mercredi 28 août 2013

PASOLINI ET LA VIE : ENTRE L’HORREUR ET L’INNOCENCE - 7e partie

Cette maîtrise a un nom: la perte de l’objet. l’information ne met pas en scène l’objet réel mais les effets qu’il produit sur le sujet: Syberberg dit la même chose lorsqu’il parle de décharges déchiffrables que par leurs effets et écrit “Là où on a disposé une caméra, le marché a vite fait de se remplir”.  À cet égard Salò constitue le paroxysme de cette opérativité “néo-naturelle”.  Dans un tel système le réel se définit comme réel-à-entrer-en-opération; libre de toute médiation, l’individu nourrit le phantasme de la maîtrise totale et absolue sur ce qui l’entoure en voulant directement façonner le réel dont l’objectivité se donne comme proportionnelle au degré d’opérativité exercée.  L’altérité sociale perd tout centre et toute forme symbolique, les évènements s’autonomisent et les faits deviennent indépendants des individus, dépourvus de pensée subjective.  Ce qui signifie que personne n’est responsable, autrement dit tout le monde peut et doit désobéir.  C’est la nouvelle violence.

La désobéissance “opérationnalisée” n’est-ce pas une idée profonde de Pasolini? La prise directe, la fin de la mise en scène.  La vie se démocratise et exciper de ses droits démocratiques est devenu un devoir démocratique si l’on consent à la réalité, si l’on balbutie “plutôt rouge que mort”, si l’on s’acclimate à l’inaptitude à la joie, si l’on se joint au silence des démocraties face au drame polonais, si l’on s’assume comme vrais criminels aux mains blanches.  La démocratie croît en même temps que le désert, au rythme des capacités informatives.  Hans Jürgen Syberberg qualifie cela de “démocratie hydrochoris” et se demande si l’on peut encore être sauvé parce que “pour être sauvé, il faut avoir perdu une chose et traversé l’épreuve de l’autre”.  Nous n’avons pas seulement perdu l’objet mais aussi le sentiment de la perte tout court.

Ainsi le réel lui-même est socialisé, en ce qu’il s’offre “ready-made” tout entier à la consommation directe.  Dans ce cas la subjectivité se révèle incapable de se défendre devant la pré-organisation des sens et l’obsolescence programmée des objets.  Le réel se tient là devant moi et me pompe, m’aspire - il croît, il vit, il croît démesurément, les objects se jettent après usage, dans les poubelles collectives au même titre que les statistiques, qui ont du reste commander leur mise à mort, et les droits démocratiques.  La nature se soumet à une nouvelle nature définie comme système et environnement.  Contrairement à une idée bien reçue, nous n’assistons pas à une instrumentalisation technique de la nature mais à ce que Hannah Arendt appelle une “croissance contre nature du naturel” (1).



(1) Cf. Hannah: La condition de l’homme moderne, Paris, Calmann-Lévy, 1961 (The Human condition).

lundi 26 août 2013

PASOLINI ET LA VIE : ENTRE L’HORREUR ET L’INNOCENCE - 6e partie

Si pour l’école de Francfort, il s’agit de recourir au couple pratique - critique pour dénoncer et faire éclater la clôture du réel : parachèvement de la raison en système, tautologie technologique - pour Passolini il s’agit de montrer comment cela est déjà passé, oublié, vécu.  L’irréalité a dévoré le réel et toute représentation est désormais impossible.  La pensée a perdu son objet et le fascisme s’implante comme esthétique pure de l’absence de pensée.  Pasolini nomme cela l’abolition de toute médiation dialectique ou la métaphore totale de l’irréalité capitaliste.  Le film Salò est la mise en scène de cette métaphore d’irréalité dont le principe se donne comme suit : remplir par le vide et abolir tout centre ou toute connexion symbolique.  Dans ce film tout a disparu: les symboles, les objets, les individus, la figure du pouvoir, les maîtres, les esclaves, les corps.  Tout s’agence autour de la merde et cela fonctionnne - un fonctionnement qui se situe en dehors de toute reconnaissance, par la conscience aliénée ou la médiation de l’objet, et, au-delà de toute qualité sémiotique du réel, puisqu’ici il n’y a plus aucune place pour la transcription, le déchiffrage ou la reconstruction, à partir de signes vivants, de signes-objets  Cela tourne et fonctionne pour durer, mille ans, comme le Reich: “Nous ne nous trouvons plus , comme désormais tout le monde le sait, devant des “temps nouveaux” mais devant une nouvelle époque de l’histoire humaine; de cette histoire humaine dont les échéances sont millénaristes” - confiait Pasolini à J. Duflot.

Salò annonce donc un Nouveau Pouvoir dont le principe réside dans “l’autonomie” de l’objectivité et de la subjectivitié. Ce qui signifie, comme l’a remarqué avec force Hans Jürgen Syberberg, que les sens sont aussi soumis à la fonction hédoniste de consommation qui attaque les objets dépourvus de durabilité: “Le pire terrorisme de l’assujettissement consiste à notre époque à terroriser les sens”.  Le réel parle tout seul, la nature est naturelle, l’objectivité se construit elle-même en-dehors de la subjectivité - telles sont les abstractions magmatiques du Nouveau Pouvoir.  Aussi avant de développer cet aspect fondamental de l’abstraction nous faut-il absolument tenir à l’esprit que pour Pasolini, qui accordait une importance exceptionnelle au montage, la nature n’est pas naturelle mais mythique, elle incarne le code linguistique dans toute sa complexité.  La nature est douée de puslsions scéniques, elle apparaît comme scène sur laquelle le cauchemar représente le moment privilégié où la nature requiert d’être vue et sentie.  Théâtre - theatai (spectateurs), theorein (contempler), theos (divin), noemai (appréhender, percevoir), nous, noein (esprit) - en allemand Wahrenehmung (perception littéralement, saisie de la vérité) - l’éthymologie nous convainc elle-même que ce qui est naturel, divin et vrai, a besoin de spectateurs, de sujets.  Or, c’est précisément du contraire dont le Nouveau Pouvoir est en passe de nous persuader.

Dans la tradition grecque-occidentale le réel appraît au sujet qui l’éclaire.  Grosso modo des Grecs jusqu’à Descartes chaque phénomène est rattaché à un système général de représentation symbolique dans une tension religieuse-culturelle entre l’historique et la suprahistorique.  Pasolini exprime cela avec justesse lorsqu’il définit la dialectique comme dépassement de données empiriques qui ne sont jamais détruites et se sédimentent en se juxtaposant dans le temps.  Avec Descartes et jusqu’à l’avènement de la société bourgeoise moderne s’affirme le souci de déchiffrer le réel depuis lui-même grâce aux capacités cognitives et normatives de la Raison.  La société bourgeoise prend pour objet de représentation le réel posé comme rationnel.  Spinoza pourra donc dire “tout ce que chacun fait selon les lois de sa nature est conforme au droit le plus élevé de la nature”.  La société bourgeoise, surtout avec Hobbes, Kant, Rousseau et Hegel, s’efforce d’accomplir un effort incessant d’unité entre la nature et le sujet socialisé, entre le général et le particulier.  Kant définira la société comme société civile de rapports et de personnes morales.  Hegel, ayant perçu ce qu’il y avait d’abstrait à poser d’un côté le sujet objectivé et de l’autre une société posée préablement comme existante (comme unité supérieure) introduit la dialectique des consciences.  L’individu auto-conscient dépasse l’individu abstrait et se rapporte à la médiation sociale par laquelle il rejoint sa vérité dans une autre conscience auto-consciente et sujet comme nouvelle auto-conscience ou conscience supérieure issue de l’interaction générale.  C’est pourquoi à côté de la propriété définissant des personnes juridiques, Hegel - et c’est là grandeur - a approché le réel par l’élaboration d’un système reliant le travail, les besoins, l’amour et le divin.  Ainsi la société bourgeoise se donnait accès au réel en le représentant, en parlant sur et vers lui, elle supposait donc un système de références et un ensemble de règles d’où s’engendraient les pratiques sociales.  Pour cela il fallait un ensemble fonctionnel-institutionnel intégrant et reproduisant ces pratiques - l’espace public, ainsi qu’une unité symbolique garantissant la compréhension réciproque des sujets sociaux - la nation.  L’idéologie des intellectuels bourgeois était rendue possible par une distance entre celui qui parle et l’objet dont il parle.  Distance qui était le privilège de l’intellectuel et qui lui garantissait la conscience historique que Pasolini a évoquée à plusieurs reprises, sous le mode de la tragédie intérieure, la sienne propre, dans le ceneri di Gransci et Poesia in forma de Rosa notamment, et c’est cette distance qui se trouve abolie par le Nouveau Pouvoir.  Le statut du réel se transforme: la représentation se mue en code opérationnel composé de mesages libres de toute contrainte référentielle, sous le modèle médiatique généralisé du journal télévisé.  La représentaiton se transforme en simulacre.  Si dans la société bourgeoise le réel apparaissait toujours comme réel médiatisé, distancé, représenté - ce qui autorisait un jeu de pratiques variables et de foyers multiples de socialisation, dans la société du Nouveau Pouvoir les média identifient ce qui doit être cru à ce qui peut être vu.  Une vision commune, autoritaire, un diktakt à tout prix! sont alors systématiquement organisés.  Dès lors les individus sont assujettis au réel visible.  Tout le reste n’existe pas, c’est ce que Pasolini nomme l’irréalité des nouveaux rapports de production.


