samedi 31 octobre 2009

Guédé ou L'Halloween

Qui sont les guédé? Les guédé ce sont des esprits de la mort. Ils occupent par rapport aux autres loas une pulsion particulière. Ceux qui les craignent, s’esquivent à leur approche. Ils déchaînent alors une angoisse tempérée de joie. Car leurs grivoiseries, leur langage cynique et grossier, leurs chansons obscènes introduisent une cote d’imprévu désopilante, ou tragique selon l’angle sous lequel on la regarde. Leurs voix pareilles à un disque éraillé met de bonne humeur l’assistance, bien qu’elles soient un écho de l’outre-tombe. Ils dansent la banda à l’allure érotique. Leur accoutrement correspondant aux deux faces de leur personnalité, costumes noirs de cérémonie, fracs et jaquettes, robes de deuil et voilent formant la base digne de leur habillement vite dénaturé par des lunettes noires souvent rafistolées, des mouchoirs de couleur, des chapeaux tressés, des repiéçages, portent une sorte de linceul entortillé autour du cou, un drap pour bien marquer leur qualité de cadavre.
Ce qui est fascinant dans les guédé c’est que chaque mois de novembre, le groupe parental vivant dans la localité par exemple à Sibert (Haïti), se réunit pour donner à manger à ses défunts qui reposent dans les petits cimetières de la famille, dispersés ici et là dans les jardins. La fête des guédé commence par chaque tombeau avec un groupe de vodouisants, il récite des prières catholiques et bénit les ancêtres et les esprits morts sous l’égide du bon Dieu ou de Dieu l’éternel. Les vodouisants accompagnés des guédé (vodouisants en transe, chevauchés par des esprits morts) font les guignols et complètent le rite en arrosant les tombes de café, rhum et cacahuètes. Au retour, la fête commence : les guédé amusent le groupe avec leurs chants et leur histoires lubriques.

« Woy! Woy! Gadé machwa tinénè ak gwo zozo anba langèt solid Woy! Woy! Konbyen, konbyen ou tinénè krazé krazé ou, brize birze ou tinénè. Lè ou ap konyen, fè atansyon langèt mwen. Gade machwa ti nene ak gwozozo a kap karese anba langèt solid. »

“Oyé! Oyé! Regardez la mâchoire de Tinénè avec son gros pénis en bas du clitoris fort. Oyé! Oyé! Combien, combien petit nénè tu en as écrasé, écrasé, brisé, brisé. Quand tu fais l’amour (ou tu cognes), fais attention à mon clitoris. Regarde la mâchoire de petit nénè avec son gros pénis qui caresse en bas du clitoris fort… ».
Le discours lubrique et la danse érotique des guédé manifestent l’intime liaison entre la mort et l’érotisme. Par leur exaltation érotique, les vivants réunis en groupe transmettent leur énergie vitale aux esprits morts. L’échange symbolique s’articule à ce don énergétique et les esprits transforment cette énergie en énergie divine qu’ils rendent en fertilisant la vie. Comme dans le sacrifice, les échanges cérémoniels destinés aux guédé, manifestent la vie jusque dans la mort. Les vodouisants se familiarisent collectivement avec la mort en se livrant tout entier à une théatralisation polymorphe de l’expérience érotique. Un sentiment de continuité entre le monde des vivants et des morts leur est donné par la dépense sans limite du corps dans la danse puis dans la transe et le sacrifice. Le vodou demeure à mes yeux une expérience érotique collective. La transgression de l’interdit (transe, sacrifice, boire de l’alcool pimenté, manger du verre, grimper au poteau mitan, tenir un langage lubrique; permet au vodouisant d’éprouver son pouvoir de jouissance : « Être vodouisant, c’est transgresser, c’est être étranger dans sa propre demeure, être revenu d’ailleurs. N’être pas vodouisant, c’est en soi-même refouler systématiquement tout le non-maîtrisable et tout l’angoissant, devenir le gêolier du plus étrange de soi, un policier de la libido. Le vodou permet à ceux qui le pratiquent d’expérimenter à différents niveaux et de façon polymorphe les relations entre le désir et l’effroi, le plaisir intense et l’angoisse. Le vodou possède ses lieux d’initiation permettant de pousser les limites de la transgression de l’interdit toujours un peu plus loin. Les sociétés secrètes en Haïti répondent à cette expérience de la transgression où la levée des interdits, selon la gravité du sacrifice et les performances de la transe, éprouve plus profondément la personne et le groupe.

vendredi 30 octobre 2009

FORUM DE DISCUSSION SUR LA PENSÉE DE KANT - 1e partie

2e journée sur le forum de discussion : sur la formule de Kant :

« Si toute notre connaissance commence avec l’expérience, il n’en résulte pas qu’elle dérive toute de l’expérience. »

Introduction – Répondant à Descartes, qui avait soutenu l’existence des idées innées, Locke avait affirmé que toutes nos connaissances résultent de l’expérience. C’est à la recherche d’un compromis entre l’innéisme cartésien et l’empirisme de Locke que fut consacré le principal effort des philosophes du XVIIIe siècle. Le compromis proposé par Kant est bien exprimé dans cette formule : « Si toute notre connaissance… » Que faut-il en penser?

I. Explication. – Kant a été frappé par l’existence de jugements synthétiques à priori (expliquer), par exemple et surtout le principe de raison suffisante ou de causalité, levier de toutes les sciences et aussi de la métaphysique. Quelle est l’origine de ces jugements qui, d’une part, ne sont pas évidents puisqu’ils ne sont pas analytiques, et qui, d’autre part, ne sont pas vérifiables par l’expérience? Pour Kant, ces principes n’apparaissent que grâce à l’expérience, mais ils ne sont pas donnés par l’expérience.

A. Toute connaissance, en effet, commence avec l’expérience, et il n’y a point de connaissance innée. Antérieurement à toute sensation, il n’y a chez l’enfant aucune notion ou aucun principe d’aucune sorte. Comme disent les empiristes, sur la tablette qui symbolise son âme il n’y a rien d’écrit.


B. Cependant, toute la connaissance ne dérive pas de l’expérience, car la constitution ou la nature même de cette tablette détermine déjà, dans une certaine mesure, ce qui sera de même que, dans la plaque photographique, la composition chimique de la substance sensible détermine quelles radiations lumineuses seront enregistrées (autres comparaisons : longueur d’onde dans l’appareil de T. S. F., déformation imposée par un miroir non-plan, harmonique renforcé par un résonateur…). Voilà la concession faite aux innéistes.

Kant appelle forme ce qui, dans la connaissance, résulte de la constitution même du sujet connaissant; matière, ce qui est dû à l’action de l’objet connu. Mais, de même que la forme « rond » n’est rien sans une matière (bois, pierre, métal…) ronde, pas plus qu’il n’y a aucune matière qui n’ait quelque forme, de même il n’y a aucune connaissance qui ne comporte à la fois matière et forme : matière et forme prises séparément constituent une possibilité de connaissance, non une connaissance. C’est pourquoi, « si notre connaissance commence avec l’expérience » qui fournit la matière, « il n’en résulte pas qu’elle dérive toute de l’expérience », car il n’y a de connaissance que grâce à la forme constitutive du sujet connaissant et antérieure à l’expérience.

II. Discussion – Kant avait à résoudre un problème très difficile et sa solution ne manque pas d’élégance et de grandeur. Elle rend bien compte du caractère de nécessité et d’universalité des principes directeurs de notre connaissance.

A. Mais remarquons d’abord que son affirmation est fondée, non sur une donnée de l’expérience (on ne peut pas constater l’existence de formes à priori de la pensée avant l’exercice de la pensée provoquée par l’expérience), mais sur le raisonnement : c’est parce que certains jugements débordent les données de l’expérience qu’il conclut à leur origine extra-expérimentale. Au contraire, l’expérience des enfants semblerait montrer qu’il y a un commencement de connaissance antérieurement à l’acquisition des principes (Piaget).

B. Ensuite, on peut expliquer les jugements que Kant déclare synthétiques à priori sans recourir à l’hypothèse incontrôlable de formes à priori de la connaissance : 1e l’origine des principes s’explique par l’extension à tous les êtres des lois observées dans l’être que nous atteignons en lui-même, notre moi; 2e la justification de cette généralisation se fait ultérieurement, en constatant que le principe de raison suffisante dérive du principe d’identité et, par suite, est analytique et évident comme lui.
CONCLUSION : Nous pouvons donc admettre que notre connaissance dérive toute de l’expérience, non pas sans doute de l’expérience sensible, comme le prétendaient les empiristes, mais de l’expérience totale, sensible et rationnelle, par laquelle nous saisissons les choses et en même temps les rapports entre les choses.

* à suivre*

jeudi 29 octobre 2009

FORUM DE DISCUSSION SUR LA PENSÉE DE LEIBNIZ - 1e partie

Forum de discussion sur la célèbre formule de Leibniz : « il n’y a rien dans l’intelligence qui ne vienne de la sensation (ou mieux de l’expérience), si ce n’est pas l’intelligence elle-même. »

L’enfant, à sa naissance, n’est pas plus instruit que l’animal : il n’a même pas autant de ces savoir-faire innés que sont les instincts. Il devra tout apprendre en regardant, en écoutant, en palpant, en prenant conscience de ce qui est agréable et de ce qui fait souffrir : il devra expérimenter. Mais, étant doué d’intelligence, il pourra connaître la raison des faits qu’il expérimente et prendre conscience des vérités de raison, loi de toute pensée et condition de tout progrès.

PLAN
Expliquer et discuter la formule de Leibniz : « Rien n’est dans l’intelligence qui n’ait été auparavant dans les sens, si ce n’est l’intelligence elle-même. » (Grenoble, juin 1939)

INTRODUCTION – Le grand débat philosophique du XVIIe siècle fut celui de l’origine des idées ou principes de la raison. Vers la fin du siècle, Leibniz proposa, comme transaction, la formule suivante : « Rien n’est dans l’intelligence qui n’ait été auparavant dans les sens, si ce n’est l’intelligence elle-même. » Que signifie cette formule et quelle est sa valeur ».

I. La meilleure explication de la pensée de Leibniz sera de la situer par rapport à celle des philosophes entre lesquels il veut réaliser un accord.

A. Descartes avait soutenu l’existence d’idées innées, pour l’acquisition desquelles l’expérience serait inutile.
B. A l’opposé, Locke prétendait que l’expérience suffisait à expliquer la formation de toutes les idées.
C. Leibniz accorde à Locke que l’expérience est la condition nécessaire de l’apparition des idées, mais non la condition suffisante; car il est nécessaire aussi – et par là, raison est donnée à Descartes – d’avoir l’intelligence et les idées qu’elle contient virtuellement ou inconsciemment et que l’expérience fait seulement passer de la virtualité ou de l’inconscience à l’actualité ou à la conscience (La statue d’Hercule dans le bloc de marbre).

II. Discussion :
A. Prise en elle-même, la formule de Leibniz : a) paraît bien rendre compte à la fois des faits sur lesquels s’appuyait Descartes et de ceux qu’alléguait Locke (Cf. Foulquié, Précis, II, 246, 258); b) toutefois il semblerait préférable de dire : « tout ce qui est dans l’intelligence vient des sens, mais l’intelligence est une faculté distincte des sens. » Seulement cette formule n’exprimerait pas la pensée de son auteur. L’intelligence dont il est question à la fin de la phrase (« si ce n’est l’intelligence elle-même ») n’est pas, en effet, la faculté de comprendre, mais l’ensemble des idées de l’intelligence ou de la raison que Leibniz, fidèle cartésien, considère comme innées.

B. C’est pourquoi, si elle est interprétée comme la comprenait Leibniz, cette formule ne peut être retenue. Le recours à l’innéisme est une explication paresseuse à laquelle on doit ne recourir qu’à défaut d’autre hypothèse. D’autre part, il est bien difficile de comprendre en quoi consiste l’innéité des idées.

CONCLUSION. Nous ne retenons donc pas la théorie leibnizienne de l’origine des idées. Mais nous conservons, en l’interprétant à notre manière, qui est d’ailleurs la manière classique, la formule qu’il en a donnée et qui fournit la meilleure réponse au problème qu’il en a donnée et fournit la meilleure classique, la formule qu’il en a donnée et qui fournit la meilleure réponse au problème discuté : « Rien n’est dans l’intelligence qui n’ait été d’abord dans les sens, si ce n’est l’intelligence elle-même », c’est-à-dire la faculté de comprendre et de saisir les rapports qui existent entre les données des sens.

