vendredi 27 avril 2012

LA DÉTRESSE DES HOMMES - 70e partie


LES BLESSURES

Le couple est le lieu par excellence de la répétition des blessures d’enfance. On quitte papa-maman pour retrouver un autre papa-maman semblable.
C’est le lieu :
1-du vouloir-recevoir ce que je n’ai jamais suffisamment reçu jadis de papa-maman.
2- De la demande jamais entendue ou jamais exprimée.
3- Du passé toujours présent.

Voici deux  exemples qui illustrent très bien comment le passé contamine toujours, en ravivant la même blessure d’origine.

Louis connaît très bien son scénario amoureux. S’il tombe amoureux, il s’agit toujours d’une femme inaccessible. S’il fait l’amour avec une femme convoitée, celle-ci ne lui dit absolument plus rien. Dans un cas comme dans l’autre, il ne peut vivre l’intimité à laquelle il aspire. Comment était sa première relation d’amour avec maman? Il semble avoir été profondément blessé. Après le divorce de ses parents, lorsqu’il avait deux ans, il devient sourd pendant quelques mois sans raison médicale. Il se coupe du monde. Il se rappelle parfois s’endormir en haut de l’escalier, couché sur la première marche où il peut voir la chambre de maman. Maman demeure inaccessible, parce que la « psychologie » de l’époque considérait cette proximité comme néfaste. Étrangement, lorsqu’une histoire d’amour avec une femme inaccessible se termine, il a tendance à revivre la même coupure avec le monde extérieur, non plus en devenant sourd, mais en s’enivrant ou en s’isolant. Il revit sans le savoir le même sentiment d’abandon et de rejet qu’il a dû vivre face à sa mère inaccessible.

L’angoisse de séparation le fait côtoyer le désir de se laisser mourir, qu’il a déjà vécu enfant, sans souvenir conscient, bien sûr.

Cette fois, écoutons Lyne se plaignant qu’il n’y a jamais personne pour elle. Elle est consciente que son conjoint, comme sa mère, n’était jamais disponible. Sa mère lui a raconté qu’enceinte d’elle, elle pleurait encore la mort de son frère mort-né. Avant sa naissance, la mère répétait qu’il n’y avait aucune place en ce monde pour elle. Sa mémoire corporelle s’est imprégnée de ce message, elle passa sa vie dans le sacrifice et l’exploitation, souffrant amèrement de solitude, les autres n’étant jamais disponibles pour elle. Le  «  je ne suis personne pour personne » se poursuit inexorablement, copie conforme de « maman n’est pas là pour moi, elle est là pour mon frère mort-né. » Les blessures du passé referont surface dans le couple. À prendre ou à laisser. L’erreur consiste à laisser le couple  en se disant : « Tant qu’à marier mon père et ma mère, je préfère rester seule. »
Comment alors guérir cette blessure? Notre inconscient qui réveille cette attraction vers l’autre, ne cherche pas à nous punir, mais cherche à nous guérir en créant un contexte semblable.

Résister à l’attirance envers l’autre, c’est également sombrer dans la souffrance de l’isolement. On évite peut-être la lutte avec l’autre, mais on s’épuise dans cette lutte intérieure, le corps poussé à aller vers l’autre, tandis que la raison court en sens inverse.
Pour réussir cette tâche de guérison, l’aide du conjoint sera précieuse. Pourra-t-il voir cet enfant blessé en moi qui s’exprime avec démesure tout en lui accordant son droit d’être, au lieu de le réprimer encore comme papa-maman? Pourra t-il m’accepter, malgré ma colère contre lui, et m’accorder sa présence?

Reconnaître l’enfant en soi, comme en l’autre exige à la fois beaucoup d’humilité et de maturité. L’humilité de reconnaître que je m’emporte parfois comme un enfant de deux ans et oser l’avouer à l’autre, la maturité de rester suffisamment centré pour offrir la présence dont l’autre a besoin au moment précis où ses blessures d’enfance le font réagir.
Je résume toute la difficulté de cette guérison : « l’union d’un homme et d’une femme pourrait être une fête permanente de nouveauté et d’émerveillement, mais cela demande un cœur d’enfant joint à la pleine maturité d’un adulte capable de comprendre, d’agir, de donner et de recevoir. » Inutile de dire que cette maturité est rarement présente au début d’une relation de couple.

Au début d’une relation, chacun est d’abord centré sur ses petits besoins frustrés et tente vainement de contrôler l’autre pour le rendre conforme à ses désirs. La satisfaction tant souhaitée (« donne-moi ce que je n’ai pas reçu jadis de papa-maman si tu m’aimes. ») est rarement atteinte. Par contre, la rage et la peine qui n’ont pas été exprimées jadis avec papa-maman risquent fort, elles, de s’exprimer, en pleine démesure, avec le conjoint.
Le couple, lieu de répétition des blessures anciennes : où  souvent d’ailleurs, uniquement lieu de répétition. Mais le couple, lieu de guérison aussi, grâce à cette répétition et la compréhension de ce processus.

Lieu de répétition : ce que j’exprime avec démesure touche les blessures émotives de mon conjoint (il se sent coupable, agressé, non à la hauteur, etc) et il réagit en se défendant, souvent en jouant le même scénario que ses parents ont joué.
Lieu de guérison :  ce que j’exprime avec démesure touche mon conjoint sans le blesser, puisqu’il a reconnu mon enfant blessé et sait que cette rage que je lui lance en pleine figure ne s’adresse pas véritablement à lui. Il peut donc l’accueillir jusqu’au bout, sans m’agresser à son tour, ou me rejeter, comme mes parents l’ont fait. Voilà le miracle de la compassion. J’ai pu exprimer dans un contexte sécurisant («  je t’aime toujours et je suis là pour toi. ») Une colère imprimée dans mon corps depuis l’enfance. Mon être profond cesse d’être réprimé.

Ce qui n’a pu s’exprimer jadis avec papa-maman, dans une situation conflictuelle, est resté imprimé dans notre mémoire corporelle et cette IM-PRESSION intérieure cherche toujours à être évacuée dans une situation semblable, dans l’espoir de trouver une issue différente.
Le lieu du couple est un lieu de répétition, et c’est la raison pour laquelle il peut devenir un lieu de guérison : un lieu qui permet d’exprimer ce qui est imprimé et qui nous réprime, parfois jusqu’à nous supprimer à travers la maladie.
Ce qui ne s’exprime pas 
S’imprime,
Nous réprime
Et parfois nous supprime.

L’amour, c’est cette présence qui supprime tout ce qui réprime l’autre, dans sa capacité d’exprimer ce qui est imprimé en lui.

L’amour, c’est savoir reconnaître que mon conjoint  a deux ans lorsqu’il me pique une crise d’insécurité en m’agressant, et savoir l’accueillir comme un parent nourricier saurait intervenir en pareil cas, en lui accordant la présence, la présence d’amour qui guérit. Non pas tenter de sécuriser l’autre, simplement être présent à l’insécurité qu’il nous exprime. Voilà l’amour-conscience qui guérit.  La blessure d’origine que nous portons tous en nous est une blessure d’amour. Seule la présence guérit, puisque c’est l’absence qui a blessé
Aimer ce n’est pas nécessairement satisfaire les besoins de l’autre qui ont été frustrés 
dans l’enfance. C’est risquer de tourner en rond dans le piège du «  pas assez ». Je ne peux plus donner la sécurité affective dont mon conjoint a été privé dans la première année de vie lorsque sa mère dépressive était à l’hôpital. Cela ne sera jamais assez. Je peux cependant être présent à cette insécurité qu’il m’exprime. J’écoute, j’accueille cette insécurité, sans chercher à  tout faire pour le sécuriser en me conformant à toutes ses demandes ( ne rentre pas trop tard, etc), simplement être présent à lui. Ce faisant, je lui offre ce qu’on appelle une expérience correctrice. J’offre la présence d’une mère jadis non disponible, ce qui permet de réparer cette blessure d’insécurité.

Si le couple est le lieu de la demande jamais entendue ou jamais exprimée, il peut devenir le lieu de la demande exprimée et entendue, non pas nécessairement satisfaite, mais entendue et exprimée. Ce n’est pas tant la satisfaction du besoin qui guérit, comme le fait qu’il soit exprimé ou entendu.

Aimer l’enfant, ce n’est pas lui donner tous les bonbons qu’il réclame pour limiter ses pleurs, c’est lui dire non en restant présent à sa frustration et à sa colère.
Aimer son conjoint, ce n’est pas toujours se conformer à toutes ses attentes ( souvent infantiles) pour qu’il soit satisfait, c’est parfois dire non à sa demande tout en demeurant présent à lui.