 Le réel est simulé, il se donne directement sans le travail du rêve ou de la conscience parce que désormais il n’y a plus de limite aux faits qui appellent invariablement d’autres faits.  La dialectique du suprahistorique et de l’historique a cédé la place au modèle fourre-tout dans lequel ont disparu les pulsions, les symboles et les normes de l’altérité: l’information exerce sa maîtrise sur l’ensemble du réel.

À suivre

dimanche 25 août 2013

PASOLINI ET LA VIE : ENTRE L’HORREUR ET L’INNOCENCE - 5e partie

Deuxième partie

Les fils du peuple ne répètent plus leurs Pères.  Pour la première fois les fils bourgeois et les fils prolétaires ont une histoire commune, ils répètent une structure.  La nouvelle préhistoire c’est la constatation que l’histoire ce n’est plus désormais l’histoire bourgeoise.  Cette nouvelle structure agrégeante, agglomérante parle une langue technologique - tératologique qui profère des monstruosités linguistiques et dont la tératologie consiste à accepter toutes les choses comme naturelles et absolues.  Cette langue est la langue de la survie - elle apprend à survivre dans un présent de fatalité qui ignore tout du changement qui est coupé des sources du passé et qui n’a pas de futur.  Qu’une ville donc soit administrée par la démocratie chrétienne ou par le compromis historique des communistes, elle demeure une ville qui n’est pas alternative parce qu’une latérité ne peut être engendrée.

La tolérance consumériste exerce une violence sur les corps qui dégrade démocratiquement l’Éros; cette tolérance consiste à démocratiser l’Éros devenu consommation hédoniste pour traumatiser toute vie sexuelle privée déviante.  Le capitalisme contemporain développe lui-même une idéologie de la destruction notamment à travers la télévision et les objets de consommation.  Par rapport à cette idéologie celui qui désobéit ou enfreint, s’exhive et, rejoint la structure de l’obéissance.  Aujourd’hui l’obéissance revêt les oripeaux d’une fausse désobéissance.  La vraie obéissance consisterait en partie à sauvegarder les valeurs du passé et les institutions démocratiques et populaires.  Le vide culturel inclut toutes les classes sociales.

Pasolini a compris que pour atteindre la communication et vivre la vie il fallait commencer par communiquer et vivre dans ce monde-ci où la société pourrit littéralement sur pied, où la démocratie abandonne ses acteurs qui se placent eux-mêmes sous l’autorité d’une structure invisible qui gère et adminstre la mort.  C’est dans ce Purgatoire civil, institutionnel et mesquin, où l’on ne parle pas les langues dialectales mais l’italien, la langue du Père et de la bourgeoisie - ce Purgatoire socio-politique, que Pasolini livre un corps à corps avec les institutions, investit ce qui reste encore de domaine public pour entreprendre la sauvegarde du sujet, l’intégrité du corps, la réinstauration du social (Zanzotta) et hurler contre la mutation anthropologique de l’homme et la catastrophe anthropologique italienne que constitue la mort de la culture et de la langue populaires. Tout témoigne de la fin de l’histoire.  Nous entrons dans une nouvelle diachronie qui anticipe l’Apocalypse.

Le Pouvoir devient cynique; il s’agit d’un nouveau pouvoir qui ne réside plus dans le Palais mais en dehors Fuori dal Palazzo; il s’est ainsi créé un nouveau “dedans” et ce “dedans” c’est le pénitencier du consumérisme.  Jamais la distance entre le Palais, l’État donc et le Pays n’a été aussi grande.  Le nouveau pouvoir étant ailleurs, l’État réagit à des stimuli qui ne correspondent à aucune réalité; la mécanique des décisions politiques s’emballe et s’affole, les responsabilités éclatent, on soumet les défaillances à l’argument du bouc-émissaire, l’État a perdu toute capacité de perspective globalisante. Pendant ce temps Fuori dal Palazzo, le Nouveau Pouvoir se nourrit de la décomposition de la société, de la destruction anthropologique.  Les clérico-fascistes quant à eux remplissent le rôle de bouffons dans le Palais.

Dans ce cadre et tenant compte de ce que nous avons dit sur la nouvelle idéologie, le P.C.I. et le P.C.I. devraient recourir à des mesures extrêmes qui seraient l’exaltation de la Constitution et du Parlementarisme, de se servir de la Constitution pour juger tous les responsables de la destruction socio-culturelle, urbaine, écologique etc... Un tel procès Russell à l’échelle de la société permettrait de projeter de la visibilité sur le Nouveau Pouvoir qui n’est plus le pouvoir clérico-fasciste, lui attribuerait une vérité historique incontournable et déterminerait une nouvelle volonté politique.  Le procès dit Pasolini, révèlerait, contre le P.C.I. et le P.S.I., qui bien gouverner et bien administrer ne signifie pas bien gouverner et bien administrer par rapport à l’ancien pouvoir mais par rapport au nouveau.  Par ailleurs, le clérico-fascisme à l’intérieur de l’État tend à céder la place à un techno-fascisme plus à même de correspondre aux exigences du Nouveau Pouvoir qui est le post-capitalisme dans son ensemble -  qui se confond avec une nouvelle forme de culture.  Les classes populaires à l’intérieur du Nouveau Pouvoir ne gardent plus que des connotations économiques qui s’expriment en termes de niveau de vie et non plus de culturelles.


C’est pourquoi une luttre contre le Nouveau Pouvoir ne peut pas se fonder sur la revendication de nouveaux droits sociaux.  Le subalterne doit-il avoir les mêmes droits que celui qui commande?  Jouir de droits identiques à ceux des patrons?  Obtenir le même bonheur que celui de l’exploiteur?  Dans ce cas on obtiendrait une identification, une assimilation entre les classes populaires et “la nouvelle espèce de bourgeoisie”.  La lutte pour les droits civils et sociaux doit se faire au nom d’une altérité qui exclut toute identification bourgeoise, elle est une lutte pour une autre forme de vie, une autre culture. Le problème demeure que le Nouveau Pouvoir met en place des pseudo-rapports sociaux qui pourraient ne plus être modifiables - tel est le sens de cette nouvelle préhistoire qui est aussi une post-histoire. Sous l’autorité de la structure, revendiquer des droits sociaux alors que la culture populaire est détruite c’est proclamer la fin de l’altérité.  Les droits sociaux entrent alors dans la dynamique du techno-fascisme et de la nouvelle sociologie qui les enregistrent, les codifient dans un contexte de fausse tolérance, de fausse réalisation des droits sociaux.  Les nouveaux droits sociaux immergés dans la réalité irréversible du consumérisme hédoniste doivent alors remplir une fonction social-démocrate d’intégration auprès du techno-fascisme dirigeant.  L’altérite de la minorité a triomphé de l’altérité de la majorité décimée dans l’embourgeoisement total.

À suivre

vendredi 23 août 2013

PASOLINI ET LA VIE : ENTRE L’HORREUR ET L’INNOCENCE - 4e partie

Cette révolte est anti-technique, anti-univers de la technique; elle puise et repuise dans le peuple et son langage, dans les images et les correspondances spatiales et temporelles du sacré, si bien que le social dont parle Pasolini est un social sacré universel.  Le garçon héros dans Il padre selvaggio, Davidson ‘Ngibuini, à la recherche de son identité en plein colonialisme historique suprêmement civil, aurait pu être le héros d’une borgata romana d’autrefois où un ragazzo vivait la vie dans un monde préindustriel en marge des dégradations post-industrielles du consumérisme, de l’hédonisme, de la tolérance raffinée et savamment organisée et de la drogue.  Et pourtant Pasolini utilise la technique, toutes sortes de techniques, il n’y a presque pas d’oeuvres romanesques, poétiques ou cinématographiques qui se ressemblent quant à la technique utilisée.