* à suivre *

mardi 27 octobre 2009

LES TEMPS DU VERBE - 2er partie

8. Au fond du gouffre bru________ un torrent (BRUIRE à l’imparfait)
isait
yait
issait
iait

Rép. : bruissait
Et : Il fuyait le soleil qui lui cuisait le visage.
Rem. : Les verbes en –UIRE font leur imparfait en –UISAIS, -UISAIS, -UISAIT, etc., Exception : le verbe BRUIRE fait le plus souvent aujourd’hui : BRUISSAIS. La forme BRUYAIS est désuète.

9. Je le consomm___________ hier, le reste du pâté de canard (passé simple).
ai
ais
é
is
Rép. : Je le consommai….
Mais : En attendant, je consommais (l’imparfait) tout ce qu’elle avait mis au frigidaire.
Et : Le consommé-je ou le gardé-je pour demain, ce flacon de cidre mousseux?
Rem. : Les verbes en –ER se terminent par –AI, -AS, -A, âMES, âTES, èRENT , au passé simple.

10. Il __________ y mettre le prix.
fallait
falait
(Au choix)
(Autre chose)
Rép. : fallait
Mais : Il valait mieux y mettre le prix.
Rem. : Le L de FALLOIR est toujours redoublé : PRéVALOIR n’a jamais deux L : VALOIR n’a deux L qu’au subjonctif présent.

11. On percev__________ avec assez d’exactitude le moment critique.
ra
oira
oirra
erra
Rép. : percevra
Mais : On prévoira du vin dans le colis qu’on enverra ainsi on ne le décevra pas et il boira à notre santé.
Rem. : VOIR, ENTREVOIR et REVOIR se terminent au futur par –VERRAI ; PRéVOIR et POURVOIR, par –VOIRAI; BOIRE et CROIRE, par –OIRAI; APERCEVOIR, CONCEVOIR, DéCEVOIR, PERCEVOIR et RECEVOIR, par –EVRAI.

12. Il ___________ demeuré plus d’une heure à contempler le château où il ___________ demeuré autrefois.
était, était
avait, avait
était, avait
avait, était
Rép. : était, avait
Rem. : L’auxiliaire utilisé avec DEMEURER dépend du sens : AVOIR DEMEURé : « avoir habité, ou tardé » êTRE DEMEURé : « s’être arrêté, être resté ».

13. Ces mets __________ conven____________ à n’importe qui.
seraient, u
auraient, u
seraient, us
auraient, us

Rép. : auraient convenu
Mais : Le menu dont nous étions convenus a convenu aux convives, qui m’en ont complimenté.
Rem. : L’auxiliaire utilisé avec CONVENIR dépend du sens. AVOIR CONVENU : « avoir été à propos, avoir plu »; êTRE CONVENU : « avoir admis, être tombé d’accord ». Néanmoins l’usage tend à ne plus utiliser que le verbe AVOIR.

14. Combien d’artistes qui étaient partis avec beaucoup d’ambition ____________ à se faire connaître.
n’arrivent pas
ne sont pas arrivés
(N’importe)
(Selon le sens)

Rép. : ne sont pas arrivés
Mais : ….. qui sont partis….. n’arrivent pas…
Rem. : L’aspect accompli s’impose dans la principale, vu que la relative (au plus-que-parfait) suppose une antériorité par rapport à un accompli.

15. L’œuvre qui me fascinait le plus à 20 ans,___________________________ de Camus.
c’est
c’était
ce fut
(Selon la nuance de sens)

Rép. : c’était
Mais : C’est Caligula qui me fascinait le plus, à 20 ans.
Et : L’œuvre qui me fascina le plus, ce fut etc.
Rem. : Avec le tour présentatif C’EST…… QUI ou QUE, la concordance des temps ne s’mpose pas.

lundi 26 octobre 2009

LES TEMPS DU VERBE - 1er partie

1. Les temps du verbe

J’agis donc selon l’ordre que j’avais reçu.
J’AGIS est ici au présent
J’AGIS est au passé simple
(N’importe)
(Selon le contexte)

Rép. : Au passé simple.
Rem. : La subordonnée au plus-que-parfait indique une antériorité par rapport à un passé…

2. Que veux-tu, il________________________avant 5h
faut que j’y allais
fallait que j’y aille
(Cela revient au même)
(L’un ou l’autre selon le sens)

Rép. : il fallait que j’y aille
Rem. : C’est la principale qui indique le temps absolu (passé, présent, futur). Les subordonnées indiquent un temps relatif (antérieur, simultané, postérieur).

3. Il_______________________ un temps où certains étudiants__________payer leurs études en travaillant à l’université.
était, pouvaient
fut, purent
fut, pouvaient
était, purent

Rép. : fut, pouvaient
Rem. : L’imparfait indique un passé quelconque, non marqué, mais le passé simple crée le « récit » : il enlève l’ancrage temporel du présent du locuteur pour le mettre à un moment du passé. Il apparaît donc dans la principale, et l’imparfait dans la subordonnée.


4. Hier, vous vous rappel_____ les mauvais tours que nous vous jou______ dans notre enfance.
ez, ons
iez, ons
ez, ions
iez, ions

Rép. : rappeliez, jouions
Mais : Vous vous rappelez votre enfance?
Et : Ne pensez pas que nous vous jouions (ou jouons) un tour.
Rem. : Les deux premières personnes du pluriel, à l’imparfait de l’indicatif et au présent du subjonctif, se terminent par –IONS, -IEZ (à l’exception de : AYONS, AYEZ, ou SOYONS et SOYEZ).

5. Hier encore, vous tressaill_____en l’entendant venir.
ez
iez
issez
issiez

Rép. : Tressailliez
Mais : Vous tressaillez en l’entendant venir (Le fait a lieu n’importe quand : le présent est le temps le plus général).
Et : vous vous blotissiez contre lui en pensée. Hier encore vous vous blottissiez entre ses bras.
Rem. : Les deux premières personnes du pluriel, à l’imparfait de l’indicatif et au présent du subjonctif du subjonctif, se terminent par –IONS, -IEZ (à l’exception de : AYONS, AYEZ, SOYONS et SOYEZ).
Et : Sur quelque 330 verbes en –IR, 300 intercalent –ISS- au présent de tous les modes, (sauf le conditionnel, qui est formé sur l’infinitif) et à l’imparfait de l’indicatif (ex. FINIR).


6. Il fallait que nous sc______ le bois et que nous nettoy________le hangar.
iions, ions
iions, ons
ions, iions
ions, ions

Rép. : sciions, nettoyions
Mais : Chaque soir nous scions, puis nous balayons et nettoyons le hangar.
Rem. : Les deux premières personnes du pluriel, à l’imparfait de l’indicatif et au présent du subjonctif, se terminent par –IONS, -IEZ (à l’exception de : AYONS, AYEZ, SOYONS, SOYEZ). Le I du radical des verbes en –IER se maintient avec le I de la terminaison.
Et : L’imparfait du subjonctif (il fallait que nous sciassions) n’est guère usité (sauf à la troisième personne du singulier (il fallait qu’il sciât), et encore.

7. Mes amis, il faut que nous voul_____ reconquérir nos droits. Veuill_______ maintenant nous lever pour chanter l’hymne national.
ons, ions
ons, ons
ions, ons
ions, ions

Rép : voulions, veuillons
Mais : Voulez et vous réussirez : veuillez me croire, c’est le seul secret.
Et : Que je le veuille n’est pas suffisant; encore faut-il que vous le vouliez aussi.
Rem. : Le verbe VOULOIR à l’impératif donne VEUX, VOULONS, VOULEZ, si l’on exprime une volonté forte. VEUILLE, VEUILLONS, VEUILLEZ, si l’on exprime un ordre courtois.

* à suivre *

dimanche 25 octobre 2009

LA MARGINALISATION DES AMÉRINDIENS - 7e partie

Le marginal, clôture nécessaire d’un monde en mal d’identité

La leçon est simple : tout centre pour se définir lui-même a besoin de sa marge. La marge constitue la limite à ne pas franchir pour être accepté dans la société du centre. Pour créer un marginal, prendre n’importe qui et ne pas lui reconnaître de cohérence interne. C’est ainsi qu’émergent les « sauvages », les « errants », les « fous », les « enfants » (serait-il tellement déplacé de mentionner les « femmes »), les « analphabètes », les « illettrés », certains groupes sociaux, certains groupes de travailleurs, certains tenants de sous-culture, ceux que, comme par hasard, Soi prive de rationalité. Par bravade peut-être, ou pour mieux asseoir son autorité? Plus vraisemblablement et plus simplement, dans le cas des Amérindiens au moins, parce que sans eux les Eurocanadiens et Québécois « ne pourraient sentir leur être propre »; parce qu’ils sont « ce à partir de quoi on existe », « la limite constitutive de la clôture » qui seule permet de définir sa propre identité.


L’idéal d’un monde sans marge et donc sans préjugé est utopique. Ce que l’on pourrait sans doute éviter cependant, c’est ce modèle statique et hiérarchisant basé sur la certitude, dans laquelle Soi se drape, de l’existence d’une vérité rationnelle et scientifique justificatrice d’abus de pouvoir et de comportements plus ou moins pathologiques. Sans doute pourrait-on penser à sortir du piège que nous tend le rapport d’altérité en apprenant à jouer de la dynamique des marges. Pour cela il faudrait que la distance entre Soi et l’Autre ne soit plus conçue comme nette, mais diluée en une multitude de possibilités, ce qui entraînerait aussitôt une multitude de possibilités dans la définition de l’identité de Soi. C’est en perdant son pouvoir de catégorisation, de classification unique et claire de l’univers, en apprenant à sauter d’un centre à l’autre, à nuancer l’image qu’il a de lui-même, à pratiquer le déséquilibre intégral que Soi retrouverait peut-être une sorte d’équilibre dans ses rapports avec l’Autre. Mais peut-être s’y perdrait-il lui-même. La ténacité avec laquelle le Soi québécois continue à s’arrimer à un Autre amérindien indique à quel point cet Autre est nécessaire à la constitution de l’identité québécoise.

samedi 24 octobre 2009

LA MARGINALISATION DES AMÉRINDIENS - 6e partie

Processus de fabrication d’un marginal

C’est dans ces descriptions fabriquées par Soi que se situent le comment et le pourquoi de la marginalisation. En effet la distance qui sépare Soi de l’Autre est parcourue de chemins le long desquels courent ces descriptions : il y a par exemple le vecteur du rapport à la guerre, celui du rapport à la nature, celui du rapport au monde invisible… À un autre niveau ceux du vêtement, de l’alimentation… À une autre encore celui de la liberté… etc. Autant de chemins qui s’entrecroisent et qui surtout mènent de Soi à l’Autre. Quelque part sur chacun d’eux, une ou plusieurs failles profondes, les points de rupture à partir desquels l’Autre, irrémédiablement, ne peut plus être Soi et devient l’Autre, cet Autre que Soi ne veut ou ne peut pas être. Si l’on prend par exemple le vecteur de la guerre, il est marqué par des points de rupture que l’on appellerait : torture, scalp, meurtre de missionnaires, fête de la mise à mort… Le vecteur alimentation a ses points de rupture aussi que l’on identifierait comme la consommation de chair crue et de graisse, l’odeur rance, l’absence de sel, la saleté… Le vecteur liberté se rompt brusquement quand celle-ci est définie par Soi comme anarchie, absence de contrainte sociale, de règle de mariage, désordre, mais il reste continu et contigu à Soi quand il est vu comme indépendance politique, autonomie personnelle, contestation du pouvoir étranger.


La distance qui sépare Soi de tout Autre peut être vue comme un continuum brisé, comme un champ défini par une série de lignes qui brusquement se rompent pour reprendre plus bas. L’Autre devient marginal quand les brisures sont trop nombreuses ou intolérables. Elles créent alors une faille de part et d’autre de laquelle on sait fort bien à qui on a affaire, c’est-à-dire qu’elles déterminent le champ de Soi et érigent l’Autre en clôture.