Cette maturité ne peut se développer, si on néglige l’existence bien réelle de notre enfant intérieur.

Lorsque j’enseigne à des couples à reconnaître leur enfant intérieur et à s’entraider, des changements rapides se produisent, à la grande surprise des conjoints d’ailleurs. Ils n’avaient jamais réalisé l’essentiel : l’existence de leur enfant blessé du manque d’amour et de présence.

Je leur explique qu’en principe, le couple pourrait bien être le lieu où l’enfant intérieur recevra ce qu’il a si peu reçu de papa-maman. Mais, en pratique, le conjoint a justement été choisi (inconsciemment) pour raviver la même blessure émotive. Il jouera donc à nouveau le même rôle du bourreau. Au moment où j’aurai besoin de sécurité affective pour compenser l’absence émotive d’une mère dépressive, il deviendra alors froid et distant, comme maman jadis. Et même si ses blessures d’enfance n’entrent pas en interaction avec les miennes, malgré toute sa bonne volonté et ses efforts, je risque de souffrir du syndrome du «  pas assez ».

Jamais le couple ne sera le lieu de satisfaction totale qui comblera mon enfant intérieur blessé. Soit parce que mon conjoint souffre de blessures émotives complémentaires aux miennes et contribue ainsi à la répétition de la blessure originelle. Soit que quelque chose en moi m’empêche de recevoir ce que je cherche tant et qui est pourtant disponible. Disponible, mais non accessible quand je suis victime du piège du « pas assez ». C’est alors l’insatiabilité d’un besoin qui réclame sans cesse. Ou encore, je ne peux croire à ce que mon conjoint m’offre; c’est alors le piège du «  pas possible », piège très souvent relié au piège du «  faire pour » : tout faire pour obtenir ce  que, de toute façon, je serai incapable d’assimiler, puisque je ne peux croire qu’on puisse m’aimer gratuitement.
Ce sont en somme les trois pièges que nous avons abordés tout au début de nos recherches sur l’amour; «  faire pour » se faire aimer (bien paraître grâce au moi public), mais être alors aimé pour ce que je fais et non pour ce que je suis. Cet amour conditionnel à mon bien paraître et à mon bien faire n’est « pas assez », puisque mon besoin de base est d’être aimé pour ce que je suis. Et si on m’aime vraiment pour ce que je suis, j’entre parfois dans le piège du « pas possible », pas possible qu’on m’aime pour ce que je suis, puisque je n’ai même pas mérité cet amour inconditionnel de papa-maman.
Les motivations inconscientes qui nous poussent à la vie de couple nous font rechercher une satisfaction qui n’arrive jamais. L’autre ne nous donne toujours pas ce dont nous avons le plus besoin. L’enfer du couple, si on oublie de tenir compte de la présence de nos enfants intérieurs blessés. L’oasis du couple, si on saisit que le lieu du couple offre l’occasion non pas de recevoir ce qui n’a pas été reçu jadis, mais bien d’exprimer ce qui a été interdit jadis. Revivre la même blessure pour enfin la guérir, en laissant s’exprimer ce qui est imprimé dans notre corps depuis des années.

L’amour-guérisseur, c’est reconnaître mon enfant blessé et le laisser crier son mal à l’autre. L’amour guérisseur sait reconnaître aussi l’enfant blessé de l’autre et le laisse crier sa souffrance jusqu’au bout, en lui offrant la présence. Cette seule présence qui possède le don de guérir en permettant l’expression de ce qui fait pression en moi, logé dans les tréfonds de mon inconscient.

Lorsque la blessure a pu être criée jusqu’au bout, et qu’elle a pu être entendue jusqu’au bout, le passé cesse de contaminer le présent. La présence offerte et reçue permet de vivre dans le présent. L’enfant intérieur reprend sa croissance là où elle s’est arrêtée jadis, parce qu’il n’y avait pas d’espace d’expression et d’accueil.
La maturité qui doit se développer au sein du couple peut se résumer ainsi : « Devenir adulte, c’est cesser de demander uniquement, c’est cesser de recevoir uniquement, c’est écouter la demande et donner, et répondre (…) Devenir adulte, c’est apprendre à être, « être », c’est être libre d’avoir, libre du besoin d’avoir et d’avoir sous toutes ses formes. »
Le couple, c’est d’abord deux enfants blessés qui grandissent et deviennent plus adultes. Le couple d’enfant intérieur peut sembler une belle théorie, et, pourtant, rien de plus concret que cet enfant intérieur qui revit ses blessures d’enfance en thérapie.

L’ENFANT INTÉRIEUR
Une vision juste du couple, c’est d’abord et avant tout savoir que notre première histoire d’amour avec papa-maman teintera toutes nos relations d’amour subséquentes, pour le meilleur comme pour le pire. Ces premières histoires d’amour laissent bien des souffrances qui s’impriment dans notre mémoire corporelle. Le corps se souvient toujours de ce que le mental a oublié depuis fort longtemps.

Voici un exemple illustrant comment le corps se souvient de sa première relation avec papa-maman. Louis regarde une chaise vide et je lui demande d’imaginer, de sentir, de penser à maman, comme si elle était assise sur la chaise. Après quelques instants, je lui demande ce qui se passe dans son corps.

Louis- J’ai mal au cœur, je ressens une pression à la poitrine et des tremblements.
 ( j’avance la chaise symbolisant la mère).
- Que se passe-t-il dans ton corps lorsque j’avance la chaise?
Louis- J’ai un point douloureux dans l’estomac et mon mal  de cœur augmente.
-Qu’est-ce qui arrive si tu touches à  maman?
Louis- Je suis incapable, je n’en ai pas envie. ( il rit nerveusement et sa respiration est de plus en plus saccadée.)
- Que sens-tu dans la gorge?
Louis- Comme une boule.
Veux-tu juste essayer de toucher à maman pour voir ce qui va se passer dans ton corps?
(Louis touche la chaise, il a des  haut-le-cœur, il a de plus en plus mal à l’estomac.)
- Laisse venir un mot ou une phrase et exprime ce mot ou cette phrase à maman.
Louis- pourquoi?  Pourquoi?
Louis éclate en sanglots. Son corps peut maintenant laisser s’exprimer toute la peine qu’il a refoulée. Étant un enfant adopté, Louis ressent son sentiment d’abandon mêlé de plus en plus à la rage qu’il ressent intensément, avec étonnement. Il ressent la haine contre sa mère pour la première fois
Qu’est-ce que tu as envie de dire à maman?

Et voilà que Louis se met à agresser verbalement sa mère en la traitant de tous les noms. Étrangement, il est venu en consultation parce que sa compagne ne peut plus supporter sa violence verbale. C’est elle qui reçoit toute la colère qu’il a ravalée contre sa mère. Sa colère s’est déplacée sur une autre personne trente ans plus tard.
Au fil des rencontres, le corps réagit de moins en moins lorsque je lui demande de toucher à la chaise symbolisant maman. Le corps se décharge du passé. Il commence à vivre au présent. Ses relations avec les autres et avec lui-même changent. Nous sommes remontés à ce que j’appelle le lieu du crime et de la blessure, le corps s’est ressouvenu de ses souffrances, les a exprimées et s’en est libéré.
En décontaminant émotivement la relation originelle avec sa mère, toutes les autres relations actuelles sont susceptibles de s’améliorer lorsque la colère s’adresse maintenant à la bonne personne.

(La chaise-mère), le corps libre de ses tensions, n’a plus besoin de se  décharger sur le conjoint ou les autres personnes. L’enfant intérieur est toujours présent dans notre 
corps d’adulte et tout aussi longtemps qu’il n’est pas reconnu dans son droit d’expression et dans ses besoins, il déforme le présent et provoque des réactions émotionnelles répétitives.
Le corps se souvient de quelque chose, ce quelque chose qui est toujours imprimé dans l’inconscient corporel, pour qui le temps n’existe pas. Ce qui s’est passé il y a trente ans est toujours présent, comme si l’évènement venait tout juste d’arriver.
Jadis, l’expression émotionnelle n’avait pu se faire, la charge était restée imprimée dans le corps, en réprimant la personne à différents niveaux, que ce soit la respiration, la capacité de ressentir certaines  émotions ou certains besoins, ou encore l’incapacité d’agir dans ses projets les plus importants.