Pasolini est un grand artiste précisément parce que l’on sent la caméra, parce que l’on élit un contact avec la forme et le procédé; la technique reste visible mais toujours subordonnée à l’intentionalité jusqu’à ce qu’elle se laisse déborder avec cette dernière par le désir, l’inconscient, la personnalité même des choses de la nature. L’innocence et la réalité, le sens et la vérité peuvent jaillir, apparaître, non techniquement, à la lumière d’un universel humain, d’une nature humaine et non sous les auspices d’un mortel universel technique totalitaire.  Les contradictions, les ambivalences de Pasolini nous deviennent ainsi intelligibles: un immense et pudique désir de ne pas offenser, brutaliser, violenter et arraisonner les êtres et les choses.  On comprendra donc à la suite d’Alain Bergala que la technique de Pasolini n’est pas “inscriptive” mais élective; elle est un langage qui nomme et non une force qui inscrit, la force de l’inscription étant proportionnelle à la violence exercée.  On n’a pas assez noté combien cette approche de la réalité en paliers, non perforante, non sodomisante, reproduit l’attouchement de deux corps: la caméra désire atteindre l’acmé de la physis, elle vise le corps par le corps - acmé du mode physique de vivre et d’être.  Les nombreuses séquences muettes de ses films attestent le silence comme parler métahistorique et explosion (violence vraie) iconographique.  Écoutons ce que dit Pasolini à Jean Duflot dans les Dernières paroles d’un impie:

“quand je fais un film, je me mets en état de fascination devant un objet, une chose, un visage, des regards, un paysage comme s’il s’agissait d’un engin où le sacré fût en imminence d’explosion”.

S’il y a de la violence chez Pasolini, c’est une violence personnifiée, chargée qui, en tout cas, n’est pas nue ni anonyme ni aveugle.  Il y a moins de violence dans une cascade que dans un barrage hydroélectrique tout comme il y a moins de violence dans la folie, la transgression la coazione istintuale que dans la mode, les cris stridents de majorités silencieuses et les thrillers policiers.  Dans le monde poétique la violence se donne comme une réalité concrète, dans l’univers de la technique elle s’impose comme un droit.  Une émancipation concédée donc fausse c’est dans cette scandaleuse dissociation-dénonciation que réside l’Empririsme eretico de Pasolini.

Comme Rimbaud, Pasolini est “torturé, broyé sur la roue du temps”, comme lui il est un paria, une anomalie “qui écrit des “livres nègres”, comme Rimbaud il aurait pu écrire “il faut être absolument moderne”, comme lui il était cet être spécial, ce phénomène, né avec chair et sang humains, mais allaité par des louves.  Nul jargon d’analyse n’expliquera jamais le monstre” (Henry Miller).

Henry Miller aurait pu dire de Pasolini ce qu’il a dit de Rimbaud “l’innocence de la catastrophe rend plus que jamais nécessaire et passionnante la lecture des hiéroglyphes”, “l’usage singulier qu’il fait du symbole est le garant de son génie.”  Ce symbolisme a été conçu dans le sang et l’angoisse.  Ce qu’écrit Henry Miller de la modernité - “les véritables esprits modernes, nous avons fait de notre mieux pour les liquider” s’applique bien évidemment à Pasolini.  Pareillement, quand Henry Miller explique avec justesse, en parlant de Rimbaud - “la violence qu’il met à se libérer des chaînes forgées par l’homme, à se dresser au-dessus des lois, des codes, des conventions, des superstitions, ne le mène nulle part” - cela rend compte aussi dans un certain sens, de qui était Pasolini.

Comme Rimbaud, Pier Paolo Pasolini a vu l’Horreur, ils sont descendus tous deux dans l’Enfer et tout deux savaient qu’une saison en Enfer vaut mieux qu’une mort vivante; si l’un a vu l’horreur putride des “marais occidentaux” l’autre a vu “un ‘era antropoligica che dissacra i dialetti”, “un incendio nell’incendio di una Nuova Preistoria” et puis encore; “Madri vili, Madri mediocri, Madri servili, Madri feroci”.  Mais Pasolini a délibéré de transformer l’Enfer sinon en Paradis du moins en Purgatoire - étant bien entendu qu’il faut avoir entrevu le Paradis pour vivre dans le Purgatoire; il a choisi aussi de vivre la vie et de parler sur elle entre l’Horreur et l’innocence.  Ce vers n’est-il pas tout simplement étonnant, à la manière d’un René Char - Amando il mondo che odio -?

C’est de ce Purgatoire que sont sorties le Descrizioni di descripzioni et, surtout, les remarquables Lettere luterane dont je voudrais traiter brièvement. Il s’agit avant tout de la question du Pouvoir.


Fin de la première partie

jeudi 22 août 2013

PASOLINI ET LA VIE : ENTRE L’HORREUR ET L’INNOCENCE - 3e partie

Dans le mythe de Babel, comme l’a bien noté Denis de Rougemont, l’obsession de la langue unique, de l’unicité linguistique, est venue obscurcir puis desquamer la fin commune qu’on devait poursuivre.  La langue unique revêt l’autorité de la langue haute, celle du Père régulateur et pourvoyeur de connaissances techniques et s’érige en fin.  En cela elle devient rhétorique, signe de distinction des clercs et marque du Pouvoir.  Le Volgar’ eloquio se fige, son sang se coagule et perd toute expression pratique. La langue du Père acquiert valeur de parole sans appel et assèche toute activité culturelle.  Le moyen s’est donné comme fin, alors s’opère une scission entre la pensée et l’action et la grammaire (de la langue haute du Père) se dégrade en instrumentalité technique imposant la dictature des instruments comme fin.  La tour s’écroule, la vie est encadrée, la technique inflige aux dialectes des mesures paralysantes et même la grammaire haute perd toute capacité de mesure actuelle, de régulation vivante, elle s’est transmuée en rhétorique.

Jean Starobinski a fait remarquer que le problème de la langue constituait l’unité de la pensée de Rousseau: le Discours sur l’origine de l’inégalité insère une histoire du langage et le Discours sur l’origine des langues situe la société à l’intérieur du langage - il ne serait pas vain de s’interroger sur la pertinence de prolonger la remarque jusqu’à l’oeuvre de Pasolini. Ainsi tout comme pour Rousseau, l’inégalité - chez Pasolini le néo-capitalisme techno-fasciste - parle une langue dépréciée et dépréciatrice tandis que du déclin des dialectes et, par voie de conséquence, de la langue haute, s’engendre le déclin social.

La langue primordiale est parole expressive du corps médiateur entre l’objet et le sujet (désir, sentiment, conscience), elle désigne l’objet dans sa relation au signifieur ,à celui qui parle; d’une saisie de la présence de l’objet elle renvoie à une vérité du sujet: les premières langues ont une nature poétique.  Autre parenté entre Rousseau et Pasolini: le cheminement de la langue, de l’instrumentalité à l’abstraction (l’éloquence du citoyen revêt un statut équivoque balancé entre le fait et l’idéal de la norme) dépouille le corps de ses gestes, de son expressivité, de ses signes visibles.  La déréalisation du corps corrobore la perte de la langue.  Le mot, dans son rythme, sa tonalité, son accent, ne récapitule plus l’histoire de la société, le corps homologué par la fonction hédoniste des nouveaux rapports “sociaux” ne territorialise plus l’histoire de la langue.  Pasolini n’achèvera jamais de nous montrer dans la suite photographique de la Divina mimesis ou dans la Trilogie de la vie par exemple, les liens intimes entre langue, corps et histoire.