L’image de l’Amérindien a changé depuis 15 ans. À la limite sans doute est-il secondaire de connaître les nouvelles images sinon pour prendre la mesure des nouvelles représentations que nous nous donnons de nous-mêmes. Ce que l’on peut étudier cependant, ce sont les lignes empruntées par la définition de l’image. Ces lignes-là changent-elles? N’a-t-on pas ajouté récemment pour le XVIIe siècle, l’image d’un Amérindien artisan dont le travail soutient l’implantation du système capitaliste ou celle d’un Amérindien victime des valeurs missionnaires? N’a-t-on pas évacué non seulement l’Iroquois friand de tortures mais aussi l’Iroquois guerrier? D’autre part, même si les grandes lignes de définition de l’image restent les mêmes, les points de rupture, eux, se déplacent sans doute. Tel comportement d’abord classé du côté de la marginalité va finir par être repris, transformé, dénaturé souvent, puis intégré à soi. Prenons l’exemple du nomadisme. Souvent comparé, pour être compris, au camping de fin de semaine, il n’est plus symbole de primitivisme mais de besoin d’espace et de liberté, de rapports intimes avec la nature. Depuis qu’il n’y a plus d’Amérindiens dits « nomades » au Québec, le nomadisme passé au broyeur de la société dominante a commencé à se recycler en valeur sûre. Sur la ligne du nomadisme, le point de rupture entre Soi et le marginal n’est donc pas au même endroit qu’il y a 15 ou 30 ans.


Les voies privilégiées qui permettent d’aller et venir entre le Québécois et l’Amérindien, les lieux de rupture qui font que l’Amérindien est maintenu à la marge, tout cela donc se modifie ainsi que la définition de l’image globale. Mais l’Amérindien reste dans le champ du marginal, veilleur de nuit aux frontières du monde connu, point de repère important pour ceux qui s’inquiètent du niveau évolutif de leur propre société comme pour ceux qui, tracassés par leurs origines, se cherchent de lointains ancêtres en guise de référence.


Conserver cet utile marginal aux frontières de son passé et de son avenir, c’est pour Soi se constituer un bloc solide et indivisible, sûr de lui. Il lui faut taire bien des choses sur lui-même, refuser toute nuance, toute pondération qui risquerait de lancer des têtes de pont entre l’Autre et lui-même et, par là, peut-être, de rendre moins évident son droit sur l’Autre, moins justifiée son autorité sur lui, moins claire sa supériorité. Marginaliser l’Autre, ce n’est pas un jeu. Cela fait partie, pour Soi, des stratégies de survie. Pour y arriver il doit s’astreindre à ne jamais se reconnaître lui-même comme le marginal de l’Autre. À ne pas imaginer une seule fois que l’Autre puisse avoir son propre système classificatoire au centre duquel il se place. À ne pas reconnaître l’Autre comme lui-même, siégeant au cœur de son propre système de référence mais comme un Autre n’ayant pour identité que celle que lui accorde Soi. Et c’est sans doute ce qu’il y a de plus fascinant – certains diraient décourageant – dans l’habile auto-pédagogie de notre société. Elle ne s’autorise à déstabiliser l’image de l’Amérindien qu’elle s’était imposée à elle-même que pour mieux en construire une autre, exact contrepied de la première souvent, qu’elle fait passer pour plus « juste », plus « réelle », enfin conforme à la « vérité ». Elle évite ainsi la troublante incertitude, la demi-mesure, les demi-teintes, la nuance, le double jeu. Elle évite la vie quotidienne et complexe pour se conforter, une fois de plus, dans de rassurantes catégories conceptuelles.
* à suivre *

vendredi 23 octobre 2009

LA MARGINALISATION DES AMÉRINDIENS - 5e partie

L’étiquetage des marges

Une fois établi le système classificatoire dans lequel Soi et l’Autre entretiennent ce rapport hiérarchique, il faut esquisser le contour de l’Autre et, si possible, le maintenir à l’intérieur d’une définition facilement contôlable. Pour cela on le passera au processus de l’étiquetage, on le tiendra sous la férule de l’image globale, de la catégorisation simple, de la comptabilité, du recensement, de la liste en colonnes par deux. Ainsi on parlera souvent dans les manuels, les romans et les journaux des « Indiens » ou des « Amérindiens » ou des « autochtones » sans tenir compte des spécificités nationales, locales, linguistiques, culturelles, etc. Sous cette étiquette générale on en collera de plus particulières que l’on tendra à ranger en lignes droites quitte à forcer un peu la « réalité ». Par exemple les Algonquins seront tous chasseurs nomades et patrilinéaires, faisant le pendant parfait et clair des Iroquois agriculteurs sédentaires et matrilinéaires. On trouvera des termes expéditifs, explicites et classificatoires pour parler de l’art et de la religion, de l’organisation sociale et politique. On ramènera l’Autre à l’état d’image d’Épinal : le guerrier cruel, le mangeur de viande crue, la mâcheuse de peaux, l’orateur au discours imagé, le trappeur victime du système capitaliste, le sorcier rusé, le chef qui n’en est pas un, la potière harassée de travail, l’habile pagayeur, l’infatigable voyageur, le guide fidèle, l’alcoolique malpropre… panoplie d’images qui deviendront vite symboles. Les Amérindiens ne sont pas des gens qui existent, que l’on peut rencontrer, avec qui on peut communiquer. Ce ne sont que des fonctions.

* à suivre *

jeudi 22 octobre 2009

LA MARGINALISATION DES AMÉRINDIENS - 4e partie

Un seul système de classification du monde

Alors revient la question : comment maintenir l’Autre à une certaine distance de Soi. La valorisation comme l’infériorisation de l’Autre s’obtient bien facilement, en se situant toujours à l’intérieur d’un système que Soi à établi lui-même (c’est lui qui s’est placé au centre et c’est lui qui tient le miroir). Soi ne connaît pas les systèmes classificatoires de l’autre, il ne veut pas les connaître sinon à titre de curiosité. Soi n’est occupé qu’à ordonner le monde dans le cadre de son propre système. Dans le cas des Amérindiens, qu’on les dise supérieurs ou inférieurs aux Eurocanadiens, cette supériorité ou infériorité apparaît à l’intérieur d’un système défini par les Eurocanadiens. Par exemple, les Amérindiens sont presque toujours dits intermédiaires entre la nature et la culture. Or, que la nature soit vue comme hostile, bestiale, dangereuse ou comme généreuse, fragile, source de vie, il s’agit de toute façon de la nature telle que nous la définissons (depuis la forêt fermée du XVIIe siècle jusqu’à l’univers spatial du XXe). La marginalisation permet de classer l’Autre, elle ne permet jamais à l’autre de faire part de ses propres systèmes de classification. Parce qu’en fait l’autre n’existe pas pour lui-même. Il n’existe que relativement à soi. Et c’est probablement le propre du racisme et de tout autre type de discrimination que d’ajouter à l’établissement de la distance entre Soi et l’Autre cette hiérarchisation basée sur le pouvoir que Soi s’arroge d’être le seul à ordonner le monde.


On assiste en ce moment à des élans de bonne volonté entraînés par le mouvement de balancier mentionné plus haut et qui font tendre l’image de l’Amérindien vers le pôle positif. Mais tout cela se trame à l’intérieur de notre propre système conceptuel. Par exemple, on expliquera les questions territoriales en disant que les Amérindiens tiennent à leurs terres comme nous tenons à nos propriétés privées sans se demander à quoi correspond le concept de « propriété » dans les cultures amérindiennes. Ou bien on voudra dire l’Histoire comme si c’était un « vieil indien » qui la racontait à des petits-enfants sans se demander ce qu’est le concept de temps, ce qu’est l’Histoire, comment on la raconte dans les cultures amérindiennes. Parfois on fera place, une petite place spécifiquement réservée et dont on est fier, à un « historien » amérindien. Et voici l’Autre, de nouveau, ramené à Soi, dépossédé de sa différence, parfaitement absorbé. Quand, mû par une sorte de culpabilité, Soi extirpe l’Autre des marges où il l’avait placé, il ne peut que le dissoudre à l’intérieur de lui-même.


Ainsi les choses se précisent. 1) L’Autre amérindien, pour être autre, doit être à une certaine distance de Soi. S’il est trop près, s’il est trop loin, il disparaît. 2) Cette distance est celle qui permet à soi de voir dans l’image de l’Autre l’inverse de lui-même. Dès que l’image de l’Autre se rapproche trop de celle que Soi a de lui-même, l’Autre n’est plus. 3) Pour que cette image ne s’approche pas trop de celle que Soi a de lui-même, il faut que le rapport d’altérité soit envisagé comme un rapport hiérarchique dans lequel à long terme l’Autre est obligatoirement inférieur (son séjour dans les sphères du dessus ne peut être qu’éphémère. 4) Pour maintenir cet Autre amérindien à la bonne distance et à la bonne hauteur relative, il suffit pour Soi d’ériger son propre système classificatoire en un système unique sans s’intéresser à ceux de l’Autre. S’il s’y intéresse ce sera à titre documentaire et muséologique et ce sera une autre façon de renvoyer l’Autre aux marges de l’Histoire et de la société nationales.
* à suivre *

mardi 20 octobre 2009

LA MARGINALISATION DES AMÉRINDIENS - 3e partie

Nécessaire rapport hiérarchique du centre aux marges

Quand on se demande par quelle stratégie Soi s’arrange pour maintenir cette distance, on s’aperçoit que le processus de marginalisation ne va pas seul. Il procède d’un système classificatoire dans lequel le centre représente la norme et la frontière l’a-norme, l’ex-centrique, l’extra-ordinaire. Ce système, qui joue sur la distance, l’envisage dirait-on à la verticale davantage qu’à l’horizontale. L’Autre amérindien est inaccessible, inimitable, soit parce qu’il est trop bas, trop près de la nature, trop dépourvu de culture (trop bestial peut-être) soit parce qu’il est trop haut, trop mystique, trop près des forces surnaturelles ou extra-terrestres (trop spirituel presque).

Ainsi l’Autre, théoriquement, peut-être au-dessus de Soi. Et l’Autre amérindien peut-être au-dessus du Soi eurocanadien. C’est même une tendance qui se fait jour actuellement, notamment dans les romans. Sur le plan de la sagesse, de la compréhension de la nature, de la maîtrise de soi, par exemple, l’Amérindien est parfois montré comme nettement plus avancé que l’Eurocanadien. Mais cela ne lui sert à rien. C’est au contraire une façon, pour Soi, de le diriger, par delà la marge, vers la mort ou dans l’infini de l’espace sidéral où l’Autre rejoint les forces surnaturelles ou extra-terrestres. Cela ressort nettement des romans dans lesquels l’Amérindien ne peut survivre en tant qu’Amérindien parmi les Euroquébécois, cela ressort des manuels dans lesquels l’idéologie du « tout bon Amérindien est un Amérindien mort » est remplacée par celle du « tous les bons et vrais Amérindiens sont morts ». En fait quand il renvoie une image négative de l’Eurocanadien, l’Amérindien imaginaire doit mourir. Même si la marge, parfois, paraît au dessus du centre, cela ne peut durer que le temps d’un modèle, d’une image fugace, d’un regret. Pour l’ensemble du Soi collectif euroquébécois, les valeurs dites amérindiennes sont comme un idéal à l’horizon de bien des textes, de bien des projets de revalorisation des cultures, une façon de se critiquer soi-même à peu de frais. Tout cela n’empêche pas qu’au bout du compte il faille un plus fort et que le plus fort soit celui qui survit. On peut bien quelque temps et sur le mode utopique jouer avec l’idée d’un Amérindien qui aurait quelque chose à apprendre aux Euroquébécois mais sur le mode topique les morts comme les absents ont toujours tort. Dans un système où le rapport entre Soi et l’Autre est hiérarchique, une seule solution reste possible à long terme : l’infériorisation de l’Autre. C’est ainsi que l’Amérindien, dans plusieurs romans pour les jeunes est celui qui n’a pas réussi à évoluer. Sympathique parfois, mais dépassé. Les manuels mettent tout en œuvre pour faire comprendre que les Amérindiens ont été vaincus. C’est leur faiblesse sur le plan de la culture qui leur a joué un tour. Quant aux chroniques de chasse et de pêche, elles avisent généralement le lecteur que les Amérindiens eux-mêmes auraient renié leurs anciennes valeurs, leurs anciennes cultures troquant par exemple le respect pour la faune contre le braconnage et la raquette contre la moto-neige. L’Amérindien quand il est valorisé ne résiste pas à l’usure du temps. Sous sa face positive, il n’est qu’une comète éphémère au firmament de l’imaginaire et n’a d’autre issue que de disparaître ou de retomber en position inférieure.