Les mécanismes  de refoulement d’hier, qui nous ont sauvé la vie dans l’enfance, pour nous couper d’une situation intolérable, deviennent, à l’âge d’adulte, les mécanismes qui contribuent au mal être et à la maladie. Maintenir toutes les blessures émotionnelles dans l’inconscient coûte cher en énergie. Cette énergie n’est plus disponible pour nous réaliser, aller de l’avant, nous ouvrir et nous transformer.

Dans le couple, la chaise vide qui représente maman-papa n’est nul autre que le conjoint. De même que lorsque j’avance la chaise vers le client, il sent une oppression, lorsque l’intimité s’accroit entre les conjoints, les mécanismes de défense sont mis en opération pour nous éviter de ressentir la blessure d’amour originelle. Il est difficile à mon client de fuir la « chaise-mère » dans mon cabinet. Mais dans le couple, toutes les fuites sont bonnes pour éviter de passer à travers la blessure. La peur nous fait passer à côté, mais le modèle demeure et nous ramène à la même case-départ. Et voilà que nous oscillons entre l’intimité chaleureuse et la froide distance, incapable de savourer pleinement l’unité à laquelle nous aspirons.

Si la thérapie de l’enfant intérieur permet «  un retour du refoulé » dans ce contexte sécuritaire et accueillant, ce même «  retour du refoulé » se produit dans le couple. C’est la raison pour laquelle il faut se donner certaines règles pour en arriver à cette guérison intérieure qui rendra possible la véritable intimité créatrice. Sans ces règles qui nous empêchent de fuir l’intimité, nous ne faisons que répéter le même scénario, la même blessure.

mardi 24 avril 2012

LA DÉTRESSE DES HOMMES - 69e partie

L'AMOUR


Au-delà de l’attirance physique, l’amour possède un étrange pouvoir de guérir qu’il ne faut pas sous-estimer disait Jean Drouin dans ses écrits.

LE MEILLEUR MÉDICAMENT DU MONDE, C’EST L’AMOUR

Les légendes sont pleines d’histoires de gens qui sont morts d’amour… Quand Tristan revient auprès d’Iseut, l’étrange maladie qui la consumait disparaît miraculeusement. Tout cela n’est peut-être pas aussi mythique qu’on pourrait le penser. L’amour, la tendresse, voire une solide amitié ou même une simple et franche camaraderie sont effectivement susceptibles de guérir. Ce sont les plus hautes autorités de la médecine interrogées qui l’assurent. « L’amour est certainement la plus formidable puissance connue de l’homme, déclare par exemple le célèbre neurochirurgien J. Dewitt Fox. Il ne faut jamais sous-estimer son pouvoir de guérir, qu’il s’agisse d’un simple coup de froid ou d’une maladie irrémédiable ». Ce médecin est formel. Il a constaté, dans sa vie professionnelle, que dans cent pour cent des cas, pour la plupart des maladies, arthrite, problèmes cardiaques, diabète et folies diverses inclues, l’amour peut être un élément déterminant sur la voie de la guérison.

Un autre spécialiste, le docteur William Standish Reed, est encore plus optimiste : « Je suis persuadé, a-t-il déclaré, que n’importe quelle maladie peut être soignée et guérie par l’amour. Ce sentiment est certainement beaucoup plus important que la pénicilline ou tous les autres antibiotiques ! C’et la plus formidable médication au monde… ». Il cite le cas d’une femme de soixante ans qui lui a semblé exemplaire. Elle a été opérée, il y a quelques années, d’un cancer à l’utérus. Malgré l’intervention et des traitements ultérieurs aux radiations, le mal réapparut et la science ne lui donnait guère que quelques mois à vivre. « Mais elle était intimement persuadée que beaucoup de gens, son mari, sa famille, ses amis, lui vouaient un indéfectible amour. Elle disait ressentir que tous la soutenaient psychologiquement dans sa lutte contre la mort. Cela nous paraissait réconfortant qu’elle assume aussi bien le destin qui ne pouvait manquer d’être le sien. Réconfortant et triste tout à la fois. « Or, nous avons assisté à une soudaine et inexplicable rémission de son mal. Elle est aujourd’hui, et contre toute attente, toujours vivante. Elle se porte très bien. Les examens qu’elle subit périodiquement montrent que le cancer a complètement disparu. Ce n’est certainement pas la médecine qui l’a ainsi tirée d’affaire. C’est l’amour ».

Un cas aussi spectaculaire que celui de cette femme est loin d’être unique. D’aucuns se sont attachés à rencontrer des spécialistes de toutes les disciplines médicales et cela à travers toute l’Amérique du Nord. Cela leur a permis de montrer, à l’issue de leur reportage, combien les scientifiques qui s’occupent en 1998 de santé sont unanimes à penser que le pouvoir thérapeutique de l’amour existe et agit. « C’est particulièrement évident dans le cas des enfants, explique le docteur Raymond W. Denko, de la côte est. On dirait que l’attention affectueuse dont ils se sentent entourés accroît l’efficacité des médications traditionnelles. Je suis pour ma part très porté à penser que la sensation d’être psychiquement soutenu par ceux qui les soignent développe en eux un phénomène psychosomatique que la science devrait étudier avec précision. Dans les cas d’arthrite que je soigne, j’ai constaté une production supérieure d’endorphines (une substance organique qui combat la douleur et hâte la guérison) chez les enfants qui se sentent aimés par rapport à ceux qui doivent conduire une guérison solitaire ».

Il évoque ainsi l’exemple d’une petite fille de huit ans qu’il appelle Heidi. Celle-ci était soignée pour des crises d’arthrite chronique depuis l’âge de deux ans. Bien que ne lui refusant rien en matière de soins objectifs, sa famille, très désunie, s’occupait fort peu d’elle psychologiquement. Heidi ne connaissait aucune amélioration. Le traitement permettait tout juste de contenir le mal et l’avenir s’annonçait sombre puisque la croissance ne s’accompagne jamais, dans pareils cas, d’une évolution positive d’une telle situation pathologique. Fort de son expérience, le professeur Denko a convoqué tour à tour les parents et les proches d’Heidi. Il leur a cité, chiffres et diagrammes en main, des cas d’enfants pour lesquels une solide affection avait joué un rôle déterminant dans le développement du processus de guérison. Les parents de la petite fille ont pris conscience de l’abandon psychologique dans lequel ils l’avaient toujours laissée et ils ont été convaincus par les démonstrateurs du médecin.

Les bienfaits de l’affection

« … De ce jour, a constaté le praticien, ils l’ont entourée d’un maximum d’affection. Malgré leur désunion, et les problèmes qu’entraînaient leurs vies parallèles, ils ont mis en place un véritable programme pour la visiter tous les jours et lui donner l’impression profonde qu’elle était soutenue par leur amour. En moins de trois mois, Heidi a surmonté la plupart de ses crises d’arthrite rhumatoïde. Aujourd’hui, on peut très lucidement espérer une guérison complète dans les deux ou trois ans qui viennent ». L’enquête multiple ainsi les exemples de gens de tout âge, de tous niveaux intellectuels et de toutes les classes sociales qui ont éprouvé les bienfaits curatifs de l’amour ou de l’amitié. Histoires de couples profondément unis, d’enfants qui se sont appuyés sur l’attention qu’on leur portait pour sortir d’impasses médicales inquiétantes et désespérées, de vieillards qui ont pris conscience qu’ils comptaient encore pour quelqu’un… tous les médecins interrogés s’accordent à reconnaître dans ces expériences vécues l’intervention mystérieuse mais tangible de l’amour.

L’un deux, le docteur Naughton, enseignant à l’université d’État de New-York et très connu outre-Atlantique pour ses travaux en psychosomatique, a même mis au point une sorte de « vademecum affectueux » de l’entourage des malades. Les docteurs Fox et Appleton (université Harvard) l’ont complété en fonction de leurs propres observations. En voici les points principaux :
- En premier lieu, il faut toujours s’adresser à un malade en multipliant les termes affectueux. Le vocabulaire ne manque pas de « chéri(e) » à mon (ma) très cher(e) ami(e), selon bien entendu la personne à laquelle on s’adresse. Peu à peu, grâce à ces expressions que d’ordinaire on ne remarque pas ou qui même peuvent éventuellement agacer, il se crée, dit le docteur Fox, une sorte de conditionnement amoureux. C’est la base même sur laquelle va s’édifier tout le processus de guérison psychosomatique.