Le langage populaire exprime la temporalité circulaire du mythe, le cycle pérenne des choses et des êres, il dit le lieu du monde; et nul autre lieu qui ne soit pas un lieu ouvert.  Les lieux de Pasolini sont la campagne, les rues, les ruelles, les quartiers.  Il n’y a pas de structure claustrale, de lieu carcéral chez Pasolini, c’est pourquoi sa révolte reste pure, innocente.  Le borgate des romans de Pasolini, les héros de la Ricotta baignent dans le symbolisme, ils expriment une condition anthropologique universelle qui ne saurait élire domicile dans les châteaux verouillés du marquis de Sade, les cimes solitaires de Nietzsche, les rochers romantiques, les nations retranchées encore bien moins dans les camps de concentration comme l’a très bien écrit Albert Camus dans l’Homme révolté.  Et on pourrait ajouter à cette panoplie des lieux mode d’emploi, les supermarchés, les intérieurs bourgeois et les partis et autres organisations politiques.  Pasolini nous livre un contre-exemple significatif dans Salò et, dans une moindre mesure, dans la Porcherie. Cependant même dans Salò il suggère les moyens de nous déprendre de l’univers carcéral concentrationnaire du château expérimental par l’amour entre deux jeunes gens.  Les Maîtres de cérémonie qui sont tout simplement les maîtres organisent une parodie du mariage - une sorte de pacte civil programmé avec l’immonde et l’horreur - et voici que les deux jeunes jouent le jeu de l’amour et de la tendresse charnelle du corps - tendre baiser de surface dévastant les entreprises techniques de sodomie arraisonnante.

À suivre

mercredi 21 août 2013

PASOLINI ET LA VIE : ENTRE L’HORREUR ET L’INNOCENCE - 2e partie

La régression pasolinienne ce n’est pas une répétition du passé ni la vaine nostalgie d’une époque ou encore la tentative de reproduire une figure du passé.  Elle signifie une insertion dans la réalité qui engage la temporalité du corps et de la langue qui parlent un présent chargé de sens et se manifestent non comme situation ou conscience historique mais comme réalité anthropologique.  À cet égard il est frappant de constater ce qui rapproche Pasolini de Rousseau pour qui le devenir historique n’est possible que par le retour à une origine, à une nature primitive dans le parcours à rebours d’une histoire hypothétique que se donne la conscience qui expulse les relations et les objets du mal.

Inutile d’insister sur ce qui sépare Pasolini et Rousseau, il suffit de penser à théorème où la vérité s’exprime partout mais ne se donne jamais comme une.  Par ailleurs dans la descente qu’il entreprend Pasolini se heurte à des obstacles qui sont à la fois des objets et des médiations.  S’il atteint l’authenticité celle-ci ne lui accorde jamais le privilège d’être transparente.  Les symboles, les connexions entre les objets du monde, les flux du désir ont acquis une dureté, des visages obsédants qui masquent toujours un arrière-plan.  L’objectal coïncide avec le transcendantal en ce sens que Pasolini se meut dans l’empirique pour se mouvoir dans l’invisible. Il est important de saisir en quoi consiste la relation entre le symbolisme et l’empirique chez Pasolini: les objets sont des doubles, ils révèlent une absence de l’empirique, le visible, donnent à voir ce qui est et doit rester invisible. Tout objet est signe d’une absence,puissance sacrée qui renvoie à un système symbolique général dont il ne peut se détacher, qui est la marque du sacré.  Abolir le visible, destituer l’empirique, reléguer le sensible, autant d’entreprises qui aboutissent à supprimer l’invisible et la pensée dont l’essence est la correspondance, la rencontre entre l’intentionalité de la conscience et l’intentionalité des apparences, c’est-à-dire la communication avec le fondamentalement autre.  Pasolini n’était pas un anti-rationaliste, ce qui n’aurait aucun sens, simplement son rationalisme ne s’avisait pas de rationaliser l’irrationnel et de rendre positif l’inconscient.

Pasolini en montrant par les images archétypiques, les métaphores de son cinéma, le symbolisme de sa poésie ces réalités, nous donne une méthode de connaissance de notre culture et, en même temps, de toute culture.  Deux vers remarquables de René Char nous en rendent compte;

  • Notre héritage n’est précédé d’aucun testament - 
  • Le fruit est aveugle, c’est l’arbre qui voit -

Dans cette descente dans la caverne par les racines de l’arbre on y rencontre des personnages réels et non des conceptualisations post hoc comme l’a indiqué avec force James Hillman dans son beau livre sur le dieu Pan. C’est en ce sens que Pasolini dans sa régression archaïque est un humaniste: il ne parle pas de sensations intellectualisées mais de personnes.  Les forces de la nature sont des personnes réelles, vivantes comme dans la mythologie, comme dans le langage onirique et comme dans le langage populaire.  Ce dernier est magique, il s’adresse aux choses comme aux êtres.  Le langage populaire restitue la parole à la nature, il est innocent et cette innocence consiste à échapper aux rationalisations corrosives et assèchantes de l’Histoire.

eccoli, miseri, la sera: e potente in essi, inermi, per 
essi, il mito rinasce....

Ce langage populaire c’est le langage du mythe et de la Mère, la langue édénique de l’invariance et de l’identité, de l’origine, de l’innocence comme l’a bien exposé Andrea Zanzotto.


La langue dialectale c’est la langue de l’enfant qui tête sa nourrice disait Dante, elle est donc la langue noble parce que naturelle - harum quoque nobilior est vulgaris - elle représente l’idiome vivant qui se conforme le mieux à la grammaire originelle.  Pasolini a écrit un merveilleux poème - volgar’ eloquio (l’éloquence vulgaire ou parler éloquent vulgaire) qui, sans doute, fait écho au texte de Dante De vulgari eloquentia, et dans lequel il fait marcher le dialecte qui sourd du profond des midis, vole de haies en granges, marche de places en églises.  Le dialecte se meut entre les choses de la vie et leur communique la vie; le monde des campaniles, des marchés, des petites gares n’existerait pas sans lui.  Le dialecte est sang, lait et vin.  C’est que, comme l’a bien vu Denis de Rougemont (1), la grammaire (chez Dante le latin, comme locutio secundaria) construite, élaborée ne doit pas exercer maîtrise et autorité sur le langage dont dépend l’action, elle-même enracinée dans la commune mesure.  Le dialecte est moyen naturel d’accéder au monde, de communiquer et d’accomplir des actions communes: il est le moyen d’une fin qui est la vie ou commune mesure d’un idéal de vie.

(1) Denis de Rougemont: Penser avec les mains, Paris, Albin Michel, 1936.

À suivre

mardi 20 août 2013

PASOLINI ET LA VIE : ENTRE L’HORREUR ET L’INNOCENCE - 1e partie

PASOLINI ET LA VIE : ENTRE L’HORREUR ET L’INNOCENCE

Pasolini était animé d’un impératif catégorique de la réalité pour paraphraser l’expression de Kant, une volonté de réalité caractérise son être, son art.  J’avais résolu d’écrire un texte global, organisé (structuré) sur l’oeuvre de Pasolini.  Estimant qu’il restait incompris ou déconsidéré, méprisé, j’ai longtemps maintenu le projet d’écrire un texte bien concentré prétendant faire le point sur “la cohérence théorique” de l’oeuvre de Pasolini.  Ce texte comportait des chapitres et des sous-chapitres dans lesquels j’envisageais d’éclaircir les concepts de répétition, de temporalité, de représentation, de régression et de situer, en les reliant, les problèmes de langue, des mythes, des rites, du pouvoir etc.... Après avoir rédigé une trentaine de pages j’ai dû renoncer à mes intentions initiales: j’avais échoué à rendre cette passion de la réalité, l’intensité explosive des idées de Pasolini. Il me semble, après ce recul, que chaque texte contient, sous une autre forme ou en vertualité, toute l’oeuvre comme si Pasolini, à chaque fois, ne pouvait que revenir sur le même objet, la même foi, la même obsession, le même désir. Chaque ouvrage m’apparaît aujourd’hui comme la palpitation d’un même coeur, d’une même vie - de la vie.

Je soumettrai donc au lecteur trois textes, trois expériences, dans le même texte.  Trois rencontres avec la réalité. Comment en irait-il autrement, quand chez Pasolini la linguistique se double d’une lutte à la vie à la mort pour la Mère et la quête originale de l’objet perdu, pour la survie des dialectes; quand la psychanalyse se hisse hors de toute topique pour nourrir un enseignement de l’amour et des signes de vie, pour s’approprier la mère dans l’homosexualité et devenir, enfin épistémologie de la douleur; quand la phénoménologie est lumière, jour qui se lève sur l’innocence nue du monde, l’injustice, l’hypocrisie de la bourgeoisie que Pasolini dit une forme visible. C’est par le langage poétique, le langage de cette forterresse puissante qu’est le métaphore linguistique, où habite Dieu comme l’écrivait Walter Benjamin, que l’expérience commune, que la communication originelle libératrice deviennent possibles.  Mais la métaphore, dans ses trajets, ses liaisons, ses transferts, porte toujours sur des objets, elle suppose l’ouverture du monde et son pouvoir-être; elle appelle l’inorganique, ce qui se dérobe toujours à la liaison lorsqu’elle s’éclate en une autre, le “traveling” intra-mondain des êtres et des objets.  En ce sens la critique de Pasolini est positionnelle anti-positive, elle pose les objets et se pose sur eux.  Elle est organique à l’inorganique, la pulsion chasse toute positivité, fuit tout enfermement, la simlitude n’apparaît que sur l’arrière-plan de la dissimilation.  Seule l’intuition imaginative garantit l’unité de l’objet, comme éclair fulgurant de l’être.

