquoi elle se précipita vers lui avec une telle frénésie. Elle se jeta dans ses bras.

-Que t’arrive-t-il, Hélène?

-Je t’aime, ne cessait-elle de répéter. Oh! Si tu savais comme je t’aime!

Il la regarda. Elle était adorable. Et Dieu sait s’il l’adorait!

Il ne lui demanda aucune explication sur son comportement étrange, mais se contenta de l’enlacer.