- Il faut passer un maximum de temps auprès du malade. Parce que ça les arrange, consciemment ou non, la plupart des gens pensent qu’on fatigue le patient en lui rendant de trop longues et de trop fréquentes visites. Le corps médical lui-même a tendance à abréger les entrevues pour des raisons tout à fait pratiques mais en fait inacceptables puisqu’elles entravent l’évolution psychologique de la personne qui souffre. Le malade a besoin de sentir qu’on lui consacre un temps qui pourtant vous est précieux. Il faut lui donner, avec tout le tact voulu, s’entend, l’impression profonde que l’on prend sur son travail, sur ses loisirs pour s’occuper de lui.

Des attitudes très positives

- Les gestes affectueux sont de toute première importance. Prendre la main de quelqu’un qui souffre, l’embrasser, lui caresser les cheveux, etc., sont des attitudes fondamentalement positives et concourent hautement à ce conditionnement affectueux évoqué plus haut. Bien des gens, surtout les hommes, les oublient ou s’en défendent, considérant peut-être cela comme dévirilisant ou indigne d’eux.

- Autre manifestation de sympathie thérapeutique à ne pas négliger, votre présence auprès du malade par les fleurs que vous lui faites parvenir, les petites gâteries, même non autorisées, une carte avec vos vœux de prompt rétablissement. Pendant les longues heures de solitude des hôpitaux ou des chambres où l’on est cloué par la maladie, l’esprit travaille très souvent de manière négative. S’il peut s’appuyer sur ces témoins de l’intérêt affectueux qui lui est porté, il est évident que les effets en seront bénéfiques.

- Le docteur insiste sur le fait qu’il faut « partager joie et humour », avec un malade. Pourquoi ? Il a ainsi l’impression d’être toujours intégré dans une société normale où l’on rit et plaisante, autant pour se défendre que pour se détendre. Raconter une blague, même idiote, à un grabataire a pour effet de rompre dans lequel il risque de s’enfermer.

- Démontrer au patient que tout le monde se soucie de l’amélioration de son état. On peut lui parler de son milieu familial où il est souvent question de lui, d’une discussion qui a eu lieu à son propos dans son cercle professionnel où l’on a déploré son absence, d’un ami qu’il avait un peu oublié et qui s’est souvenu de lui parce qu’il était souffrant…

- Même si le patient est très malade, voire inconscient, il faut lui parler, le toucher, l’embrasser et demeurer optimiste autour de lui. Ces perceptions, que l’on peut qualifier de « subliminales », sont d’une très grande efficacité, a constaté le docteur Appleton qui en est un spécialiste, pour une évolution favorable de l’état pathologique.

« Il y aurait bien d’autres conseils à donner, ajoute le docteur Fox. En règle générale, « aimer » un malade à des fins thérapeutiques consiste à lui démontrer intimement qu’il n’est pas coupé du monde et du réseau affectif dans lequel il est à l’aise. Selon qu’il s’agit d’un conjoint, d’un ami, d’une connaissance plus éloignée, il est évident que l’attitude doit être adaptée à la situation. D’autre part, il est bon de prendre conseil auprès du médecin. On sait aujourd’hui quel environnement psychologique convient à telle ou telle maladie ». En viendra-t-on comme le suggère le même savant, à prescrire des mots d’amour ou d’amitié sur les ordonnances ? « Pourquoi pas ? Ce ne serait pas ridicule dans la mesure où l’action d’un geste ou d’une parole vaut mieux qu’un antibiotique, déclare le docteur. Quant à savoir quel processus psychosomatique aboutit à ces résultats, nous en sommes encore au stade des hypothèses ».

Certains parlent de phénomène parapsychologique. D’autres, opposés à l’existence du paranormal mais reconnaissant néanmoins les faits, pensent à des liens mal connus encore entre le psychisme et la physiologie. Quelle que soit la réponse, force nous est de constater avec les médecins interrogés que l’amour est la plus grande force au monde qui puisse exister. Les romantiques seront certainement heureux du profond mystère qui entoure encore son merveilleux pouvoir.

La connaissance de l’environnement social dans lequel le patient vit procure aussi d’importantes informations. Les gens ont tendance à créer un environnement qui reflète leur « moi intérieur ». Le médecin qui fait des visites à domicile a une chance unique d’observer le patient dans son milieu, récoltant maintes informations sur la « scène » où les patients jouent leur maladie, entourés de leurs partenaires (SIC).

Découvrir qui est le partenaire du patient, quels enfants il a, est une façon indirecte de mieux le connaître. Quelquefois, un homme d’apparence sereine vit avec des personnes en proie à des difficultés émotives ou physique considérables ; cela indique que sa sérénité n’est que contrôle, habituellement trahi par ses fonctions corporelles. Nos proches nous reflètent, nous font miroir (SIC). Seul ce que nous sommes, au-delà de toute pensée sur qui nous sommes, a pouvoir de guérison.

En conclusion, un serrement de mains, un secret murmuré à l’oreille valent souvent mieux que des kilos de médicaments.

lundi 23 avril 2012

LA DÉTRESSE DES HOMMES - 68e partie

COMPULSIF VS JOUEUR PATHOLOGIQUE

Il est peut-être utile maintenant d’établir certaines distinctions terminologiques. La première concerne les désordres obsessifs-compulsifs et le caractère obsessif-compulsif. Dans la tradition clinique le terme « caractère obsessif-compulsif » identifie les personnes affichant une rigidité, une conscience, une culpabilité, un doute et un conformisme excessifs. Le comportement rituel ou les idées obsessionnelles ne sont pas nécessairement présents. Par ailleurs, les désordres obsessifs-compulsifs se définissent obligatoirement par l’existence d’idées persistantes ou répétitives (obsessions) et/ou de comportements rituels (compulsions). Même si ces idées obsessives et ces comportements compulsifs ne font par partie intégrante du caractère obsessif-compulsif, ils constituent les deux composantes principales des désordres obsessifs-compulsifs.

Bien que la co-existence d’obsessions et de compulsions constitue la caractéristique la plus commune du désordre, il est possible d’observer des obsessions sans comportement compulsif et vice versa. Les termes « désordres obsessifs » et « désordres compulsif » désignent donc l’apparition d’une composante en l’absence de l’autre alors que le terme « désordre obsessif-compulsif » est réservé à la combinaison des deux.

La définition la plus répandue des désordres obsessifs-compulsifs est celle de Schneider (1925). Ces désordres impliquent « des éléments de la conscience (pensées, sentiments, impulsions, actions) qui, lorsqu’ils se manifestent, sont accompagnés de compulsions subjectives et dont on ne peut se défaire même si, après mûre réflexion, on les juge insensés ». Lewis (1936) précise que le fait de reconnaître une obsession comme insensée ne constitue pas une caractéristique immuable ; par contre le sentiment de devoir résister à l’obsession est essentiel.

Mayer-Gross (1955) donne une description semblable. Il affirme que « la nature essentielle du symptôme obsessif ou compulsif réside dans sa manifestation comme un élément mental, une idée, une image, un affect, une pulsion ou un mouvement, caractérisés par une sensation subjective de compulsion, l’emportant sur une résistance interne. Cette résistance est la caractéristique essentielle distinguant les phénomènes compulsifs réels des autres phénomènes apparentés ».

Teasdale (1974) présente un ensemble de caractéristiques permettant de mieux distinguer les rituels obsessifs-compulsifs de ce qu’il nomme « les autres formes de comportements d’évitement ». Ces caractéristiques sont :
1) la fréquence élevée d’apparition du comportement, sa persistance et sa répétition,
2) sa forme stéréotypée,
3) le sentiment subjectif de compulsion à réaliser ce comportement plus fort que la résistance du sujet à l’accomplir,
4) le fait que le comportement apparaît insensé aux autres et est embarrassant pour le sujet.

Donc, le désordre obsessif-compulsif est caractérisé par l’apparition d’événements internes envahissants, habituellement anxiogènes, et involontaires. Ceci s’accompagne de rituels manifestes, souvent de nature stéréotypée, que l’individu se sent obligé d’accomplir , en dépit de sa résistance, que ces idées ou ces comportements aient une signification ou non pour lui.

Tout clinicien familier avec ce groupe de malades ne peut qu’être conscient de la nature complexe de ce désordre et du degré d’incapacité et de souffrances qu’il peut causer. On s’accordera donc pour reconnaître le besoin urgent de trouver des modèles adéquats et des traitements efficaces. Pour Beech et Perigault les patients obsessifs compulsifs sont prédisposés à des états pathologiques d’activation et que, par un mécanisme mal défini, cette excitation produirait l’apparition de pensées morbides et de comportements aberrants. Les idées et les comportements obsessifs-compulsifs seraient donc le résultat final de réactions en chaîne dans lesquelles les états d’activation excessive serait la cause première.