La métaphore exerce un pouvoir qui est dû à sa puissance tandis que la pensée instrumentale, scientifique-logique est opération de pouvoir qui ressortit à la dette infinie que le monde contracte à son égard, pour reprendre l’extraordinaire intuition de D. H. Lawrence.  L’homme ne collabore pas à l’évènement devant lequel il s’étonnera, celui-ci aura déjà été intégré dans une programmation de plus en plus conquérante, excipant de sa volonté d’universalité.  La nature se dépouille devant le modèle logique et l’homme moderne s’auto-glorifie à l’idée d’organiser la nature dans un système du jugement dernier.  Sa pensée appréhende des parties, des bribes, des morceaux puis les ré-intègre dans le délire programmé de la Nouvelle-Jérusalem où toute vérité sera dévoilée, toute justice restituée.  Tandis que la pensée métaphorique ne connaît que des réalités physiques, les symboles, les images tourbillonnantes, qui sont tous des points rotatifs convoquant tous les sens et sollicitant toutes les énergies, pour s’éclater en d’autres points qui se donnent eux aussi comme rotatifs mais portés par d’autres flux, poussés par d’autres connexions, libérés par d’autres disjonctions, la pensée moderne linéarise, sérialise le réel dont l’unité ne sera recouvrée que dans l’Apocaplypse ou la Nouvelle-Jérusalem, c’est-à-dire la seule borne terminale du Jugement dernier.  Entre temps la publicité et la propagande auront utilisé les symboles vitaux pour les déconnecter en supprimant leurs correspondances relatives, leurs flux cosmiques, pour les disposer sur les étalages pornographiques et les mettre en scène dans les grands spectacles super-techniques. Et alors l’homme n’en finira plus de payer une dette, à son tour, aux gestionnaires grands prêtres du modèle; ayant délaissé, abandonné les dieux de la nature pour pactiser avec le Dieu ultime, L’Être suprême de la technique au jugement sans appel, il aura perdu tout pouvoir.  Déjà s’annoncent dans les coins et recoins de l’âme collective les maîtres de la survivance, de la soppravvivenza du survival.

À l’idéologie bourgeoise et clericale, au fractionnement mortel hypnotique de la réalité à la mise en puzzle apocalyptique du langage par les modèles universitaires et les médias d’information, Pasolini oppose l’unité du monde et des êtres que restitue le surgissement d’images oniriques et d’archétypes élémentaires barbares “brutalmente oggettivi”. S’indique alors, à nos sens, à notre désir, à notre imagination la base empirique (objectale - transcendantale) de l’expérience communicationnelle.  Nous comprenons mieux maintenant pourquoi Pasolini était un hérétique, un rebelle.  Dans l’horreur de la modernité, dans il grigiore del mondo, il silenzio fradicio e infecondo, la noia patrizia intorno, dans cette mortale pace disamorata où triomphent il mancar di ogni religione vera, non vita ma sopravvivenza come d’un popolo di animali, Pier Paolo Pasolini à travers les symboles poétiques concrets et la sacralité des gros plans cinématographiques rend intelligible l’histoire non dite des êtres et des objets, la pré-grammaticalité intense de la grammaire des objets parlés.  C’est en ce sens que le cinéma est linguistique et que son langage est un langage de poésie qui contourne la technique et contient la tentation de restituer le monde et l’histoire sous le mode narratif dans le cadre du spectacle.

C’est pourquoi la poésie ne se vend pas à des centaines de milliers d’exemplaires, ce n’est pas un art populaire qui attire les foules. Pasolini était une Gramsci de l’être c’est-à-dire de ce qui est, de ce qui devient, de ce qui régresse et de ce qui transgresse.  Tout son effort tendait à résurgir les bases empiriques de la religion.  La parenté avec D.H. Lawrence est ici évidente:

“Every profound new movement makes a great swing also backwards to some older, half-forgotten way of consciousness” (Apocalypse).

Mais les bases empiriques de l’être contiennent déjà l’être et, en même temps expriment son impossible, inextinguible, désir de jaillir, d’émerger, de surgir, d’apparaître.  Dans son cinéma ou dans ses poésies Pasolini appréhende l’être non dans une fluidité historique ou bien dans un réalisme formel qui fixerait un dire, une parole une pensée - mais à travers le sens.  Ce n’est pas la réflexion ou la raison qui sollicite la parole communicante mais le sens en deçà de toute vérité ou de toute fausseté: Thinking beings have an urge to speak, speaking beings have an urge to think (Hannah Arendt The Life of the Mind).  Dans son cinéma et dans sa poésie Pasolini nous donne à saisir la priorité de la vision, de la perception sur l’activité mentale.  Penser en images c’est marcher dans la chair du monde, c’est s’étonner à chaque instant devant l’apparition de l’être.  Le Thaumazein grec, l’étonnement, c’est la connaissance intuitive de la vérité, l’affirmation que l’intuition est une forme supérieure de la vérité cognitive pour rejoindre encore une fois les propres termes d’Hannah Arendt.  Voilà pourquoi Pasolini était l’incarnation vivante de ce très beau vers de René Char:


Agir en primitif, penser en stratège - son archaisme et son classicisme moderne ne renvoient pas à une antiquité désuette et historiographique non plus à une culture et pas uniquement à une tradition culturelle - mais à une nécessaire régression vers les objets d’appropriation de notre culture vers ce qui a été simplifié, rendu tabou ou oublié par elle.  Pasolini nous fait descendre dans la caverne des formes terrifiantes du cauchemar, des pulsions obscures, des rêves - c’est-à-dire dans les réalités psychiques de la nature elle-même.