* à suivre *

lundi 19 octobre 2009

LA MARGINALISATION DES AMÉRINDIENS - 2e partie

Établir la distance par le jeu des miroirs

Mais on a beau jouer théoriquement avec l’idée d’éliminer l’Autre, et plus particulièrement l’Autre autochtone, la réalité n’est pas si simple. Car en tuant l’Autre, on prend le risque intolérable de rester seul face à soi-même ou face à l’univers. Cet Autre, en fait, a son utilité. On en a besoin comme balise, comme point de repère entre Soi et l’infini, comme clôture dirait Barthes. Alors, loin de le tuer, on le crée, on l’invente.

Seulement on maintient son image à une certaine distance et la longue histoire des rapports d’altérité avec les autochtones n’est peut-être que la recherche d’une distance acceptable entre l’idée que l’on se fait d’eux en tant qu’Autre et l’idée que l’on se fait de Soi.

Dans sa version amérindienne, l’Autre est gardé aux frontières de l’histoire et du monde habité, à cette distance juste où il peut servir de miroir. Et c’est parce qu’il est miroir que le monde de la marge, à première vue, n’est pas obligatoirement soit positif soit négatif, mais peut-être les deux l’un après l’autre ou simultanément. Tout dépend de la façon dont on se voit soi-même. Si l’on estime, par exemple, faire partie d’une civilisation en marche continue vers le progrès, l’Amérindien risque fort d’être un primitif demeuré en deça de ce progrès ou courant péniblement après le train qui, dit-on, l’emporte. Si, par contre, on pense que notre société s’oriente vers la destruction de son capital écologique, l’Amérindien apparaît comme le sauveur de la planète, une sorte de réconciliateur. Soi est au centre, qui tient son miroir à bout de bras. Il tourne sur lui-même. De quelque côté qu’il regarde, il trouve un Amérindien-miroir renversé c’est-à-dire une image d’Amérindien que Soi estime être l’inverse de ce qu’il pense être lui-même.

Dans l’ensemble, les auteurs des manuels publiés dans les années 70 avaient la certitude que notre société filait vers le mieux, ayant depuis longtemps laissé loin derrière elle les sociétés autochtones. Les tenants d’un pôle amérindien négatif sont sans doute encore majoritaires mais aujourd’hui se multiplient les voix qui affirment, outre la présence de l’Amérindien au XXe siècle, sa sagesse, ses connaissances en fait d’environnement, la justesse de ce que l’on imagine être son choix de société… Revue et corrigée, l’image du bon (noble) Sauvage refait son apparition en certains manuels et romans récents. Et lorsque, dans quelques colloques ou congrès, s’élève soudain la voix d’un Amérindien ou d’une Amérindienne, nul ne sait ou ne veut discerner dans son discours tous ces éléments bricolés à partir de notre propre discours. On l’écoute en silence comme s’il venait en droite ligne, nu et pur, du fond de la forêt, de ces lieux enviés où vivent encore les sages, les mages d’un savoir inconscient et global, les Yodas d’un siècle menacé par la guerre des étoiles. On se surprend à ses lèvres comme à celles d’un mourant, gorgés de respect, tremblants du plaisir que doit procurer sûrement l’authenticité. On érige en mystère cette parole pourtant claire pour se donner l’illusion de parvenir, à la suite d’un long voyage, aux portes de notre marge et l’on ne sait pas que ce que l’on aime surtout dans le discours du mourant c’est que, même s’il parle de lui, on ne l’entend parler que de nous. Ultime jeu du miroir auquel on pense que l’Autre se livre avant de basculer dans le vide ou de retourner dans l’ombre inaccessible d’une forêt imaginaire.

Voici donc l’Amérindien affublé plus souvent qu’autrefois du signe +. Mais, qu’elle soit positive ou négative, la marge reste la marge. L’Amérindien imaginaire peut bien osciller du pôle lâcheté-dépendance au pôle fierté-indépendance, du pôle infantilisme au pôle sagesse, du pôle cruauté au pôle innocence, du pôle ignorance au pôle savoirs naturels, du pôle grognements gutturaux au pôle art oratoire consommé, une chose est sûre, c’est que la pendule sera toujours en position extrême, toujours aux limites de l’humanité et jamais en ce centre occupé par Soi. Autrement dit, entre l’Eurocanadien et l’Amérindien subsiste toujours une distance, quelle que soit la position de l’Amérindien dans l’imaginaire de son vis-à-vis. Et cette distance est voulue infranchissable.


* à suivre *

dimanche 18 octobre 2009

LA MARGINALISATION DES AMÉRINDIENS - 1e partie

Je poursuis ma réflexion sur la marginalité mais cette fois-ci, c'est un regard sur la marginalisation des Amérindiens sur la plume de Sylvie Vincent.

(…) le peuple n’a, dans cette littérature, qu’une valeur purement fonctionnelle (…). En termes formels (…) les classes pauvres, qu’aucun regard politique ne vient éclairer, sont ce pur extérieur sans lequel la bourgeoisie et l’aristocratie ne pourraient sentir leur être propre (…); les pauvres sont ce à partir de quoi on existe : ils sont la limite constitutive de la clôture.
Roland Barthes (Préface aux Caractères de La Bruyère)


L’Amérindien tel qu’il vit dans les journaux, les manuels, les romans québécois, est sans doute un bon exemple, - dans le sens d’un exemple fort, marqué, net – de l’Autre. Grâce à l’image qu’elle ne cesse de s’en inventer, notre société s’enseigne à elle-même comment composer avec l’altérité. C’est une question importante, une question de survie car, qui dit altérité dit automatiquement identité en ce sens que cette dernière, que ce soit pour un individu, un groupe, une nation, prend assise sur l’opposition à l’Autre. Au Québec on pourrait penser que l’Autre est exclusivement anglophone, mais il est aussi autochtone et de plus en plus, à Montréal du moins, haïtien, vietnamien, etc.


L’Amérindien a ceci de spécial qu’il a été l’Autre du Québécois depuis le début de la colonisation et que au cours de l’histoire, il s’est rapproché du Québécois jusqu’à parfois se fondre en lui pour que ce dernier s’oppose aux anglophones ou aux Européens. Voici donc un Autre particulièrement intéressant pour cet enseignement que le Soi québécois veut se faire en ce qui concerne la conduite à tenir à l’égard de l’Autre en général.


· Un idéal théorique : l’au-delà des marges

La leçon à priori ne semble pas trop difficile. Elle comporte deux solutions et qui reviennent au même dans un ballet de deux où le « et » et le « ou » ne sont plus alternatives mais similitudes. Dans ce face à face entre le Soi collectif et l’Autre, tout aussi collectif, une seule issue théorique en effet : la mort de l’Autre, du moins quand l’Autre est Amérindien. Celle-ci s’obtient en jouant sur la distance qui sépare l’Autre de Soi : elle peut être étirée jusqu’à devenir infinie ou être abolie totalement. Dans le premier cas, l’Autre est projeté dans un lointain dont il ne pourra jamais revenir, un lointain hors de portée, hors de vue, un lointain que seule l’imagination peut rejoindre. Dans le deuxième cas, l’Autre devient tellement proche de Soi qu’on ne le voit plus. Soi le fait en quelque sorte entrer dans son orbe à tel point que l’Autre n’est plus un autre mais un semblable, il n’est plus l’Autre mais Soi. Incorporation qui permet de nier que l’Autre ait une identité et de mettre en doute son existence. Deux façons, donc, d’éliminer l’Autre : l’expédier dans un monde mythique ou l’engloutir.


Les manuels scolaires, les chroniques de chasse et de pêche, les romans pour adolescents jouent avec ces deux idées. Au commencement étaient les Amérindiens, il y a longtemps. Aux frontières de l’espace habitacle vivent les Inuit, à une distance infinie. Tandis qu’ici et aujourd’hui, ceux qui se disent Amérindiens et Inuit n’en sont pas, ayant perdu les symboles de leur identité (plumes, canots, raquettes, kayaks, iglous, etc.) et étant devenus des assistés sociaux, c’est-à-dire un sous-groupe à l’intérieur de notre société.


Les manuels, les romans, les journaux disent ces choses, mais ils les font aussi sentir. Par exemple la majeure partie des pages et paragraphes que les manuels d’histoire du Québec et du Canada accordent aux Amérindiens (autant en 85 qu’en 70) se trouvent dans le premier tiers des livres (Régime français et avant) et dont font des Amérindiens des êtres du passé. Ensuite il n’en est plus question ou à peine (Pontiac, Riel, parfois un maigre paragraphe pour la période actuelle), comme s’ils n’existaient plus en tant qu’Amérindiens. Nous avions observé aussi (Arcand et Vincent 1979) dans les illustrations des manuels la leçon dont l’Amérindien glisse du premier plan au second pour finir en fond de toile, silhouette floue fondue dans le décor et prête à en sortir dès le début du XVIIIe siècle. Quand à elles, les chroniques de chasse et de pêche des quotidiens du Québec s’évertuent à nier la spécificité amérindienne et à revendiquer pour les nations autochtones une égalité qui les ferait disparaître dans le grand tout national.

* à suivre *

samedi 17 octobre 2009

LA MARGINALISATION - 5e partie

Et tout cela, bien sûr, est étonnamment rassurant. La connaissance du réel et de l’authentique garantit la possession tranquille de la vérité. Ce qui était conflit et contradiction devient normal, car la vérité crue est toujours accablante, et la culture devient gérance collective du déficit et de la monstruosité : il n’y a plus de problèmes parce que TOUT est devenu problématique. On sait, maintenant, que les businessmen auraient voulu être des artistes et que les artisans aimeraient gagner beaucoup d’argent.


On objectera peut-être que l’entreprise demeure toujours rien de mieux qu’une vaste fumisterie et que ce qui est appréhendé n’est jamais la réalité mais une série d’images fabriquées et marchandées. À cela il faut répondre qu’une telle distinction appartient à un ancien régime imaginaire, que rien n’est plus vrai que le monde télévisé et qu’il serait regrettable d’en laisser la seule conscience aux politiciens. Max Frisch disait que la technologie est « l’art d’arranger le monde pour ne pas être forcé de l’affronter ». Il en a probablement toujours été ainsi mais la technique s’améliore et permet mieux que jamais d’éviter le monde et donc autorise le spectacle et la connaissance intime de ce qui autrefois aurait paru trop menaçant. Le risque eut été socialement impensable sans d’abord assurer que l’auditoire demeurera distant et le plus souvent muet.


Si on revient enfin à l’essentiel de l’argument d’Ellen Corin, il semble que ces sociétés « autres », dont le succès démontré nous fait envie, offrent une solution stratégique d’intervention qui ne nous fera pas grand plaisir. Leurs systèmes de représentations, qui sont toujours des systèmes étroits, précis, particuliers et surtout largement intolérants. Ce n’est pas qu’ailleurs on tolère ou accepte la folie. Au contraire, ailleurs, on comprend la folie : on la dit clairement folle, marginale et inacceptable. Pour celui ou celle qui la vit, il n’y a le plus souvent d’autre issue que la guérison ou l’exclusion sociale. Tandis qu’ici, la folie n’a plus de sens dans sa relation à un centre ou à une normalité qui ne sont plus saisissables : la folie est incomprise, intéressante et au mieux inquiétante. Inquiétante surtout par ce qu’elle ajoute au doute et à l’incertitude du centre. Et si la folie n’a plus de sens et que le centre est peuplé de marginaux, exemplaires et rémunérés, les fous peuvent-ils être si différents? Tout au plus incompris ou malchanceux, comme disent souvent les thérapeutes.