Acheteurs compulsifs dites-vous ?

Le docteur Donald Black, professeur de psychiatrie à l’Université de l’Iowa, précise que personne ne sait combien de gens se comportent de cette façon, mais on estime que leur nombre varie de 1 à 6% de la population. Les personnes affligées de cette affection psychique sont naturellement bien accueillies par les commerçants, mais leurs excès peuvent dangereusement grever le budget familial. Le docteur Black rapporte entre autres le cas d’une femme qui dépensait en moyenne 500$ par semaine en vêtements, ce que son mari n’appréciait pas particulièrement. Ce comportement compulsif commence à se manifester généralement à la fin de l’adolescence ou au début de la vingtaine et 90% de ces personnes sont des femmes.

Selon le docteur Black, ces femmes achètent surtout des vêtements, des bijoux, des souliers et des produits de beauté. Les hommes achètent plutôt des voitures et des appareils électroniques tels que des lecteurs de disques compacts et des appareils stéréophoniques. Les alcooliques compulsifs boivent par période. Mais les acheteurs compulsifs sont actifs pendant toute l’année. Et quand ils ne dépensent pas, ils planifient habituellement leur prochaine tournée des magasins.

Comme on peut l’imaginer, cela crée des grandes tensions au sein du ménage. Il y a de fréquentes disputes au sujet des questions financières. L’argent est continuellement viré d’un compte à un autre pour couvrir les dettes… et la faillite n’est jamais bien loin. Le docteur Black fait remarquer que les acheteurs et les joueurs compulsifs ont des caractéristiques communes. Ils planifient minutieusement leurs sorties, ils dépensent tous les deux l’argent sans compter, ils sont soumis à une impulsion psychologique et ils éprouvent ensuite un sentiment de culpabilité.

Les acheteurs compulsifs manifestent une obsession de dépenser mais il ne faut pas les comparer aux personnes affligées d’une maladie obsessive. Ces dernières se préoccupent d’une façon maladive des microbes. Howard Hughes en était un bel exemple. Il prenait mille précautions pour se protéger des microbes, ce qui lui faisait perdre des heures chaque jour. Une femme souffrant de cette affection sortait les meubles de sa chambre et en lavait les murs tous les samedis matin. Cela lui prenait deux heures et elle savait que c’était insensé. D’autres personnes se lavent les mains des dizaines de fois par jour ou éprouvent le besoin de se regarder dans un miroir plusieurs heures par jour pour voir si elles n’ont pas de nouvelles rides.

C’est une affection terrible et les gens qui en souffrent se rendent compte que tous ces gestes répétitifs sont absurdes et totalement illogiques, mais ils ne peuvent pas en parler aux autres. À l’inverse, les acheteurs compulsifs aiment ce qu’ils font. Ils regardent les magazines pour voir ce qu’il y a à acheter, ils font de lèche-vitrines. Le docteur Black a révélé qu’il existe désormais des médicaments pour soigner les acheteurs compulsifs. La « Fluvoxamine » a donné des résultats étonnants pour enrayer ce désordre psychologique. Dix femmes souffrant de cette maladie ont reçu ce traitement et neuf d’entre elles ont réagi favorablement. Ces personnes ont dit passer moins de temps à penser à acheter.

Malheureusement, quelques semaines après avoir cessé de prendre le médicament en question, ces personnes ont recommencé lentement à avoir leurs impulsions d’achat et un mois, après l’arrêt du traitement elles ont recommencé à dépenser. Le docteur Black a précisé que cette affection a été reconnue comme un dérèglement psychiatrique seulement récemment et son expérience est probablement la première du genre visant à le guérir.

En ce qui a trait aux méthodes de traitement pour les malades compulsifs, plusieurs pistes ont été envisagées d’après les spécialistes ;
1- il peut s’agir de la méthode de traitement par imagination c’est-à-dire « si en présence de stimuli anxiogènes, on peut présenter une réponse contraire produisant une disparition complète ou partielle de cette anxiété, le lien entre ces stimuli et l’anxiété sera diminué
2- par sensibilisation imaginée ; le traitement consiste essentiellement à amener le sujet à imaginer les stimuli conduisant à des comportements anormaux ou des comportements eux-mêmes, et à les associer à des expériences désagréables présentées en imagination
3- auto-instruction et réidentification, Taylor propose un modèle de comportement obsessif-compulsif qui veut que les compulsions soient maintenues par renforcement positif.

Le modèle de Beech et Périgault propose donc, en résumé, qu’un état d’activation pathologique est le facteur principal dans le développement des comportements obsessifs-compulsifs. Quand ce niveau d’activation atteint un seuil critique, des associations se forment entre certains stimuli environnants et cette activation et entraînent l’émission de comportements aberrants (compulsions) et l’élaboration d’une explication post-hoc (obsessions) de l’état d’activation apparemment inexplicable autrement.

jeudi 19 avril 2012

LA DÉTRESSE DES HOMMES - 67e partie

COMPRENDRE LA MASCULINITÉ


La trajectoire de l’identité masculine comme celle de l’identité feminine est ponctuée d’étapes psycho-développementales qui sont autant de configurations relationnelles proposant à l’homme ou à la femme d’autres dimensions de sa masculinité ou de sa féminité. L’identité sexuelle est rarement consolidée une fois

pour toute. Elle évolue d’habitude, si ce n’est qu’en termes d’ajustements subtils, tout au cours de la vie. L’adolescence est une étape critique. Cet écrit explore les dynamiques inhérentes au développement de l’identité masculine adolescente selon la théorie psychanalytique des relations d’objets. 

Qu’est-ce que l’identité ?
Ce sont surtout les théoriciens de la psychologie du moi qui se sont penchés sur la question de l’identité (Hartmann, 1950 ; Erikson, 1959, 1968). Hartmann (1950) préconise l’usage du terme « self-representation » pour dénoter l’objet investi par la libido dans le narcissisme. Erikson (1968, p.50) fait la distinction entre une identité perceptuelle (« personal identity ») et une identité consciente (« ego identity »).

L’identité aurait à la fois une qualité de permanence qui maintient un sentiment de continuité chez l’individu à travers le temps et l’espace, ainsi qu’une qualité ponctuelle permettant à l’identité d’être plus ou moins colorée par les contextes relationnels dans lesquels se retrouve l’individu d’un moment à l’autre (Wheeler, 2000). Il serait donc opportun de parler d’identité en termes de représentations de soi qui peuvent s’inscrire dans une structure ou dans un processus et qui peuvent être plus ou moins conscientes. Un dérivé des relations objectales, l’identité est un facteur critique au sein des relations interpersonnelles.

En somme, l’identité serait composée des variables suivantes, qui s’inspirent largement des définitions de l’identité qu’avance Erikson (1968) :
- Les représentations que la personne fait de soi (auto représentations de soi) ;
- Les représentations que la personne fait des représentations d’elle qu’ont les autres ;
- Les rôles sociaux qui sont proposés à la personne ;
- Les rôles sociaux que la personne adopte.



Qu’est-ce que l’identité masculine ?
La masculinité varie d’une culture à une autre (Mead, 1928) et d’un individu à l’autre. L’identité masculine doit nécessairement s’échapper de la rigidité d’une description définitive saine, on peut avancer qu’il s’agit d’un certain équilibre entre les aspects masculins et féminins sur le plan intrapsychique (Jung, 1951) qui se traduit par des relations interpersonnelles harmonieuses avec les deux sexes. Bien entendu, aucun homme n’est parfaitement conforme à cet idéal. Mais cela ne l’empêche pas d’y aspirer afin de se sentir mieux dans sa peau. Dans cette page, il ne sera question que d’identité masculine hétérosexuelle et issue de la culture occidentale dominante, car les questions d’identités masculines homosexuelles et interculturelles déborderaient du présent cadre. De plus, les concepts des qualités masculines et féminines dans cet article se limitent aux concepts propres à la culture occidentale dominante.

Outre-mère

Le garçon ne passe pas instantanément du ventre maternel au monde « outre-mère » ou au-delà d’elle. Issu de la fusion intra-utérine, il vit, lors des premières semaines qui suivent la naissance, une sorte de prolongation de cet état fusionnel. Du creux de la symbiose mère-fils, le garçon ne se différencie d’elle que tout doucement. Il a d’abord recours à la complémentation sexuelle, plutôt qu’à l’identification sexuelle (Bureau, 1998). Pour la fille, sa relation avec sa mère est à la base d’une identification à son propre sexe (Olivier, 1980). Pour le garçon, sa mère représente en partie une inversion du rôle de mâle qu’il aura à assumer.