À suivre

vendredi 2 août 2013

MISÈRES DU DÉSIR - CHAPITRE X

CHAPITRE X

Après avoir fait l’amour, dans le silence et la nudité de nos corps tout remplis l’un de l’autre, nous contemplons notre plénitude, tellement contents d’être homme et d’être femme.  Si différents et si semblables.  Nous sommes comme une bonne terre chaude après une averse d’été, prometteuse d’une bonne récolte.
Encore une fois, c’est le dernier appel. Quand il s’éloigne d’elle, un frisson lui travaille le corps.
  • Je t’appelle de New York et je t’attends à Madrid. À bientôt, Chérie. Mi Amor!
Elle lève la main, sourit tristement et murmure : “Adieu Raùl”. 
Adios Mi Amor
Sur le chemin du retour, alors qu’elle s’agrippe au volant, Hélène a l’impression de rouler vers le néant. Mais elle sait qu’elle a pris la bonne décision.  Parler à Raùl de ses inquiétudes aurait tout faussé, tout gâché.  Au moins, de cette façon, les souvenirs resteront intacts.
Dès le lendemain début une course contre l’anxiété et une lutte acharnée pour éviter de prendre les appels incessants de Raùl.  Sans rien expliquer à Odette, elle a pris congé pour un mois.  Quelques jours plus tard, elle admise à l’hôpital.
  • il aurait pu rester!  Quel égoïste!
  • je t’interdis de parler comme ça. Tu connais à peine Raùl!  Avoue qu’il est adorable.....
  • Charmant, je te le concède.  Mais pourquoi n’est-il pas ici avec toi?  L’amour, c’est aussi d’être là quand ça compte. IL veut t’emmener avec lui à Madrid pour la vie et il ne peut faire face à ça?
Hélène baisse les yeux pour éviter le regard de sa nièce.
  • tu ne lui as rien dit? Tu ne lui as pas dit?  Tante!  Mais pourquoi?
  • Chère nièce, Raùl sera mon plus beau souvenir, mais cette relation est vouée à l’échec.  Tu vois bien que mon corps ne suit déjà plus mon coeur.  Et malgré tout l’amour que j’éprouve pour lui, malgré toute la peine que j’éprouve de son départ, je dois le laisser pour revenir avec moi et avec mes idées.  Il en va de ma vitalité - celle-ci fleurissant, il reviendra vers moi.
Les deux femmes sont interrompues par l’arrivée des infirmières.  La nièce regarde sa tante partir pour le bloc opératoire, la gorge nouée.  Pourquoi semble-t-elle toujours tourner le dos au bonheur?
Le mois d’août était plongé dans l’obscurité, à l’exception de quelques villes de banlieue, vivement éclairées.
Montréal paraissait endormie, Hélène aussi.  Par la fenêtre, le bruit des enfants qui jouent dehors, le bruit du vent dans les feuilles, une odeur de gazon coupé.....elle ferme les yeux pour tout savourer.  Comme le vie lui semble précieuse, aujourd’hui.
  • Allez! Un toast! À ma tante, une femme superbe, qui fête aujourd’hui ses 43 ans et la vie!
Tout le monde lève son verre au toast de la nièce qui décoche un clin d’oeil à sa tante tandis que Hélène murmure un merci à l’intention de Martine son médecin qui semble très émue.  Les tests de Hélène sont négatifs, aucune trace de cancer.
  • Alors, ce départ pour Madrid?
  • Heu....c’est-à-dire que....nous avons un peu retardé le projet.  
Les questions fusent. Les commentaires sur Raùl aussi.  Hélène donne le change, répond d’un ton détaché. 
Quelques minutes plus tard, elle se retire sur le balcon.
  • tu ne vas pas y aller, c’est ça?
La voix de Odette la fait sursauter.
  • Non, je ne vais pas y aller.
  • Mon Dieux, Hélène, pourquoi?  Cet homme a traversé l’océan pour venir te chercher et te dire qu’il t’aime et toi, tu......
  • Odette, je t’en prie, je n’ai aucune envie d’en discuter.
  • Eh bien! Moi, je n’ai aucune envie de fêter quelqu’un qui a décidé de s’enterrer vivante.
Odette traverse le salon en trombe et quitte la fête.
  • Qu’est-ce qui s’est passé avec Odette?
  • Elle m’en veut pour Raùl
  • Moi aussi, tante! Je ne te comprends pas.
  • Je crois que moi non plus.
  • Tu sais au début, ça me faisait drôle, cette histoire d’amour un peu....inusitée.  Mais pourquoi pas, tante?  Pourquoi le bonheur aurait-il une forme unique, un âge limite, des frontières géographiques?  Tu aimes Raùl, il t’aime....Tout est dit, il me semble.
Hélène cache ses larmes à sa nièce.  Elle sait très bien qu’elle n’aura ni la force d’aller vers Raùl ni celle de rester seule sans lui.  L’impasse est totale.
- Mais c’est inutile de venir me chercher!
  • ce sera plus drôle d’être tous ensemble.  Nous serons chez toi dans une heure.  Tu nous attends?
  • Bien sûr, où veux-tu que j’aille? À tout à l’heure, chérie.
Hélène ferme l’appareil et se demande si elle a vraiment envie de ce pique-nique en famille.  En fait, même depuis le diagnostic qui l’a soulagée, elle ne prend plaisir à rien et ce mois de vacances déjà terminé n’a pas réussi à l’égayer.
Que tout cela est pénible. Il lui semble que chaque assiette qu’elle lave pèse une tonne. Elle a comme une déchirure au coeur devant chaque tasse à accrocher dans l’armoire.  Et tout cela sera à recommencer et au prochain repas; répétition de lourdeurs et de déchirures.
Puis, elle se sent peu fonctionnelle, l’imaginaire demande que la personne s’abandonne et se dé-rigidifie, qu’elle ne se soit pas “braquée” sur son manque, figée sur son absence comme le ressent la personne qui s’ennuie.  Mais la perspective d’entendre le rire cristallin de ses petits neveux et de les voir courir dans l’herbe lui donne le souffle nécessaire pour se préparer.
Une demi-heure plus tard, elle finit de remplir la glacière quand on sonne à la porte. Elle court répondre, mais doit s’agripper à la porte pour ne pas chanceler.
  • Raùl?
Il ne répond pas, la soulève déjà de la terre, la fait tournoyer, enfuit sa tête dans ses cheveux, couvre son visage de baisers.  Elle tente de refouler les larmes qui lui serrent la gorge.
  • Mais enfin, Raùl? Je ne comprends pas. Qu’est-ce que tu fais ici?
Il s’éloigne un peu d’elle en lui tenant toujours les mains, pour mieux la regarder.  Son sourire n’est pas ironique aujourd’hui.  Il est presque douloureux comme le regard.
  • Je suis venu te chercher. Je t’escorterai moi-même jusqu’à Madrid.
  • Raùl, mais c’est moi qui devais....
  • Bien, tu vois, je n’ai pas confiance.  Non, je n’ai pas confiance en une femme qui non seulement ne retourne pas mes appels, mais qui en plus ne croit pas en mon amour.....
J’ai beau vouloir te rejoindre en te disant comme je t’aime et tu me fuis comme la peste.  Je t’accuse de ne pas me comprendre alors que je sais bien que tu me comprends et tu n’acceptes pas ce que je suis: persévérant.  Tu as peur que mes larmes déteignent sur toi.  Toi seule, je pense, je peux me sauver de l’anxiété et tu es la première à disparaître.

La satisfaction que procurent les expériences extatiques avec toi, me comblent de bonheur, cette satisfaction crée un sens d’unité avec soi, suscite un profond bien-être. C’est un sentiment d’être accru et intense dorénavant présidé par l’esthétique, la beauté et la sérénité.  Toute la conscience est occupée à la contemplation.  Tout désir, toute attente et toute distance entre l’imaginaire et le réel sont évacués.  La faim de l’imaginaire est rassasiée.