Il s’agit moins de savoir si la question est excessive que si elle va dans un bon sens. Car si la question s’avère pertinente et si on arrivait à démontrer la thèse qui la sous-tend, on ne se surprendrait plus des échecs de nos interventions thérapeutiques. Mais il nous faudrait aussi admettre le choix ignoble entre l’intolérance injustifiable et la folie incurable.

vendredi 16 octobre 2009

LA MARGINALISATION - 4e partie

Il est assez remarquable que les héros d’aujourd’hui soient non seulement fatigués, mais qu’ils aient largement disparu; pire encore, qu’ils se voient réduits à n’être plus que vagues et nostalgiques souvenirs ne pouvant être réintroduits qu’au travers du filtre de l’humour qui nous fera rire de Superman et d’Indiana Jones. La consultation de la liste des récents sujets de thèse en sciences sociales fera apparaître une longue série de femmes coupées en morceaux, de pauvres et de misérables, d’Amérindiens alcooliques et dépressifs, d’handicapés de toutes sortes, de vieillards déchus et déçus. Et le cinéma moderne aime beaucoup les histoires tristes et accablantes de jeunes filles de 12 ans, droguées et prostituées. Tous ces marginaux envahissent le centre de nos préoccupations. Comme si la marge était de plus en plus centrée. Et nous recherchons passionnément les nouvelles formes de marginalité, l’exploration des derniers recoins des déviations et des perversions humainement possibles. Le sort pénible d’une minorité originale ou d’un handicap encore inconnu garantit l’auditoire.


Parallèlement, on a aussi développé une passion pour la documentation totale, entière et extrême du réel. C’est le voyeurisme le plus complet : il faut tout voir, tout connaître, et rien ne peut plus demeurer secret ou privé. Les touristes entrent dans votre cuisine pour pouvoir dire qu’ils ont vraiment pris contact avec les « autochtones », et la pornographie atteint ce qui ne peut être dépassé que par la chirurgie. On ne tolère plus le simulacre ou le faux : les faux indigènes et les acteurs sont en voie d’extermination. Il faut toujours et partout atteindre l’authenticité parfaite. Toucher le vrai rocher de Plymouth, rencontrer de vrais Indiens, avoir lu le vrai texte original de Marx, ou voir des gens vraiment ordinaires tout nus («The girl next door » de Playboy).


D’autre part, et nous retrouverons là notre question, parmi les principaux effets de ce nouvel état de choses, il y a aussi la conviction généralisée que nous sommes tous, chacun de nous, de quelque manière handicapé, un peu gros, un peu petit, myope, lent ou grossier, sans parler de l’hystérie ou de la Pensée Sauvage qui sont en chacun de nous. Nous sommes tous devenus marginaux, du moins nous le croyons, et la société prend sous nos yeux forme d’un assemblage grandissant de niches de marginalités multiformes. D’où l’importance non tant de respecter ces différences mais de s’en protéger. Chacun est fou à sa manière et chacun est bien car la folie des autres, seule véritable menace, nous concerne de moins en moins. En même temps, et offrant une contradiction qui n’est qu’apparente, la distanciation et la tolérance prennent forme dans une notion tout à fait nouvelle de responsabilité généralisée : nous sommes tous passagers d’un même vaisseau spatial, dont nous sommes tous responsables et tout cela est de notre faute.

* à suivre *

jeudi 15 octobre 2009

LA MARGINALISATION - 3e partie

On trouvera facilement d’autres exemples. L’art est devenu obscène, en perdant sa scène : Andy Warhol peint une boîte de soupe Campbell et John Cage déclare « musique » le bruit de l’usine, de la rue ou du silence. Évidemment, des experts sont encore pressentis pour discuter si tout cela est vraiment de l’Art, alors que la nouveauté est en fait de déclarer que l’art, comme l’esthétique et la beauté, est à trouver partout. Même transformation au théâtre, qui devient souvent théâtre sans scène et presque sans acteurs : avec participation immédiate, qui retrace notre vie quotidienne et fait que le théâtre, comme le cinéma d’ailleurs, n’est plus que mauvaise télévision.


Dans ce processus, le réel n’est plus effacé au profit de l’imaginaire, mais au profit du plus réel encore. Il faut surtout faire plus vrai que vrai. La disparition de la scène fait disparaître le spectacle, le jeu et l’illusion. Tout devient visible et il n’y a plus de secret : il faut connaître tous les ingrédients qui entrent dans un produit; le quotient intellectuel de chacun; trouver la fonction exacte de chaque lobe du cerveau; des satellites espions nous observent; votre vie sexuelle est sujet de discussion publique, quand ce n’est pas d’exposition pornographique; et si vos cheveux sont teints ou votre cœur en plastique, tôt ou tard on l’apprendra. Il y a là une fantastique illusion d’une transformation radicale de ce qui avait traditionnellement été la culture : le partage collectif du secret, du simulacre, de l’illusion, la maîtrise des apparences et la complicité dans le mensonge. La culture serait devenue le partage du réel et de la véracité.


Ce qui fait dire à Baudrillard :
Dans un monde où l’énergie de la scène publique, l’énergie du social comme mythe et comme illusion (dont l’intensité est maximale dans les utopies) est en voie de disparition, le social se fait monstrueux et obèse, il se dilate à la dimension d’une niche, d’un corps mammaire, cellulaire, glandulaire, qui, jadis, s’illustrait dans ses héros, et aujourd’hui s’indexe sur ses handicapés, ses tarés, ses débiles, ses asociaux, dans une gigantesque entreprise de maternage thérapeutique. (1983 :79)
* à suivre *

mardi 13 octobre 2009

LA MARGINALISATION - 2e partie

Sans grande prétention, il semble relativement facile de reprendre ces idées déjà connues et de montrer que les interventions thérapeutiques de notre société sur la folie demeurant cohérentes avec nos façons d’organiser le travail et l’assemblage des rapports sociaux. Par contre, il me paraît plus prometteur et peut-être à long terme plus productif de suggérer l’exploration d’un argument différent, apparemment moins connu et possiblement excessif, et qui par certains aspects inverse celui d’Ellen Corin.


En deux mots, cet argument contradictoire dirait que ces sociétés autres, qui semblent connaître tant de succès dans le traitement de la folie, réussissent parce qu’elles marginalisent la folie beaucoup plus que nous. Et que notre échec ne proviendrait donc pas d’une quelconque marginalisation sociale appuyée par nos institutions. En d’autres termes, ces sociétés autres réussissent parce que très largement intolérantes, alors que nous ne sommes même plus certains du lieu de la tolérance.


L’argument suit très librement la thèse avancée par Baudrillard (1983), selon qui tout système social connaîtrait un point limite au-delà duquel il entre dans la non-contradiction, dans sa propre contemplation éperdue, dans l’extase. Un point où l’univers devient voué aux extrêmes plutôt qu’à l’équilibre, où la logique du social atteint son extrémité et entraîne l’inversion de ses finalités, l’inertie, l’extase et l’extermination.


Ce mouvement vers l’inertie présente quelques grands symptômes. Peut-être d’abord, la saturation (des arguments comme de l’information), qui devient excroissance et cancer. Puis, il y a ce que Baudrillard nomme l’obscène : la disparition de la « scène », des lieux sociaux identifiables et localisables. Par exemple, quand tout devient politique et que le politique est à trouver partout; comme l’a montré dans le passé la menace d’une bombe dans le métro de Toronto, au printemps de 1985, revendiquée comme partie de la campagne de protestation de certains groupes arméniens contre le génocide de l’administration turque en 1915. Le politique, tout comme le culturel, l’économique, le sexe, le social, le religieux et le reste, a maintenant tout envahi et on a ainsi atteint le point d’extension maximale de ces catégories autrefois distinctes et spécifiques. Et quand tout devient « politique », cela marque en même temps la fin du « politique » comme significatif. Le social, comme le sexe, n’est plus dans le social ou dans l’activité sexuelle, il déborde partout, entre partout, envahit tout. Comme dit Baudrillard, finie la socialité polie, cérémonieuse, mythique et transcendante, c’est maintenant la socialité immédiate, totale, donnée d’emblée, celle du rapprochement, du contact et du tutoiement. Nous nous croyons maintenant tous devenus des travailleurs sociaux. C’est le triomphe de la promiscuité et l’effacement de la distance. Et parce qu’il n’y a plus de responsables identifiables, nous le sommes tous. La responsabilité est devenue illimitée et indéterminée et tous nous pouvons donc servir d’otages… même les usagers du métro de Toronto. Nous appartenons maintenant à une société à responsabilité illimitée.
* à suivre *

lundi 12 octobre 2009

LA MARGINALISATION - 1e partie

LA MARGINALISATION
Pour donner suite à la Punkitude, comme forme de marginalisation, nous poursuivons notre démarche sur la marge centrée à partir d’une recherche de Bernard Arcand.

L’expression « note de recherche » est peut-être aujourd’hui consacrée, mais il s’agit d’une longue question qui me semblait pouvoir être formulée à la suite d’une conférence offerte voilà quelques années par Ellen Corin dans le cadre du séminaire du Laboratoire d’anthropologie de l’Université Laval, question aussi largement inspirée par la lecture d’un ouvrage récent de Jean Baudrillard, Les stratégies fatales (Paris, Grasset 1983).

Puisant à une expérience déjà considérable de la pratique thérapeutique, la conférence d’Ellen Corin résumait comment dans notre société les opérateurs institutionnels du rapport à la folie banalisent cette folie, la désocialisent en excluant son rapport au contexte social de sa production et de son maintien et, enfin, la normalisent par la création de « niches » au sein de la société où ces fous pourront vivre sans vraiment déranger. Donc, ce qui inquiète est de savoir nos thérapies à jamais inappropriées parce qu’incapables d’offrir mieux qu’un accommodement social de la folie (une normalisation et une sociabilité minimales) et parce que tenant toujours trop peu compte de son contexte socio-culturel. Bref, il ne faut donc pas se surprendre si ces malades vivent une situation de « portes tournantes » et que le plus grand nombre connaissent la ré-hospitalisation périodique.


Ellen Corin disait aussi que les rares études inter-culturelles fiables (utilisant les mêmes méthodes et grilles d’analyse) révèlent un contraste assez fort dans les taux comparés de succès thérapeutiques; les extrêmes étant le cas du Danemark, où les chances de guérison permanente seraient les plus fiables, et certaines régions du Nigéria, où les chances seraient les meilleures. Cette différence s’expliquerait par trois facteurs principaux :
1) la folie « ailleurs » prend des formes connues et appartient à des systèmes de représentations familiers, ce qui diminue d’autant l’étrangeté de l’expérience;
2) l’intervention thérapeutiques (du médecin, guérisseur, ou autre) intègre une réflexion poussée sur le contexte social de chaque cas;
3) l’expérience est replacée dans un ensemble à niveaux multiples qui forme un tout intégré et cohérent et fait de la folie une expérience globale.
Sans dire qu’ici tout est mauvais et qu’ailleurs c’est mieux, Corin explique ce contraste par le fait que nos systèmes d’interprétation ne sont toujours que des systèmes partiels, menant au mieux vers des solutions partielles, alors que l’être humain, en santé comme malade, demeure nécessairement un être entier. Et tandis que pour s’en sortir le fou a besoin de clés pour interpréter un chaos psychotique invivable, nos interventions thérapeutiques n’offrent pas ce genre de clés essentielles. Donc, les trop rares cas de guérison apparaissent très souvent aux limites de notre société (chez un tel qui se croit pape et heureux, un autre qui suit un programme de méditation hindouiste par téléphone, etc).

En somme (et j’espère ne pas trahir sa pensée), Corin nous dit que, bien que prétendant souvent le contraire, nous marginalisons la folie : en niant son importance, en lui trouvant des niches faciles qui n’offrent que l’apparence de la normalité, en lui laissant ses meilleurs espoirs en marge de la société, et surtout en la séparant de son contexte social et même du reste de l’expérience humaine. L’argument est appuyé par un contraste fort avec d’autres sociétés, où la folie devient compréhensible dans le contexte d’un ensemble social indissociable et où les clés de son interprétation) et donc de la guérison) sont justement les thèmes centraux de la culture dominante. Dans ces cas, il n’y a pas marginalisation, mais au contraire une réaction du centre pour assurer la réintégration de la personne qui s’est trop éloignée de lui.