Afin de réaliser son identité masculine, le garçon doit prendre certaines distances face à la mère. En ce sens, la proximité de la mère peut être menaçante à son identité masculine (Olivier, 1980). Parallèlement, il a besoin de sa mère et y est attaché au point de ressentir de la nostalgie pour le paradis perdu de l’état fusionnel (Pollack, 1998).

La honte
La honte est un sentiment particulièrement masculin (Pollack, 1998 ; Osherson & Krugman, 1990). Selon Haviland & Malatesta (1981), dès les premiers mois de la vie, les garçons sont non seulement plus expressifs que les filles, mais reçoivent de la rétroaction positive surtout pour l’expression d’affects positifs, ce qui n’est pas le cas pour leurs consoeurs. Les garçons apprennent donc assez rapidement à taire en eux les affects plus négatifs, telles que la tristesse et l’angoisse (pas la colère, par contre). On encourage aussi les garçons, dès les premières années, à se séparer de la mère et à prendre leurs distances du monde féminin (Pollack, 1998, p.11).

Ceci suscite chez le garçon un profond sentiment de honte face à ses affects négatifs et face à sa propre féminité. Il en vient d’ailleurs à associer ses affects négatifs à son féminin intérieur. La honte le détache de ces facettes de lui-même et du même coup les cachent du monde extérieur (Lee, 2000,p.18). Le garçon subit par conséquent une grande solitude affective et une vie intérieure mutilée. Il peut en venir à construire son identité masculine comme un « faux soi » (Winnicott, 1960) afin de répondre aux attentes de son environnement plutôt qu’à ses propres besoins psychiques.



Les attitudes envers les masculinité et féminitéLe attitudes des parents envers la masculinité et la féminité sont des facteurs psychosociaux de risque et de résilience pour l’identité masculine (Pollack,1998 ;Cyrulnik,1989). Ces attitudes peuvent soit contribuer à la promotion d’une identité masculine saine chez le garçon, soit nuire au développement de son identité sexuelle. Par exemple, quelle est l’attitude de la mère envers la masculinité ? Du côté du père, est-ce qu’il trouve cela bien d’être un homme, un père ? La mère a-t-elle des croyances rigides sur ce que c’est d’être un homme ? Quelles sont les attitudes du père envers la féminité, la mère ? Comment la mère parle-t-elle du père à l’enfant ? Comment le père voit-il son propre père ?

Nous pouvons nous poser les mêmes sortes de questions par rapport aux figures de l’entourage, telles que la parenté, les voisins et les amis de la famille. Il est important aussi de tenir compte de l’organisation sexuelle des contextes social et culturel du garçon, à savoir la façon dont la culture et la société d’appartenance du garçon définissent la masculinité et la féminité. Le fait que l’environnement signifie le père a aussi beaucoup d’impact. Par exemple, à travers le biais de sa nomenclature, le réseau sociosanitaire qualifie régulièrement une famille où le fils vit avec sa mère et voit son père les fins de semaine de « famille monoparentale » (Gaudet et Devault, 2001). Pourtant, il y a deux parents dans ce portrait-là.

Le retour de l’oedipe
Lors du retour de l’oedipe, à l’adolescence, le rôle paternel de contrainte à la fusion mère-fils s’avère une source de réconfort pour le garçon, qui doit composer avec la lourde tâche d’assimiler sa sexualité génitale et l’image corporelle qui s’ensuit (Laufer, 1968). Le père incarne le tabou de l’inceste (Freud, 1933 ; Corneau, 1989 ; Cyrulnik, 1989 ; Cournut, 1997) et représente ainsi un pilier auquel l’adolescent peut s’accrocher afin de ne pas sombrer dans la relation symbiotique avec la mère, ce qui l’anéantirait en tant que mâle et en tant qu’individu. D’autre part, la figure paternelle sert de repère pour permettre au garçon de poursuivre son individuation de la mère et son identification au masculin. Étant donné son apport potentiel à la consolidation de l’identité masculine, il serait peut-être plus approprié de parler de dynamique oedipienne au lieu de complexe d’Œdipe.



L’adolescent et la mère
L’adolescent est ambivalent face à la mère. Il persiste chez lui une quête de la fusion avec elle, issue d’une anxiété de séparation, ainsi qu’une fuite de cette fusion, amorcée par son besoin d’individuation. La quête de la fusion maternelle est liée à la peur de la vie, la peur d’être un individu (Rank, 1929-1931). Cette quête peut mener à une inhibition identitaire, ce qu’Erikson (1968) nomme « rôle fixation ». La fuite de la fusion maternelle part d’une anxiété d’annihilation, ou de la peur de la mort et de ne plus être un individu (Rank, 1929-1931). Quand elle est modérée, cette fuite peut mener à la consolidation identitaire, ce qu’Erikson (1968) nomme « role experimentation ».

Dans les sociétés tribales, les garçons passent de l’enfance à l’âge adulte par le truchement de rites initiatiques (Campbell, 1949). On leur fait grâce de l’adolescence. Ces rites sont menés par des mâles adultes et ont pour but de rompre le lien entre le garçon et la mère, afin qu’il puisse entrer dans le monde des hommes.

Dans notre société, le passage au monde des hommes est censé se faire de façon définitive au cours de l’adolescence. L’adolescent qui se retrouve sans rites pour l’encadrer, ni père, ni figure paternelle pour l’épauler, risque d’éprouver de sérieuses difficultés lors de ce passage. De plus, sans père ni figure paternelle, il lui est difficile d’avoir recours à l’oedipe. Or, le retour de la dynamique oedipienne est un mécanisme qui répond très bien aux besoins d’individuation et d’identification sexuelle du garçon. Il s’agit toutefois d’un mécanisme complexe, comportant plusieurs éléments.

D’abord, on y retrouve le désir de la mère, surtout inconscient, porté sur la lame de fond de l’afflux hormonal et de la fébrilité sexuelle qui s’ensuit. Le désir de la mère est anxiogène, car elle entraîne le garçon vers la fusion maternelle qui représente la mort de son individualité. Le désir de la mère mène au besoin chez le garçon d’être vu par elle comme un mâle qui peut être sexuellement désirable, sans qu’elle le désire sexuellement.



L’adolescent et le père

Toutefois, dans le retour de la dynamique oedipienne, le garçon a beaucoup plus de besoin face au père que face à la mère. Il a besoin de se mesurer à son père, de rivaliser avec lui, afin de tester ses propres capacités en tant que mâle. Il a besoin d’être vu comme un homme par son père, afin d’être confirmé dans sa masculinité. Il a besoin de regarder avec son père, dans la même direction, et de voir les choses de la même façon, afin d’expérimenter davantage la complicité masculine et d’adhérer au modèle d’homme que lui propose son père (Delisle, 2000). Il a aussi besoin de regarder sans son père, de voir les choses à sa façon et autrement que par les lunettes paternelles, ce qui peut être facilité par la fréquentation de groupes de pairs masculins. Comme l’affirmation Olivier (1980 p.67), il doit aussi passer de « l’être-comme » (identification) à « l’être-soi » (identité).

Il y a donc une polarité relationnelle dans le lien père-fils, c’est-à-dire que leur relation est à la fois sympathique et antagoniste. Si l’adolescent persiste trop dans le rôle antagonique, dans le refus de l’héritage paternel, et ce, au-delà de la rébellion normale (Erikson, 1959), dû à la perturbation de l’attachement père-fils, son identité masculine peut être carencée et le passage au manhood compromis. L’absence du père ou d’une figure masculine adulte positive peut amplifier cette défiance. Consciemment ou pas, l’adolescent vit du ressentiment envers le père absent, qu’il projette sur les figures d’autorité homme ou femme. Cette défiance amplifiée est aussi un appel à l’aide, en ce sens que le jeune tente de provoquer la paternité chez les figures d’autorité hommes ou femmes et d’évoquer ainsi le père.

Qui plus est, l’absence du père ou d’une figure masculine positive peut mener à un sentiment d’inadéquation chez le jeune, qui en vient à se dire, « Je ne mérite pas un père ». L’absence du père peut être compensée chez l’adolescent par le développement d’un surmoi tyrannique qui persécute son féminin intérieur, exacerbant ainsi la différenciation sexuelle par la complémentation. L’adolescent aura donc encore plus tendance à se définir comme homme en s’opposant non seulement aux femmes, mais en se coupant aussi de son féminin intérieur, car toute féminité sera perçue comme une menace à son identité sexuelle masculine et comme un risque de fusion avec la mère.