  • Raùl.......
Il l’arrête d’un geste de la main.
  • Non, je n’ai pas confiance en une femme qui décide de m’écarter de sa vie pour rentrer à l’hôpital; je n’ai pas confiance en une femme qui croit que je ne sais pas compter moi-même la différence d’âge et qui croit que cela pourrait avoir de l’importance.  Alors, je me suis dit que si cette femme était capable de passer à travers une épreuve comme celle-là sans moi, alors elle était bien capable de ne jamais prendre cet avion en croyant que ce serait mieux ainsi.  Je t’aime, Hélène.  Tout est encore neuf, je sais, mais à l’âge que nous avons tous les deux, nous savons reconnaître l’amour et, surtout, nous savons quel prix il a.  Je ne te laisserai pas gâcher notre bonheur parce que tu crois être arrivée cinq ans trop tard.
Je te parle pour aimer et retrouver les battements de mon coeur cuirassé par l’orgueil.
Je te parle pour conduire la minute qui va naître vers la tendresse d’un baiser.
Il faut sourire, mon amour, avec la certitude que les voiles du crépuscule disparaîtront, que le bleu de l’horizon sera à toi.
Nous sommes à la l’orée d’un monde neuf, à la naissance d’un jour qui se lève.
Comment explorer et le nommer sans tes yeux et ta main amoureuse.
Comment parler le langage de l’amour et choisir à la croisée des chemins, dompter les espaces et devenir roi de ma création, sans tes lèvres et ta complicité, mon amour?
Voilà mille aubes, mon amour!
Et j’apprends, syllabes par syllabes, à déchiffrer ton nom à te comprendre sourire après sourire
à t’attendre colère après colère.
Je veux t’aimer à tout prix et te découvrir dans le printemps de chaque amour
ouvre, mon amour, ouvre tes grands yeux sur Madrid
La tendresse, ce soir, sera sans limite
l’amour interdit une chanson que le vent dispersera
et la vertu un rire sonore dans la tempête des légendes.
Savoure, mon amour.  Savoure, la douceur de vivre
je te donne mon génie, mon coeur, pour le plaisir de grandir à l’ombre d’un amour sans fanfreluche.
Mes souvenirs tremblent comme les désirs fols grisant l’attente d’une nuit de noces.
Embrassons-nous, mon amour, accoudés aux saisons de nous-mêmes.  Les badeaux jaseront, mais nous sommes les sourds muets d’une nuit fabuleuse.
Nos souffles sont plus purs que le printemps et nos serments plus frais que la brise d’automne, le rire des envieux sera sillon dans l’éclatante clarté de notre amour.
À toi les mille et un reflets de mes yeux ternis offerts à la luisance des souvenirs et les champs de lilas qui descendent à pas feutrés la route du crépuscule.
Peu importe l’incertitude des jours moroses dans un ciel de feuilles mortes et d’hibiscus et les lianes mortes surgies de fond des âges pour la ronde des jours d’épouvante.
Ta voix suffit pour réinventer la joie et trouver la clef de tous les Aoûts en fleurs à piéger au coeur de l’automne.
Ton regard suffit pour attendrir les soleils et fixer la confiance au seuil d’un printemps de rêves.
À toi mon amour que tisse nuit et jour le vertige des cimes, mon amour qui porte messages à tous témoins aîlés en route vers l’inconnu, mon amour qui raconte la jeunesse des sources, la génèse des longueurs aux arcanes de tes sens.
Peu importe l’indifférence d’une semaine de cauchemars longs appels d’exil jaillis des bouches couroussées d’un passé en lambeaux clameurs sans fin quand gît mutilé le doute libérateur.
Que l’amour périsse
que l’amour renaisse
à toi ma vie, Hélène de haute lignée d’un âge merveilleux
à toi mes mains d’eau fraîche
pour que jaillissent au-dessus de nos têtes
les pétales de notre amour en feu
Je tire le verrou des routes interdites
et je dessine ta démarche lente de femme
aux saisons de moi-même
Peu importe les violences d’une nuit d’égarement
où mes doigts étranglèrent ton entêtement
pour que renaissent éternelles les gerbes de l’entente
à toi mes yeux, mon horizon et mes pas lourds de chameau
apprivoisé, je t’aime pour mes scènes de violence
mes regrets d’amoureux exigeant
et la fragilité de ton regard
Pour le bonheur jeté par brassées au rendez-vous
des interdits et les fleurs liliales de ton sourire
à toi mon amour des jours sans caresse
et des matins d’abondance
à toi mon amour des jours d’angoisse et des matins-feu d’artifice.
Je t’aime pour les illusions perdues et les espoirs mystiques des saisons de vertus à réinventer les midis de durs hivers.
à toi ma présente, ma future plus soumise par exigeante volonté.  À toi mon amour qui apprivoisera les espaces et les saisons les hommes rebelles à la joie et les visages sans amour quotidien qui meurent de solitude.
Tu vis et grandis mêlée à moi comme des liens purs et tendres plus fraîche que sources claires murmurant chansons dormoires à l’aube d’un départ.
C’est toi l’unique, la présente et l’absente
tu renais à toute heure en moi comme les mille vagues
de la mer flirtant avec la plage assoiffée
Tu es en moi confondue dans l’ambrasement amoureux du doute et je te parle triste et fier mordillant ce double de moi-même pour fixer à jamais ta présence de lavande.
Ce soir mon coeur voudrait solfier des sanglots qui vagabondent sur tes hanches pour hâter la saison du renouveau.
Ce soir une foule sophistiquée vit sa vie truquée à la croisée des chemins et ton absence pèse lourde sur ma vie.
L’avenir du monde est serti dans tes yeux et le flot de ta chevelure charrie toutes les ivresses.
Tes seins sont un globe taillé à la mesure de mes passions et où s’agitent toutes les grandes villes et tous les hameaux du monde jusqu’à ce corridor fleuri de Madrid point de convergence de toutes nos ivresses..
Ce soir l’univers est aux écoutes et mon coeur est sous les verrous.
Le monde a la dimension de la symphonie qui rythme les ondes bleues du fleuve de ton corps sur le clavier de ton rire ailé.
Mais je cherche en vain le regard sensible de mon poème de chair :
“Mon Seigneur mon amoureux
“disais-tu en ce temps-là
“tu es mon maître et ma boussole
“que ta volonté soit faite
“je suis la femme de tes caprices
“et la saison mouvante de tes désirs
“je t’obéirai tu es mon prince
“si mon prince est fier de son sujet
“si mon prince est satisfait de sa servante
“je serai la plus heureuse des femmes....
Je te regarde et je tremble de joie
Je te regarde et je frissonne de crainte comme au réveil
d’un songe peuplé de sanglots et de cauchemars
aujourd’hui je cherche tes lèvres mobiles et tes promesses
je ne trouve que ton nom et ton souvenir sans comprendre ton absence parmi les bourgeons de soleil dont tu protégeas la croissance des pollens.
Ce soir je suis le sentinelle d’une ville sans garnison cernée par les ravages inclémentes.
Qu’ils sont tendres à mon coeur les souvenirs de ce temps là!
Tu me tendais la main et au toucher je sentais ton âme riche de tout le bleu du ciel blottis en souveraine dans les attentes de ma sensibilité.
Tu souriais et l’estuaire de tes lèvres accueillait tout le fleur de ma passion.
Tu parlais et pour respirer mon amour serpentait toutes les rives du monde où pour germer les graines ont besoin de tendresse
et mon amour louvoyait, en cargaison d’oxygène en amont de tes désirs.
Et quand j’élisais ma joie sur la nudité mouvante de tes épaules et de ton sexe je te proclamais la plus belle de l’univers, ô femme québécoise.
Qu’ils sont tendres à ma détresse les souvenirs de ce temps-là!
Mais ce soir mon coeur est sous les verrous et le monde vit sa vie de pétrifié.  Je cherche en vain, ô princesse, ton regard sensible, mon poème de chair.
Personne n’accueille le poète et sa gerbe de passions fil de lin pour tisser ta tunique d’amoureuse.
Laissons les préjugés mûrir entre nous comme les fruits tropicaux.  Ils tomberont d’eux-mêmes à la saison nouvelle et la lumière de nos sens inondera le temps du renouveau et ce jour là je ne viendrai pas vers toi les bras chargés de roses rouges symboles de l’éphémère ni les mains rutilantes de bijoux pour conspuer ta vanité de femme.
Je ne te dirai pas les inquiétudes et les angoisses de l’attente ni les nuits d’incertitude qui ont traversé à gué pour choir sur tes rives.
Le fleuve en crue de ma désolation.
Pas de projets grandioses
Ni de serments superflus
Je viendrai vers toi le coeur riche du seul paysage marin de tes yeux.
Je te prendrai par la main et nous marcherons, nous marcherons, ma tendresse, comme aux premiers jours de la création. Puis, nous jetterons notre tente de nomades, quelque part, sur l’arche de ta sensibilité et nous rebâtirons un monde à la mesure de notre amour.
Non....on...on diras-tu dans l’harmonie fêlée de ton regard et l’accent mobile de tes gestes. Je pivote sur le trottoir de ton corps de femme ma constellation.
Me voici à genoux, d’aube en aube, inquiet et fiévreux cherchant au bout de l’irréel les visions d’un amour enseveli un matin de refus et de mystère.
Cauchemars aux masques de velours je suis loin de ces heures où, charmeurs et ciseleurs, dans le mirage des sons et des couleurs, témoignaient de leur impuissance à créer des paysages de rêves et l’éclat de ta démarche innocente.
Matins engloutis dans le sable des passions scandaleuses, couché à tes pieds, mendiant un sourire, j’aspire donner à mon passé le goût de l’immortel.
La douceur de tes mains frêles et parfumées sur mes cheveux abritent dans leurs creux toutes sensations pour mûrir des grappes chargées d’aurore.
Et mon visage s’illumine
Mes gestes suspendus à tes yeux.
Que vienne le jour que vienne la nuit je n’aspire qu’à être le souffle inspiré de tes caprices. Bâtir avec gestes grandioses, plaintes d’enfants ravis sous des flamboyants en fleurs, un poème de chair.
Toujours absente, toujours présente tu surgis sans cesse de l’irréel. Rose pourpre fraîchement éclose tu m’apportes l’offrande de tes baisers.
J’aspire mon présent dans chacun de tes sourires d’amoureuse émerveillée. Tu me fais des confidences où passent toutes les images où se confondent tous les souvenirs:
“je t’aime d’un amour mêlé d’en-
“vie et de souffrance (confesses-
“tu de ta voix fêlée)
“je t’aime avec caprice et fierté”
Tes yeux sont deux lacs où navigue tout l’espoir du monde. Toutes les souffrances des hommes, toutes les beautés de la terre se retrouvent dans chacun de tes regards.
“j’aime en toi ce regard rempli
“de rêve et de vie
“j’aime en toi le poète dont je
“serai toujours fière d’être la
“muse favorite
“j’aime en toi l’homme en qui re
“pose ma confiance......”
Tu as dit
Et fou de joie j’ouvre toutes les portes de l’univers sur le lit géant de notre amour.
J’invite le monde aux noces de notre amour
je convie l’univers au partage de notre amour.
Des roses des roses à répandre sur ta couche de femme
un rayon de ciel bleu, tendre comme tes lèvres où fleurit du velours.
Tes lèvres pour rafraîchir mon premier baiser
brûlant comme un midi d’été méditerranéen!
L’amour c’est l’homme, l’univers le partage.  Tu es là je te vois
on se sourit. On s’embrasse, nous nous enivrons dans la griserie des caresses.
Comme aux premiers jours de la création je t’aime pour le soleil
qui flirte avec les branches géantes des raisiniers des mers pour ta tignasse en torsade.
Je t’aime pour ta candeur notre nudité pour le calme de la mer et l’indiscrétion des passants.
Cet oiseau chante notre amour et cette pomme que nous grïgnotons symbolise les interdits à piétiner sur le chemin de notre amour comme aux premiers jours de la création.
Je t’ai dit: il y a mille et une manière d’aimer
Tu m’as dit : il faut m’aimer d’amour avec sagesse et admiration. Mon corps de femme est vierge de toute souillure.  Il faut m’aimer avec délicatesse.
Il y a mille et une manière d’aimer et moi pour une fois je rêve de t’aimer avec violence.
Éveiller lentement tes sens.  Aimer calinement tes lèvres tes seins tes yeux et ton sourire.
Puis te mordre et les lèvres et les seins et les seins et le nombril.
Te sentir flétrir sur ma poitrine te sentir crouler et t’entendre geindre sous moi s’accager entrailles, t’entendre dans l’ivresse pousser des cris de béatitude et saouler ton petit corps de femme dans la sueur et l’odeur de mes souffles enfin confondus.
L’amour est partage, échange et sacrifice.
Te reprendre ma douce princesse, te refaire une nouvelle beauté, jouir de ton corps de femme épanouie et recommencer à te baiser de mille et une manière puisque tu m’as dit : il faut m’aimer d’amour.