À quelqu’un sans expérience des milieux thérapeutiques et qui ne sait rien de ces « opérateurs institutionnels du rapport à la folie », l’exposé d’Ellen Corin n’était pas sans rappeler certains thèmes connus par d’autres sentiers anthropologiques. Il y a d’abord cette analogie évidente entre nos rapports à la folie et les relations que l’Occident a longtemps entretenues avec toutes ces gens hors de lui, auxquelles on offrait le choix d’être comme nous ou de n’être rien; l’exclusion du fou, sinon sa mort sur le bûcher, fit place au thérapeute, missionnaire et officier colonial en terre de folie, dont le rôle est de comprendre et modifier le comportement humain vers une normalité plus acceptable. D’autre part, l’argument cadre bien avec certaines réflexions récentes sur la « modernité » et la spécificité des sociétés industrielles, avec tout ce qui a été dit de l’aliénation de l’être moderne et de l’atomisation des rapports sociaux depuis Karl Marx jusqu’à Charles Chaplin et Ashley Montagu. On connaît déjà assez bien cet isolement moderne de l’individu qui permet d’oublier le contexte social de la folie, encourage la claustration même de parties de l’individu et qui sépare la folie du reste de l’expérience humaine; phénomène historiquement peut-être unique de réductionnisme qui permet le travail de 9 à 5 en usine, la possibilité de n’être que des bras, un objet sexuel, ou un grand esprit.
* à suivre *

samedi 10 octobre 2009

Punkitude - 12e partie

En résumé, le choix des babas était, en réaction contre la décadence de notre société, de retrouver des valeurs « naturelles ». Partageant l’idéologie rousseauiste, ils refusaient la société dans laquelle ils vivaient et croyaient à une société meilleure qu’ils se proposaient d’ériger.

Les punks, eux, se produisent dans le rôle du mauvais sauvage. Leur coiffure, l’aspect « primitif » de leurs danses sautillantes, leur musique bruyante et chaotique, leurs peintures faciales, le désordre savamment agencé de leur mise, la bimbeloterie dont ils se décorent, leurs bacchanales et violences en tous genres, tout concourt à créer cette image. Réfutant l’idée d’un retour vers une nature originelle et bonne, ils jouent aussi la carte de l’a-normalité. L’étalage des signes de la perversité sexuelle, du sadomasochisme, l’image d’hommes percés d’épingles de nourrice et de femmes dominatrices, suffiraient déjà domaine capillaire et vestimentaire. Il vise aussi les règles de la bienfaisance, de la discrétion, du respect des autres en société. Enfin, leur goût pour l’artifice concilie deux de leurs oppositions idéologiques. Tout d’abord, c’est une autre face de leur opposition au parti-pris rousseauiste des babas. Là où ces derniers retournaient au naturel et court-circuitaient le système en ne consommant que leur propre production, les punks consomment avec délectation la production la plus artificielle, la plus inutile et la plus sophistiquée de notre société. Enfin, il s’agit de prouver par l’absurde la décadence de notre société en se livrant à un surenchère à la consommation.

La punkitude serait-elle notre mauvaise conscience?

Conclusion :
La Punkitude, ou un certain dandysme

L’auteur s’intéresse aux différences entre la culture punk et celle d’autres mouvements marginaux. Elle établit les analogies et oppositions entre la culture punk et celle du dandysme auquel Baudelaire adhérait. Cette comparaison permet de dégager les structures caractéristiques de la punkitude et de comprendre le type de contre-culture qu’elle représente.

Punkultur : Dandyism revisited
The author takes a look at the differences between Punk culture and those of other marginal movements. She establishes analogies and oppositions between Punk culture and that of the Dandyist movement with which Baudelaire was associated. This comparison permits the disclosure of characteristic structures of Punk culture and the understanding of the type of counter-culture it represents.

jeudi 8 octobre 2009

Punkitude - 11e partie

Les années 70 voient aussi l’éclosion des communautés appelées « communes » (appropriation métonymique d’un glorieux passé révolutionnaire), dont certaines se livrent à la culture ou à l’élevage, d’autres à la thérapie de groupe, s’inspirant des théories de W. Reich (auteur de La fonction de l’orgasme) ou de celles de Laing et Cooper (auteur de Family Life, qui explique la genèse de la schizophrénie par l’aliénation familiale).

À la fin des années 70 et au début des années 80 en France, le rock’n roll redevient la musique que l’on écoute. Mais au lieu de l’unité relative des premiers temps, on peut observer un éclatement du rock en un foisonnement de styles divers : jazz, rock, funk rock, rockability, punk rock, hard rock…

En même temps apparaissent chez les jeunes divers groupes repérables d’abord par le style vestimentaire : « rockers », « teds », « skin-heads », « punks », « hard rockers », mais qui se différencient également sur de nombreux autres critères : musiques, danses, drogues consommées, etc.

Si beaucoup de traits culturels les distinguent, il est un dégoût commun qui les réunit : celui du « baba-cool », dit aussi « bab ». Plus ridicule que méchant, ce baba s’obstine à conserver des valeurs d’un autre temps : idéalisme, naïveté, engagement politique, moralisme « poste soixante-huitard »,…. Quelquefois, il garde même son allure des années 60-70 : tissus indiens, cheveux longs et barbe pour les hommes…

Un autre terme désigne, en même temps qu’il stigmatise, l’altérité : « bouffon ». Le bouffon, c’est d’abord l’inauthentique, le punk du dimanche, celui qui croit que l’habit fait le punk, et qui n’a pas compris que la punkitude, comme tout dandysme, est avant tout une attitude de dérision. C’est le suiviste, celui qui, ne partageant rien du mode de vie punk, croit pouvoir adopter une ou deux valeurs au passage, et, n’ayant rien compris au code, souscrit à une mode. Dans cette catégorie on trouve donc tout l’éventail de la mauvaise identité, du punk pas vraiment punk au « straight » le plus normal; Ces deux figures du « bab » et du « bouffon » synthétisent tout ce à quoi le punk s’oppose pour se créer du « bab » et du « bouffon » synthétisent tout ce à quoi le punk s’oppose pour se créer une identité. Le « bab » représente la marginalité de la génération précédente, celle qui n’a plus cours, l’idéalisme suranné. Remarquons ici que ce concept constitue quasiment un idéal-type. Les militants ouvriéristes qui se levaient à 5 heures du matin pour aller distribuer la bonne parole maoïste dans les usines ne pensaient pas avoir quelque chose en commun avec ces hippies aux cheveux longs assis en cercle et se passant le « joint » magique. Pourtant, avec le recul, toute la contestation sociale de cette époque prend une unité historique : celle de la croyance à un monde meilleur, et de l’action vers ce but. Le « bab », c’est tout celui qui a cru à des valeurs aujourd’hui désuètes. Quant au « bouffon » il est un peu à cette génération ce que fut le « bourgeois » à la précédente. Il symbolise la bêtise de la société dominante.

Plutôt que de reprendre point par point chaque trait de la culture baba ou punk pour montrer leur opposition. La concordance dans l’opposition trait à trait nous semble remarquable et difficilement interprétable en termes de hasard. On pourrait pourtant se demander si cette opposition ne concerne que les groupes présentés ici. Comme nous venons de le voir, la catégorie « baba » est un idéal-type synthétisant les différentes sous-cultures des jeunes des années 60-70. Les jeunes de la fin des années 70 et des années 80 ont aussi en commun de nombreuses caractéristiques s’opposant à celles des babas, quelle que soit la sous-culture à la quelle ils appartiennent. La punkitude, dans son extrémisme et son aspiration à l’excès représente le point ultime des tendances de cette époque. C’est pourquoi nous avons choisi de la présenter seule ici. Mais comment expliquer une opposition aussi systématique entre punk et baba? Les générations qui ont vécu leur révolte dans les années 60 et 70 ont influencé la société globale. Une partie de leur « message » a été assimilée. Âgés de 30 et 40 ans, ces anciens jeunes, forts de leur appartenance au mouvement contre-culturel, se sont souvent trouvés emploi et insertion sociale dans le domaine de la culture. Enfants, les jeunes adolescents pré-punks ont eu parmi leurs enseignants, leur entourage, certains de ces « ex-babas » ou « ex-gauchos ». Leur marginalité était devenue une des normes possibles de révolte. Pour se construire une identité à leur tour, et s’inscrire dans la marginalité, il leur fallait s’opposer à toutes les valeurs devenues déviance autorisée.

Les échecs de la génération précédente les forçaient aussi à emprunter d’autres voies : la voie politique avait déçu les militants eux-mêmes, les voyageurs après l’Inde ou la campagne étaient rentrés chez eux.
* à suivre *

mardi 6 octobre 2009

Punkitude - 10e partie

Contre-cultures et cultures des jeunes de 1960 à 1980.

Nous parlerons de ces contre-cultures telles que nous les avons connues en France. Pourtant, ni la France ni l’Europe ne vivent dans un isolat en ce qui concerne les cultures des jeunes. En particulier l’influence des États-Unis s’est manifestée à plusieurs reprises durant les vingt dernières années, et donc, pour une part, les cultures juvéniles sont internationales, même si leur réalisation est toujours un rapport à une société donnée.

À la fin des années 50 et au début des années 60 en France on parle beaucoup des blousons noirs, bandes d’adolescents issus de la périphérie urbaine, qui sont vilipendés par la presse unanime. En jeans, blousons et bottes de cowboy, montés sur leur moto, bien réelle ou fantasmatique selon leur pouvoir d’achat, ils sèment la terreur dans les banlieues en s’affrontant à coups de chaînes de vélos dans les bals du samedi soir. Le reste du temps, ils traînent dans leur banlieue, devant leur H.L.M. (habitations à loyer modéré, construites par les municipalités pour résoudre rapidement les problèmes de logement, écoutent du rock’n’roll et vivent en bandes. Refusant leur destin de prolétaires, ils se lancent dans les coups douteux et se consacrent à la défense de leur territoire contre les incursions des autres bandes, s’appliquant à respecter un code de l’honneur et de la virilité qui implique avant tout la solidarité du groupe.

L’avant et l’immédiat après 68 sont l’époque des groupuscules et du militantisme – diverses tendances trotskystes, pro-chinoises, anarchistes….Petit à petit l’éclatement des diverses tendances du gauchisme, et surtout, du militantisme, laissent place à un mouvement « gauchiste » au sens large.

Dès la fin des années 60 les influences du mouvement hippy issu des campus américains, de la « beat generation », se font sentir en France. À cette époque les services européens d’immigration enregistrent un niveau annuel constant de quelque 10000 hippies en route pour le Proche-Orient et l’Inde (Roszak 1980 : 50). Un des attraits majeurs de ces pays est la légalité et le prix modique de la drogue, qui est un élément important de la culture hippy. Le voyage est donc non seulement réel et exotique, mais aussi intérieur et tourné vers une exploration du psychisme et de l’imaginaire. En même temps qu’on réfute le matérialisme de l’Occident, on se tourne vers les philosophies orientales : bouddhisme et hindouisme plus ou moins authentiques ou mysticisme syncrétique absorbant diverses influences.

En France, d’anciens militants déçus par la politique et l’échec de la révolution de mai 68 tentent de miner la société de l’intérieur plutôt que de la détruire par la violence. Aucun domaine n’échappe à cette voie alternative, parallèle, qui, par réaction à l’absolue prévalence de la raison en Occident, s’intéresse au corps et à la nature, à toutes les médecines et thérapies parallèles : massages, santé par les plantes, acupuncture, homéopathie…Le mouvement écologiste se fait l’apôtre du retour à la nature, des énergies non polluantes et naturelles (éoliennes, solaires). On consomme naturel : nourriture végétarienne ou même macrobiotique avec l’omniprésence du « complet » (riz, pain, farine…). Les vêtements sont à base de matériaux naturels : coton, lin, laine filée à la maison. On cultive sans engrais chimiques et on se fait l’écho de la lutte des paysans du Larzac chassés de leur terre pour une base militaire (« Gardarem lou Larzac » dit-on en occitan). En réaction à la sophistication et à la complexité du réseau de distribution dans notre société, on vise le retour à une économie autarcique, ce qui entraîne en corollaire la simplicité. À l’ère du « do it yourself », les femmes portent jupes paysannes froncées à la taille, blouses et robes à l’emmanchure large et carrée tombant en plis souples. La coupe, directement issue des modes paysannes (Europe de l’Est, Mexique) et ethniques (africaines ou asiatiques), fait fi de notre couture complexe ajustée à pinces et soufflets. Elle vise aussi à laisser le corps de la femme, à l’inverse de l’image de la vamp accentuant seins et taille, est plutôt celle de la mère, aux formes généreuses. Les hommes portent chemise indienne, pulls tricotés, ou tuniques tissées d’allure rustique. Ils adoptent aussi les vestes noires en gros drap qui présentent l’avantage d’évoquer à la fois la veste « mao » et celle des paysans français.