L’anorexie projective

Dans la mesure où il étouffera le féminin en lui, où il refusera de le nourrir ou de s’en nourrir, nous pouvons parler d’anorexie. Les stéréotypes masculins dont il tente de s’alimenter manquent de substance et sont même toxiques. Il s’agit d’une nourriture incomplète pour l’identité masculine, car dépourvue d’éléments féminins qui lui permettaient d’être en relation avec toutes les facettes de lui-même et faciliteraient ses relations avec les femmes en lui permettant de s’y identifier (Jung, 1951). Sans contact avec son intérieur féminin, l’adolescent ne peut le projeter sur les filles ni sur les femmes, ce qui pose obstacle à sa capacité d’empathie vis-à-vis d’elles.

Inconsciemment, cette anorexie, ou le refus de nourrir et de se nourrir de son féminin, peut être difficilement tolérable, car la féminité du jeune ne cesse de surgir puis de s’imposer et la restriction de cette féminité est mutilante pour lui sur le plan identitaire. La souffrance qui s’ensuit peut mener à une projection de cette anorexie sur les filles et sur les femmes dans un processus d’anorexie projective (Plouffe, 2002). L’adolescent projette sur elles sa féminité persécutée qu’il considère comme inacceptable, et oriente la restriction de cette féminité vers elles. Ainsi, un jeune peut en venir à exprimer des commentaires désobligeants à l’égard des rondeurs et de la sensibilité émotionnelle des filles et des femmes de son entourage. Cela peut même se produire à l’échelle collective des sociétés, telles que la société nord-américaine, qui ne valorisent pas le féminin.

La présence d’une figure masculine positive, surtout d’un père, peut contrer ce phénomène en fournissant à l’adolescent un modèle d’homme qui a réussi à intégrer ses aspects féminins sans que cela ne détruise sa masculinité, mais, au contraire, en faisant en sorte que cela complète sa masculinité. Le jeune peut voir en lui, de par son gestuel, sa voix et ses formulations, un homme qui a assimilé ses qualités féminines et les exprime en homme. Ce phénomène de modelling peut aussi se produire entre pairs adolescents.



Le père absent
Qu’en est-il du garçon sans père ou dont le père occupe peu de place dans sa vie ? Son identité masculine est-elle vouée à l’échec présagé par le titre bien connu, Père manquant, fils manqué (Corneau, 1989) ? Force est de croire qu’un garçon peut être en contact avec des figures paternelles autres que son père biologique et peut à la rigueur porter en lui-même une figure paternelle composée de représentations d’hommes et du travail de son imagination.

Les nouvelles formes de vies familiales
Le rôle paternel tel que défini par la grille psychanalytique se limite-t-il aux personnes de sexe masculin ? Est-il possible, par exemple, de trouver au sein d’un couple lesbien une figure paternelle ? Ces questions débordent du cadre du présent article, mais il demeure tout de même pertinent de souligner l’importance de telles questions dont les réponses pourraient témoigner de la grande capacité d’adaptation de l’esprit humain.

La vie sexuelle
C’est à l’adolescence ou au début de la vie adulte que le jeune tente de s’approcher des filles ou des femmes de façon sexuelle. Il revient alors, en réalité et en fantasmes, vers un corps différent du sien et du même sexe que celui de sa mère. Ce mouvement peut être vécu comme régressif et anxiogène par le jeune, qui risque de l’associer à une fusion avec la mère. De là, la tendance chez certains jeunes de fanfaronner par rapport à leurs conquêtes sexuelles, afin de chasser de leur esprit toute connotation fusionnelle.

Autant que le mouvement peut être vécu comme régressif, autant peut-il avoir un potentiel libérateur et transformateur, permettant au jeune de projeter sur l’objet de son désir sa propre féminité, puis de faire preuve de tendresse et de sollicitude envers cette féminité, qui lui revient ainsi enrichie sous forme d’introject.

lundi 16 avril 2012

LA DÉTRESSE DES HOMMES - 66e partie

LA QUESTION DU PÈRE


Il s’agit ici du père oedipien, celui de la période oedipienne. C’est au stade génital qu’il ferait son entrée dans la vie de l’enfant. Avant cette période l’enfant vivrait dans la sphère maternelle, le père étant, lorsqu’il est mentionné, un simple ‘attribut’ de la mère. Ce silence sur le père pré-oedipien (celui qui nous intéresse ici) est certainement dû à l’histoire du développement de la pensée psychanalytique, qui a progressivement fait la découverte de l’enfant à partir des analyses de patients adultes, puis a approfondi et élargi la connaissance de l’enfant par l’analyse d’enfants et finalement a joint l’observation directe des nourrissons par des psychanalystes et les analyses très précoces aux expériences de travail avec des patients très régressés. Il va donc de soi que c’est d’abord la relation mère-enfant en regard des processus de structuration précoce du psychisme qui s’est imposée à l’étude.

Le père de la période prégénitale apparaît d’abord dans la théorie de M. Klein, qui, la première, a décrit la complexité du monde interne du nourrisson. Dans les courants de pensées liés à la tradition kleinienne, nous trouvons des points de repère pour entreprendre l’investigation du rôle du père auprès du nourrisson. Voici donc brièvement, après quelques idées-clés de la théorie de M. Klein, les points de vue négligés de D. Winnicott et de D. Meltzer.

Le monde du nourrisson est rempli d’innombrables images avec lesquelles le bébé se trouve en alliance (les bonnes images secourables lorsqu’il est bien) ou en conflit (les mauvaises images persécutantes, lorsqu’une souffrance ou une insatisfaction l’accablent). Ces images sont liées aux objets « partiels’ c’est-à-dire clivés, pré-ambivalents. Les objets sont partiels parce que les parties (du corps de la mère, du père, de l’enfant) tiennent place du tout de la personne, dans une continuelle mouvance. Ces images se forment en lien avec la qualité des objets de monde extérieur et avec l’état du monde interne du bébé.

Comme le résume Meltzer (1977) : « Les activités ‘mentales de l’enfant’ en relation avec les images du monde extérieur modifient les qualités des images internes dans le fantasme conscient et inconscient. Le jeu, les rêves, le fantasme, la masturbation et les autres types d’auto-érotisme affectent tour à tour ces images internes et apportent ainsi des modifications à la vision que se fait l’enfant du monde extérieur, en ce qui concerne ses valeurs et sa signification ».

De récentes recherches (Chamberlain 1988) tentent à prouver que le fœtus de 24-25 semaines réagit de façon différenciée aux sons extérieurs. Le bébé naissant disposerait de traces mnésiques de voix et de sons entendus. Pour autant que cela lui est rendu possible (accouchement sans drogue, nourrisson tenu dans les bras et manipulé doucement etc.), le nouveau-né accorde une grande attention au monde qui l’entoure et le scrute visuellement avec avidité. Ce regard concentré du bébé semble d’ailleurs jouer un grand rôle dans l’éveil du sentiment de paternité des hommes qui assistent à l’accouchement, le contact œil à œil avec le nourrisson ayant la signification d’une rencontre. L’attention et l’activité que l’enfant peut soutenir pendant des périodes relativement longues durant les premières semaines post-natales sont d’autant plus clairement perceptibles pour l’observateur que l’on remédie à l’état d’infériorité musculaire du nourrisson en lui maintenant la tête. Il faut noter en passant que les démonstrations des capacités sensitives du nourrisson et de la qualité de son attention ont eu quelques effets déconcertants. En Californie en particulier se sont multipliées des ‘Universités’ et des ‘Écoles’ pré-natales dont le but est de développer, en même temps que des liens prénatals des parents avec leur fœtus, des capacités mentales chez les fœtus. L’apparition de ces ‘écoles’ et leur succès commercial sont bien sûr révélateurs des désirs ou des ambitions parentaux que l’enfant a pour tâche de combler; mais elle montre surtout, comme sous une loupe, comment les données d’observation peuvent nourrir des projections dont le fœtus et le nourrisson sont le support et comment elles peuvent être utilisées pour renforcer une vision adultomorphe du bébé. Ces projections coexistent d’ailleurs parfaitement avec l’image de l’enfant-tube digestif qui ne voit et ne comprend rien.

« Lorsque l’enfant paraît » il entreprend la triple tâche extrêmement complexe de se différencier de sa mère et la reconnaître comme personne, de différencier les autres personnes en contact avec lui et enfin de comprendre les rapports que les personnes qui l’entourent entretiennent avec lui et entre elles. D. Winnicott est un de ceux qui s’est adressé aux parents pour leur dire de quelle façon la mère et le père peuvent aider l’enfant dans cette tâche.