Bien que je me souvienne avec tendresse de ces moments bénis, je ne suis pas nostalgique du passé. Ma vie est encore trop riche de nouvelles expériences et de découvertes pour que je sente le besoin de retourner en arrière. Je réserve ce plaisir pour mon grand âge. Il y a par contre des souvenirs qui surgissent spontanément à ma mémoire, catapultés dans le présent par une odeur, une saveur, une image. Et j’en suis invariablement émue, troublée.

-Je t’aime, laisse-moi te le dire. Je t’aime du fond de mon être, Hélène. Là où règne l’amour, l’impossible devient possible, et si je peux empêcher un cœur de se briser, je n’aurai pas vécu en vain.

Les mots tendres que nous nous sommes échangés sont conservés dans le cœur secret du paradis; un jour, comme la pluie, ils tomberont et se reprendront, et notre mystère fleurira sur le monde.

Je t’aime et je suis celui qui t’offre, chaque jour, une multitude de miracles. J’ai le pouvoir de t’enchanter par mon sourire, ma voix, mon odeur, ma manière de vivre. J’ai le pouvoir de faire disparaître ta solitude, de transformer l’ordinaire en sublime.


Je me sens amoureux de toi parce que je suis conscient que rien de ce qui passe entre nous ne sera insignifiant, que tout ce qu’on dit dans le cadre de notre relation, sera source de joie ou de tristesse pour nous deux et que tout ce qu’on fait renforcera ou affaiblira le lien qui existe entre nous.

-Parle-moi encore.

-Je voudrais, Hélène, je voudrais être avec un pouvoir immanent au centre vif de ton âme pour voir où et comment naissent tes volontés, chacune de tes idées, les images de tes fantaisies et les pensées qui de ton cœur montent à tes lèvres.

Je voudrais enfin te parler des deux formes de couple
1- COUPLE CONVENTIONNEL
2- COUPLE ESSENTIEL
COUPLE CONVENTIONNEL, le nôtre doit être un couple essentiel: Voici ce que j’entends par là.
  1. Processus ferme : les motivations ne sont pas honnêtement éclaircies. On se moule dans un monde de standard établi par les autres. On préfère la sécurité au risque de l’aventure. On s’efforce de correspondre à l’image que l’autre a de nous-mêmes.
  2. Doute : le processus fermé produit un manque de confiance en soi et en l’autre. On est attaché, on se sent dépendant. On a besoin de l’autre pour se valoriser.
  3. Résultat : compétition (ne prends pas ma place) : lutte de pouvoir (qui donne des ordres?) et d’autorité : conflits de rôles.
  4. Dépendance : rôles figés. Le processus de relations extérieures est source de conflits. On a des points de vue différents qu’on veut imposer. Insécurité = peur = ressentiment = solitude. On se sent séparé.
  5. Contrôle : la dépendance produit les échanges conditionnels. Les rapports sont régis par des règlements, des contrats. La relation est un « travail » ; on donne si on a reçu, les attitudes sont préméditées. Manipulation.
  6. Résultat : ennui. On a crée des règles parce qu’on ne s’amuse pas ensemble. On est pris dans la routine qui endort la créativité et l’invention. Ressentiment : chacun a l’impression que l’autre limite sa liberté et qu’il faut se protéger de lui.
  7. Insécurité : On a l’impression que « quelque chose ne va pas », on ne sait pas quoi au juste. Peur, instabilité, culpabilité; on évite l’autre, ou on exploite sa peur. On veut fonder une famille dans l’espoir de trouver une solution à l’impasse.
  8. Impression d’échec du couple – impuissance, dévalorisation de soi et de l’autre, ressentiment, désespoir.
  9. Divorce – séparation. Désespoir et solitude qui sont aussi l’occasion d’une nouvelle naissance : d’une découverte possible de l’autonomie et de la liberté.

COUPLE ESSENTIEL

  1. Processus ouvert : reconnaissance  mutuelle. On exprime honnêtement et complètement ce qu’on est, ce qu’on veut, où on va. On établit clairement le but, les objectifs communs qui fondent la relation.
  2. Affection : un processus ouvert, produit la conscience de notre indépendance et interdépendance. On n’essaye pas de changer l’autre. On veut protéger son bien-être.
  3. Résultat : partage/échange; chacun a le même rang, les mêmes responsabilités; on respecte l’espace de l’autre : le besoin d’être ensemble ou seul. Échange des rôles : on est là pour aider l’autre à évoluer.
  4. Autonomie : chacun se suffit à lui-même indépendamment de l’autre. Le couple est ouvert. Les relations extérieures indépendantes. Il a donc une meilleure compréhension des « outils » utilisés par chacun pour évoluer (temps passé ensemble : disciplines, loisirs, voyages, etc.), ce qui engendre la spontanéité.
  5. Empathie : l’autonomie engendre tolérance, détachement, abandon. Il ne s’agit plus de posséder ou de dominer. On explore ensemble, spontanément l’aventure joyeuse de l’évolution consciente, à deux vers plus de vie. Confiance mutuelle.
  6. Résultat : créativité, inspiration, jeu, amusement. Échange spontané des rôles et des tâches. On invente de nouvelles manières d’aimer. On s’amuse vraiment ensemble.
  7. Sentiment de sécurité  car on a transcendé la peur en confrontant ce qu’elle recouvrait. Désir de fonder une famille, car on a obtenu la stabilité.
  8. Aide et respect mutuels. Sentiment de dévotion et de don. La dévotion honore et éveille l’essence divine en l’autre; le don est le plaisir de cultiver le bien-être de l’autre. C’est aussi l’attitude créative de la mère avec ses enfants.
  9. Unité : la relation est l’occasion d’établir la liturgie sacrée qui élève et spiritualise l’union. Elle manifeste l’idéal de l’amour, établir le climat de grâce, la « bénédiction ».

Elle a le souffle coupé, les jambes qui tremblent.  Elle a une pensée pour sa nièce et Odette qui ont sans doute tout manigancé.  Elle sourit en se disant qu’elle n’ira pas pique-niquer.  
Elle a une peur folle, mais elle est si heureuse qu’elle doit fermer les yeux pour mettre fin au vertige.
Il s’approche, l’attrape fermement à la taille, sentant son malaise.  Elle frémit de toute son âme sous l’étreinte.
L’amour a enfin décidé de ne plus tourner le dos et cette fois, il est venu la chercher. Elle sourit, l’amour ne la fuit plus, il est là, il est revenu, il insiste et il a les deux billets d’avion.