À la même époque, on exprime son opposition aux pratiques en place, perçues comme exerçant une violence envers l’individu, par des appellations frondeuses : anti-psychiatrie, anti-gymnastique, contre-culture. On fait aussi référence à la douceur en prônant l’avènement de la technologie douce, qui remet à l’honneur toutes les techniques artisanales : teinture végétale, tissage, poterie, travail du bois, du cuir….

Enfin, libération et autogestion sont des thèmes récurrents de cette révolution tranquille : libération de la sexualité (avec le corollaire « t’es pas libéré! »), des enfants (Libres enfants de Summerhill), écoles et crèches autogérées par les parents, des femmes, boutiques autogérées de santé, de droit….Toute une société parallèle se met à fonctionner en dehors des institutions.

* à suivre *

lundi 5 octobre 2009

Punkitude - 9e partie

Structures élémentaires de la punkitude

Grandeur et décadence de la punkitude


Nous avons essayé de donner dans le première partie un aperçu des traits distinctifs de la punkitude. La comparaison avec le dandysme de Baudelaire nous a permis de dégager un des éléments fondamentaux de la vision du monde de ces nouveaux dandys : le culte du paraître, du futile, face à l’impossibilité d’être. Refusant la tentative idéaliste de bâtir une autre société, les punks se campent dans le présent. Un terme qu’ils utilisent souvent pour se qualifier eux-mêmes, avec une connotation provocatrice mais positive, nous en apprend plus long sur leur philosophie : décadent, décadence. On organise à Paris des fêtes se référant à la décadence dans la Rome antique où la tenue obligatoire est la toge. Plus simplement, racontant une fête plutôt réussie, on dira : c’était complètement décadent.

Que signifie cet éloge de la décadence? Il s’agit, me semble-t-il, de reprendre les valeurs de notre société de consommation : tape-à-l’œil, artificiel et éphémère, en les poussant jusqu’à l’absurde. Mais en refusant de formuler un autre projet, en dansant un po-go infernal et dionysiaque sur les ruines de Babylone, les punks, dans le bruit et la fureur, s’érigent en effet-miroir. Choisissant, à une époque de crise de notre capitalisme occidental, d’être les décadents par excellence, ils rendent la honte plus honteuse en la livrant à la publicité. Ceci n’est qu’une face de la construction de leur identité par opposition à la société urbaine de la deuxième moitié du Xxe siècle dans laquelle ils vivent. Pour aller plus avant dans l’analyse de la spécificité punk, il nous paraît nécessaire de nous intéresser aux autres mouvements marginaux, de sous-cultures des jeunes des vingt-cinq dernières années. Il nous semble en effet, et c’est ce que nous tenterons d’établir, que les sous-cultures et marginalités sont organisées en systèmes et que, comme Lévi-Strauss l’a montré en s’appuyant sur les acquis de la linguistique, plutôt que de rester au niveau des termes (traits descriptifs de la culture punk) il nous faudrait décrire les relations entre les termes (relations entre cultures rocker, hippy, gauchiste, punk…), et mettre en valeur les couples d’opposition.

* à suivre *

dimanche 4 octobre 2009

Punkitude - 8e partie

Nous nous arrêterons ici, conscient de n’avoir qu’effleuré le thème du dandysme de Baudelaire. Là n’est pas notre but, et nous nous contenterons d’apporter notre modeste contribution à la définition du dandysme. Reprenant notre projet initial, nous nous interrogeons, après avoir montré les analogies et oppositions récurrentes qui caractérisent dandysme baudelairien et punkitude, sur la valeur heuristique du modèle, et tout d’abord sur notre axiome de base, l’opposition structurelle entre mouvements ou sous-cultures successifs. Aux deux époques historiques dont nous traitons, début de l’ère technique et ère technocratique par excellence, l’individu se sent écrasé par le progrès technique et réagit en renforçant la personne, en opposition à la société. Ces sociétés, celle de la bourgeoisie du 19e siècle, du mérite et de l’argent, celle du capitalisme en crise du 20e siècle, du chômage et de la bombe atomique refusent à l’individu une place à sa mesure. Mais ce n’est pas seulement son être social qui pose problème au dandy, c’est la difficulté d’être qui le pousse à se réfugier dans le futile pratiqué comme un des beaux-arts, et dans l’artificiel. Puisque rien n’a de sens, il ne lui reste que la beauté du geste, le paraître. D’autres révoltés ont pourtant résolu leur conflit avec la société de toute autre façon : en lui imputant toute la responsabilité de leur difficulté d’être, et en projetant dans un autre monde, meilleur, un bonheur possible. C’est justement cette attitude idéaliste qu’avaient adoptée les Romantiques, avant le dandysme, les « hippies », « babacool », de même les « gauchistes », avant la punkitude. Un thème central de ces mouvements est celui de l’amour de la Nature. L’opposition qu’il met en jeu est celle de la Nature, bonne et apaisante, et de la Culture (celle de notre société) mauvaise et destructrice, opposition il n’est pas besoin d’y revenir- fondamentale.

Dans la littérature romantique, les variantes du culte de la Nature vont de la version la plus simple de la nature sauvage inviolé par l’homme, dans le Lac de Lamartine, jusqu’à celle du bon sauvage de Rousseau, version bucolique et champs labourés chez George Sand. La culture hippie a développé ces deux versions, celle de la nature inviolée des ailleurs géographiques ou celle du retour à la Nature dans les cévennes, accompagné de la consommation de produits naturels et donc sains, d’un retour idyllique et rouseausiste à ce qu’il y a de fondamentalement bon dans l’humain, paix et amour (« peace and love »). En faisant le détour par les philosophies orientales.

Récapitulons les conditions qui, dans les deux cas, ont induit l’apparition du dandysme :

1) Révolte de l’individu face à une société technocrate ;
2) Impossibilité de s’engager dans la voie de l’idéalisme et du retour à la Nature, déjà « prise » par la sous-culture précédente;
3) Impossibilité de s’engager dans la lutte politique, soit par tempérament ou situation de classe (artiste « bourgeois »), soit parce que cette voie « prise » par les jeunes de la génération précédente (gauchistes) avait mené à un échec et une désillusion.
Notre hypothèse est donc que l’analyse d’un phénomène tel que la punkitude demande la prise en compte de plusieurs niveaux d’analyse. Les écrits sociologiques qui ont traité des sous-cultures des jeunes insistent, dans une mouvance marxiste, sur les contradictions de la société globale, et sur la position du groupe des jeunes à l’intérieur de cette société. C’est essentiellement la position du groupe des jeunes à l’intérieur de cette société. C’est essentiellement la position des chercheurs du Centre d’études culturelles contemporaines de Birmingham (voir Hall et Jefferson 1976) et celle des émules de Bourdieu (voir Mauger et Fossé-Poliack 1983). Ces derniers, pour parler des loubards, structurent leur analyse autour de la notion de style empathique de la classe ouvrière. Nous pensons qu’il faut aussi considérer comme prémisse déterminante les choix de la sous-culture précédente, qui déterminent par opposition ceux de la sous-culture examinée.

* à suivre *

samedi 3 octobre 2009

Punkitude - 7e partie

Refus du travail et argent

À une époque où en Europe aucun gouvernement n’avait d’autre alternative à proposer aux jeunes que le chômage, les punks comme beaucoup de jeunes de cette classe d’âge revendiquent leur désoeuvrement. Ils ne voient pas l’intérêt de s’aliéner dans l’accomplissement de tâches subalternes, mal rémunérées, et qui ne représentent de toutes façons pas une situation stable.

Un jeune groupe français, « Olivenstein », chantait :
« Je n’ai même pas le courage d’aller pointer au chômage. »

Le chômage est un thème souvent abordé par ceux qui se nomment eux-mêmes la Blank Generation (génération « vide »), par exemple dans cette déclaration d’ironie amère, imprimée sur des badges : « No dole, no dope. No dope, no hope. » (Pas d’allocation chômage, pas de drogue. Pas de drogue, pas d’espoir).

Les « Drones » (parasites) se moquent de l’honnête employé de bureau.

« J’étais un employé de bureau…
Je travaillais de 9 à 5, très conventionnel.
Je me peignais les cheveux et me lavais la figure.
Oh, quel garçon propre.
Maman était fière de moi. Oh! Quel malheur… »


L’argent est une denrée rare, qu’on consomme en général en groupe et très vite lorsqu’on en a. Le vol, la resquille restent les moyens les plus sûrs pour se procurer l’indispensable, nourriture et bière. La quête se pratique aussi, surtout à porte des clubs payants pour se procurer le prix de l’entrée. Quelques-uns, parmi les plus doués, survivent grâce à un réseau de relations impressionnant, invités partout, s’installant chez l’un puis chez l’autre, au fur et à mesure des lassitudes des hôtes. Même les moins doués pratiquent largement le parasitisme comme « hobby ». Une des activités principales des petits groupes de punks parisiens de la fin des années 70 était de se trouver « un plan-fête », c’est-à-dire de se faire inviter quelque part, de préférence chez les gens suffisamment argentés pour faire couler l’alcool à flot. Leur emploi dans ces fêtes était un peu celui de fou du roi; bourgeois installés, jeunes gens à la mode, créateurs en mal d’inspiration, ex-gauchistes devenus intellectuels ou artistes appréciaient la fantaisie, le non-conformisme de ces jeunes qui, en allant jusqu’à l’autodestruction dans leur nihilisme, les dispensaient d’en faire autant. La relation de couple était donc bien réciproque, les uns fournissant une prestation de services haute en couleur, les autres fournissant petits fours et alcools et territoire de transgression autorisée. Boire trop, mal se conduire, agresser tout le monde, voler de l’argent ou tout autre objet de convoitise, en particulier des blousons de cuir (cf. Roué 1984) faisaient partie des règles d’inconduite impliquées dans la notion de fête pour les punks. Notons l’originalité de cette relation de clientélisme qui attache les plus marginaux aux marginaux reconnus, pour qui la marginalité est un moyen d’existence par le biais de statut d’artiste avant-gardiste. La société centrale a besoin d’une marginalité, d’une certaine forme de transgression qui égaie la monotonie de la norme. Mais la transgression est toujours dangereuse, il faut la contrôler. Soit temporellement et symboliquement, comme dans les inversions symboliques et les fêtes du Carnaval, soit par la disposition de chaînons intermédiaires qui désamorcent et médiatisent la révolte, pour l’intégrer dans un circuit de production : la marginalité consommable.

Baudelaire, à l’époque du triomphe de la bourgeoisie et des valeurs qui étaient les siennes : travail, progrès technologiques, famille, s’inscrit résolument à contre-courant, assimilant le travailleur à l’esclave ou à la bête :

Il n’existe que trois être respectables : le prêtre, le guerrier, le poète. Savoir, tuer et créer. (…).

Les autres hommes sont taillables et corvéables à merci, faits pour l’écurie, c’est-à-dire pour exercer ce qu’on appelle des professions.

Un dandy ne fait rien.

Ce qui ne l’empêche pas de s’exhorter à longueur de page au travail, mais il s’agit là de se vouer à son art, et non de s’avilir dans le salariat.

Son attitude vis-à-vis de l’argent est également sans équivoque :

L’argent est indispensable aux gens qui se font un culte de leurs passions`mais le dandy n’aspire pas à l’argent comme une chose essentielle; un crédit infini pourrait lui suffire; il abandonne cette grossière passion aux mortels vulgaires.

Les attitudes des punks et des dandys du 19e siècle là encore se rencontrent.