Selon Winnicott, trois processus psychiques commencent très tôt dans la vie et sont cruciaux pour le développement ultérieur : l’intégration, la personnalisation et la réalisation (c’est-à-dire l’appréciation progressive des caractères propres à la réalité). Winnicott insiste sur le fait que le déroulement de ces processus chez l’enfant dépend des capacités de la mère à le materner adéquatement, en dosant la quantité d’excitation que l’enfant peut supporter et en simplifiant l’expérience que l’enfant fait du monde. Les deux premiers processus dépendent de la qualité des soins offerts par la mère. A ce stade très précoce – dès les premières 24 heures de la vie extra-utérine l’enfant peut accuser un retard d’intégration – la fonction du père est « d’aider la mère à se sentir bien dans son corps et heureuse en esprit » pour qu’elle puisse se laisser aller à cette condition particulière où elle sent les états de son enfant et leur répond de façon à lui assurer l’expérience de la continuité d’être et le sentiment d’être entier. C’est aussi à la mère qu’il incombe d’aider l’enfant à démarrer le troisième processus. Selon Winnicott, la connaissance de la réalité passe par l’expérience de l’illusion.

« …l’enfant vient au sein dans un état d’excitation et prêt à halluciner quelque chose qui est susceptible d’être attaqué. À ce moment le téton réel apparaît et il peut sentir que c’était cela qu’il hallucinait. Ainsi ses idées s’enrichissent de détails réels dus à la vue, au toucher, à l’odorat, et la fois suivante, ce matériel est utilisé dans l’hallucination. C’est ainsi que s’édifie peu à peu sa capacité de faire apparaître ce qui est en fait disponible. […] À l’origine il faut un simple contact avec la réalité extérieure ou avec la réalité partagée – l’enfant hallucinant et le monde offrant - , avec des moments d’illusion pour l’enfant où il considère les deux aspects comme identiques, ce qu’ils ne sont jamais en fait ». (1969).

Winnicot insiste sur la complexité de la tâche à accomplir pour l’enfant. C’est pourquoi il est important de la lui simplifier. Une seule personne devrait donner des soins à l’enfant selon une seule technique C’est la mère qu’appartient de « …protéger l’enfant de complications qui ne peuvent pas encore être comprises par l’enfant, et de lui fournir sans cesse la parcelle simplifiée de monde que l’enfant vient de connaître à travers elle […]. Ce n’est qu’en se fondant sur la monotonie qu’une mère peut réussir à enrichir le monde de son enfant » (1969).

Le rôle du père devient crucial dans un deuxième temps : il intervient lorsqu’il faut protéger l’enfant de sa propre haine. D’abord le père protège le bon objet interne lié à la relation à la mère. « De temps en temps l’enfant va haïr quelqu’un – dit Winnicott – et si le père n’est pas là pour lui dire où s’arrêter, il détestera sa mère, ce qui engendrera chez lui de la confusion parce que, fondamentalement c’est sa mère qu’il aime le plus […] Être en vie et rester en vie pendant les premières années de ses enfants est l’une des choses que le père fait pour eux. » (1957).

Le père offre aussi à l’enfant une alternative – l’enfant peut, par moments, se réfugier auprès d’un parent lorsqu’il se sent détester l’autre, et vice versa.

Par ailleurs, le père protège l’enfant de la confusion en incarnant « la loi et l’ordre que la mère introduit dans la vie de l’enfant » (idem).

Le père est donc important non comme le substitut de la mère, mais de façon spécifique. Winnicott introduit le père comme celui à qui il incombe de protéger la relation première de l’enfant et de la mère et qui permet de la rectifier et de la remanier. Il aide ainsi à ordonner les objets internes et à maintenir un contact satisfaisant avec la réalité extérieure. Plus tard, le père permet à l’enfant à la fois de se forger un idéal, de le destituer partiellement et de survivre à la haine liée à la désillusion.

Quarante ans plus tard, D.Meltzer propose une réflexion sur le rôle du père auprès du tout petit enfant en insistant sur la nature de l’activité mentale particulière de celui-ci. Meltzer voit, lui aussi, le père comme protecteur de la relation mère-nourrisson. « De façon générale, les fonctions du père sont des fonctions d’approvisionnement et de protection de la relation mère-enfant, et ses organes génitaux sont à la fois l’instrument et l’arme de ces fonctions » (1989). Le rôle du père est d’ordonner le monde de représentations de l’enfant pour que la série associative mamelon-pénis-fèces-bébé puisse être utilisée comme source de différentiation et non de confusion défensive.

Voici les premiers pas vers cette différenciation tels que Meltzer les voit, c’est-à-dire le passage de la vie fœtale à l’état de nourrisson et les premiers émois qui en résultent. Les prémices de la vie psychique chez les fœtus se développent avec les expériences kinesthésiques et auditives.

Les premières concernent le corps propre, les secondes ont pour l’objet le plus évocateur, la voix de la mère. C’est à cette voix d’abord et au visage et au sein de la mère qui s’Offrent ensuite à sa vue, que l’enfant répond avec passion (c’est-à-dire par une intégration de l’amour, de la haine et du désir de connaître). Lorsque après la naissance, l’enfant éprouve différents états d’inconfort et de mal être liés à ses nouvelles conditions d’existence, se trouver entouré des bras de la mère avec « la sensation de rassemblement que procure l’expérience du mamelon-dans-la-bouche le soulage presque instantanément ». S’engage alors un processus dialectique dans lequel l’espace interne est occupé à tour de rôle, ou en même temps, par de bons objets protecteurs et de mauvais objets qui font souffrir.

Le bébé tend à expulser les mauvais objets dans la mère et à garder ce qui est bon. Au fur et à mesure que l’enfant émerge de sa toute première relation à la mère, et lorsque point une conception un peu plus cohérente de la mère, apparaît le désir de la protéger et de la réparer. Le père, qui approvisionne la mère, est donc l’allié des soucis réparateurs du bébé. Au fur et à mesure que le contact avec la mère devient plus érotique, se développent chez l’enfant le désir de possession et ses corollaires.

La pulsion de contrôle et la méfiance. Son désir de connaître et de comprendre augmente et s’aiguise. Le père se présente alors avec son pénis en tant que protecteur de la mère et des orifices du bébé. Si la dialectique du bon et du mauvais (menaçant l’intégrité de l’enfant) s’applique autant au pénis qu’au sein, le père est également le support des tensions déplacées sur lui des conflits avec la mère. C’est donc le père qui porte la plus lourde charge de suspicion dans l’esprit de l’enfant. En cela repose aussi la nature de son rôle de protecteur de la relation mère-enfant.

« Les fonctions du père ont une signification secondaire par rapport au rôle de la mère, et tout mouvement ultérieur qui les placeraient dans un rôle de première importance entraînerait une distorsion grossière du monde de relation humaines » insite Meltzer. Ne pas confondre fonctions et rôles des parents aide l’enfant à sortir de sa confusion initiale. Les fonctions du père auxquelles il est fait référence ici peuvent être énumérées ainsi :
Le père comme protecteur de la relation mère-enfant;
Le père comme capable de prendre sur lui la haine et l’angoisse de l’enfant;
Le père comme agent de différenciation.

Ces fonctions apparaissent sans doute plus ingrates que celles dont l’imaginaire charge « le nouveau père ». La dernière fonction énumérée est contradictoire avec la place qui est destinée au père par l’idéologie d’aujourd’hui. De la confusion du bébé à la confusion comme idéologie nous changeons sans doute de registre. Mais il est peut-être possible d’entrevoir comment ces deux registres peuvent se rejoindre ou s’entrechoquer sur le terrain des conflits intimes qui peuvent resurgir chez les parents lors de la naissance de leur enfant. La période post-natale en est une de remaniements, souvent profonds, touchant à l’identité et à la structure oeidipienne aussi bien chez la mère que chez le père. Dans chaque culture les rites, les coutumes, les structures que la société a mis en place ont pour fonction de contenir cette expérience. La confusion idéologique actuelle et le flou des structures sociales de soutien renforcent à notre avis l’aspect confusionnel des débuts de l’expérience parentale. Pour que les gestes et les attitudes des parents aident l’enfant à ordonner son monde, il faut que ceux-ci dépassent leurs propres hésitations et leurs conflits avivés par l’apparition de l’enfant. Ceci implique qu’ils aient fait minimalement au préalable des deuils nécessaires (des objets oedipiens), se libérant des envies et des haines qui entrainent le désir exacerbé de réparation (de la mère qu’on a eu ou de l’enfant qu’on a été).