L’ennui, plutôt que le désespoir

Comme Musset, venus trop tard dans un monde trop vieux, les punks expriment avec concision leur jugement sur le monde et leur philosophie personnelle dans leurs maîtres slogans : No Future! Et Destroy!

C’est en anglais que les punks français prononçaient toujours ces mots, l’expression « destroy » (détruire) s’étant même substantivée et banalisée. Devant un appartement snas dessus dessous, on s’exclamera « oh le destroy! ».

Beaucoup de chansons expriment le désintérêt total, comme celle des Ramones, qui énumère tout ce dont le chanteur « se fout » en passant par sa petite amie, pour déclarer au refrain « je m’en fous » (I don’t care). D’autres se plaisent à voir la mort comme seule issue : Euthanasie Papie, euthanasie Mamie, votre calvaire est bien fini! ».

Le premier et plus célèbre groupe punk, les Sex Pistols, dont le nom des membres est tout un programme : Johnny Rotten (pourri) et Sid Vicious (vicieux), se réfèrent explicitement à l’anarchie; dans leur chanson Anarchy in U.K., ils déclarent; « Je suis un antéchrist, je suis un anarchiste, je ne sais pas ce que je veux, mais je sais où le trouver ».

Pendant la jubilé de la reine d’Angleterre, le même groupe a fait scandale en intitulant une chanson comme l’hymne national « God save de Queen », mais en y parlant de régime fasciste et de bombe atomique.

Le slogan punk « no future! » répond comme un écho au « trop tard » des dandys du 19e siècle.

Héroïquement, le dandy n’objecte que des gestes dérisoires, des emblèmes à la marche du siècle et il se sait condamné. Barbey d’Aurevilly ferme ses lettres d’un cachet où se lit, too late (Kempf, op, cit :181)

Baudelaire dans une lettre à madame Aupick exprime la vanité de tout :
Je me demande sans cesse : à quoi bon ceci? À quoi bon cela? C’est le véritable esprit du spleen. (Lemaire, op, cit. : 33)

Le dandysme de Baudelaire « confine au spiritualisme et au stoïcisme ».

* à suivre *

vendredi 2 octobre 2009

Punkitude - 6e partie

Dégoût de la nature

Dandysme et punkitude se retrouvent dans le thème du dégoût de la nature. La dimension urbaine de tous les mouvements élitistes tient d’abord à la nécessité d’une société face à laquelle paraître : public que dans un mouvement dialectique on méprise, mais dont on a besoin comme repoussoir, et pairs engagés dans la même provocation et qui permettent une reconnaissance mutuelle.

Chez les punks, la Nature ne fait pas recette, surtout parmi les jeunes hommes à la mode, comme Alan Pacadis, qui se targue d’être là, partout où il se passe quelque chose, ou plutôt d’être des « happy few » dont la présence suffit à créer l’événement. Les chroniques de ses déambulations, qui affectent un ton désabusé, paraissent dans le quotidien Libération. Arpentant les rues du Paris nocturne, il est de ceux qui déclarent : « Moi, je hais les arbres, j’aime le bitume ».

Nous avons vu précédemment comme l’apparence se devait d’être construire et à quel point l’usage des maquillages, teintures et autres artifices, visait le contraire du naturel. Le punk se présente comme un enfant de la société de consommation de la deuxième moitié du vingtième siècle. En tant que tel, il adore le clinquant des matières premières garanties cent pour cent non naturelles que l’industrie met sur le marché : tissus entièrement synthétiques, matières plastiques bon marché dont on fait des bijoux fluorescents du dernier mauvais goût. Il a également un goût particulier pour tout ce qui est chimique : teintures capillaires, colorants alimentaires, sauces américaines et hamburgers. Sa façon de se droguer même est essentiellement chimique. Méprisant l’herbe et la marijuana des hippies et autres babas, il avale avec délectation toutes les pilules qu’il peut se procurer.

Les rapports homme-femme sont également régis par un code des nouvelles règles de conduite, dont l’essentiel est de ne rien montrer de la banalité de sa nature humaine : une fois admis que l’amour et l’état amoureux ne sont pas de bon ton, donc n’existent pas, encore faut-il prendre garde à ne rien laisser paraître qui rappelle de près ou de loin un sentiment.

Un ami punk me fait une démonstration pratique de la manière dont il gère ses relations. Il prend son téléphone pour appeler l’objet de son désir en prenant garde de n’avoir l’air ni amoureux, ni malheureux, ni angoissé, ni plein de projets. Puis il met en place le rapport :

1) « Je suis avec Catherine. On s’est fait un plan musique super. Et toi….qu’est-ce que tu fais? ».

Dans ces deux courtes phrases, il affirme être bien, être socialement entouré, n’avoir pas besoin de l’autre. Il surprend « l’adversaire », qui n’aura peut-être pas le temps de s’inventer une vie aussi passionnante, et sera donc en position de faiblesse.

2) Le but est d’obtenir un rendez-vous pour le soir même :
« T’as un plan pour ce soir? Moi, j’sais pas…j’me ferais bien une toile » (toile = film). Mon mentor assortit cette deuxième phrase de l’explication suivante, sur le ton didactique qui sied à l’initiation du néophyte : « Ne nomme pas le film, et encore moins le metteur en scène, ça fait ringard (démodé). Pourquoi pas carrément l’inviter à un concert de Sylvie (S. Vartan : chanteuse yé-yé quelque peu dépassée) et aller le chercher chez lui? On n’est pas des nuls quand même. ».

3) La finalisation : « Ben – si tu veux on peut y aller à 10h ».
On s’en sort magistralement, sans avoir l’air intéressé ni par l’interlocuteur, ni par le film, mais « on se fait un plan ciné avec Machin »; il faut bien exister socialement.

Chez les dandys du 19e siècle, Brummel incarne la première version du mouvement, avant que Byron ne lui donne une dimension littéraire.

On demande au dandy lequel des lacs anglais (alors à la mode) il préfère. Celui-ci, comme tous les dandys à venir, est un citadin qui ne peut vivre que dans la capitale; il répond : ils sont bien loin de St-James street.
Lemire, op. cit. : 17

Chez Baudelaire, le dégoût de la nature n’est pas lié à l’emprise des plaisirs mondains. C’est un sentiment bien plus profond. Écrasé par le spleen, cet ennui métaphysique, la puissance vitale de la nature lui semble insoutenable.

J’ai même toujours pensé qu’il y avait dans la Nature, florissante et rajeunie, quelque chose d’affligeant, de dur, de cruel – un je ne sais quoi qui frise l’impudence.

Jules Lavallois, secrétaire de Sainte-Beuve rapporte : « Baudelaire prenait rarement part à nos divertissements champêtres, trouvant le vert des arbres trop fade ». « Je voudrais, disait-il avec son air de pince-sans-rire, les prairies teintes en rouge, les rivières jaune d’or et les arbres peints en bleu. La nature n’a pas d’imagination ». C’est que la beauté, pour Baudelaire, est figée pour l’immortalité, étrange et hiérarchique.

« Je suis belle, ô mortel, comme un rêve de pierre ». Dans un poème en prose « Anywhere out of the world », il décrit une beauté idéale, quelque paradis artificiel issu d’un rêve haschichin. « Cette ville est au bord de l’eau; on dit qu’elle est bâtie en marbre, et que le peuple y a une telle haine du végétal qu’il arrache tous les arbres. Voilà un paysage selon ton goût, un paysage fait avec la lumière et le minéral, et le liquide pour les réfléchir ».

La femme aussi participe de l’horreur qu’inspire la Nature :

« La femme est le contraire du dandy
Donc elle doit faire horreur.
La femme a faim et elle veut manger. Soif, et elle veut boire.
Elle est en rut et elle veut être foutue.
Le beau mérite!
La femme est naturelle, c’est-à-dire abominable. » Lemaire, op. cit. :42

Kempf (19 : 163) dit de Baudelaire qu’il n’est pas misogyne, mais que ce qu’il méprise, c’est l’établissement conjugal; c’est donc à la femme procréatrice que Baudelaire vouerait sa haine, ou plutôt à celle qui ignore tout artifice :

Il me semble que deux femmes me sont présentées; l’une, matrone rustique, répugnante de santé et de vertu, sans allure et sans regard, bref ne devant rien qu’à la simple nature : l’autre, une de ces beautés qui dominent et oppriment le souvenir, unissant à son charme profond et original toute l’éloquence de sa toilette, maîtresse de sa démarche, consciente et reine d’elle-même,… Lemaire, op. cit. : 41

Enfin, prenant le contre-pied de Rousseau, Baudelaire voit dans la nature le Mal, le Bien se trouvant du côté de l’Artifice, ou plutôt de l’Art.

La vertu, au contraire, est artificielle, surnaturelle, puisqu’il a fallu, dans tous les temps chez toutes les nations, des dieux et des prophètes pour l’enseigner (…). Le mal se fait sans effort, naturellement. Lemaire, op. cit. : 40
* à suivre *

jeudi 1 octobre 2009

Punkitude - 5e partie

Le dandysme vestimentaire de Baudelaire

Baudelaire aussi aimait à se distinguer par des extravagances capillaires. Maxime du Camp rapporte l’anecdote suivante (citée par Lemaire 1978 : 48) :

Il entra chez moi avec les cheveux teints en vert. Je fis semblant de ne pas le remarquer. Il se plaçait devant la glace, se contemplait, se passait la main sur la tête et s’évertuait à attirer les regards. N’y tenant plus, il me dit : « Vous ne trouvez rien d’anormal en moi? – Mais non. - Cependant, j’ai les cheveux verts, et ça n’est pas commun ».

Du Camp, montrant une connaissance intime de l’essence du dandysme, qui se veut une singularité, un avant-gardisme, mais en aucun cas une mode (car mode implique groupe et suivisme), se moqua alors de Baudelaire en prétendant n’être pas surpris, les cheveux verts étant très communs ces derniers temps.

Un aphorisme de Baudelaire pourrait être repris à son compte par n’importe quel punk : « Ce qu’il y a d’enivrant dans le mauvais goût, c’est le plaisir aristocratique de déplaire ».

Un punk de la première heure (vers 1978) aux fins fonds de la Bretagne se sentait satisfait quand il obtenait rires moqueurs et désapprobation sur sa tenue. Il entrait, vêtu de la robe de chambre de sa grand-mère, portant les cheveux très longs, l’air sinistre, dans les cafés populaires où les bons Bretons moyens, qu’il détestait autant que Baudelaire ses Belges, buvaient leur petit rouge. Choquer et se faire haïr de ce que l’on trouve vulgaire est un plaisir raffiné d’esthète, refus de la médiocrité et ascèse vers une identité tout entière créée et non pas donnée.

Les dandys, comme les punks, sont donc les créateurs de leur propre image et méprisent ceux qui, faute d’imagination, croiraient pouvoir s’acheter une image toute faite. « Un de ces imbéciles, dont l’élégance est faite par le tailleur et la tête par son coiffeur », disait Baudelaire (op. cit. : 83).

L’extrême élégance était un plaisir des dandys, avant de devenir un amusement punk, et dans les deux cas cette élégance est avant tout une création personnelle : « C’est une certaine manière de le porter (l’habit) qui crée le dandysme. On peut être dandy avec un habit chiffonné », disait Barbey d’Aurevilly (op. cit. : 51). Et il ajoutait : « Un dandy peut mettre s’il veut dix heures à sa toilette, mais une fois faite, il l’oublie » (op. cit. : 84).

Les punks que j’ai cotoyés consacraient quotidiennement beaucoup de temps à leurs préparatifs avant de sortir : maquillage, coiffure, grimaces au miroir, agencement surréaliste des divers éléments trouvés ça et là. Mais une fois le masque composé, qui leur permettait de se montrer sans qu’on les voie, d’être le point de mire, mais avec une image provocante, impersonnelle, qui ne laissait rien paraître de leur sensibilité personnelle et des problèmes existentiels qui étaient les leurs, derrière ce masque, donc, ils pouvaient s’avancer, comme à l’abri d’un discours articulé par cet ensemble de signes.

Mettre en scène une violence symbolique, une image décadente et inquiétante, provoquer une réaction choquante ou haineuse, tels étaient leurs buts.

* à suivre *